Débat sur l'eau et les milieux aquatiques

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions des rapports d'information : « Eau : urgence déclarée » et sur le bilan de l'application de la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective .  - La délégation a reçu un choc lorsqu'elle a entendu les conclusions de ses deux rapporteurs. L'eau n'est pas considérée comme un problème majeur en France, qui n'est pas un pays désertique. Pourtant, les déséquilibres climatiques et l'épuisement de la ressource vont provoquer des problèmes, qui deviennent des urgences. Je n'imagine pas un nouveau texte sur l'eau dans les mois qui viennent ; mais il faudra y revenir. Je regrette que le débat se tienne si tard dans la soirée.

M. Henri Tandonnet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Merci au président Karoutchi d'avoir accepté un tel sujet d'étude. Notre rapport est un signal d'alarme : le dérèglement climatique a des conséquences extrêmes. La crise climatique est une crise aquatique. La France n'est pas épargnée ; l'Aquitaine n'est plus le pays des eaux et on anticipe une hausse de la température de 2 à 5 degrés d'ici 2100.

L'agriculture et la production d'énergie en souffriront au premier chef, l'industrie et la consommation des ménages ou les loisirs également. Avec la diminution de la ressource, les conflits d'usage se multiplieront. Nous ferons face à des périodes de fort stress hydrique et à des inondations plus fréquentes. Il faut ainsi anticiper pour ne pas subir.

La politique de l'eau est aujourd'hui marquée par une vision écologiste, le souci du bon état de l'eau et de son bon écoulement.

Il est temps de prendre en compte l'aspect quantitatif. Il faut d'abord une gestion économe de l'eau. L'indépendance alimentaire est liée à la disponibilité d'eau pour l'élevage et l'irrigation. Ménages et agriculture ne doivent pas être opposés : sans eau, pas de nourriture. La France est virtuellement importatrice d'eau, l'eau qui est nécessaire pour la fabrication des produits que nous importons -  surtout de pays fragiles : en 2007, nous étions ainsi importateurs de 8,4 milliards de mètres cubes... Il est donc plus qu'urgent de se rendre compte que la gestion de l'existant ne suffit pas. Il faut stocker, encourager la recherche. L'eau sera alors non pas le problème, mais la solution. (Applaudissements)

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Notre pays se trouve lui-aussi confronté au risque de pénurie d'eau. Le dérèglement climatique n'est plus douteux, notre pays devrait connaître des périodes plus chaudes de 5 degrés d'ici la fin du siècle. Ce n'est pas les régions méditerranéennes qui souffriront le plus, mais par exemple le bassin Adour-Garonne, qui souffre de la fonte des glaciers pyrénéens et de sa faible capacité de retenue ; le bassin Seine-Normandie est dit-on particulièrement vulnérable. Il y a urgence à mettre en place une politique de sensibilisation de la population.

La ressource en eau ne se crée pas, elle se gère. Les fuites sur les réseaux peuvent dépasser 40 % en milieu rural, tandis que l'utilisation des canons à neige ou l'arrosage des golfs dans les zones où la ressource est comptée peuvent être problématiques. Avec Suez ou Veolia, nous avons la chance d'avoir des entreprises de réputation mondiale, qui investissent massivement en recherche et développement. Car la réalimentation des nappes phréatiques ou la réutilisation des eaux usées peuvent être des solutions. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

L'eau est l'une des premières politiques publiques vraiment décentralisées. L'organisation autour des agences de bassin est pertinente mais elle pèche en quelque sorte par excès de démocratie locale ; dans les comités de bassin, on discute beaucoup mais on décide peu ; les techniciens en prennent d'autant plus de pouvoir, à la place des élus ! Une réflexion sur la gouvernance doit être menée. (Applaudissements)

M. Rémy Pointereau, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - La commission m'a chargé de faire un bilan d'application de la loi sur l'eau (LEMA) de 2006 et de confronter la loi et le réel. Vous connaissez mon attachement à la simplification des normes ; mon travail d'aujourd'hui est dans le droit fil de celui que je mène au sein de la délégation aux collectivités territoriales.

Ce débat est un signal fort. Les deux rapports se complètent sur les difficultés de la gestion de la ressource et la nécessité de préparer l'avenir. La loi de 2006 avait deux objectifs : moderniser un cadre juridique fondé sur les lois de 1964 et 1992 et atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre du 23 octobre 2000 relative au bon état écologique de l'eau à l'horizon 2015.

Dans ses 102 articles, la LEMA a reconnu un droit à l'eau pour tous, réformé le régime d'autorisation des installations et modifié celui du débit affecté. Lors des débats en séance publique, nous avions relevé l'importance de ses dispositions pour les élus locaux, dont les responsabilités - eau potable, assainissement - sont lourdes. Cette importance reste d'actualité, les soixante auditions que j'ai menées le montrent.

Dix ans après sa promulgation, le bilan d'application de la loi est mitigé. Se mêlent l'attachement aux grands principes et à l'équilibre du texte, qui ont accompagné les efforts des industriels, des agriculteurs et des élus, et le regret d'une mise en oeuvre trop complexe, d'une application trop souvent idéologique par des services qui l'interprètent parfois de manière aberrante. Par exemple, l'effacement des seuils est systématiquement utilisé, mettant les propriétaires de moulins dans des situations intenables, avec l'obligation de financer des passes à poissons à 300 000 euros... (MM. Jean-Noël Cardoux et Charles Revet renchérissent) La commission proposa ainsi de simplifier les procédures, d'alléger les normes, de planifier la gouvernance.

En matière de gestion qualitative de l'eau, il faut s'interdire de surtransposer. Le principe « l'eau paie l'eau » doit être intangible. Nous proposons de garantir le financement des agences et de concentrer leurs missions sur la biodiversité aquatique ; et, comme l'AMF, nous nous opposons à toute ponction sur leur budget - encore 175 millions en 2017.

M. Charles Revet.  - Tout à fait d'accord !

M. Rémy Pointereau, rapporteur.  - Sur la gestion quantitative, les collectivités territoriales doivent être aidées pour lutter contre les fuites d'eau dans les réseaux d'eau potable, qui représentent un milliard de mètres cubes, soit un tiers du prélèvement destiné à l'irrigation - irrigation de plus en plus contestée alors que c'est un gage de diversification des cultures et de sécurité pour les agriculteurs. Il faut d'urgence sécuriser juridiquement les organismes uniques de gestion collective. Deux seulement sont aujourd'hui titulaires de l'autorisation unique pluriannuelle.

Le rapport préconise également de rationaliser les procédures de nettoyage des rivières et des fossés. Les contraintes normatives sont telles que les propriétaires préfèrent s'abstenir de faire ce nettoyage de peur des agents de l'ONEMA. Il faut faire plus de pédagogie que de répression. Les agents de l'Office doivent-ils être armés ?

M. Jean-Noël Cardoux.  - Non !

M. Rémy Pointereau.  - Il faut aussi raccourcir les délais d'instruction des dossiers de création de réserve et les sécuriser. En termes de gouvernance, il faut un meilleur équilibre au sein des agences de bassin, avec une répartition un tiers de consommateurs et d'associations, un tiers de collectivités territoriales, un tiers d'organismes représentant les utilisateurs professionnels. La compétence « gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations » (Gemapi) doit être prise en main par des acteurs plus puissants que les intercommunalités.

Je déposerai avant la fin de l'année une proposition de loi et une proposition de résolution qui reprendront les 28 propositions du rapport et permettront d'agir avec discernement et pragmatisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Henri Tandonnet .  - Le dérèglement climatique s'accentue. Il faut donc économiser l'eau au niveau de la consommation des ménages et éviter les gaspillages sur les réseaux ; en agriculture, promouvoir une irrigation de précision. Il faut constituer des réserves, mais aussi consolider la recherche en s'appuyant sur les entreprises françaises - par exemple pour la réutilisation des eaux usées. Autres pistes, l'agro-écologie, la reconstitution des nappes, la création de réserves en période d'abondance...

En désaccord avec Rémy Pointereau, je pense qu'il faut donner aux comités de bassin plus de pouvoir. Il faut rassembler les acteurs autour de projets territoriaux partagés.

Nos entreprises de réputation mondiale se regroupent dans des pôles de compétitivité ; or le Gouvernement est en passe de réduire le nombre des pôles à vocation mondiale, en les régionalisant ; ils perdront en influence. Merci, madame la ministre, de porter cette inquiétude auprès du Gouvernement. (Applaudissements au centre)

M. Hervé Poher .  - Ces deux rapports se complètent parfaitement ; ils permettent d'observer la loi, l'esprit de la loi, l'interprétation de la loi et l'application de la loi...

Vieux militant de l'eau, j'ai pratiqué, enduré, subi les contraintes de la loi... De cette expérience j'ai tiré une première évidence : on ne peut pas vouloir une chose et son contraire, exiger une implication plus forte des collectivités territoriales et demander la centralisation de la Gemapi.

Généralisons les contrats de ressources : ces quelques centimes par mètre cube d'eau potable reversés aux collectivités territoriales qui protègent les champs captants sont payés par tous les utilisateurs.

Deuxième évidence : les agences de l'eau sont les partenaires indispensables des maîtres d'ouvrage. Or les effets du changement climatique sont ressentis chaque jour et certaines régions souffrent de handicaps spécifiques : il n'est pas de bonne politique de ponctionner les agences de l'eau, au prétexte de leur bonne trésorerie ! (On approuve à droite) Jouer les alchimistes en transformant la taxe sur l'eau en impôt indirect est subtil mais moralement indéfendable.

M. François Bonhomme.  - Il n'y a plus qu'à le faire !

M. Hervé Poher.  - La loi doit nous obliger à faire - j'ai moi-même beaucoup râler... Mais il faut bien admettre certains... débordements : l'eau fait rarement partie des urgences. Un tout-à-l'égout c'est cher, c'est bon pour la nature, mais ce n'est pas payant politiquement car cela ne se voit pas (M. Roland Courteau renchérit) Il faut donc transformer l'obligation en prise de conscience, celle-ci en devoir, celui-ci en réussite.

Soyons pragmatiques, pédagogues : les citoyens ne comprendront jamais qu'on fasse des économies sur tout... sauf sur les passes à poisson. (M. François Bonhomme approuve) Parce que l'eau est malade, nous devons collectivement rédiger l'ordonnance. Nous lui devons bien cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Yves Roux .  - Dix ans après la loi sur l'eau, un an après l'accord de Paris, ce débat arrive à point. Pour le président du comité scientifique de la COP22, il faut encourager les États à s'engager dans l'économie verte, l'économie bleue, qui offrent des opportunités en termes de croissance et d'emplois. La crise climatique est une crise aquatique -  40 % de la population mondiale n'a pas accès à l'eau potable. Je me félicite que l'acte II de la loi Montagne intègre parmi ses objectifs, dès l'article premier, l'usage partagé de la ressource en eau.

En 2006, notre pays s'engageait au bon état écologique des deux tiers de ses masses d'eau de surface à l'horizon 2015 : nous n'y sommes pas. Faut-il casser le thermomètre car la fièvre est trop haute ? Non. Économiser la ressource nécessite une gestion plus fine, plus réactive. Un fléchage des subventions des agences de l'eau et une TVA réduite pourraient aider à cibler les efforts sur l'entretien des réseaux. L'Institut national de la consommation relève qu'un quart de l'eau potable serait perdu à cause des fuites.

Élu de montagne, deux chantiers me semblent prioritaires, l'entretien et le dragage des cours d'eau et une réflexion sur les débits réservés dans les territoires qui connaissent des variations fortes des niveaux d'étiage. Une sensibilisation dès l'école d'un usage plus raisonné de l'eau serait également souhaitable. (M. Roland Courteau renchérit)

Le Sénat dispose d'un outil majeur : une expérimentation sur trois ans, avec des objectifs chiffrés et un appel à projets. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Évelyne Didier .  - Le premier rapport fait le bilan de l'application de la loi de 2006 et le second fait des propositions. Ce constat d'urgence que nous partageons dépasse les frontières. L'objectif n°6 du développement durable de l'ONU est de garantir l'accès à l'eau et à l'assainissement de tous et d'assurer une gestion durable de la ressource. La COP22 abordera plus précisément ces sujets.

Le chemin à parcourir est encore long ; 633 millions de personnes sont privées d'eau potable dans le monde, au moins 1,8 milliard utilisent une source polluée. Plus de 1,7 milliard de personnes vivent dans des bassins où l'utilisation de l'eau est supérieure à la quantité disponible, au détriment des écosystèmes. Chaque jour, 1 000 enfants meurent de maladies que de bonnes conditions d'hygiène suffiraient à prévenir.

Le dérèglement climatique crée des nouvelles tensions. Nous nous rejoignons sur le réalisme et la solidarité dont nous devons faire preuve.

Sur la gestion qualitative de l'eau, nous dénonçons comme d'autres les ponctions sur le fonds de roulement des agences de l'eau. J'écouterai avec attention ce que vous en direz l'année prochaine, mes chers collègues, avec un nouveau gouvernement...

Il faut prendre en compte la proximité. La ressource en eau ne se crée pas, elle se gère. Mais les fuites sont préoccupantes. Connaître les réseaux et les rénover coûte trop cher aux collectivités territoriales, qui doivent être aidées. Il faut que l'eau redevienne un service public.

Il y a des manques dans les propositions. Quid des pollutions diffuses ? La moitié des masses d'eau serait dégradée par de telles pollutions d'origine agricole... Il faut en venir à la prévention. L'application de la directive Nitrate est un progrès mais le Sénat n'a pas voulu interdire les variétés tolérantes aux herbicides, alors que leur usage conduit mécaniquement à des teneurs plus élevées des molécules chimiques dans les eaux.

Nous devons doper une économie circulaire, avec l'économie de l'eau en son coeur.

Je regrette que les plus démunis n'aient pas été évoqués dans les rapports - il y a en France des gens qui n'ont pas accès à l'eau potable. (M. Roland Courteau le confirme)

Merci pour ce rapport utile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jean-Claude Requier .  - Le droit à l'eau potable est reconnu par l'ONU comme une condition du droit à la vie et de l'exercice des droits de l'homme. Mais 700 millions de personnes en sont privés... Il est impérieux de considérer la question de l'eau dans le cadre du changement climatique ; la France connaîtra davantage d'inondations et davantage de périodes de sécheresse. Les données scientifiques sont incontestables et ne laissent pas de place à l'inertie. Il faut agir. Merci aux auteurs de ces rapports de faire oeuvre de pédagogie.

La consommation d'eau en France est inférieure à la moyenne européenne. Mais il faut intégrer l'eau virtuelle, avec laquelle nous serions importateurs d'eau à hauteur de 8,4 milliards de mètres cubes. Pour gérer la ressource, il faut penser au stockage, à la désalinisation de l'eau de mer, aux grands ouvrages. La technologie peut aider à faire face.

Le secteur agricole représente 50 % de la consommation totale. Le potentiel d'amélioration est conséquent. Des solutions existent - nouvelles pratiques agricoles, irrigation de précision, fermes connectées, permaculture ou fermes verticales - que l'État doit aider les acteurs à mettre en place.

Les fuites sur les réseaux gaspillent 25 % de l'eau prélevée, voire 50 % dans certaines zones rurales ; l'Ardèche, le Morbihan, le Lot, le Tarn et Garonne sont les plus concernés par un niveau élevé des prix. Or le prix de l'eau va augmenter du fait des évolutions réglementaires pour atteindre les objectifs de la directive-cadre européenne. Il est urgent de garantir la couverture des coûts du service de l'eau - à 80 % des coûts fixes -, de dégager de nouvelles sources de financement pour que la hausse ne pèse pas trop sur les consommateurs.

La gouvernance est aussi à repenser. Le système est opaque, la multiplication des acteurs néfaste. Les collectivités territoriales doivent être accompagnées. La ponction de 175 millions d'euros sur les agences de l'eau est un très mauvais signal.

M. Charles Revet.  - Il faut le répéter.

M. Jean-Claude Requier.  - Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation ? Nous attendons des réponses précises - cela coule de source ! (Applaudissements)

M. Daniel Gremillet .  - Je salue ces travaux de qualité, qui ouvrent le débat et tracent des perspectives.

Il faut consolider les agences de l'eau, au lieu de les ponctionner arbitrairement ; elles jouent un rôle stratégique, cette ponction est inacceptable et une rupture du contrat de confiance. Ce n'est pas acceptable quand on connaît les besoins des collectivités territoriales pour entretenir les réseaux. Dans le bassin Rhin-Meuse, sur 300 millions de mètres cubes prélevés, 70 millions sont gaspillés : c'est du gâchis.

L'eau doit payer l'eau, la loi Biodiversité a porté un coup à cet excellent principe : la contribution des agences de l'eau à l'agence de la biodiversité ne devrait pas servir à autre chose qu'à la biodiversité aquatique. La France a la chance d'avoir un grande richesse hydrologique, il faut une politique de réserve et de meilleure répartition avec des retenues de substitution.

Il faut, enfin, capitaliser sur la recherche et l'innovation. L'époque est formidable, les processus industriels se rénovent ; on sait récupérer 70 % d'eau d'un litre de lait, mais la réglementation nous interdit de la réutiliser à des fins alimentaires : quel gâchis ! Même chose pour l'eau économisée dans les process industriels.

Il faut enfin recentrer la politique de l'eau sur les territoires. La commune reste le mode d'organisation dominant pour l'eau et l'assainissement collectif. Faisons confiance à la proximité.

Le patrimoine énergétique hydraulique n'est pas suffisamment exploité, alors qu'il est un levier de notre indépendance énergétique.

Il est urgent de replacer notre confiance dans les mains des acteurs de terrain : l'eau est une urgence déclarée pour qu'elle soit une chance pour la France ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Annick Billon .  - Ce rapport m'a donné l'occasion de conduire en Vendée une réflexion avec les acteurs de l'eau, des plus intéressantes. Il en ressort que s'il faut conserver les objectifs de la directive-cadre de l'an 2000, les acteurs de terrain doivent garder le choix des paramètres et, pour lutter contre les pollutions diffuses, associer l'ensemble des parties concernées, en particulier les propriétaires et exploitants agricoles et non-agricoles.

Le fonds de garantie « boues » de la loi sur l'eau doit être adapté, la protection des captages, renforcée, pour réduire les intrants et laisser aux agences de l'eau leurs moyens financiers, plutôt que de les ponctionner. J'anticipe le débat sur le budget 2017 pour dénoncer le prélèvement qui sera encore opéré sur le fonds de roulement des agences de l'eau.

La continuité écologique exige la participation de tous les services de l'État dès la phase de concertation, sans politique de la chaise vide - ainsi les compétences de tous les acteurs seront reconnues et valorisées.

Un avenir serein et plus efficace passe notamment par des relations fondées sur la confiance et le renforcement du rôle des syndicats de rivière en lien avec les commissions locales de l'eau. (M. Maxime Tandonnet, rapporteur et M. Jean-Claude Requier applaudissent)

M. Claude Bérit-Débat .  - Notre sujet est vital parce qu'il engage l'avenir de la planète et celui de toute l'humanité : aujourd'hui, l'approvisionnement en eau demeure un défi, alors que l'agriculture est soumise à des contraintes toujours plus fortes. Le fait que notre débat intervienne après une sécheresse inédite ne doit rien au hasard et l'évidence scientifique s'impose : ces épisodes vont se multiplier. L'agriculture tout entière est touchée. En Dordogne, le déficit pluviométrique s'établit à 85 % en juillet, 70 % en août ; en conséquence, plusieurs arrêtés de restriction ont été publiés.

Tout cela est préoccupant. Nous devons anticiper les évolutions climatiques, les dix ans de la LEMA nous en fournissent l'occasion. Elle a ouvert des voies intéressantes, qui restent perfectibles.

Les agriculteurs et les élus locaux plaident en faveur d'évolutions que nous leur avions promises, il y a dix ans. D'abord sur la gestion quantitative, par la réforme des organismes uniques de gestion collective aux territoires parfois incohérents et au statut juridique fragile.

La réalisation de réserves de substitution et les retenues collinaires garantissant l'alimentation des animaux, les cultures et un étiage suffisant pour le maintien de la biodiversité sont un véritable casse-tête dans la pratique.

Le pragmatisme et le bon sens devraient l'emporter : les choses ont trop peu évolué depuis la levée du moratoire de 2013 : des réformes doivent être conduites, des procédures au financement. Même chose pour le nettoyage des cours d'eau, où beaucoup reste à faire pour simplifier, au service de l'agriculteur.

Les installations hydrauliques sont en danger, les propriétaires n'ayant pas toujours les moyens de s'adapter aux objectifs de la loi sur la transition énergétique : il faut trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur les bancs du groupe RDSE)

M. François Bonhomme .  - L'eau est une ressource unique et stratégique, merci pour ces rapports éclairants et stimulants. La surtransposition française des directives européennes va bien au-delà de la loi-cadre : voyez les effets collatéraux des Grenelle I et II, quelque 15 000 cours d'eau ont été classés, dans un délai trop court - cinq ans ; ce n'est guère raisonnable. Même remarque pour les moulins, source de charges exagérées pour les propriétaires, particuliers ou petites exploitations, afin d'assurer la continuité écologique.

Ensuite, la centralisation excessive au sein même des services déconcentrés de l'État est source de problèmes : quel maire n'a pas subi la situation ubuesque d'entendre un employé de l'Onema lui expliquer que le petit fossé dans sa commune était en fait une rivière avec les obligations y afférentes ? C'est le symptôme d'un État qui, partout, réduit l'accompagnement, mais renforce les contrôles.

Le Sénat a heureusement repoussé l'exercice de la nouvelle compétence obligatoire « Gemapi » des intercommunalités à 2018.

Enfin, du côté du financement, les agences de l'eau sont ponctionnées alors que l'on devrait s'en tenir à la règle d'or, selon laquelle « l'eau paye l'eau ». La redevance est devenue un impôt, au détriment des collectivités territoriales qui voient les moyens diminuer drastiquement. Il est piquant de constater que l'État n'hésite pas à appliquer une méthode qu'il critiquait lorsqu'elle était mise en oeuvre par les collectivités locales il y a vingt ans.

Tout le monde s'accorde à ne pas opposer l'environnement et le monde agricole ; mais avec la nouvelle version de l'arrêté du 12 septembre 2006 et l'interdiction des phytosanitaires jusqu'à 500 mètres des cours d'eau, la réglementation pourrait exclure l'agriculture de millions d'hectares...

Et que dire du projet de retenue de Sivens, emblématique, ancré dans le territoire, accepté et attendu depuis des dizaines d'années, mais désormais entravé par des occupants illégaux, ayant usé et abusé de toutes les voies de recours qui défient l'État : quel gâchis ! Quel précédent fâcheux !

La politique de l'eau est donc loin d'être un long fleuve tranquille : nous attendons plus de l'État, qu'il facilite et ne bloque pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Jacques Lozach .  - Je n'opposerai pas les usages, pas plus que je ne mésestime les conflits de terrain. Face aux incompréhensions suscitées par la continuité écologique, le Gouvernement a clairement choisi la pédagogie et le dialogue, la patience est indispensable.

La loi sur la biodiversité a élargi la participation dans les instances de gouvernance, ce qui répond aux critiques de la Cour des comptes dans son rapport de 2015 et devrait permettre une meilleure gestion ; la Gemapi, mieux répartie, sera ainsi mieux partagée localement. Les intercommunalités devront se saisir de ce nouvel outil. C'est aussi un progrès dans l'intérêt des usagers eux-mêmes.

Nos objectifs ambitieux ne seront atteints que par la mobilisation de tous, car notre avenir n'est pas construit pour quelques-uns ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je me réjouis de ce débat, tant la ressource en eau est vitale, stratégique. Longtemps nous l'avons crue abondante, inépuisable ; or dans mon département des Hautes-Alpes, pourtant qualifié de château d'eau de la Provence, avec le barrage de Serre-Ponçon, mis en service dans les années soixante, et ses 1 300 millions de mètres cubes, nous savions qu'elle devait être économisée pour l'irrigation et la production énergétique.

Or il se trouve en difficulté, parce que la surrèglementation a remplacé le bon sens paysan, provoquant de nombreux problèmes. Le rapport Pointereau est très éclairant. L'état des lieux est préoccupant, les réformes à conduire, importantes. Sur les classements des cours d'eau d'abord. Si la liste 1, établie sur la base des réservoirs biologiques du Sdage devrait peu évoluer, il n'en est pas de même pour la liste 2, qui concerne les cours d'eau ou tronçons de cours d'eau nécessitant des actions de restauration de la continuité écologique. Les travaux de restauration de la continuité biologique et sédimentaire doivent être réalisés sur les ouvrages y faisant obstacle.

Dans le département des Hautes-Alpes, situé dans le bassin Rhône-Méditerranée, ce classement a été très pénalisant et le mode de calcul bien éloigné de la réalité. Toutes ces décisions apparaissent trop souvent comme arbitraires. La spécificité du territoire et notamment son caractère montagnard n'ont pas été pris en compte. L'entretien et le nettoyage des cours d'eau est tellement complexe que les collectivités préfèrent parfois ajourner un projet dont la mise en oeuvre relève de l'exploit. Pourtant, les phénomènes récurrents d'érosion et d'inondation nous conduisent à redoubler de vigilance.

Il faut mieux prendre en compte tous les usages, y compris la pêche. La taxe demandée aux communes sur les fontaines est, elle, jugée excessive car il ne s'agit pas de capter l'eau mais simplement de la détourner.

Là comme ailleurs, il faut chercher des solutions au cas par cas, au plus près du terrain, en faisant confiance aux élus locaux. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la ville .  - Merci pour la clarté et la précision de ces rapports, de ce débat. Il faut promouvoir la pédagogie pour faire comprendre que l'eau doit être gérée.

Priorité nationale et mondiale portée par ce Gouvernement et par Ségolène Royal, présidente de la COP21, qui a introduit cette question dans les débats internationaux.

Le 2 décembre 2015, une journée entière a été consacrée à cette problématique, avec la signature du Pacte de Paris sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins des fleuves, des lacs et des aquifères par plus de 150 organisations. La France a des atouts à faire valoir en ce domaine, une expérience solide, des savoir-faire, en particulier en matière de gouvernance et de concertation avec tous les usagers. L'Iran, par exemple, s'est montré très intéressé, lors du dernier voyage de Ségolène Royal dans ce pays fin août dernier. Les entreprises françaises sont performantes, il faut les conforter.

La COP22 définira un nouvel agenda. Les travaux scientifiques démontrent une baisse du débit des cours d'eau et des réserves, l'année sèche pourrait devenir l'ordinaire en 2070. Nos besoins en eau augmenteraient de 40 %, nous serions en déficit presque partout.

Alors il faut s'organiser par bassins hydrographiques : c'est le but des plans de comités de bassins adoptés l'an passé, pour la gestion en eau et la prévention des inondations.

L'avenir se construit maintenant.

Depuis le début des années 2000, le ministère de l'environnement agit pour la gouvernance, pour la formation, la mobilisation pour la gestion de l'eau. N'opposons pas agglomérations, intercommunalités et communes. Nous devons tous gagner en gestion ; la loi NOTRe a confié la compétence aux EPCI, pour éviter la dispersion.

M. François Bonhomme.  - Et les charges ?

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - La cohérence de la gestion contribuera à limiter les fuites d'eau.

Enfin, le Gouvernement ne méconnaît pas les questions sur la Gemapi et accepte de donner du temps au temps, en différant sa mise en oeuvre. Le prélèvement sur les agences de l'eau, pour la période 2014-2017, et pas au-delà, participe de l'effort de solidarité demandé à tous les acteurs publics : il n'y a pas de raison qu'il soit prolongé.

Toute adaptation a un coût.

M. Rémy Pointereau.  - Eh oui !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Il faut donc en préparer le financement : c'est le nerf de la guerre. Le Gouvernement est ambitieux...

M. François Bonhomme.  - Sur le dos des autres !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - ...pour les plans d'actions : 100 millions à 400 millions d'euros y seront consacrés sur 2015-2017. Nous n'avons pu atteindre nos objectifs de qualité écologique, du fait des difficultés des continuités écologiques et des prélèvements de l'agriculture. Il faut une vision globale et des adaptations locales.

La loi Biodiversité a renforcé notre politique de l'eau, en définissant les cours d'eau et en renforçant les agences de l'eau. « L'eau paie l'eau », dîtes-vous ? Oui, mais la formule s'élargit à la biodiversité, à la nature : l'eau, la nature, la mer paieront pour l'eau, la nature, la mer.

M. Rémy Pointereau.  - Avec moins de moyens !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Mais une gouvernance mieux organisée autour des agences de l'eau. Les procédures ont été simplifiées (M. François Bonhomme semble surpris), la cartographie, les cours d'eau ont été dressés, les obligations clarifiées. La plupart des autorisations ont été délivrées cette année, démontrant que le Gouvernement est à l'écoute des élus locaux. (M. François Bonhomme en doute)

Madame Didier, La loi Biodiversité interdit les néonicotinoïdes à compter de 2018.

Quant aux agents de l'Onema, monsieur Pointereau, ils ont pour mission de favoriser le dialogue et la pédagogie...

M. Rémy Pointereau.  - Le révolver à la ceinture !

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État.  - Le temps est à la prise de conscience, vos rapports y participent, j'espère que notre débat sera utile à nos concitoyens, à la performance économique et écologique de notre pays : le Gouvernement est pleinement mobilisé, au bon échelon, en faisant pleinement confiance en l'intelligence des territoires et en s'appuyant sur les élus locaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)