La ruralité, une chance pour la France

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur : « La ruralité, une chance pour la France », à la demande du groupe RDSE.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen .  - Nous venons d'achever l'examen d'un texte pragmatique et novateur. Cette initiative traduit notre ambition d'une meilleure cohésion des territoires.

Notre proposition de loi de lutte contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux apporte une réponse opérationnelle aux difficultés vécues dans certains territoires ruraux mais aussi dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville : le manque de distributeurs automatiques de billets.

Ce débat, qui en est le prolongement, s'inscrit dans une politique chère au Sénat. Tous les territoires ne sont pas uniformes. Il est vrai que les gouvernements successifs ont porté des réformes et je suis particulièrement heureux de saluer le retour sur nos bancs de Jacques Mézard : nous connaissons tous la vigueur avec laquelle il a défendu, dans ses fonctions ministérielles, le développement de tous les territoires. Je pense aux villes moyennes, autour du plan national « Action coeur de ville », mais aussi aux zones rurales...

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier.  - Monsieur le ministre, vous connaissez la question, vous qui êtes ancien élu rural et chasseur. (Exclamations et marques d'appréciation sur divers bancs) Vous m'avez entendu tonner à cette tribune contre la limitation de vitesse à 80 km/heure sur les routes nationales, qui rallonge les trajets quotidiens de millions de personnes. Pour beaucoup de Français, il n'y a pas encore d'alternative à la voiture individuelle ; d'où les gilets jaunes.

Pouvez-vous nous éclairer sur les orientations de la future loi sur les mobilités relatives aux espaces ruraux ?

Nous avons porté une grande attention au plan Santé qui crée des collectifs de soins de proximité pour réviser en profondeur le maillage des services de santé à l'horizon 2022. Certaines mesures figurent déjà dans le PLFSS. Pouvez-vous nous en préciser l'impact sur les hôpitaux de proximité ?

L'accès aux services publics est une autre préoccupation majeure. Allez-vous poursuivre l'effort de déploiement des Maisons de service au public ? Des trésoreries, des gendarmeries ferment. Après la RGPP et la « MAP », le plan Action publique 2022 suscite certaines inquiétudes.

La dimension numérique de l'aménagement du territoire est un autre sujet brûlant, alors que l'accès à internet devient aussi essentiel que l'eau ou l'électricité. Le développer partout relève de l'égalité républicaine. Encore faut-il bénéficier d'une couverture de qualité...

Le plan France très haut débit monte en puissance mais nos concitoyens sont impatients. Entendons-les ! Les réseaux d'initiative publique (RIP) qui bénéficient de 3,3 milliards d'aides de l'État, se déploient. Mais le guichet France THD sera-t-il rouvert ?

La couverture mobile de qualité sera-t-elle généralisée dès 2020 comme le Gouvernement l'a promis ? Nous avons milité, début novembre, pour que l'Agence du numérique rejoigne la future Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Qu'en est-il de l'inscription de la proposition de loi créant cette Agence, qui doit épauler les collectivités territoriales pauvres en ingénierie et ressources et affirmer le rôle moteur des élus dans le développement rural, pour sortir de la logique descendante ?

Je ne veux pas alimenter les clichés d'une ruralité malheureuse. Il y a de la vie, de l'espoir, des initiatives qui fleurissent dans nos campagnes, portées par des citoyens, des entrepreneurs ou des élus.

Ce débat a aussi pour objet de rassurer les ruraux : les campagnes sont une chance pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs, du groupe SOCR jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)

Mme Évelyne Perrot .  - (Mme Michèle Vullien applaudit.) Pas moins de 21,4 millions d'habitants, un Français sur trois, vivent dans une des 3 212 communes rurales, dont plus de 80 % en croissance démographique. La ruralité n'est pas seulement liée à l'agriculture. Préservons le foncier agricole néanmoins.

Avec internet, les territoires deviendront attractifs. Maintenons le service public et réaménageons les services au public.

Les écoles notamment sont des lieux de qualité ; bus scolaires, magasins ambulants, petites lignes sont la vie de nos campagnes.

La ruralité est plus que vivante ; elle se mérite.

Lors du congrès des maires ruraux en septembre, j'ai senti leur inquiétude. Ils se sentent délaissés. Malgré l'atrophie des compétences, malgré les difficultés de financement, le monde rural, pourtant, avance. Porter des projets est un parcours du combattant quotidien, pour in fine s'entendre dire : « Ce n'est pas éligible ». Certains, lassés, jettent l'éponge, mais une majorité tient bon. Une force collective inépuisable dit : « Appuyez-vous sur nous ». Il faut les aider, leur octroyer un véritable statut de l'élu.

Quoi de plus beau socialement que la gestion d'une commune rurale ? Les ruraux bouillonnent d'idées et de bon sens ; ils ont appris à se serrer les coudes. Le monde rural a beaucoup à apporter. Aux investisseurs privés de s'emparer du potentiel d'emploi du monde rural, d'en faire une aire de déploiement des solutions industrielles et de services et d'y créer des débouchés.

M. Daniel Chasseing .  - Merci au RDSE d'avoir mis à l'ordre du jour ce sujet fondamental. L'une des difficultés tient à la définition du rural. L'hyper-ruralité n'est pas la ruralité périurbaine. Cette dernière accueille des jeunes couples, des retraités en quête de qualité de vie mais aussi de proximité des services et des activités culturelles. Les maisons s'y vendent. Il faut soutenir ces communes par des politiques publiques adaptées - aide au désenclavement, programmes de voierie, infrastructures numériques - pour les aider à saisir toutes les opportunités liées aux nouveaux modes de vie des Français. Les circuits courts sont également une chance pour l'agriculture.

En revanche, l'hyper-ruralité, qui représente 5 % de la population et 30 % du territoire, est marquée par la désertification, la baisse de la population, l'exode des agriculteurs, dont le nombre a été divisé par quatre en vingt ans. Seule la puissance publique peut apporter des solutions, soutenir les politiques publiques locales et les initiatives privées et attirer de nouvelles populations.

Certaines problématiques touchent toutes les ruralités, notamment l'accès au numérique ou aux commerces, la préservation de la dotation des petites communes, la désertification bancaire ou médicale. Plus spécifiquement, il faut identifier les zones hyper-rurales dans chaque département, en définissant l'hyper-ruralité en fonction du niveau d'enclavement, de la distance des axes routiers et ferroviaires et des bassins d'emploi.

Il faut aussi créer un guichet unique pour centraliser les dossiers et accompagner la création d'entreprises. L'ANCT jouera-t-elle ce rôle ? Des avantages fiscaux et sociaux pourraient compenser les difficultés de ces territoires. Zones franches ou ZRR, subventions pour l'immobilier des entreprises, mise en place de zones artisanales avec des prix de revente attractifs, autant de mesures indispensables pour y maintenir la vie.

La hausse du coût du gasoil et du fioul - 250 euros de plus pour 1 000 litres par rapport à 2017 - est très pénalisante quand on dépend de la voiture pour se rendre au travail. Même avec des aides, les gens ne peuvent changer ni de chaudière ni de voiture.

La ruralité est depuis trop longtemps déconsidérée par l'État qui ne la perçoit pas comme une chance, au contraire. Il faut une ambition politique renouvelée, associant l'ensemble des acteurs, pour mener une véritable politique d'aménagement des territoires ruraux.

M. Jacques Genest .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Voilà un beau sujet pour le grand oral de l'ENA, et une occasion de s'intéresser pour une fois aux campagnes. Ces territoires, peuplés d'autochtones d'un autre siècle qui fument des clopes et roulent au diesel, ont des atouts - à condition que l'État ne joue pas au poker menteur.

Le développement économique, les services au public et l'organisation territoriale sont au coeur du groupe de travail que j'anime au sein du groupe Les Républicains. Notre travail s'inscrit dans la continuité de notre proposition de loi de 2016 visant à relancer la construction en milieu rural - jamais inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale mais reprise en partie dans la loi ELAN.

À quoi aspirent nos compatriotes des bourgs et des villages ? À travailler au pays, y disposer de services, et habiter un logement qui correspond à leur façon de vivre. La priorité reste l'emploi, donc le développement économique, qui passe par le désenclavement et l'assouplissement des normes et contraintes pesant sur l'initiative privée.

La proposition de loi sénatoriale sur la revitalisation des centre-bourgs a été un premier pas. La relance du Fisac que propose le Sénat est une excellente initiative à condition de l'utiliser au profit des artisans et des commerces de proximité.

Démographie et attractivité sont indissociables du développement des services au public et à la personne. Qui voudrait installer sa famille dans un désert médical ? Il faudra reposer la question de l'installation des médecins, sans tabou...

Adaptons l'organisation de la République décentralisée aux réalités géographiques. Dans le nouveau jardin à la française des intercommunalités XXL, il faut redonner vitalité et capacité d'agir aux communes rurales qui sont l'échelon de base de notre démocratie et le coeur battant de nos territoires.

Les premiers acteurs en sont les élus ruraux. Si, lors de la réforme institutionnelle, le nombre de sénateurs les représentant se voit réduit jusqu'à devenir anecdotique, ils sombreront dans l'oubli et le déni démocratique. Or en 2015, 21 % de la population vivait dans une commune de moins de 3 500 habitants : un Français sur cinq !

Les ruraux ne veulent pas vivre parqués dans des réserves où la population est vieillissante. Réveillons nos territoires, faisons confiance à leur capacité de penser leur futur.

Au nom des ruraux, je termine par un appel : monsieur le président de la République, messieurs les ministres, cessez de nous mépriser, entendez la fronde qui monte de nos campagnes. C'est la cohésion de la France qui est en jeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

Mme Cécile Cukierman .  - Je me félicite de la tenue de ce débat en ce jour de Congrès des maires. Dans leur diversité, les élus locaux expriment leur volonté d'être entendus et d'avoir les moyens de remplir leur mission, de répondre aux besoins des femmes et des hommes qui vivent et travaillent sur leur territoire.

Pourquoi discuter de « la ruralité, une chance pour la France » puisque nous en sommes tous convaincus ? Ces 90 % du territoire où vivent 35 % de la population sont une chance à préserver, à protéger, à sécuriser. Nos territoires ruraux souffrent de la disparition de services publics et privés et de la fragilité d'accès à ces services, notamment de santé. La présence hospitalière diminuant, les malades sont incités à se faire soigner chez eux, or les médecins et paramédicaux ont des difficultés à accompagner le retour au domicile...

Que dire des écoles rurales qui assurent le dynamisme et le renouvellement de la population ?

On pourrait aussi évoquer les 9 000 kilomètres de lignes ferroviaires jugées non rentables, l'obligation faite aux collectivités locales de mettre la main à la poche. La réouverture de la ligne Montbrison-Boën-sur-Lignon est à porter au crédit des collectivités territoriales.

Que dire des guichets qui voient leur amplitude horaire diminuer, quand ils ne ferment pas purement et simplement ?

La mobilité est le plus souvent subie. On a abaissé la vitesse maximale à 80 km/heure, parce que les ruraux ne sont pas à cinq minutes près, et maintenant on culpabilise ceux qui n'ont d'autre choix que d'utiliser leur voiture. On demande plus d'efforts fiscaux à ceux qui ont moins - je n'évoquerai pas un certain grand patron en garde à vue à des milliers de kilomètres. Tout cela est le résultat de la course à la métropolisation qui a vidé nos territoires de leur population.

Il faut plutôt aider les territoires ruraux à investir, accompagner l'innovation, l'ingénierie. C'est ainsi qu'ils pourront répondre aux besoins de ceux qui y vivent. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Nelly Tocqueville .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat. La ruralité, c'est une somme de problématiques plus complexes qu'il n'y paraît. Naguère essentiellement agricole, le monde rural reste un marqueur de notre identité. Ces territoires ne peuvent se satisfaire d'un discours condescendant alors qu'ils sont riches de potentiel, de créativité, d'énergie.

Les territoires ruraux sont un laboratoire de la démocratie locale. Élue pendant vingt-trois ans, dont dix-sept ans en tant que maire d'une commune de 900 habitants, je peux témoigner de la force des relations de proximité, des échanges avec toutes les composantes de la société. Personne ne reste sur le bord de la route dans ces espaces privilégiés de l'exercice démocratique, comme en témoigne la création de services d'aide à la personne.

Ces territoires sont des laboratoires d'innovation parfois très pointue, avec des acteurs économiques dont le rayonnement dépasse nos frontières. On y produit de nouvelles richesses tournées vers les énergies renouvelables ; ce sont des lieux propices aux initiatives écologiques et à l'économie sociale et solidaire.

Nous nous devons d'aider ceux qui consacrent leur énergie à les valoriser. Or une partie de ces territoires est confrontée à une accumulation de handicaps : retrait de l'État et des services publics, désertification médicale, disparition des commerces de proximité, faiblesse de la desserte ferroviaire...

Le Congrès des maires se fait l'écho de la désillusion d'élus qui se sentent délaissés. Comment croire à la télémédecine quand votre commune n'a pas le haut débit ?

Notre ruralité est certes belle et attire les visiteurs, mais elle ne doit pas devenir un musée à ciel ouvert. L'égalité des territoires est indispensable à l'équilibre national. Il ne peut y avoir de sous-territoire comme il n'y a pas de sous-citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) À la veille du débat budgétaire, j'espère un changement de perspective sur le monde rural. Selon le sociologue Jean Viard, la ruralité constitue « une société vivante en passe de proposer son propre modèle de développement économique et social qu'il faut impérativement identifier et accompagner ».

Aux termes de l'article 4 de la loi Montagne du 28 décembre 2016, la DGF et le FPIC doivent intégrer les surcoûts spécifiques induits par les conditions climatiques et géophysiques. Ce n'est pas respecté.

Les élus ruraux se battent avant tout pour préserver, conserver, lutter contre la centralisation. Ils ont envie d'un autre mode de développement, plus humain, s'appuyant sur l'expérimentation et l'innovation. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, nous attendons toujours le désenclavement de Digne-les-Bains. Nous n'avons plus le temps d'attendre la couverture mobile et le numérique. Les populations séduites par le rural partent, faute de réseau. Utilisons donc les pylônes existants ou les bornes 3G sans attendre une hypothétique 5G !

Nous demandons des assouplissements réglementaires pour l'ouverture de maisons de santé, les médecins retraités ou les stages en milieu rural.

Nous demandons la garantie de postes de CPE dans des collèges multi-sites.

Je plaide pour un contrat de services publics garantissant des services de base redéfinis, à moins de quinze minutes.

Les maisons de services au public doivent disposer de plus de moyens.

Il faut enfin un maillage du territoire plus cohérent. Les longues distances quotidiennes ne doivent plus être une fatalité. La ruralité a besoin d'infrastructures ; en retour, les élus ruraux sont prêts à innover, à expérimenter. Appuyez-vous sur eux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jean-Claude Luche .  - À chaque déplacement dans mon département de l'Aveyron, je dis à mes concitoyens : « Soyez fiers, très fiers d'être des ruraux ».

M. Raymond Vall.  - Bravo !

M. Jean-Claude Luche.  - Oui, la ruralité est une chance pour la France. C'est le fruit des générations qui ont oeuvré sur ces terres de France, victimes de moqueries, condamnées à un exode rural massif.

Mais la ruralité d'aujourd'hui est bien différente. Nous avons des entreprises innovantes et performantes. La qualité de vie à la campagne est incomparable, l'air y est pur, les produits sains ; les campagnes sont sécurisées et la vie de famille y est épanouissante.

Le principal défi est démographique. Nos départements ruraux vieillissent ; il faut des actions spécifiques pour compenser leurs handicaps, qu'il s'agisse du relief, de la météo ou de l'éloignement des services.

Une infrastructure a le même prix dans l'Aveyron qu'à Paris - mais pas le même coût puisque la fiscalité locale est plus élevée en province. Il est temps d'établir une vraie péréquation financière et de développer les services pour rendre la ruralité attractive. Les départements ruraux ne sont pas faits que pour accueillir les estivants ; on a le droit d'y vivre à l'année.

Aidez-nous à inventer un espace rural dynamique, attractif et plus jeune. Certaines mesures n'ont pas les mêmes effets dans la ruralité qu'à Paris. Je le redis, je suis très fier d'être rural : c'est une chance pour la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

M. Charles Guené .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le concept de ruralité fait les délices des géographes et des parlementaires. Aristote disait : « La nature a horreur du vide » ; un french bashing avant l'heure puisque la France a la diagonale du vide !

Abandonnée par les politiques publiques, elle devient le creuset d'idéologies qui inquiètent.

Sa définition est avant tout victimaire. La ruralité qui s'est conceptualisée est celle qui subit. Alors que la ville a assis son rôle politique, culturel et économique, la ruralité se cherche toujours un avenir. L'urbanité est un fait, la ruralité reste un souhait. Elle a ses atouts ; elle doit cesser de se définir comme un legs du passé pour s'inscrire dans le présent et se projeter dans l'avenir.

Pourquoi miser sur ces territoires perdus et vouloir y vivre ? Ils sont un enjeu vital dans la guerre des ressources qui se profile, des vecteurs de développement sur le temps long, à l'ère de l'immédiateté.

La ruralité du XXIe siècle sera interconnectée ou ne sera pas. Il n'y a plus d'Amérique à découvrir, mais l'avenir des pionniers se situera toujours dans les marges abandonnées ou inexploitées.

Pour cela, il faut d'abord renverser le paradigme dépassé de la fiscalité locale qui repose sur la territorialisation de la ressource et qui nous entraînera dans la spirale du déclin si nous ne dépassons pas un conformisme réducteur.

La loi de finances exceptionnelle prévue au printemps 2019 sera une chance à saisir, pour peu que nous sortions des sempiternels lieux communs pour appréhender les charges réelles et refonder une nouvelle gouvernance systémique.

Imaginons la cité rurale ! Ce n'est pas un destin mais un projet et un défi collectif ; la ruralité n'est ni une chance ni un boulet, mais l'avenir de notre pays, pour peu que nous tenions aux valeurs qui nous ont portés depuis le premier sacre de Reims, celles qu'une insidieuse société de consommation voudrait mettre à mal.

En brûlant les images d'Épinal pour libérer la ruralité, nous avons formulé 63 préconisations pour la cité rurale. Notre cité rurale vous propose un mode de réponse. Comme l'écrit le président Larcher, la ruralité française est un héritage à partager, qu'il nous appartient de faire vivre et de transmettre. La cité rurale y a sa place. Misons sur cette touche française que l'on nous envie, en y investissant. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La Nation se délitera, le pays se balkanisera si nous continuons de tout miser sur les métropoles. Quelle place donner aux ruralités françaises pour un vrai développement rural ?

La semaine dernière, le Gouvernement nous a soumis, par une voie curieuse, une proposition de loi créant l'ANCT. Mais le quoi et le pourquoi restent inconnus, les travaux du préfet Morvan n'ayant pas été exploités pour lancer un vaste débat national sur le rôle des ruralités.

Dans la ruralité comme ailleurs, c'est l'économie qui fait la vitalité du territoire. Or on a atteint l'autosuffisance alimentaire en sacrifiant le revenu des agriculteurs et la démographie des territoires. Le darwinisme territorial et social n'est pas une option.

Le président de la République, devant le Congrès, a prôné une présence renforcée de l'État dans les territoires et un rééquilibrage des territoires par l'installation accompagnée d'activités économiques. Or sur le terrain, nous constatons l'inverse.

La loi sur les mobilités devra apporter des réponses concrètes aux ruraux, captifs de la voiture. Les voies rapides et le rail sont déterminants pour le développement.

Monsieur le ministre, quelle est votre conception de la justice spatiale ? Quelle est votre définition de la cohésion territoriale, et sur quels critères ? Quelle solidarité entre territoires aux dynamiques très dissemblables ? Quel rôle pour l'État dans la décentralisation ? Souscrivez-vous aux propositions du rapport Morvan ? Quelle stratégie, quel calendrier ? Quelle implication des élus et des citoyens ?

Les élus ont besoin de respect, de stabilité, de moyens financiers. Monsieur le ministre, soumettez-nous donc un projet de loi de programmation visant à la reconnaissance et au développement des ruralités françaises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur plusieurs bancs des groupes RDSE et Les Républicains)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) À l'heure du Congrès des maires, je les salue, et tout particulièrement - petit chauvinisme - les Hauts-Pyrénéens présents en tribune. (Applaudissements)

Pour 81 % des Français, la vie à la campagne est le mode de vie idéal, selon une enquête de l'IFOP. La ruralité française attire encore, notamment les cadres, elle se développe. Elle est le terreau fertile des valeurs, des traditions, des savoir-faire qui ont forgé notre image. La France, ce n'est pas que la tour Eiffel : c'est aussi la gastronomie, le patrimoine et les paysages variés de nos 36 000 communes.

Il faut traduire cela par des politiques de cohésion territoriale, alors que l'on a trop longtemps privilégié sur les métropoles, avec à la clé concentration des pouvoirs et raréfaction des services publics.

Dans mon département, nous avons dû nous battre pour garder nos médecins, nos écoles, nos trésoreries. Dans les territoires ruraux, la commune reste le dernier service public accessible. La loi NOTRe a imposé la logique du nombre et les intercommunalités à marche forcée. Elle a modifié l'organisation et concentré encore les compétences.

L'aménagement du territoire doit faire des espaces ruraux des lieux de vie et de travail attractifs, notamment grâce au télétravail et à une offre riche de culture, de santé et de services.

C'est l'idée que nous nous faisons de la France, indivisible et riche de sa diversité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Vivette Lopez .  - J'ai voulu intervenir parce que je m'interroge sur cet intitulé. Se demande-t-on si la médecine ou la justice sont une chance pour notre société ? Si le soleil brille ? En tout cas, il brille sur nos campagnes, creuset de notre identité et de nos valeurs, où notre pays plonge ses racines.

La ruralité a toujours existé, dans tous les pays du monde. Elle attire retraités mais aussi entrepreneurs à la recherche d'une meilleure qualité de vie, des nouveaux talents qui donnent un nouveau souffle à nos territoires. Les citadins, à la recherche de leurs racines ancestrales, soignent l'habitat rural, car la ruralité est aussi un refuge contre le tumulte du monde.

Pourquoi la mettre en compétition avec l'urbain ? Chacun apporte quelque chose à l'autre. Ce n'est pas la richesse ou le paraître qui compte, mais la taille de notre coeur. Les gens de la périphérie ne baissent pas la tête ; avec peu de moyens, ils font preuve d'ingéniosité et de créativité. Faut-il rappeler que nombre de personnalités illustres viennent de la campagne ? La ruralité, comme l'outre-mer, est une niche de pépites, une ouverture sur l'horizon.

Les communes rurales participent au dynamisme économique. Rien n'est perdu si l'on actionne les bons leviers ! Les acteurs ruraux ont besoin d'un coup de pouce : allégements de charges, simplification de normes. Cessons de vouloir laver plus blanc que blanc, donnons de l'oxygène à nos campagnes !

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Vivette Lopez.  - Les territoires ruraux ne sont pas un repaire de rats des champs devant muter en rats des villes pour survivre. Ils ne demandent pas l'aumône.

Soyons fiers de la ruralité et respectons-là. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

Mme Noëlle Rauscent .  - Représentant près de 80 % du territoire et 20 % des habitants, notre territoire rural est un atout pour la France. Diversité des paysages, patrimoine culturel contribuent à la qualité de vie : 80 % des Français rêvent de vivre à la campagne.

Soucieux de l'environnement et conscients de leur potentiel économique, nos agriculteurs façonnent nos paysages et font rayonner nos produits à travers le monde. Selon les derniers recensements, le mouvement de migration s'inverse progressivement, grossissant de nombreuses communes rurales. Depuis quelques décennies, nous observons ainsi un regain d'appétence pour nos territoires ruraux.

Offre de santé, proximité, mobilité sont des conditions essentielles au développement de la ruralité. Le numérique est, lui, crucial. Le président de la République veut déployer le haut débit sur tout le territoire en 2020, le très haut débit en 2022. C'est en résorbant la fracture numérique que l'on redynamisera nos campagnes. L'accès au numérique, c'est l'accès aux opportunités, dit M. Mahjoubi. La numérisation des relations de travail amplifie un exode urbain qui désengorgera nos villes. Mais il faut pour cela résorber les zones blanches.

Monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte-t-il tenir la promesse de résorber la fracture numérique ? En parallèle, accompagnera-t-il, y compris financièrement, l'implantation d'entreprises en milieu rural ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Je remercie le groupe RDSE et son président de cette initiative bienvenue sur la ruralité. Veuillez excuser Mme Gourault et M. Lecornu, retenus par un rendez-vous avec le président de la République, le Premier ministre et le bureau de l'AMF - personne n'ignore que se tient en ce moment-même le Congrès des maires.

L'attachement aux territoires ruraux, le Gouvernement le partage, je le partage pour en avoir été durant dix ans un élu. Du reste, mieux vaut parler des ruralités que de ruralité car ces territoires ne forment pas un bloc uniforme. Un tiers de la population y habite, la croissance démographique y est plus rapide que dans les centres urbains ; preuve que la France aime ces territoires, veut y vivre et y travailler.

Paradoxe, nos concitoyens plébiscitent les ruralités et, dans le même temps, le terme est connoté négativement dans le débat public : c'est la France périphérique, forcément victime de la mondialisation et de la métropolisation. Nous devons refuser collectivement ce discours défaitiste, sans nier les difficultés persistantes que rencontrent certains de ses territoires ; ceux qui ont perdu plus d'un quart de leurs emplois, où la démographie chute, où les commerces et les services ferment.

Oui, il y a un vrai sentiment d'abandon. C'est pourquoi le Gouvernement s'est mobilisé en faveur des territoires ruraux depuis 18 mois. Dans le budget pour 2019, sont prévus une hausse de 400 millions d'euros de la DETR, le maintien au niveau des années précédentes de la DSIL - qui devait être exceptionnelle pour compenser la baisse des dotations, le renforcement de la péréquation pour soutenir les plus fragiles avec une dotation de solidarité rurale en augmentation de 90 millions d'euros.

Cependant, l'accompagnement financier ne suffit pas. Le programme Action Coeur de ville, 5 milliards d'euros sur 5 ans, est consacré à ces fameuses « cités rurales », avec lesquelles les territoires ruraux vivent en symbiose, et je salue Jacques Mézard qui en est à l'initiative. Soutenir les territoires ruraux, c'est aussi garantir la présence de services publics, d'où le projet des maisons de service au public. Le principe qui guide la réforme de l'Etat territorial, que le Premier ministre dévoilera bientôt, c'est celui de l'État de proximité.

La démographie médicale est un sujet auquel le Gouvernement s'attaque avec courage : fin du numerus clausus, prime pour les stages de médecine dans les zones faiblement dotées, déploiement de 400 médecins salariés dans les déserts médicaux, renforcement des hôpitaux de proximité, accélération des maisons de santé pluridisciplinaires, remboursement de la télémédecine pour tous, déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé d'ici 2022.

Le service public, c'est aussi l'Éducation nationale. La création de 400 postes en 2 ans dans les 45 départements les moins denses permettra de renforcer l'encadrement des élèves, notamment dans les territoires les plus ruraux.

Au-delà, nous voulons recréer des liens entre les territoires. Vous avez eu vent des annonces de la ministre des transports sur les infrastructures routières. Vous savez aussi l'existence du plan Très haut débit ; le Gouvernement n'accepte pas que des pans entiers de notre pays restent en zone blanche.

Je pourrai citer bien d'autres actions. Le programme Territoires d'industrie qu'annoncera demain le Premier ministre, la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires - le texte est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale à la mi-février, l'agenda rural auquel le Gouvernement travaille avec l'AMF.

La ruralité est une chance pour la France mais aussi une nécessité. Les territoires ruraux peuvent répondre aux besoins croissants et nouveaux de notre société sur les questions alimentaire, énergétique et foncière.

Arrêtons la culture nostalgique et stérilisante. Je ne crois pas en l'opposition des territoires ruraux et urbains, mais en leur complémentarité. Développons cette France ambitieuse et innovante qui s'inscrit dans les transformations écologique, démographique et économique que connaît notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe UC ; MM. Jacques Mézard et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

La séance est suspendue quelques instants.