Habilitations des clercs de notaires (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, examinée selon la procédure accélérée, tendant à prolonger le délai de validité des habilitations des clercs de notaires, présentée par M. Jacques Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Discussion générale

M. Jacques Bigot, auteur de la proposition de loi .  - Je n'utiliserai pas tout le temps qui m'est imparti : cette proposition de loi, constituée d'un article unique, reporte la cessation de l'habilitation des clercs de notaires et a fait l'objet d'un vote unanime en commission.

La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, présentée par Emmanuel Macron et promulguée le 6 août 2015, a réformé les professions réglementées, dont celle de notaire, sous l'impulsion de l'Autorité de la concurrence. Il s'agissait notamment de faciliter le recrutement de notaires salariés, beaucoup de jeunes pourtant bien formés ne trouvant pas de débouché. Cette loi a ainsi supprimé l'article 10 de la loi du 25 ventôse an XI qui permettait aux notaires d'employer des clercs habilités pour donner lecture des actes et recueillir les signatures.

La loi renvoyait la suppression de l'habilitation des clercs au 1er août 2016. Le décret du 20 mai 2016 a créé une passerelle permettant aux clercs habilités de faire valoir leur ancienneté et d'accéder, pour nombre d'entre eux, au rang de notaire salarié. Mais un certain nombre d'études risquait de ne pas souhaiter remplacer leurs clercs habilités par des notaires salariés, forcément mieux payés...

D'où l'article 51 ter B de la loi Justice XXIe siècle, introduit par le Gouvernement à l'Assemblée nationale, qui reporte la suppression de l'habilitation des clercs du 31 août 2016 au 31 décembre 2020. C'est le seul sens de cette proposition de loi.

La commission spéciale du Sénat sur la loi Macron, dont M. Pillet était déjà rapporteur, avait prévu une entrée en vigueur de cette suppression au bout de cinq ans - ce que le ministre avait écarté. Le débat s'était concentré sur l'âge limite des notaires, et l'observation de M. Pillet n'avait pas été entendue...

Même si l'expérience sait que la justice est lente à délibérer, peut-on reprocher à un ministre, qui a la volonté farouche d'être en marche, de penser que les choses pouvaient être organisées dans un délai d'un an ? Il faut toutefois lui savoir gré de sa volonté de faire aboutir rapidement sa loi puisque sur 86 décrets, 61 ont été publiés et les autres sont en cours d'examen au Conseil d'État. Les choses sont en marche ! La prochaine étape, qui ne se fera pas sans mal, sera la mise en oeuvre de la création de nouvelles études notariales, sur la base de l'avis de l'Autorité de la concurrence, qui propose une ouverture que la profession n'est pas toujours prête à accepter...

Je vous invite donc à adopter ce texte pragmatique. (Applaudissements)

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois .  - Je ne ferai aucun reproche à un ministre désireux de faire aboutir rapidement un texte destiné à favoriser croissance, activité et égalité des chances économiques... Mais une bonne loi, c'est beaucoup d'écoute, et peu de précipitation.

Cette proposition de loi vise à éviter la menace de licenciement ou de perte de revenu pour les 9 500 clercs habilités qui découlerait d'une application trop précoce de la loi du 6 août 2015. L'objectif de la suppression de l'habilitation des clercs est de créer un appel d'air au sein des offices, privés de leurs clercs habilités et obligés, de ce fait, de recruter des notaires salariés. Pour hâter la réforme, le Gouvernement voulait une période transitoire très courte.

La commission spéciale du Sénat n'était pas opposée à la réforme mais proposait une période transitoire plus adaptée, afin de laisser aux intéressés le temps de se reconvertir - d'autant plus que la réforme concomitante des règles d'installation et des tarifs plonge les études dans l'incertitude. Les faits ont confirmé l'analyse de la commission spéciale du Sénat. Mais n'en rajoutons pas ; il y a urgence à agir.

En responsabilité, je vous invite à voter ce texte en l'état.

M. Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification .  - Cette proposition de loi répond à une inquiétude partagée sur tous les bancs ; je ne doute pas qu'elle fera consensus. Face aux réalités, il faut être pragmatique.

La loi du 6 août 2015 a abrogé l'article 10 de la loi du 25 ventôse an XI, adoptée sous le Consulat, supprimant la possibilité pour les notaires d'habiliter certains clercs assermentés à donner lecture des actes et recueillir les signatures. L'objectif était de susciter un accroissement du besoin de notaires en exercice et de favoriser l'intégration progressive à la profession des clercs habilités.

Au 1er octobre 2015, on dénombrait 9 558 clercs habilités, soit 20 % des salariés des études notariales ; 3 992 ne remplissaient pas les conditions pour être nommés notaires, 1 330 n'étaient titulaires ni du diplôme de premier clerc, ni du diplôme de l'institut des métiers du notariat. Il s'agit surtout de femmes, habilitées depuis une dizaine d'années. Une passerelle vers les fonctions de notaire, fondée sur la validation des acquis de l'expérience, ou un examen si l'ancienneté est insuffisante, a alors été mise en place par décret, pour ouvrir l'accès à la profession. Pour ces personnes, la fin de leur habilitation signifierait en effet une forme de rétrogradation, voire un licenciement...

Toutefois le délai fixé au 1er août 2016 est trop bref. Cette proposition de loi le reporte au 31 décembre 2020, pour assurer la continuité entre la période d'habilitation et l'entrée dans le notariat.

Ce texte de bon sens et de consensus a le soutien du Gouvernement. Une adoption conforme avant la fin juillet permettrait une entrée en vigueur dans les temps. Les clercs habilités l'attendent. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Philippe Esnol .  - La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a en effet supprimé l'habilitation des clercs de notaire, afin d'ouvrir l'accès à une profession marquée par la cooptation en favorisant le recrutement de notaires salariés. Dans sa sagesse, le Sénat avait préconisé une durée transitoire de cinq ans pour favoriser les reconversions. Le Gouvernement a confondu, semble-t-il, vitesse et précipitation.

Or la concomitance avec la réforme tarifaire n'est guère propice au recrutement, d'autant qu'un notaire salarié coûte 30 % de plus qu'un clerc habilité. Les clercs habilités étant deux fois plus nombreux que les notaires salariés, il était douteux que tous puissent le devenir. Devant le risque de rétrogradation de certains, le Gouvernement a proposé par décret un dispositif de passerelle pour les clercs habilités depuis plus de quinze ans. C'est un soulagement pour nombre d'entre eux, qui ont obtenu cette habilitation, synonyme de reconnaissance et d'ascension professionnelle, à la force du poignet. Mais ceux qui ne peuvent prétendre à devenir notaires se verront privés de la part la plus valorisante de leur activité ainsi que d'une partie de leurs revenus : 2 500 personnes, soit 30 % des effectifs, ne remplissent pas les conditions de diplômes ou d'ancienneté, souvent des femmes méritantes ayant gravi les échelons... Au mieux, elles seront orientées vers un travail de secrétariat ; au pire, licenciées. On ne peut faire si peu de cas de l'aspect social. Faire primer le diplôme sur l'expérience porterait un coup à l'égalité des chances, c'est un contresens. D'où cette proposition de loi qui laisse le temps aux clercs habilités de se retourner et de préparer leur avenir. Le groupe RDSE le votera. (Applaudissements à gauche)

M. Henri Tandonnet .  - Cette proposition de loi est bienvenue puisqu'elle met fin au risque de licenciement ou de perte de revenus auquel l'article 53 de la loi Macron expose sur les clercs habilités. La commission spéciale du Sénat avait pourtant alerté le Gouvernement et l'Assemblée nationale sur ce risque de perte de statut. Les clercs habilités, souvent des femmes, qui se sont formées au fil des ans, déchargent les notaires de tâches chronophages. La suppression de l'habilitation des clercs, proposée par un amendement socialiste à l'Assemblée nationale, aurait dû être accompagnée d'un délai significatif.

Comme la commission spéciale du Sénat l'avait alors proposé, cette proposition de loi donne cinq ans aux clercs pour se reconvertir ou devenir notaire salarié grâce à la validation des acquis de l'expérience. Une large partie des clercs habilités n'étant pas détenteurs des diplômes requis pour la passerelle, il est peu vraisemblable que tous seront recrutés - d'autant que certains ne souhaitent pas devenir notaire salarié, leur convention collective étant plus avantageuse. Beaucoup d'entre eux seront privés de leurs prérogatives sans contrepartie, voire risquent d'être licenciés.

Les députés ont adopté la prolongation de la validité des habilitations à l'article 51 ter B du projet de loi Justice du XXIe siècle, mais le calendrier parlementaire rend peu probable une adoption définitive de ce texte avant le 1er août 2016. D'où cette proposition de loi, que le groupe UCI-UC appelle à voter conforme. Je note avec plaisir que le notariat a rejoint le giron du garde des sceaux : si l'on avait davantage écouté le ministère de la justice, on n'aurait sans doute pas eu besoin de cette proposition de loi ! (Applaudissements au centre)

Mme Cécile Cukierman .  - « Il sera bon de donner du temps au temps » écrit Cervantès dans Don Quichotte. Maxime de circonstance, alors que plus de neuf mille clercs habilités, souvent des femmes, voient leur activité menacée. Or 63 % des cabinets comptent moins de dix salariés, 27 % dix à vingt salariés. C'est une profession au niveau de qualification élevée, pour deux tiers des cadres et professions intermédiaires. Dans notre société patriarcale, les femmes subissent une discrimination salariale puisqu'elles sont en moyenne payées 20 % de moins que leurs collègues masculins - inégalité qui progresse avec la taille de l'étude.

J'ignore si M. Macron avait cet aspect des choses en tête ; il appliquait en tout cas le programme du rapport Attali - dont il était l'un des corédacteurs.

La commission spéciale avait, sur les recommandations de son rapporteur François Pillet, proposé de prolonger l'habilitation des clercs pour assurer le renouvellement des cadres ; c'est encore ce à quoi s'emploie cette proposition de loi.

Dans les faits, vu la pyramide des âges et le vieillissement de la profession notariale - 1 300 notaires ont entre 60 et 70 ans, 130 plus de 70 ans - nous pourrions nous retrouver avec des déserts notariaux comme il existe des déserts médicaux. Dans une région en déclin démographique, la rentabilité d'un office est limitée.

Réformer la France d'aujourd'hui, c'est donc donner du temps au temps. Or le temps des réformes n'est pas celui de la politique, des effets de manche et des coups de menton. Cinq bonnes années, c'est le temps nécessaire pour ouvrir le notariat sans le bousculer.

Nous voterons cette proposition de loi qui appelle à la tempérance tous ceux qui s'enivrent du mot « réforme », que nous risquons de beaucoup entendre dans les mois qui viennent. Nous ne pouvons que constater que la loi pour la croissance, l'emploi et l'égalité des chances économiques, pure novlangue technocratique pour désigner une réforme inacceptable, n'a pas produit les effets escomptés. Donnons du temps au temps, donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Michel Delebarre .  - La loi du 6 août 2015 a supprimé l'habilitation des clercs afin de susciter l'accroissement du besoin de notaires dans les offices avec application un an après l'entrée en vigueur du texte. Un décret du 9 mai 2016 a dû créer une passerelle pour faciliter la reconversion des clercs, mais tous ne remplissent pas les conditions de diplôme ou d'ancienneté pour devenir notaire salarié, ce qui les place sous la menace d'un licenciement ou d'une rétrogradation accompagnée d'une perte de revenu.

Telle n'était pas l'intention du Gouvernement ou du législateur. D'où cette proposition de loi, qui prolonge de cinq ans leur habilitation, disposition qui a été introduite dans le projet de loi Justice du XXIe siècle, mais dont le calendrier parlementaire n'assure pas l'entrée en vigueur avant l'échéance du 1er août. Le groupe socialiste votera par conséquent cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Mathieu Darnaud .  - Je ne reviendrai pas sur les motifs de prolongation de l'habilitation des clercs, bien exposés par François Pillet. Confondant enthousiasme et précipitation, le Gouvernement a inscrit dans le texte des délais impossibles à tenir, balayant les mises en garde de la profession. Loin de l'image de conservatisme forcené, les représentants du notariat que j'ai rencontrés, en Ardèche, sont ouverts à la réforme, mais tous les clercs habilités ne se rêvent pas notaires : Le décret, paru deux mois avant l'échéance, plongeait la profession dans l'incertitude, pour ne pas dire le marasme. Malgré les avertissements de M. Pillet, le Gouvernement s'enferrait... C'est donc sans réserve que nous souscrivons à cette proposition de loi par laquelle le Gouvernement, qui l'a inscrite à son ordre du jour prioritaire, entend réparer son erreur. Je suis heureux que le Gouvernement se range à l'avis du Sénat et ne doute pas qu'il s'attachera à convaincre ceux qui, par méconnaissance, doutent de l'intérêt du bicamérisme. Monsieur le ministre, vous dont la sagesse vient du Sénat, nous comptons sur vous pour convertir le Premier ministre et le garde des sceaux à cet état de pleine conscience démocratique ! Peut-être le Gouvernement, redécouvrant la pertinence des analyses de la Haute Assemblée, lui rendra-t-il la place qui lui revient, dans la discussion du projet de loi Justice du XXIe siècle par exemple, dans lequel le rapporteur Yves Détraigne a déjà relevé de nombreux points litigieux.

Soucieux de défendre et les clercs habilités et la cohérence de l'apport du Sénat, le groupe Les Républicains votera ce texte sans réserves. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

L'article unique, constituant l'ensemble de la proposition de loi, est adopté.

Mme la présidente.  - C'est l'unanimité ! (Applaudissements)

La séance est suspendue à 15 h 15.

La séance reprend à 15 h 30.