Compensation des charges applicables aux collectivités territoriales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales.

Discussion générale

M. Rémy Pointereau, auteur de la proposition de loi constitutionnelle .  - Il y a vingt-cinq ans, le Conseil d'État déplorait dans son rapport public sur la sécurité juridique l'inflation normative et la logorrhée législative et réglementaire ; il dénonçait la prolifération désordonnée des textes et la dégradation de la norme. Ce signal d'alarme n'a hélas rien perdu de son actualité. Les collectivités territoriales sont les premières victimes du zèle normatif, dans une situation très dégradée des finances locales. Face à l'effet de ciseaux entre la hausse des dépenses et la baisse des recettes liée à celle des concours financiers de l'État, il est urgent de desserrer l'étau normatif, de lutter contre une inflation normative qui paralyse l'action publique locale. Selon l'AMF, on compte 400 000 normes applicables aux collectivités territoriales... Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) chiffre à 6 milliards d'euros le coût brut des textes qui lui ont été soumis de 2008 à 2014. La France serait 121e sur 144 en termes de compétitivité administrative, selon le Forum économique mondial. C'est un frein à l'activité économique et à la croissance. Enfin, les normes contradictoires confuses posent des problèmes de sécurité juridique et font courir des risques contentieux aux élus locaux, qui ne s'y retrouvent plus. Et pour cause : 80 % des dispositions législatives et 50 % des dispositions réglementaires du code général des collectivités territoriales ont été modifiées en dix ans... En définitive, c'est au principe de la libre administration des collectivités territoriales qu'il est porté atteinte.

Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, doit apporter une réponse aux élus. La délégation aux collectivités territoriales s'est engagée dans cette voie. La prolifération normative est un sujet de préoccupation ancien pour le Sénat, comme en témoignent les travaux de Claude Belot, Jean-Pierre Vial ou Éric Doligé. La délégation s'est concentrée sur le flux, avant de s'intéresser au stock des normes dans le secteur de l'urbanisme, jugé prioritaire par les élus locaux, et au fonctionnement du CNEN.

Cependant, ces initiatives ciblées, utiles, n'endiguent pas à elles seules l'inflation normative. Il faut poser des bornes claires, inciter au changement de pratiques et de mentalités. Cette proposition de loi et mon amendement entendent protéger les collectivités territoriales contre la furie normative.

Le premier principe serait : pour une norme créée, une norme supprimée. Selon le CNEN, une nouvelle norme applicable aux collectivités territoriales est créée chaque jour. Le mécanisme a déjà été consacré dans le domaine réglementaire par la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 ; érigeons-le, pour le domaine législatif, au niveau constitutionnel. Le deuxième principe est le principe « prescripteur payeur », comme le disait déjà Claude Belot dans son rapport de 2010. Le dernier principe : l'interdiction de la surtransposition des normes européennes, qui représentent, selon l'OCDE, 50 % de nos normes. Suivons la règle allemande : la transposition ne doit reprendre que les termes du texte européen stricto sensu.

Les élus attendent des résultats tangibles. Le Sénat doit être aux avant-postes de la simplification administrative. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois .  - L'inflation normative est un enjeu majeur et déjà ancien, dénoncé par de nombreux rapports.

Le Parlement, et en particulier le Sénat, s'est engagé pour la simplification, comme en témoigne la création à l'initiative d'Alain Lambert de la Commission consultative d'évaluation des normes, devenue conseil national doté de larges pouvoirs grâce à Mme Gourault et M. Sueur. Je pense aussi à la proposition de loi de simplification déposée en 2011 par M. Doligé et dont plusieurs dispositions ont été reprises dans la loi NOTRe.

Il faut cependant aller plus vite et plus loin. Le poids des normes est devenu trop lourd pour les collectivités territoriales. C'est l'objet de la proposition de loi constitutionnelle en discussion.

Néanmoins, l'article premier de la proposition de loi initiale qui subordonnait l'initiative législative au respect des objectifs de stabilisation et d'allègement des charges pesant sur les collectivités, oubliait que le législateur n'est pas le seul producteur de normes. La commission des lois a aussi souligné des difficultés juridiques. Se posait d'abord la difficulté à apprécier le caractère équivalent d'une charge, ce qui imposait de s'assurer de la sincérité de l'évaluation de celle-ci et de disposer d'une instance susceptible d'y veiller. Plus important encore, en prévoyant un mécanisme de gage autorisant la discussion d'une disposition créant une charge supplémentaire, l'article premier entrait en contradiction avec l'article 40 de la Constitution et introduisait une inégalité entre collectivités territoriales et autres personnes publiques au regard du principe de l'irrecevabilité des dispositions aggravant le solde du budget.

L'article 2 proposait de limiter voire d'interdire la surtransposition de directives européennes. Or la commission des lois considère que le droit d'amendement des parlementaires doit s'exercer pleinement... Il relève de l'appréciation du politique d'aller au-delà de ce que prescrit la réglementation européenne.

Le législateur doit certes s'astreindre à plus de rigueur dans l'adoption de dispositions nouvelles. Pour ne pas en rester à des formules incantatoires, nous nous sommes attachés en commission à trouver un équilibre. Selon l'article premier, toute mesure nouvelle ou aggravation d'une mesure nouvelle devra être précédée d'une évaluation sérieuse. Et, cela va de pair, la compensation devra faire l'objet d'une évaluation sincère.

À l'article 2, le législateur et le pouvoir réglementaire verraient leur marge de manoeuvre en matière de transposition de normes européennes implicitement soumise à un principe de proportionnalité.

Commission et délégation ont travaillé de concert pour parvenir à une bonne rédaction de l'article premier. Si nos amendements sont adoptés, les parlementaires disposeront de nouveaux outils pour juguler l'inflation normative. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale .  - La norme est nécessaire, elle n'est pas, en elle-même, à combattre. Le problème réside davantage dans l'inflation normative, dont le coût, de 2008 à 2013, a été estimé à 5,8 milliards d'euros.

Le président de la République a voulu un choc de simplification et le Gouvernement de M. Valls a engagé un combat résolu pour maîtriser l'expansion des normes, grâce au CNEN et à deux circulaires respectivement du 17 juillet 2013 et du 9 octobre 2014. L'objectif est, en flux, « une norme supprimée pour toute norme créée ». En stock, la simplification doit progresser par vagues.

La tendance est claire : le coût des nouvelles normes pesant sur les collectivités territoriales tend à décroître et l'objectif « zéro pour cent de charges nouvelles » a été tenu en 2015.

Il y a certes encore une marge d'amélioration dans l'évaluation financière des normes nouvelles. Les évaluations réalisées par les administrations centrales pour le CNEN sont de qualité inégale. Les procédures d'urgences devant le CNEN sont encore trop nombreuses. Le président Lambert m'en a fait part, malgré les progrès observés en 2015.

Dès la fin 2014, des actions ont en outre été engagées pour résorber le stock. La mission diligentée a dressé en juillet 2015 une liste de 76 propositions. Mon cabinet a réuni les élus locaux et les acteurs de terrain, praticiens des normes - directeurs généraux des services et des services techniques de collectivités territoriales de toutes tailles, au cours de six ateliers thématiques consacrés aux bâtiments publics, aux installations sportives, au fonctionnement des collectivités territoriales, aux marchés publics et aux règles budgétaires et comptables, ainsi qu'au secteur social.

En ont résulté 16 mesures de simplification dans la loi NOTRe, dont 12 issues des propositions de M. Doligé ; puis 18 mesures annoncées à Vesoul le 14 septembre. Les normes concernent de nombreux cas très concrets - l'implantation des poteaux de terrain de football par exemple, mais je garde le meilleur pour le débat de demain. Une nouvelle vague de simplification est en cours.

En 2016, une équipe du Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) sera dédiée à la préparation des ateliers et surtout au suivi des mesures. Le rôle du CNEN sera renforcé, le décret relatif à la saisine modifié, conformément à mon engagement : tout élu pourra désormais saisir le Conseil sur une norme à l'efficacité douteuse. Le Conseil d'État l'a validé. À vous de faire connaître cette possibilité aux élus de vos territoires !

J'assiste moi-même régulièrement aux travaux du CNEN. Un guide pratique pourra être élaboré, dont la rédaction gagnerait à être concertée avec les praticiens et les élus. En matière d'équipements sportifs notamment, les attentes de simplification sont grandes.

Les petites communes, à faibles moyens techniques et d'expertise, sont également désireuses de trouver auprès des services de l'État des explications et un accompagnement. La réforme en cours de l'administration territoriale de l'État y pourvoira. Préfets et chefs de service déconcentrés seront destinataires dans les prochains jours d'une circulaire leur enjoignant d'avoir une interprétation « facilitatrice » des normes - les Québécois ont un autre terme : « accommodement raisonné » - et d'accompagner les élus plus encore qu'aujourd'hui.

La loi du 12 novembre 2013 disposant que le silence de l'administration vaut acceptation est applicable depuis le 12 novembre 2015 aux collectivités territoriales ; il concerne 70 % des procédures existantes.

J'en viens à cette proposition de loi constitutionnelle. L'article premier, qui interdisait dans sa version initiale d'imposer des contraintes ou charges nouvelles aux collectivités territoriales sans en supprimer d'équivalentes, aurait eu des conséquences fâcheuses. Faudra-t-il, si l'on confie aux régions une compétence nouvelle d'accompagnement vers l'emploi, leur retirer concomitamment une compétence équivalente ?

Quant à l'article 2, comment limiter la sur-transposition sans méconnaître le droit d'amendement protégé par l'article 44 de la Constitution ? Il appartient au pouvoir politique d'apprécier l'opportunité d'aller plus loin que le droit européen.

Je comprends donc la démarche de la commission qui a profondément modifié le texte ; mais elle en a fait une déclaration d'intentions...

Par sa portée générale, le nouvel article premier pourrait conduire au développement d'une jurisprudence très contraignante et déstabilisatrice : les objectifs de simplification et de clarification du droit pourraient être invoqués à l'encontre de toute loi à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité !

Inutile de réviser la Constitution pour enrayer l'inflation normative... Privilégions la volonté politique, celle dont fait preuve le Gouvernement. Il ne faut pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2, présentée par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain.

En application de l'article 44 alinéa 3 du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes (n° 265, 2015-2016).

M. René Vandierendonck .  - Nous partageons tous le constat et manifestons le même volontarisme. Sénateur depuis 2011, j'ai vu aux États généraux de la démocratie territoriale l'importance que les élus accordent à la simplification - c'est une priorité pour 70 % d'entre eux.

Les normes ne sont pas toutes infondées, c'est davantage leur accumulation et leur mise en oeuvre sur le terrain qui posent problème. Les rapports Belot, Doligé, Lambert-Boulard ont parfaitement analysé la sédimentation des couches normatives successives.

Le Gouvernement a engagé un plan d'action d'ampleur, portant sur le flux comme sur le stock de normes. À l'initiative de Mme Gourault et M. Sueur, la chenille est devenue papillon, le CCEN s'est transformé en un CNEN aux modalités de saisine élargies ; le Gouvernement a amplifié l'idée de gel des normes émise par François Fillon, selon le principe britannique one in, one out. Le comité interministériel pour les ruralités a, enfin, fait d'intéressantes propositions.

Faut-il, dès lors, réviser la Constitution pour aller plus loin ? Je ne le pense pas. La Cour des comptes en octobre 2011 a souligné que le poids des normes est mesuré par une instance politique, le CCEN, et une instance administrative, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG).

Or les deux n'ont pas la même appréciation des fiches qui leur sont transmises. Bref, pour avancer, et c'est nécessaire, point n'est besoin de réviser la Constitution. Améliorons plutôt la conception des fiches d'impact et leur publicité ; et le suivi des suites données aux avis du CNEN.

Je salue le travail de M. Pointereau mais reste sur ma faim. Je ne vois pas, par exemple, l'articulation entre la loi organique prévue par l'article premier et celle relative aux études d'impact. Le dispositif d'encadrement des surtranspositions me semble à la périphérie de l'objet essentiel du texte et de nature à restreindre excessivement notre droit d'amendement. Philippe Bas disait que la Constitution, pacte fondamental qui unit tous les Français, ne devrait pas être révisée sans raison impérieuse : écoutons-le !

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur.  - Nous nous rejoignons sur le constat - même si certains chiffres, monsieur le ministre, pourraient être discutés. Il nous faut par-dessus tout engager une démarche d'ordre culturel. Sans doute sommes-nous trop cartésiens, à considérer que tout doit passer par une norme nouvelle.

En matière européenne, la transposition d'une directive ne saurait conduire à abaisser son niveau d'exigence, c'est entendu. Mais faisons un peu de droit comparé : chez nos voisins fédéraux par exemple, les directives sont transposées de manière très light au niveau central, et adaptées par chaque État fédéré à ses propres spécificités.

Nous nous opposons à cette question préalable car il nous semble qu'il faut aller plus loin. La loi organique précisera le niveau de détail requis.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - L'administration devra faire sa révolution, passer d'une culture du contrôle à une culture du conseil. Nous avons hérité de notre tradition jacobine et bonapartiste l'idée que le territoire français devait être administré uniformément - tandis que les provinces de l'Ancien Régime l'étaient de manière très diverse.

Les choses ont changé, il nous faut évoluer. Moi-même, je reste jacobin de coeur, mais suis girondin de raison. La loi Maptam engage cette transition, avec l'instauration de la Conférence territoriale de l'action publique (CTAP) notamment, qui permettra d'adapter l'application de la norme à chaque territoire.

Mme Cécile Cukierman.  - Le texte de la commission des lois n'est guère meilleur que le texte initial, qui n'apporte que des réponses inadaptées et incomplètes.

À l'insuffisance des ressources des collectivités territoriales, la rédaction ne répond que par le statu quo. Inflation normative ? Certes. Mais la norme, telle celle instaurant le système métrique sous la Révolution, est ce qui assure l'égalité de traitement de tous citoyens... Il y a sans doute un inventaire à faire, mais veillons à ne pas revenir sur ce qui constitue le fondement du pacte républicain.

Nous voterons la motion.

La motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°119 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 139
Contre 202

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Marie Bockel .  - Le président Belot, qui intitulait son rapport La maladie de la norme, a initié une démarche que nous avons prolongée sous l'égide du président Larcher. Voyez le rapport Lambert-Boulard par exemple.

Cette maladie, dont nous, législateurs, sommes souvent responsables, affecte de longue date notre ordonnancement juridique. La loi du 17 octobre 2013 a opportunément renforcé le CNEN, et les commissions des lois fournissent un travail important, mais il faut aller plus loin.

Modifier la Constitution requiert de l'expérience, du tact. Il faut féliciter Rémy Pointereau pour son travail et saluer l'échange fructueux engagé avec Jean-Pierre Vial.

La maladie de la norme prend des formes diverses. Rémy Pointereau distingue finement diverses motivations conduisant à une aggravation des charges des collectivités territoriales : l'indifférence aux aspects financiers, la volonté de traduire le plus complètement possible un idéal politique...

Cette proposition de loi introduit d'abord une règle de sobriété normative, inspirée des pratiques observées chez nos voisins. Objectif : en finir avec la surtransposition du droit européen et supprimer une norme existante pour toute nouvelle norme créée.

Deuxième principe posé par ce texte : la responsabilité normative de l'État, qui doit supporter la charge financière des normes qu'il crée. L'article 72-2 de la Constitution mérite à cet égard d'être complété.

Enfin, si la simplicité et la clarté de la norme sont érigées en objectifs constitutionnels, le Conseil constitutionnel sera incité à développer sa jurisprudence.

J'espère que cette proposition de loi sera adoptée, prospérera et témoignera de la détermination du Sénat à juguler l'inflation normative. C'est un signal très fort ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman .  - La campagne des élections régionales a été l'occasion de relayer les inquiétudes des élus locaux subissant le déclin des dépenses publiques. Mais de qui se moque-t-on avec cette proposition de loi ? Les difficultés des collectivités territoriales n'auraient que des causes exogènes ? Qui vote les transferts de charges et les transpositions de normes européennes, sinon les parlementaires, et encore, souvent par voie d'habilitation à prendre des ordonnances ?

Le constat est juste, mais les solutions inadaptées. Certains des défenseurs de ce texte ont voté par exemple le transfert du RMI aux départements, sans se soucier de ses conséquences financières. D'autres, vent debout contre la réforme Sarkozy, ont voté la loi NOTRe...

La démagogie empêche d'appréhender les moyens de répondre aux maux de notre pays. La dépense publique est le salaire de celui qui n'en a pas ou guère. La réduire, c'est affaiblir le lien entre le citoyen et la République, et favoriser les dérives comme celles que nous constatons déjà... Éducation, logement, action sociale, infrastructure, culture... Les besoins sont nombreux. Et ceux qui fustigent les dépenses qui visent à y répondre sont souvent les plus négligents sur les dépenses fiscales, nous l'avons vu tout à l'heure...

Quant aux directives européennes, on ne peut dire qu'elles seraient surtransposées puisqu'elles ne constituent qu'un socle commun : les États membres sont libres d'aller au-delà, d'autant que cela peut être déjà le cas.

Vous surfez sur le ras-le-bol des élus locaux. N'oublions pas cependant que la norme est la garantie de la sécurité des individus comme de l'environnement, sauf lorsqu'elle résulte de la pression des lobbys privés. Certaines normes exigent certes un accompagnement.

Hasard sans doute de calendrier, cette colère anti normes s'accroit au moment où les conséquences de la RGPP se font sentir avec le départ de nombreux fonctionnaires d'État, ce qui pousse les élus locaux vers de coûteux cabinets de conseil. Cette colère s'accroît encore avec la baisse de dotation qui met les élus locaux dans l'incapacité d'investir.

Refusant vos solutions, nous voterons contre cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont .  - Contre le coût des normes, le Gouvernement agit. Mais cette proposition de loi constitutionnelle ne dit rien des charges les plus lourdes et les plus emblématiques des collectivités : les allocations individuelles de solidarité. Les dépenses liées au RSA, à l'APA et à la prestation de compensation du handicap sont passées de 11 milliards d'euros en 2007 à 15 milliards en 2012. Sur la même période, l'épargne nette des départements a fondu, passant de 7 à 4 milliards d'euros. La fiscalité locale augmente de 8 % pour la taxe d'habitation et de 18 % pour le foncier bâti. Ainsi c'est la capacité d'action des conseils départementaux qui est remise en cause, faisant planer la menace sur tout le tissu économique, associatif, social.

En 2013, le président de la République et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault ont reconnu que le transfert du RSA n'avait pas été correctement compensé. En juillet 2013, les accords de Matignon prévoyaient de transférer aux départements le produit des frais de gestion des droits de mutation à titre onéreux sur les propriétés bâties et en relevaient le plafond. La situation a pu ainsi se stabiliser, tandis que les précédents gouvernements avaient refusé de reconnaître la dette de l'État. Le Gouvernement de M. Valls a rouvert les négociations.

Mauvaise évaluation dès le départ, refus de reconnaître un engrenage mortifère, hausse continue du nombre d'allocataires en période de crise, augmentation des allocations... Autant de facteurs qui conduisent aujourd'hui beaucoup de départements à demander que la gestion du RSA revienne à l'État, ce qui signerait l'échec de ce transfert mais ne manquerait pas de sens, car les départements ne jouent là qu'un rôle de guichet.

Tirons-en les enseignements sur les transferts de compétences. Départements et régions ont dû recruter des médecins du travail pour suivre le personnel technique des collèges et lycées ; autre exemple, relevé par la Cour des comptes dans son rapport de février 2012 : l'alignement du régime indemnitaire des agents de l'État sur celui des agents territoriaux a coûté 46 millions d'euros de frais supplémentaires.

Bref, le coût d'un transfert ne peut être évalué qu'avec du recul, ce qui rend nécessaires des clauses de revoyure. Les collectivités doivent aussi avoir de la visibilité sur leurs leviers fiscaux et leurs dotations.

Cette proposition de loi constitutionnelle ne ferait qu'alourdir notre arsenal juridique. Le groupe socialiste et républicain ne la soutiendra pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Ronan Dantec .  - Une taquinerie : l'inflation de propositions de loi constitutionnelle est-elle aussi concernée par ce texte ? Elle crée bien une charge supplémentaire pour le Sénat...

La présentation de M. Pointereau m'a laissé sceptique : normes, compétences et charges ne se recouvrent pas. M. le ministre lui a fait une réponse précise, et le groupe écologiste ne votera pas ce texte.

Plutôt que de nous perdre en généralités, discutons des normes concrètes dont se plaignent les élus - celles qui concernent l'accessibilité par exemple. Sans normes, notre retard aurait perduré dans ce domaine. Certes, des dérogations seraient quelques fois utiles, mais les associations sont échaudées... De même, sans normes, nous continuerions à dégrader notre environnement.

Plusieurs fois, j'ai défendu la simplification des normes sur l'installation d'éoliennes, et là, la majorité sénatoriale a fait preuve d'une étonnante créativité normative !

S'agissant du code des marchés publics par exemple, les normes sont nécessaires. La question de fond est celle de l'organisation et de la culture administratives françaises. Ailleurs, les territoires sont libres d'adapter la règlementation aux réalités locales ! Si ce débat est l'occasion de critiquer ce jacobinisme, tant mieux.

M. Michel Amiel .  - L'ambition de ce texte est simple : lutter contre l'inflation normative, fléau de nos collectivités. L'AMF compte 400 000 normes pesant sur les communes. L'article 72 de la Constitution, qui impose de compenser financièrement les charges nouvelles des collectivités, n'est pas respecté.

Simplification et clarification vont de pair. L'origine des normes est diverse : Parlement, Gouvernement, administration, autorités administratives indépendantes, Union européenne... C'est à leur qualité plutôt qu'à leur rareté qu'il faut veiller. Les conditions de saisine du CNEN gagneraient à être élargies - c'est moins le coût que le caractère inadapté des normes qui le conduisent à donner un avis défavorable.

L'article 40 de la Constitution interdit déjà aux parlementaires de prendre l'initiative d'une charge nouvelle.

Quant à l'article 2 de la proposition de loi constitutionnelle, le rapporteur a raison de souligner qu'il appartient au législateur d'examiner l'opportunité d'aller au-delà du droit européen.

Si j'ai bien compris la commission, une simple loi organique aurait suffi. Pourquoi ne pas viser les articles relatifs aux collectivités territoriales ?

La majorité du RDSE ne votera pas ce texte. Je voterai contre. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Doligé .  - Depuis des mois, nous alertons le Gouvernement sur la situation financière périlleuse des collectivités territoriales et l'accumulation des normes et des charges. « Si la norme n'est pas en elle-même à combattre, l'inflation normative asphyxie l'action publique », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. Passons aux travaux pratiques.

La loi Alur n'a aucunement compensé les charges nouvelles imposées aux collectivités territoriales, par exemple, sur la construction de logements sociaux, ou le transfert aux intercommunalités de la délivrance des permis de construire. Au reste, le nombre de logements sociaux, est-ce une norme ? Une simple règle ?

La loi NOTRe, elle aussi, a donné à certaines collectivités de nouvelles compétences - s'ajoutant à la réforme des rythmes scolaires - et créé une nouvelle couche au millefeuille.

Vous prétendez, monsieur le ministre, que la circulaire « Zéro norme nouvelle » a été respectée en 2015. Quel élu vous croira ? Aucun ne l'a ressenti. Peut-être des normes anciennes ne produisent-elles leurs effets que maintenant ?

L'outre-mer est particulièrement plombé par l'excès de normes. Nous faisons comme si ces territoires étaient à quelques encablures de chez nous !

Dès 2012, je préconisais d'arrêter de produire des normes et d'agir sur le stock comme sur le flux. Or les mesures de simplification prévues par la loi NOTRe et celles annoncées à Vesoul, bienvenues, sont loin de compenser toutes celles que vous avez créées.

Avec cette proposition de loi constitutionnelle, lorsque l'État créera une nouvelle charge, il devra la compenser : c'est le meilleur frein.

Bonne année et bonne santé, monsieur le ministre ! Il vous en faudra pour guérir la boulimie normative de nos administrations ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Dominique de Legge .  - Nombre d'entre nous ont fait l'expérience de normes kafkaïennes, inutilement pénalisantes : il en existe 400 000 sur les collectivités, dont le coût est évalué à 700 millions d'euros pour 2015...

Substituons à l'obligation de moyens incombant aux collectivités territoriales, une obligation de résultat. Privilégions le but au chemin. Les bonnes intentions du Grenelle de l'environnement ou de la loi Alur ont des effets paralysants !

Un principe de proportionnalité s'impose aussi : on ne peut imposer les mêmes investissements à une commune de 300 ou de 10 000 habitants.

Vous voulez un exemple d'absurdité ? Après la tempête Xynthia qui avait frappé des communes de l'océan Atlantique, les communes de la baie du Mont Saint-Michel ont subi une application tatillonne du PPR : alors qu'elles ne courent pas le même risque de submersion que les communes du littoral vendéen, leurs habitants doivent supprimer les chambres au rez-de-chaussée, ce qui est assez difficile lorsque les maisons n'ont pas d'étage. Mais on leur refuse des permis de construire en étage au nom de la loi Littoral !

La quantité l'emporte trop souvent sur la qualité. Pourquoi ne pas confier aux régions une faculté d'adaptation des règles aux réalités du terrain ? (Applaudissements à droite)

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Bernard Fournier .  - Cette proposition de loi constitutionnelle est bienvenue. Les collectivités territoriales sont à un tournant : l'effet de ciseaux auquel elles sont confrontées, hausse des charges et baisse des dotations, va profondément transformer nos territoires. Au total, les collectivités percevront 28 milliards d'euros de moins entre 2012 et 2017. Pendant ce temps, le coût du RSA explose. Les débats sur la compensation financière de la réforme des rythmes scolaires n'en finissent plus...

L'article 72-2 de la Constitution impose la compensation de tout transfert de compétences. Encore faudrait-il réévaluer régulièrement les évaluations initiales.

Voilà 25 ans que nous parlons de l'inflation normative sans la juguler. Persévérons et nous obtiendrons des résultats.

L'interdiction de la surtransposition des règles européennes est, quant à elle, frappée au coin du bon sens. Dans le contexte économique et institutionnel que l'on sait, il y a urgence à agir. Je voterai donc cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Antoine Lefèvre .  - Aux normes venues d'Europe s'ajoutent celles que nous nous imposons et pour lesquelles nous avons un goût immodéré : il en existe 400 000, et je ne me lancerai pas dans un inventaire à la Prévert qui n'aurait rien de poétique...

Assez d'attentisme. Cette proposition de loi constitutionnelle est un vibrant appel au Gouvernement pour en finir avec la sur-norme, voire la sur-sur-norme. Avançons ! (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. René Vandierendonck.  - Défendu.

L'amendement n°3, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Pointereau, Bockel, Carle et Mandelli, Mme Primas, MM. D. Laurent, Vogel et Grosdidier, Mme Canayer, MM. Charon, Cardoux et Joyandet, Mme Morhet-Richaud, MM. Chaize, Morisset, Reichardt, B. Fournier, Legendre et Karoutchi, Mmes Hummel et Duchêne, M. Mayet, Mme Deromedi, MM. Lemoyne, Laufoaulu, Cornu et Vaspart, Mme Lamure, MM. Huré, Laménie, Pierre, Houel, J.C. Leroy, J.P. Fournier et Doligé et Mme Deroche.

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Toute mesure législative ou réglementaire ayant pour effet de créer ou d'aggraver une charge pour les collectivités territoriales fait l'objet d'une évaluation préalable et est assortie de la suppression de mesures représentant une charge équivalente ou d'une compensation financière, dans les conditions prévues par une loi organique. » 

M. Rémy Pointereau.  - Cet amendement inscrit dans la Constitution l'obligation pour l'État de compenser les conséquences financières des normes nouvelles, législatives ou réglementaires applicables aux collectivités territoriales.

Le maire de Châteauroux avait fait construire un terrain de football synthétique, pour 900 000 euros. La fédération s'en était félicitée et voici qu'elle modifie son article 117 pour interdire que les matchs de ligues 1 et 2 se déroulent sur de tels terrains ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur.  - Avis favorable.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

M. Alain Vasselle.  - J'aurais volontiers signé cet amendement : se contenter d'une évaluation du coût des normes légales serait un coup d'épée dans l'eau puisqu'une étude d'impact est d'ores et déjà obligatoire pour tout projet de loi. Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne s'intéresse guère aux études d'impact, pourtant essentielles.

On n'a cessé de confier aux collectivités territoriales de nouvelles charges sans compensation. Il est un peu facile de les accuser aujourd'hui de mauvaise gestion ! (Applaudissements à droite)

L'amendement n°1 rectifié bis est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Vial, au nom de la commission.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution est ainsi modifié :

1° À la première phrase, après le mot : « territoriales », sont insérés les mots : « ou entre collectivités territoriales » ;

2° À la seconde phrase, les mots : « déterminées par la loi » sont remplacés par les mots : « équivalentes à leur montant estimé » ;

3° Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées :

« Les ressources ainsi attribuées pour la compensation des transferts, créations ou extensions de compétences font l'objet d'une réévaluation régulière. Les modalités de mise en oeuvre du présent alinéa sont fixées par une loi organique. »

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur.  - Cet amendement élargit le principe de compensation aux transferts de compétences entre collectivités territoriales et introduit le principe d'une réévaluation régulière de la compensation des transferts, créations et extensions de compétences.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très bien.

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

M. Marc Laménie.  - Je m'associe à cet amendement. Les normes, les transferts non compensés sont un tracas quotidien pour les élus. Il est temps de conclure un contrat de confiance entre l'État et les collectivités territoriales.

L'amendement n°5 est adopté et devient un article additionnel.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. René Vandierendonck.  - Défendu.

L'amendement n°4, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

M. Rémy Pointereau.  - Merci à tous ceux qui ont soutenu cette proposition de loi. Pour une improvisation, ce n'était pas si mal ! J'ai connu M. Vandierendonck plus élégant et plus modéré !

La proposition de loi constitutionnelle est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°120 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l'adoption 187
Contre 149

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite et au centre)