Responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public.

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le régime de responsabilité actuel pour les propriétaires ou les gestionnaires de sites naturels est celui de la responsabilité sans faute, à l'article 1242 du code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde».

La jurisprudence récente a ajouté une force supplémentaire à l'interprétation rigoureuse de cette responsabilité du fait des choses. En 2010, la Cour de cassation a réaffirmé que l'acceptation par la victime de l'accident des risques liés à l'activité n'exonérerait en rien le gestionnaire du lieu de sa responsabilité sans faute.

Une autre affaire de grimpeurs ayant été blessés par des pierres tombées d'une falaise dans les Pyrénées-Orientales a entraîné la condamnation de la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME).

Compte tenu du développement actuel des activités de plein air, le contentieux pourrait être d'ampleur considérable et les propriétaires ou les gestionnaires auraient une responsabilité disproportionnée.

Engager cette responsabilité sans faute paraît difficile. En outre, il y a une grande asymétrie.

Les propriétaires publics et privés ne sont pas traités de la même façon. Il y a un effet désincitatif sur la pratique de ces activités : soit les gestionnaires ne veulent prendre aucun risque et ferment le site, soit ils l'ouvrent moyennant un grand nombre de contraintes. Cette proposition de loi rééquilibre les responsabilités.

L'article L. 365-1 du code de l'environnement marque déjà un infléchissement en faveur du gestionnaire ou propriétaire.

Le législateur doit prévenir plus que guérir. Le Sénat peut ici agir comme force de proposition. Cette proposition de loi crée par son premier article un régime dérogatoire au droit commun. En cela, elle remet à jour la théorie de l'acceptation des risques. Celui qui accepte d'effectuer une activité à risque en accepte les conséquences.

M. Michel Savin.  - Bien sûr !

M. Bruno Retailleau.  - La responsabilité pour faute pourra toujours être engagée. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois .  - Trois Français sur quatre de plus de 15 ans déclarent pratiquer régulièrement des sports et loisirs de pleine nature, soit 34 millions de personnes pour 5,6 milliards d'euros de dépenses par an. Ces activités constituent un atout touristique important pour de nombreuses collectivités territoriales. Le développement de ces activités serait entravé par une jurisprudence appliquant strictement le régime de la responsabilité du fait des choses.

L'article 1242 du code civil, ancien article 1384...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Eh oui !

M. André Reichardt, rapporteur.  - ... pose en effet le principe selon lequel le propriétaire d'un site naturel peut voir sa responsabilité civile, une responsabilité du fait des choses, engagée pour une branche qui tombe ou une pierre qui roule quand bien même il n'a commis aucune faute.

La proposition de loi propose de basculer du régime de fait des choses au régime de responsabilité pour faute.

Le contentieux est peu abondant, voire inexistant ces dernières années pour les personnes publiques. La proposition de loi découle d'un cas, évoqué par le président Retailleau, jugé à Toulouse, pour lequel appel a été interjeté.

Fallait-il légiférer ?

La commission des lois a considéré que la faiblesse du contentieux était la marque de l'attention toute particulière des fédérations à la sécurité des pratiquants.

Fallait-il s'opposer à la création d'un nouveau régime spécial ?

Les réticences sont compréhensibles.

La responsabilité du fait des choses, d'origine prétorienne, prend en considération des problématiques qui n'existaient pas lors de la création du code civil en 1804. Le législateur est donc dans son rôle.

Avant la grande réforme, annoncée par le ministère de la justice, de refonte de la responsabilité civile, cette proposition de loi du Sénat est une belle initiative, comparable à celle qui a conduit à la consécration du préjudice écologique.

La commission des lois a considéré que la proposition de loi présentait néanmoins des difficultés de coordination avec le reste de l'article L. 365-1 du code de l'environnement, d'une part, ainsi que des difficultés d'application, en raison de l'imprécision des notions utilisées, d'autre part.

La responsabilité contractuelle aurait pu être concernée, ce qui n'était pas l'objectif des auteurs de la proposition de loi.

Un transfert du risque de l'exploitant (d'une station de ski, par exemple), souvent professionnel et assuré, vers le client aurait été dangereux, car celui-ci n'est souvent couvert que par une assurance de dommages personnels.

Quant au champ, ne viser que les propriétaires et les gestionnaires était trop restrictif : quid du locataire ?

Enfin, le terme de « circulation du public » pouvait inclure les véhicules motorisés. Dès lors, la commission des lois a récrit entièrement le premier article.

Le régime de responsabilité de plein droit ne pourrait s'appliquer et on basculerait vers le principe de l'acceptation des risques. Délaissé par la jurisprudence, il est moins favorable aux victimes.

La commission des lois revient à une conception plus limitée de la responsabilité sans faute du propriétaire ou gestionnaire, ce qui aboutit à une solution équilibrée entre ce dernier et le pratiquant de l'escalade ou d'autres sports et loisirs de nature, lequel doit savoir que le risque zéro n'existe pas, en dépit de toutes les diligences mises en oeuvre par le gardien du site naturel.

La commission a choisi d'introduire ce dispositif dans le code du sport, au sein des dispositions relatives aux sports de nature, plutôt que dans le code de l'environnement.

La commission des lois, par l'article 2 de cette proposition de loi, a en conséquence abrogé l'article L. 365-1 et vous propose d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Cette proposition de loi a pour but, en modifiant le régime de responsabilité auquel sont soumis les gardiens de sites naturels ouverts au public, d'encourager les sports de nature qui constituent un atout touristique important pour de nombreuses collectivités territoriales. Le Gouvernement ne peut qu'y souscrire et souhaiter la plus large ouverture des espaces naturels au public.

La proposition de loi suscite des réserves non pour les objectifs, mais pour les moyens qu'elle emploie.

L'article L. 365-1 du code de l'environnement, en vertu d'une disposition introduite en 2006 par une loi relative aux parcs nationaux et parcs naturels, prévoit déjà qu'en cas d'accident, la responsabilité des propriétaires et gestionnaires doit être appréciée au regard des caractéristiques particulières des espaces naturels qui, pour des raisons de conservation des milieux, ne peuvent faire l'objet que d'aménagements limités. Cette proposition de loi va plus loin.

L'évolution proposée paraît prématurée. Il serait excessif de dire que la responsabilité du fait des choses permet l'engagement automatique de la responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires d'espaces naturels en cas d'accident.

Certes, le régime de « responsabilité du fait des choses » appliqué par les juridictions relève de la responsabilité sans faute, mais les juges cherchent la réalité de la cause et évaluent le comportement de la victime. Il faut relativiser le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse de 2016 condamnant la Fédération de la montagne et de l'escalade, d'autant qu'il n'est pas définitif et apparaît isolé. Le contentieux est très faible au regard des 54 millions de visiteurs d'espaces naturels par an.

L'intervention du législateur n'est pas indispensable.

On parle de la vaste réforme de la responsabilité civile envisagée par le ministère de la justice depuis longtemps, mais ce Gouvernement a l'habitude de faire ce qu'il dit. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit ; exclamations et protestations sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Les débats en commission montrent que nombre d'entre vous ne sont pas insensibles à la nécessité d'une réflexion plus large. Introduire aujourd'hui dans le droit positif une nouvelle disposition est prématuré.

La rédaction de la proposition de loi issue de la commission des lois apparaît problématique. Elle ne fait pas référence à la responsabilité administrative pourtant prévue par l'article L. 365-1 du code de l'environnement. Cela pourrait conduire à des indemnisations différentes selon le juge choisi, judiciaire ou administratif.

La notion d'« espace », de « site » ou d'« itinéraire » retenue par la commission mériterait être précisée : le champ d'application doit être limité aux espaces « naturels ».

La commission des lois abroge l'article L .365-1, ce qui est problématique, puisque le nouveau dispositif ne couvre pas la totalité des champs traités par cet article : en particulier, il ne traite pas de la « circulation des piétons ».

Si l'on peut trouver légitime de poser la responsabilité du pratiquant d'un sport dangereux qui accepte un certain risque, il n'en va pas de même d'un simple promeneur. Le Gouvernement ne peut souscrire à un texte qui conduirait à un affaiblissement du droit des victimes.

L'article L. 365-1 du code de l'environnement n'aurait pas pu s'appliquer dans le cas du jugement de Toulouse car le lieu de l'accident ne figure pas dans la liste énoncée par cet article. Or les enjeux de la conciliation entre ouverture au public et préservation du caractère naturel des lieux s'étendent au-delà des seuls espaces naturels protégés.

La réflexion aura toute sa place dans le cadre de la refonte globale du droit de la responsabilité civile engagée par le Gouvernement. Il importe de conserver l'économie générale d'un dispositif qui concilie le droit commun de la responsabilité tant civile qu'administrative et la prise en compte des contraintes spécifiques des propriétaires et gestionnaires d'espaces naturels, tout en garantissant une protection satisfaisante du droit des victimes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

M. Loïc Hervé .  - La période contemporaine est marquée par un attrait croissant pour les sports et loisirs de nature. Il faut se féliciter de ce phénomène qui favorise le développement touristique de nos territoires et valorise des espaces naturels. En Haute Savoie, on pratique l'escalade, l'alpinisme, le ski, le parapente et plus récemment le trail... Ces activités sont par essence à risque et les pratiquants le savent. C'est un paradoxe, dans une société de plus en plus adverse au risque.

Cette proposition de loi a suscité une double réaction au sein du groupe UC. Appliquer brutalement la responsabilité du fait des choses au propriétaire ou au gestionnaire de sites pour des dommages causés lors d'une pratique sportive sur des sites naturels pose problème et peut être décourageant. On imagine l'impact sur l'attractivité touristique de nos territoires...

Autre réaction, celle que provoque l'analyse du jugement de Toulouse. Doit-on légiférer maintenant ? On pourrait attendre l'examen de la réforme de la responsabilité civile promis par le Gouvernement à la fin de l'année. Mais nous avons estimé - le nombre que nous sommes ce soir le montre - que nous pourrons nous y atteler dès à présent.

Le rapporteur de la commission des lois a proposé d'inscrire cette proposition de loi non pas dans le code de l'environnement mais dans le code du sport qui contient déjà à l'article L. 321-1-3 une exonération de la responsabilité sans faute des pratiquants d'une activité sportive pour les dommages matériels à l'encontre d'autres pratiquants du fait des choses sous leur garde. Cette évolution de 2012 était, là aussi, issue d'une initiative parlementaire. Nous y souscrivons.

La matière a été bouleversée par la jurisprudence de la Cour de cassation de 2010 réduisant le champ d'application de la théorie des risques acceptés. Les primes d'assurance de certaines fédérations, notamment celles des sports mécaniques, ont augmenté en conséquence. On ne parle pas ici des dommages causés par une raquette de tennis ou une moto de compétition, qui ont donné lieu à une abondante jurisprudence. La notion juridique de « chose » porte ici sur des éléments naturels qui composent l'environnement d'une pratique sportive, comme un rocher sur une paroi d'escalade. Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail et sa finesse juridique.

Cette proposition de loi lance un débat sur cette problématique très importante pour l'économie du tourisme dont dépend mon département.

Le groupe UC votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Jérôme Durain .  - J'aime les premiers de cordée non au sens macroniste mais en tant qu'alpiniste.

M. Loïc Hervé.  - Ça viendra !

M. Jérôme Durain.  - Grimpeur, je partirai donc du nom donné à celui, en escalade, qui se trouve tout en bas de la cordée : l'assureur. Ce terme répond aux questions posées par cette proposition de loi : qui pratique, qui sécurise et qui paie ?

On évoque l'accident de Vingrau. Mais tous les pratiquants de sports de pleine nature sont concernés, de même que toutes les fédérations qui en régissent la pratique, les propriétaires de sites naturels et les collectivités territoriales qui en assurent le développement et la promotion.

Quelle place accordons-nous à la prise de risque dans notre société ? Quelle part d'acceptation du risque pour les pratiquants ? Jusqu'où les fédérations, les collectivités sont-elles responsables des activités individuelles ?

Faut-il légiférer ou attendre la Chancellerie ? Il faut légiférer, c'est tout un secteur qui en dépend. La législation de 1804 ne parvient plus à saisir la complexité actuelle. Vous avez lu cette semaine dans la presse le récit du sauvetage de Mme Élisabeth Revol, partie à l'assaut du Nanga Parbat, descendue seule, laissant son compagnon d'ascension à l'agonie, rejointe par quatre autres ressortissants polonais venus à sa rescousse, de nuit, à la lampe frontale, dans des conditions dantesques. Son sauvetage dans l'Himalaya a été financé par une cagnotte participative de 50 000 dollars. Qui aurait imaginé cela autrefois ?

« La montagne n'est ni juste ni injuste, elle est dangereuse » dit Reinhold Messner. Imaginons le tableau noir des conséquences d'une extension de la responsabilité sans faute.

La Fédération française de la montagne et de l'escalade, mise sur la sellette, dénonce ou suspend 800 conventionnements ; des propriétaires interdisent l'accès à leur falaise ; le niveau d'équipement et de sécurisation des sites diminue ; les pratiques clandestines se développent ; les collectivités territoriales interdisent la pratique ou au contraire surinvestissent des sites en les bétonnant... Tout cela a un impact !

Les pratiques de plein air sont parmi les rares sports libres et gratuits, et concernent trois Français sur quatre, soit 34,5 millions de personnes. J'aimerais qu'on puisse continuer à initier des enfants à l'escalade sans analyse juridique préalable ou aller de même en vélo ou à pied sur les chemins de Compostelle ou d'ailleurs. (M. Loïc Hervé renchérit.)

Il faut des pratiquants conscients, formés, responsabilisés. Cela signifie moins d'accidents.

Tout le monde est concerné par cette problématique.

Le groupe socialiste et républicain soutient cette proposition de loi de M. Retailleau, avec lequel je suis souvent en désaccord, mais pas sur des niches telles que celle-ci ou le jeu vidéo ! (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien !

M. Jérôme Durain.  - La cohabitation entre les deux codes est délicate. Elle risque d'être contradictoire. Je suis plutôt favorable à la rédaction de la commission des lois, pour conserver le terrain de jeu privilégié de tous les pratiquants, premiers de cordée, assureurs et randonneurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, UC, Les Indépendants, Les Républicains)

M. Jérôme Bignon .  - J'aborde cette discussion générale avec perplexité. Le droit peut paraître simple quand il y a une seule solution, mais quand il y en a trois ou quatre, son application devient difficile.

Ce qui ressort du débat, c'est qu'il faut régler ce problème. J'avais signé en son temps une proposition. Ce n'est pas si simple.

Nous avons à répondre à la forte artificialisation des espaces naturels, à la multiplication des événements compétitifs au sein des espaces naturels, ainsi qu'à l'attachement à la nature - et en même temps à une judiciarisation croissante de la société, qui conduit à ester en justice dès que l'on reçoit un gravier sur la tête. Certains sont conduits à fermer leurs espaces, ce qui est regrettable.

Le choix de la commission des lois revêt une pertinence juridique indiscutable, mais qui modifie l'intention des auteurs - dont je suis - à l'époque.

La bonne idée serait peut-être de concilier la modification de l'article L. 365-1 du code de l'environnement concerné et l'introduction d'un article dans le code du sport.

Je suis embarrassé par l'amendement du Gouvernement qui supprime l'introduction de l'article dans le code des sports, ce à quoi je suis défavorable.

Ce texte poursuit un intérêt général évident. Trouvons une solution de compromis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants, sur quelques bancs du groupe UC ; M. Bruno Retailleau applaudit également.)

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Les activités de plein air connaissent un succès croissant ; la Fédération française de randonnée pédestre compte 242 000 adhérents et la Fédération de la montagne et de l'escalade en compte 96 000.

Le développement de ces activités crée une difficulté juridique en cas d'accident. La responsabilité est différente selon que la pratique est encadrée ou sauvage, ou que le site est géré par le public ou le privé.

Dans le Puy-de-Dôme, la quasi-totalité des volcans de la chaîne des Puys ont des propriétaires privés. Comment les rendre responsables, alors qu'ils n'en contrôlent pas la fréquentation, en hausse ? L'engouement pour les sports de nature accroît considérablement la pression sur des propriétaires qui n'ont pas tous souhaité accueillir du public.

Il est utile de s'interroger sur l'évolution du régime actuel de responsabilité afin de parvenir à une rédaction réellement équilibrée qui ne limite pas la pratique des sports de nature, et ne déresponsabilise ni les propriétaires ou gestionnaires de sites naturels, ni les pratiquants de telles activités sportives.

Utiliser un espace aux fins de loisir est un droit qui doit s'accompagner de devoirs. Le groupe RDSE soutiendra la rédaction de la commission des lois.

Toutefois, la responsabilité des gestionnaires de site ne doit pas être totalement exonérée. Il faut un meilleur partenariat avec les propriétaires, nécessaire pour améliorer la signalétique et l'information.

Le groupe RDSE votera la proposition de loi.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Très bien.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Les propriétaires fonciers qui laissent libre accès à leur site risquent l'engagement de leur responsabilité sans faute en vertu de l'article 1242 du code civil, qui concerne les choses dont on a la garde. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la seule manière de s'en exonérer est de démontrer un cas de force majeure, ou que la victime a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage.

Seule exception, l'article L. 365-1 du code de l'environnement, pour les propriétaires ou gestionnaires de parcs nationaux ou de réserves naturelles.

L'article L. 160-7 alinéa 4 du code de l'urbanisme, abrogé depuis 2015, excluait la responsabilité civile des propriétaires au titre des dommages causés ou subis par les bénéficiaires d'une servitude.

En tout état de cause, il est recommandé aux propriétaires de souscrire une assurance pour leur éviter de supporter les conséquences en cas de préjudice.

Avec un objectif louable, le texte prévoyait initialement d'étendre l'exclusion de responsabilité aux propriétaires et gestionnaires de sites naturels pour les dommages subis à l'occasion de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisir ou de sport de nature.

La commission des lois a préféré l'application du régime de la responsabilité pour faute et l'insertion dans le code du sport.

Le groupe LaREM juge que cela aurait plus de sens dans le cadre de la réforme globale des règles régissant la responsabilité civile, portée prochainement par la Garde des Sceaux. Dans la mesure où le contentieux est peu abondant, le groupe LaREM réserve sa position.

M. Guillaume Gontard .  - Cette question a déjà été débattue en 1984, en 2005 et en 2006. Toutefois, elle a le mérite de traiter du paradoxe entre demande d'un accès accru aux sites naturels et moindre acceptation des risques inhérents à ces activités.

La responsabilité du propriétaire ou gestionnaire est une responsabilité sans faute s'il n'a pas explicitement défendu l'accès à son terrain, en vertu de laquelle le tribunal de grande instance de Toulouse a condamné la FFME et son assurance à verser 1,2 million d'euros aux victimes d'un éboulement sur un site naturel d'escalade.

Cette jurisprudence, qui reste à confirmer, porte en germe le risque d'une interdiction d'accès à de nombreux sites naturels. Il ne s'agit pour l'heure que d'un jugement de première instance, et l'ONF a été exonéré par la cour d'appel de Versailles à la suite de l'accident d'un adolescent pratiquant le VTT sur un circuit sauvage dans une forêt domaniale.

Il y a très peu de contentieux et de condamnations sur le fondement de l'article 1242. En outre, le juge examine les circonstances de l'accident pour décider si le propriétaire est ou non civilement responsable. La responsabilité du fait des choses est encadrée par des garde-fous, un rapport du Sénat en témoigne. Il est précipité de légiférer pour corriger une jurisprudence de première instance.

Enfin, difficile d'appréhender la réaction des assureurs face à une responsabilité fondée sur la faute. On risque une sécurisation croissante des sites naturels pour éviter une responsabilité fondée sur la faute - d'autant que la notion de faute est évolutive...

La crainte des propriétaires est réelle. L'amendement du Gouvernement nous semble un bon compromis. Toutefois, nous voterons pour cette proposition de loi dans la rédaction de la commission. (Applaudissements)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je soutiens cette proposition de loi, qui est l'occasion pour le Sénat de se saisir de ce problème. Les propriétaires et gestionnaires n'ont pas les moyens de contrôler les accès à leurs terrains ; ils ne doivent pas voir leur responsabilité engagée. Seraient-ils coupables de ne pas prévoir les aléas de la nature ?

Les sites naturels ouverts au public devraient continuer à l'être sans constituer une épée de Damoclès. Lorsqu'on pratique un sport de nature, on doit être conscient des risques. L'environnement est périlleux, et le randonneur ne saurait devenir un consommateur passif. Lorsque vous marchez en forêt, vous regardez où vous mettez les pieds. Je citerai à nouveau les mots de Reinhold Messner : « La montagne n'est ni juste ni injuste, elle est dangereuse. » Combien de skieurs se mettent en danger en pratiquant le hors-piste ?

Attention à ne pas encourager un aménagement excessif des sites, et donc une dénaturation des espaces naturels. Imaginez la forêt de Fontainebleau défigurée par des rambardes et des signalisations... D'autres préfèrent fermer les sites au public, quitte à freiner le développement de ces activités de plein air...

Sur le site de l'office du tourisme de l'Eure, la première activité proposée est constituée par les sports de nature : c'est un atout touristique majeur. Protégeons les sites ouverts au public et apportons au plus vite une solution législative. Je voterai la proposition de loi. (Applaudissements)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le premier alinéa de l'article L. 365-1 du code de l'environnement, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :

« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisirs ou de sports de nature, qu'en raison de leurs actes fautifs.

« La responsabilité administrative des propriétaires de terrains, de la commune, de l'État ou de l'organe de gestion d'un espace naturel, à l'occasion d'accidents survenus dans le coeur d'un parc national, dans une réserve naturelle nationale ou régionale, sur un domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, sur les espaces naturels sensibles des départements, sur tout autre espace de nature ou sur les voies et chemins mentionnés à l'article L. 361-1, à l'occasion de la circulation des piétons ou de la pratique d'activités de loisirs, est appréciée au regard des risques inhérents à la circulation dans ces espaces naturels ayant fait l'objet d'aménagements limités afin de garantir la conservation des milieux et, compte-tenu des mesures d'information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d'assurer la sécurité publique.

« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires des espaces naturels ouverts au public ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisirs ou de sports de nature, qu'en raison de leurs actes fautifs. »

M. Jérôme Bignon.  - Cet amendement complète le nouvel alinéa proposé par la proposition de loi initiale. Il réintroduit cette disposition dans le code de l'environnement, tout en répondant aux inquiétudes du rapporteur sur son caractère trop vague. Cette nouvelle version concilie modification du code de l'environnement et du code des sports.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le premier alinéa de l'article L. 365-1 du code de l'environnement, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans les espaces naturels ouverts au public et sur les voies et chemins mentionnés à l'article L. 361-1, la responsabilité civile ou administrative des propriétaires, de la commune, de l'État ou de l'organe de gestion de ces sites ne saurait être engagée au titre de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisirs ou de sports de nature, qu'en raison de leurs actes fautifs.

« Le premier alinéa est également applicable aux accidents survenus dans le coeur d'un parc national, dans une réserve nationale ou régionale, un espace naturel sensible départemental, sur un domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ou sur les voies et chemins mentionnés à l'article L. 361-1, ou tout autre espace de nature ayant fait l'objet d'aménagements limités, afin d'y garantir la conservation de la biodiversité et des paysages, et pour lesquels des mesures d'information ont été prises, dans le cadre de la police de la circulation par les autorités chargées d'assurer la sécurité publique. »

M. Jérôme Bignon.  - Amendement de repli.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Bignon et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Avant le premier alinéa de l'article L. 365-1 du code de l'environnement, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La responsabilité civile des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ne saurait être engagée, au titre de la circulation du public ou de la pratique d'activités de loisirs ou de sports de nature, qu'en raison de leurs actes fautifs. »

M. Jérôme Bignon.  - Il s'agit de préserver l'esprit originel de la proposition de loi, notamment son caractère global, tout en respectant le choix de la commission des lois d'introduire une disposition identique à l'article L. 311-1 du code des sports.

M. André Reichardt, rapporteur.  - Rendons hommage à Jérôme Bignon pour sa volonté de trouver une solution à une situation complexe. Ses trois amendements sont toutefois satisfaits ; l'amendement n°3 est soit redondant, soit dépourvu - c'est le cas du deuxième alinéa - de toute portée normative. En outre, la responsabilité administrative obéit à des règles particulières. Retrait, sinon avis défavorable.

Même chose pour l'amendement n°2, qui introduit une rédaction différente dans le code de l'environnement. Les deux alinéas s'articulent mal entre eux et sont peu compréhensibles. En outre, la rédaction va plus loin que la proposition de loi initiale en posant un principe général d'exonération de responsabilité civile et administrative, hors cas de faute : c'est excessif, notamment pour les victimes qui bénéficient de la présomption de défaut d'entretien par la personne publique. Retrait, sinon avis défavorable.

Même chose pour l'amendement n°1, qui rétablit la rédaction initiale - je ne reviens pas sur les choix juridiques de la commission des lois. Retrait encore, sinon avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Ces trois amendements excluent la responsabilité civile du propriétaire ou gestionnaire en l'absence de faute. Il semble prématuré de modifier le régime de responsabilité ; attendons la réforme globale de la responsabilité civile qui sera portée par Mme Belloubet.

Sur le fond, ces amendements pourraient conduire à empêcher l'indemnisation des victimes ; ils sont source de complexité. Avis défavorable.

M. Jérôme Bignon.  - J'ai pris bonne note de la réforme à venir de la responsabilité civile ; je participerai aux travaux.

Les amendements nos3, 2 et 1 sont retirés.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi cet article :

L'article L. 365-1 du code de l'environnement est ainsi rédigé :

« Art. L. 365-1.  -  La responsabilité civile ou administrative des propriétaires ou gestionnaires d'espaces naturels, à raison d'accidents survenus à l'occasion de la circulation des piétons ou de la pratique d'un sport de nature ou d'activités de loisirs, est appréciée au regard des risques inhérents à l'évolution dans ces espaces naturels n'ayant pas fait l'objet d'aménagements ou ayant fait l'objet d'aménagements limités dans le but de conservation des milieux, et compte tenu des mesures d'information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d'assurer la sécurité publique. »

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Nous comprenons les besoins exprimés ici.

Sans préjudice d'une réforme ultérieure, l'économie générale de l'article L. 365-1 du code de l'environnement est satisfaisante, en conciliant bien les contraintes des propriétaires et gestionnaires d'espaces naturels, et les droits des victimes d'accidents. Cependant, le Gouvernement propose d'en élargir le champ, en supprimant l'énumération des personnes publiques et des types d'espaces où ce régime s'applique ; la nouvelle rédaction de cet amendement est donc plus large, englobant y compris les espaces naturels qui n'ont pas fait l'objet d'aménagement.

M. André Reichardt, rapporteur.  - J'avais réfléchi à cette hypothèse dans le cadre des travaux de la commission des lois ; j'ai choisi d'en rester à la solution de la proposition de loi amendée, qui va plus loin.

Cet amendement est donc contraire à la position de la commission. Cet article du code invite le juge à apprécier la responsabilité du propriétaire ou gestionnaire au regard des circonstances, ce que le juge fait déjà sans que le législateur ait besoin de lui préciser. Cette rédaction ne permet pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la proposition de loi. Sauf retrait de votre amendement, avis défavorable.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Je le maintiens.

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Cet amendement arrive après la prise de position de la commission des lois, et celle-ci rechigne à revenir dessus. (M. Jackie Pierre proteste.) Or, c'est une solution équilibrée permettant d'attendre de voir ce que décide la cour d'appel.

M. Jacques Bigot.  - Cet amendement dénature complètement la proposition de loi. La position de la commission des lois, de l'intelligence de son rapporteur, indique que le pratiquant de l'activité sportive ou de loisir ne bénéficie pas de la responsabilité du gardien. Votre rédaction apporte une complexité juridique que nous ne pouvons pas suivre.

M. Michel Savin.  - Bien sûr !

M. Jacques Bigot.  - Le groupe SOCR ne votera donc pas cet amendement (Applaudissements sur tous les bancs)

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État.  - Compte tenu de l'avis précédent de la commission des lois, je le retire.

L'amendement n°5 est retiré.

L'article 2 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.

Prochaine séance demain, jeudi 1er février 2018, à 10 h 30.

La séance est levée à 23 h 10.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus