Débat sur les essais cliniques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - L'événement tragique de Rennes a conduit la commission des affaires sociales à se pencher sur l'encadrement des essais cliniques, avec cinq cycles d'auditions nous permettant d'entendre toutes les parties prenantes. Je salue la mémoire de Guillaume Molinet, et rends hommage à tous ceux qui aident la recherche. Ceux qui participent aux effets cliniques le font pour que d'autres en bénéficient. Mais certains y trouvent parfois un complément de revenus. Il faut trouver l'équilibre entre sécurité et innovation.

Un cadre protecteur a été mis en place depuis 1988 ; le Sénat, grâce à Claude Huriet et Franck Sérusclat, a été en pointe dans la création des Comités de protection des personnes (CPP) qui a servi de modèle pour l'Europe. Quant à la loi Jardé, l'accord trouvé ici entre des personnalités aussi diverses que Nicolas About, Marie-Thérèse Hermange, François Autain, la conduite des négociations avec l'Assemblée nationale par notre rapporteur Jean-Pierre Godefroy nous avaient laissé espérer que ce texte, adopté finalement sans opposition, avait atteint un point d'équilibre et serait rapidement mis en application. C'était il y a plus de quatre ans. Les autorités sanitaires ont préféré attendre le résultat des négociations européennes, et peut-être ne pas bousculer les habitudes... Nous attendons encore le décret sur les modalités de saisine des comités. Le principe de la répartition aléatoire des protocoles, seul à même de garantir l'indépendance des CPP, est ainsi resté lettre morte.

Et c'est sans compter leurs difficultés financières, dans un environnement très concurrentiel. Les autorités sanitaires sont également mal outillées pour évaluer les CPP, dont les pratiques semblent très hétérogènes. L'accès des comités aux résultats des essais précliniques est encore limité par le secret industriel, alors qu'il conditionne le consentement libre et éclairé des volontaires. Selon nous, l'intérêt de la personne doit toujours prévaloir sur les intérêts de la science.

Des patients se rendraient à l'étranger pour poursuivre des programmes une fois atteint le plafond d'indemnisation. Une coordination européenne est indispensable.

Nous avons donc plusieurs questions. Quand et comment la loi Jardé sera-t-elle mise en oeuvre ? Le Gouvernement soutient-il la répartition aléatoire des protocoles, quitte à ce qu'elle se fasse entre CPP dont la compétence thématique est reconnue ? Comment entend-il garantir le bon fonctionnement et l'indépendance des comités, qui manquent de moyens ? Quelle articulation avec l'ANSM ? Comment s'assurer que les patients sont en situation de consentir librement ? Quand l'ordonnance de transposition du règlement européen sur la question sera-t-elle publiée et ratifiée ? Le cadre européen vous paraît-il suffisamment protecteur ?

L'application de la législation existante, ensuite. Une procédure judiciaire est en cours, des rapports d'inspection ont été demandés. La loi sur la publicité des essais est-elle appliquée ? Nous avons été choqués de voir Biotrial faire celle de ses essais comme étant sans risques et rémunérateurs, sur son site auquel renvoie celui du CPP de Rennes 2.

Enfin, estimez-vous que, dans un contexte concurrentiel, la recherche clinique française serait mise en péril par la réglementation que nous appelons de nos voeux ? Quels sont ses axes de développement ? Il nous faut trouver un équilibre entre sécurité et innovation, santé de ceux qui participent aux recherches et santé du plus grand nombre. Ce n'est pas facile, certes. Mais sachez notre frustration de voir une loi votée il y a quatre ans après trois ans de débat rester inappliquée... (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Amiel .  - Jean Bernard le disait, « l'expérimentation est moralement nécessaire et nécessairement immorale ». Les essais cliniques sont une étape essentielle dans la mise au point et l'amélioration des traitements. Après une pré-phase d'essais in vitro ou sur l'animal, viennent la phase I où l'on teste la pharmacocinétique de la molécule sur des personnes saines, la phase II où l'on vérifie la sécurité des patients et où l'on observe l'éventuelle efficacité du produit, la phase III où l'on augmente le nombre de patients et où l'on évalue le rapport bénéfice-risque, et la phase IV de suivi à long terme après mise sur le marché. Rappelons que 40 % des essais dans l'Union européenne sont réalisés, non par des laboratoires, mais par des universités, fondations, hôpitaux et réseaux de recherche. Cela pose la question d'une unification, ou du moins d'une coordination sous l'égide du ministère de la recherche.

La loi Jardé a défini le rôle et les pouvoirs des Comités de protection des personnes (CPP). Trois catégories d'essais ont été distinguées : recherche interventionnelle avec risque supérieur au risque minime, avec risque minime sans médicament ou recherche non interventionnelle. Cependant, était annoncée trois mois plus tard une refonte du droit européen. La directive de 2001 avait donné lieu à de telles divergences d'interprétation qu'elle compliquait les recherches, en particulier les essais cliniques multinationaux, et en renchérissait le coût.

Le nouveau règlement européen, qui s'appliquera dès la fin du mois de mai, instaure une nouvelle procédure d'autorisation simplifiée, pour limiter les coûts et harmoniser les législations en Europe.

La loi Santé consacre un chapitre entier aux essais cliniques, son chapitre IV. Le Gouvernement sera autorisé à adopter notre législation sur les CPP français par ordonnances.

Comme le rappelle la convention d'Oviedo, le consentement de la personne est fondamental, l'intérêt de l'être humain doit prévaloir sur celui de la science. L'indisponibilité du corps humain est un principe fondamental. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », disait Rabelais. (Applaudissements)

M. Jean Desessard.  - Excellent !

Mme Corinne Imbert .  - Après le drame survenu à Rennes en janvier dernier, un comité d'experts a été nommé. Son rapport a exonéré l'ANSM de toute responsabilité. Toutefois, plusieurs de ses membres avaient des liens avec l'industrie pharmaceutique, ce qui a créé le soupçon. Il faut toutefois être conscient que c?est aussi une conséquence du très petit nombre d'experts. Je regrette pour ma part que les pharmaciens soient si peu représentés parmi les experts que l'on convoque : c'est tout de même de médicaments qu'il s?agit !

Une personne qui participe à un essai peut recevoir jusqu'à 4 500 euros de compensation. Le plafond est parfois plus élevé chez nos voisins, ce qui peut inciter certains à franchir la frontière. Une harmonisation serait nécessaire ; malheureusement, le règlement européen est muet sur ce sujet.

Je regrette aussi que les décrets d'application de la loi Jardé de 2012 n'aient toujours pas été publiés. La France, qui était précurseur à la fin des années 1990, doit maintenant adapter son cadre législatif au règlement européen.

Les recherches sur l'animal aussi devraient être mieux encadrées. On ne saurait les supprimer entièrement, elles sont complémentaires aux essais in vitro sur cellules souches. Sans elles, les risques pour l'humain seraient plus importants.

Autre nécessité, modifier le protocole d'alerte. Les laboratoires ont l'obligation de signaler tout cas suspect. Je propose d'étendre cette obligation aux hôpitaux. Les changements de cohorte doivent être encadrés et non décidés arbitrairement par les laboratoires. (Applaudissements)

M. Olivier Cigolotti .  - En France, les essais cliniques ont la réputation d'être très encadrés. Ils sont réglementés par la loi Huriet-Sérusclat de 1988, et par une directive de 2001. Ils doivent respecter la convention d'Helsinki et seront bientôt soumis au règlement européen du 27 mai 2014.

À Rennes, six patients ont été victimes d'un essai clinique, l'un étant décédé. Le rapport d'enquête publié le 18 janvier est accablant pour le laboratoire qui a conduit les essais mais aussi pour l'agence. Les lésions constatées sur les animaux en amont ont été minimisés. De plus, les délais de sécurité pour les patients n'ont pas été respectés : 24heures, c'est bien trop rapide.

Derrière cela, se trouve un gigantesque business. Il y avait 20 000 personnes en France à prêter leur corps à la science ; majoritairement des étudiants et des retraités à faible pouvoir d'achat. Même si les accidents et les morts comme à Rennes sont rares, les volontaires doivent être mieux informés. Les laboratoires ont intérêt à réduire la durée des essais, très coûteux. L'ANSM a préconisé d'allonger la durée de la phase I sur l'animal. Les experts préconisent aussi de revoir le schéma d'augmentation des doses.

Mais la France ne peut agir seule ; une harmonisation européenne est nécessaire, sinon les laboratoires iront ailleurs.

L'agence européenne a renforcé la transparence sur son site et l'enregistrement des demandes des laboratoires. Toutefois des lacunes demeurent. En l'absence de réponse de l'autorité de santé dans les deux mois, l'essai est réputé approuvé. Le principe de précaution imposerait l'inverse !

L'association Eupati, qui regroupe des patients, des universitaires et des laboratoires, a mis en ligne une plateforme sur les essais cliniques, qui compte plus de 3 000 publications, pour informer les patients. (Applaudissements)

Mme Laurence Cohen .  - Je salue l'autosaisine de la commission des affaires sociales après le drame de Rennes, pour déceler d'éventuels conflits d'intérêts.

Cet accident démontre que les règles actuelles ne sont pas suffisantes pour assurer la sécurité des patients. Nos agences, dont les moyens diminuent, ont-elles les moyens d'effectuer les contrôles nécessaires ?

Les affaires du Mediator, des adjuvants aluminiques dans les vaccins et de Rennes ont alimenté la méfiance. La transparence doit être renforcée pour éviter les conflits d'intérêts entre l'industrie et les chercheurs. Il y a suspicion dès qu'un lien n'est pas déclaré publiquement. Faute de financements publics dans la recherche, on se tourne vers le privé.

M. Bord, neurologue, a révélé devant notre commission que les résultats des études privées ont quatre fois plus de chance d'être positifs que ceux des études indépendantes. La question est posée : la recherche thérapeutique peut-elle s'accommoder de la logique de la rentabilité ? D'après la Cour des comptes, les dix praticiens les plus recherchés toucheraient jusqu'à 74 000 euros par an de la part des laboratoires.

Renforcer la transparence et le pilotage par les agences centrales ne résout pas la question du contrôle démocratique de la recherche. Au vrai, nous manquons de contrepoids face aux grands laboratoires, tel Sanofi qui enregistre 37 milliards d'euros de chiffre d'affaires. D'où ma proposition de créer une grande agence de la recherche publique. Pourquoi ne pas créer au sein des laboratoires un conseil réunissant des citoyens et statuant sur les recherches ?

Selon Axel Kahn, un scientifique est à la fois un découvreur, une vigie sur les risques et un citoyen. Il est urgent de renforcer la recherche publique, d'autant que, via la sécurité sociale, ce sont les citoyens qui financent les laboratoires pharmaceutiques. Il faut rechercher la complémentarité et non une concurrence mortifère ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Catherine Génisson .  - La loi de 2012 définit trois niveaux : la recherche interventionnelle lourde, celle qui comporte des risques minimes et la simple observation. Le consentement doit être libre et éclairé. En tout quarante CPP ont été créés. Les protocoles devraient être répartis aléatoirement pour réduire les conflits d'intérêts mais les décrets d'application de la loi de 2012 ne sont toujours pas parus au motif que la réglementation européenne imposerait une nouvelle évolution. Je le regrette. Madame la ministre, ces décrets seront-ils bientôt publiés ?

La répartition aléatoire suscite les inquiétudes des industriels, car ils seraient contraints d'accepter tout dossier après un premier refus. Pourquoi ne pas tenir compte aussi des compétences du CPP par un tirage au sort ? Les agences régionales de santé doivent enregistrer les CPP.

Les essais sont nécessaires. Disons-le. Mais ils doivent respecter les principes éthiques. Un volontaire ne peut percevoir plus de 4 500 euros en France, mais rien ne l'empêche d'aller dans d'autres pays. Il faut donc une harmonisation européenne.

Les conflits d'intérêts sont aussi une question. L'exigence de sécurité doit l'emporter sur les enjeux de la compétition internationale. Je salue la réponse du Gouvernement qui a mis en place un comité d'experts pour tirer les conséquences du drame de Rennes. Les causes identifiées sont l'emploi de doses trop fortes - 50 mg par jour et pendant dix jours - et une progression trop rapide.

Les résultats de phase I ont été sous-estimés. Soyons attentifs aux conclusions des experts. Certes très techniques, elles sont fondamentales : les médicaments doivent avoir un but thérapeutique ; un entretien clinique et des tests cognitifs doivent être obligatoires en cas de risque neurologique ; les doses sont à ajuster en fonction des résultats constatés sur les patients, la sécurité maximale pour les volontaires doit être recherchée avant tout.

Je sais pouvoir compter sur vous, madame la ministre, pour faire prévaloir ces principes de bon sens au niveau national, européen et international. (Applaudissements)

M. Jean Desessard .  - La loi Jardé avait donné lieu à de longs débats en 2012. En vain : les décrets d'application n'ont pas été publiés. Je n'ose dire : « Eh oh le Gouvernement ! » (Sourires) Qu'attendez-vous ?

Trop de médicaments sont mis sur le marché sans présenter d'amélioration majeure pour le patient, quand ils ne sont pas dangereux. Pourquoi prend-on le risque de mener des essais dans ces circonstances ? Selon la revue Prescrire, quarante-trois médicaments mis sur le marché l'an dernier n'apportent rien, quinze présentant même des risques. La balance bénéfices-risques est déséquilibrée.

Les essais comparatifs sont réalisés avec un placebo et non avec un médicament de référence, ce qui relativise la portée des résultats. L'agence européenne propose d'étendre le processus accéléré de mise sur le marché, l'AMM fractionné. Celle-ci devrait pourtant rester circonscrit aux cas qui le nécessitent.

Madame la ministre, quand la loi Jardé sera-t-elle enfin appliquée ? (Applaudissements)

M. Philippe Mouiller .  - La commission des affaires sociales s'est autosaisie après l'accident de Rennes. La protection des personnes volontaires soulève des questions médicales et éthiques. La recherche a besoin d'essais sur des personnes saines pour avancer. Le code de la santé publique classe au premier plan la sécurité des volontaires ; c'est un gage de confiance.

La loi Jardé a été votée en 2012 complétant la loi de 1988. Elle n'est pas encore en vigueur. Le règlement européen entrera en vigueur le 28 mai, soit demain. À partir de cette date, rien ne s'opposera plus à son application.

L'Igas a noté trois dysfonctionnements majeurs à Rennes. Le principal est le manque de transparence. En dépit de sa gravité, l'incident n'a pas été immédiatement déclaré à l'ANSM et les autres volontaires n'en ont pas été informés. C'est une entorse au principe de consentement libre et éclairé. Un comité d'experts internationaux a été mis en place. Où en est-on madame la ministre ?

En principe, les volontaires ne peuvent participer qu'à une étude en France comme à l'étranger. Cependant, il n'y a aucun contrôle. La loi Jardé doit enfin s'appliquer. (Applaudissements)

Mme Patricia Schillinger .  - Le scandale de Rennes pose la question de la protection des volontaires d'essais biomédicaux. La protection est d'autant plus importante en phase I, juste après les essais sur les animaux, où se jouent aussi d'importants enjeux économiques.

La loi Jardé, qui a modifié la loi de 1988, a été suspendue en attente du règlement européen. L'Europe ne voulait pas demeurer en reste après cette législation novatrice qui distingue trois niveaux d'essais - recherche interventionnelle avec risque lourd, recherche interventionnelle avec risque minime et recherche observationnelle  - auxquels doivent correspondre trois niveaux de consentement. Notons que le choix du règlement est plus sécurisant ; la directive, elle, est ouverte à l'interprétation...

L'accident de Londres de 2006 avait déjà mis en lumière les effets du manque de transparence. Ce n'est qu'après l'accident que l'on a découvert que les molécules avaient déjà été testées, avec un résultat négatif. Mais que faire face à l'acharnement des laboratoires ? L'accident de Rennes soulève aussi la question de la méthodologie des essais et du rythme de progression des doses.

Rien ne permet enfin de savoir si les règles en matière de plafond des rémunérations perçues lors d'essais sont respectées. Il faudrait pour cela créer un registre européen des personnes, ce qui n'est pas anodin au regard de la protection des données personnelles. (Applaudissements)

M. Jean-François Rapin .  - Finalement, l'Académie de médecine pourrait avoir le dernier mot dans ce débat : elle a exprimé sa compassion aux victimes des essais de Rennes, en rappelant que grâce aux essais, on peut mettre au point des médicaments performants. Le risque zéro n'existe pas, nous le savons. Si la recherche doit avancer, rien ne justifie de mettre en danger des vies.

En 1928, Fleming découvrait la pénicilline après des phases que l'on pourrait reconstituer. Phase I : des essais sur quatre souris. Phase II : sur un jeune homme malade, d'un abcès à la hanche. Phase III : à grande échelle, des soldats pendant la guerre.

Depuis, on a sécurisé les essais. Le cadre législatif a accompagné la multiplication très rapide du nombre d'essais, indispensables dans de nombreuses disciplines, à commencer par la cancérologie, l'endocrinologie et la neurologie. Le droit européen prime ; il se stabilise après une phase d'hésitation en 2001. Une nouvelle loi n'est pas nécessaire pour le faire. Appliquons celle qui existe. (Applaudissements)

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion .  - J'excuse tout d'abord l'absence de Mme Touraine, retenue.

Le 10 janvier 2016 s'est produit un accident dans le cadre d'un essai de la société Biotrial : un homme est mort, cinq ont été hospitalisés. Mme Touraine s'est aussitôt rendue au chevet des victimes. Elle a saisi un comité d'experts dont on attend les conclusions.

Le 4 février, une note d'étape a été rendue publique par l'Igas sans identifier les causes directes de l'accident. L'inspection générale n'a pas considéré que les manquements constatés justifiaient la suspension, à titre conservatoire, de l'autorisation de conduire des essais accordée au laboratoire Biotrial.

Le 1er mars, Marisol Touraine a adressé une circulaire aux directeurs généraux d'ARS leur demandant de rappeler à l'ensemble des promoteurs et titulaires d'autorisations de lieux de recherche leurs obligations en matière de prise de décisions immédiates et de respect des délais de notification. Pour les essais sur volontaire sain, la ministre a demandé que tout effet indésirable grave conduisant à une hospitalisation soit considéré comme un « fait nouveau », déclaré sans délai à l'ANSM et au CPP, et que l'essai soit immédiatement suspendu.

La ministre a également saisi le commissaire européen et ses homologues européens de ce sujet, en proposant la mise en place d'un comité d'experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains dans les essais cliniques.

Les 16 février et 31 mars 2016, le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mis en place par l'ANSM s'est également réuni. Il a confirmé que le mécanisme à l'origine de l'accident de Rennes avait dépassé la seule inhibition du neuromédiateur dont je vous fais grâce du nom et impliquait très vraisemblablement la molécule dite « BIA 10-2474 ».

Sans attendre une éventuelle mise à jour des recommandations européennes, l'ANSM a élaboré un plan d'actions, mis en oeuvre fin mars, pour améliorer la sécurité des essais cliniques via les protocoles, l'analyse des données et l'information de l'agence. Enfin, le pôle de santé du parquet de Paris mène des investigations.

Vous avez rappelé, monsieur le président Milon, l'histoire de l'encadrement des essais cliniques. Je veux saluer, bien sûr, le travail d'Olivier Jardé, mais aussi celui de Jean-Pierre Godefroy qui fut rapporteur de sa loi.

On nous reproche de ne pas avoir publié les décrets.

Ils étaient prêts, comme l'a rappelé Olivier Jardé devant votre commission, dès avril 2012. Puis un groupe de travail a été constitué à la demande de Marisol Touraine pour les relire. Ils ont été mis en concertation d'octobre à la fin de 2012.

Lorsque la réflexion européenne a débuté en 2013 - le ministère de la santé ayant participé à toutes les réunions à Bruxelles - un très large consensus s'est dégagé pour ne pas publier les textes. Modifier deux fois en trois ans, la législation sur les essais cliniques aurait fait porter un risque majeur sur la recherche française - c'était le point de vue d'Olivier Jardé.

François Lemaire, ancien chargé de mission au cabinet de Roselyne Bachelot, a déclaré devant votre commission : « la loi Jardé n'est pas en cause dans cette affaire, puisqu'elle n'a pas touché à ce qui concerne le médicament, domaine qui relevait de la réglementation européenne. La loi Jardé porte essentiellement sur les recherches observationnelles, les collections biologiques. Elle n'a pas touché au noyau dur du médicament et de la sécurité. On ne peut donc pas dire que si on l'avait appliquée avant, l'accident de Rennes n'aurait pas eu lieu ».

Par l'article 216 de la loi Santé promulguée le 26 janvier dernier, le Parlement a habilité le Gouvernement à prendre une ordonnance pour adapter la loi Jardé au nouveau règlement européen. Le projet d'ordonnance, actuellement devant le Conseil d'État, devrait être publié en juin prochain et le projet de loi de ratification déposé dans la foulée. Un projet de décret d'application est en cours d'élaboration, qui doit être transmis au Conseil d'État avant l'été pour une publication à l'automne.

Au-delà de ces deux textes, je tiens à répondre aux questions que vous avez posées.

Les comités de protection des personnes, au nombre de trente-neuf répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain, fonctionnent selon leurs règles propres, d'où une certaine hétérogénéité, avec des budgets allant de 50 000 à 270 000 euros.

Une Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine chargée de la coordination, de l'harmonisation et de l'évaluation des comités sera installée dès que le décret d'application de l'ordonnance sera publié. L'instauration d'une procédure de répartition des essais par tirage au sort suscite des oppositions ; le Gouvernement est attaché à un tirage au sort « intelligent », pour tenir compte des compétences des CPP.

Il lissera leurs activités, étant entendu que le Gouvernement continuera d'intervenir financièrement pour résoudre les situations les plus délicates.

Pourquoi un portail européen n'existe-t-il pas ? Cela suppose l'interopérabilité des systèmes d'information des agences et un secrétariat national des CPP. À vos questions précises, je donne des réponses précises et concrètes...

M. Jean Desessard.  - Merci, madame la ministre !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.  - Le consentement libre et éclairé, vous avez raison, suppose d'avoir connaissance des incidents ou des faits survenus. Marisol Touraine a réaffirmé, après l'accident de Rennes, l'obligation de recueillir le consentement éclairé des volontaires et a demandé qu'une signature soit expressément demandée aux volontaires après chaque fait nouveau survenu lors d'un essai.

Vous ne m'avez guère interrogée sur la publicité. Aucune publicité ne peut être faite sur le produit de santé expérimental. Dans le cas de l'étude conduite par Biotrial, la publicité pour la recherche était conforme à la réglementation. Dès lors qu'une publicité pour promouvoir la participation à la recherche aurait un caractère non éthique, le recours au jury de déontologie publicitaire de l'autorité de régulation de la publicité professionnelle (ARPP) vérifierait le respect des règles en vigueur.

Monsieur le président Milon, la France dispose d'atouts formidables : six instituts hospitaliers universitaires ont mené 1 500 essais thérapeutiques entre 2012 et 2014. Nous sommes leaders dans l'oncologie et les maladies rares, nous sommes moins bons sur le diabète.

La France a fortement contribué à l'élaboration du règlement européen sur les essais sur les médicaments et participe activement à l'élaboration du règlement européen sur les dispositifs médicaux. Il faut à la fois simplifier le cadre des recherches - c'est le but de la convention européenne - tout en protégeant les volontaires et en accélérant la mise sur le marché des traitements innovants. Dorénavant, les délais d'instruction technico-administrative des protocoles sont contraints à 60 jours au maximum.

Pour simplifier les procédures, Marisol Touraine a mis en place la convention unique. Depuis janvier 2015, sur 262 conventions de recherche, 255 l'ont utilisée. Les délais de signature en ont été réduit de moitié. La France est passée au 6e rang au début de l'année 2016 pour le délai de contrat des essais cliniques à promotion industrielle.

Nous encourageons les partenariats public-privé. Les fondations se multiplient, nous nous en réjouissons. Récemment, la nouvelle fondation BMS pour la recherche en immuno-oncologie a lancé son premier appel à projet. La ministre a marrainé la signature d'un partenariat entre une autre fondation tout juste créée et l'Inserm.

L'ambition du Gouvernement est d'assurer à nos concitoyens une sécurité totale pour les médicaments innovants et leur participation aux essais cliniques et, dans le même temps, faire de la France un champion de l'innovation en santé. Ces deux objectifs sont conciliables et s'inscrivent dans une même démarche d'excellence, de responsabilité et d'éthique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Prochaine séance demain, mercredi mai 2016, à 14 h 30.

La séance est levée à 21 h 5.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus