Paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs

Discussion générale

M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution .  - Cette proposition de résolution a été élaborée par MM. Cabanel, Tissot et moi-même.

À l'heure où je parle, des tracteurs ont pris place devant la préfecture du Gers à Auch. Les agriculteurs y protestent contre la redevance pour pollution diffuse.

Les agriculteurs ne portent pas de gilets jaunes, mais ils veulent, eux aussi, vivre dignement de leur travail. Ils en ont assez des apitoiements. Ils veulent des prix, pas des primes. Nous devons leur proposer une réponse.

Notre agriculture est à un tournant de notre histoire, ce qui rend le métier d'agriculteur toujours plus difficile : aux contraintes climatiques, économiques et conjoncturelles s'ajoute l'agri-bashing. Vous dites, monsieur le ministre, que ça suffit et nous sommes bien d'accord. Il faut expliquer aux consommateurs que le rôle des agriculteurs ne se limite pas au seul acte de produire. Il ne s'agit pas de stigmatiser les agriculteurs, mais au contraire de reconnaître les effets bénéfiques de leur travail sur la société.

Les orientations de la Commission européenne pour la future PAC nous engagent à proposer des pistes au Gouvernement. Les paiements pour services environnementaux (PSE) sont un outil intéressant. Mais mettons-nous d'accord sur les mots : nous parlons des externalités positives de l'agriculture sur les écosystèmes engendrés par les pratiques agricoles adaptées qui améliorent la santé et l'efficacité agronomiques et environnementales des écosystèmes.

Il ne s'agit pas de compenser des surcoûts ou des manques à gagner, mais de rémunérer des pratiques qui apportent une plus-value environnementale ou climatique. Dans les années 1990, la société Perrier-Vittel a contractualisé avec les agriculteurs pour protéger ses sources.

Dans le Gers, un producteur de pop-corn bio a fait de même. Les PSE permettraient de valoriser le rôle des agriculteurs pour l'aménagement du territoire et l'entretien des paysages.

Le pastoralisme doit se rémunérer sur son activité économique propre. Mais il faut aussi valoriser les services qu'il rend pour la protection contre les incendies, les glissements de terrain, par exemple. Les PSE permettraient de reconnaître ce que le pastoralisme apporte à l'intérêt général. Souvent, les incendies en Corse résultent de l'abandon de zones autrefois exploitées. Le bilan carbone de la disparition des prairies ne sera pas positif.

Rappelons ici quelques principes : on doit toujours partir des marchés et des attentes des consommateurs. Les PSE doivent conforter le développement des territoires au plan économique, social et environnemental. Les PSE doivent être pensés avec les professionnels et toutes les parties prenantes dans le cadre de projets territoriaux. Il faut conditionner les PSE à une activité agricole productive : pas de paiement pour service environnemental sans agriculture. Pas de mise sous cloche de territoires agraires.

Les PSE ne doivent pas faire l'objet de cadre réglementaire rigide : il ne faut pas ajouter des normes aux normes ; soyons souples et adaptables. Les PSE ne doivent pas se substituer aux aides PAC qui, très probablement, vont baisser. Ils doivent venir en plus, sans toucher au premier pilier. Le ministre de l'agriculture nous le dira certainement. En 2019, des guides pratiques seront mis à disposition sur ces sujets.

La reconnaissance de la valeur environnementale liée aux pratiques culturales n'est pas possible dans le cadre de l'OMC. Pour nous, les PSE devraient être traitées à l'aune des engagements de la conférence des parties et déboucher sur des classements OMC de type boites vertes. Pour nous, les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les paiements pour services environnementaux sont complémentaires.

La Commission européenne ouvre la voie au financement des paiements pour services environnementaux au sein du premier pilier. Nous sommes réservés sur ce point, d'autant que les aides directes vont diminuer. Tant que la question des prix producteurs ne sera pas réglée et tant que les paiements directs seront indispensables, les PSE ne pourront s'y substituer et ils devront être financés sur des fonds environnementaux spécifiques. N'attendons pas les décisions européennes pour expérimenter.

Améliorer la vie des agriculteurs tout en agissant pour l'environnement, voilà ce que permettent les paiements pour services environnementaux.

Nous devrons nous prononcer sur cette résolution, et non sur d'autres sujets. Nous souhaitons que le Gouvernement s'engage dans cette direction dans l'intérêt des agriculteurs français. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Bruno Sido et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) En écoutant M. Montaugé et en lisant cette proposition de résolution, certaines idées peuvent paraître séduisantes... mais aussi dangereuses pour notre agriculture.

Il faut cesser de stigmatiser car cela ne fait que monter les uns contre les autres, créer une réelle psychose chez nos agriculteurs, dont certains commettent l'irréparable. Nos agriculteurs travaillent plus de 70 heures par semaine et, pour les éleveurs, sept jours sur sept dans une société qui perd le sens de la valeur travail.

On qualifie les agriculteurs de chasseurs de primes, de pollueurs ou d'empoisonneurs. L'agri-bashing fait rage, poussé par une démagogie verte. Cela passe par des totems qu'il faudrait abattre, telle l'interdiction du glyphosate sans étude préalable ni méthode alternative efficace. Cette démagogie n'est plus tenable. Le classement par une ONG de soi-disant fermes usines est une insulte de plus au modèle agricole français. Notre modèle soutien l'installation des agriculteurs et les fermes familiales.

Cette démagogie n'est plus tenable. Or cette proposition de résolution pourrait souffler sur les braises. Pourquoi reconnaître que l'agriculture rend des services environnementaux alors qu'elle le fait déjà ? L'agriculture mondiale émet un tiers des gaz à effet de serre mais la France occupe depuis trois ans la première place du classement des systèmes alimentaires les plus durables au monde. Nous sommes déjà exemplaires. Pourquoi ponctionner le premier pilier de la PAC par des aides agro-écolo-bobos-environnementales ?

M. Franck Montaugé.  - Je ne le demande pas !

M. Laurent Duplomb.  - Pourquoi vouloir toujours laver plus vert que vert avant même les négociations sur la PAC ? Cela nous mènerait à accepter la subsidiarité, ce qui mènerait la PAC à être de moins en moins commune et cela accroîtrait l'écart de compétitivité entre notre agriculture et celle des autres pays européens. Pourquoi vouloir donner l'exemple alors que nous sommes déjà exemplaires ? Je vois l'origine de ce texte chez les éternels insatisfaits qui ne reconnaissent pas les progrès de notre agriculture.

Méfions-nous, l'indépendance alimentaire de la France n'est pas acquise. Nous laissons des produits étrangers, qui ne respectent pas nos normes de production, nous envahir.

J'en appelle à la responsabilité et au bon sens de tous : laissons enfin cette profession que j'aime tranquille. Cessons de lui demander de courir un cent mètres avec un boulet au pied. Je suis agriculteur et pas jardinier de la nature. Je ne voterai pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Bruno Sido.  - Je ne suis pas d'accord !

Mme Patricia Schillinger .  - Cette proposition de résolution tient compte du contexte mouvant que subissent chaque jour nos agriculteurs ainsi que la nécessité de trouver de nouveaux outils pour protéger l'environnement. Les paiements pour services environnementaux rémunéreraient les externalités positives de notre agriculture : séquestration du CO2, entretien de l'environnement et lutte contre les maladies. Nous soutenons cette proposition de résolution et nous défendons une vision plus large des externalités positives, comme la création d'emplois et l'attractivité des espaces ruraux.

Nous devons relever les défis actuels d'adaptation aux nouvelles attentes sociétales, et mieux prendre en compte les externalités positives d'une agriculture capable de rémunérer correctement les agriculteurs.

La PAC montre ses limites : malgré un soutien moyen de plus de 30 000 euros par agriculteur, la pauvreté dans cette profession est endémique. Quelque 30 % des exploitants gagnaient moins de 350 euros par mois en 2016 selon la MSA.

Cependant, en mars 2018, la Cour des comptes européenne a conclu que le système de paiement de base fonctionne mais que son impact est insuffisant. En juin, le Sénat a adopté une résolution européenne en faveur d'une PAC forte. Cette résolution rappelle l'importance de valoriser les externalités positives de l'agriculture. Pourtant, la Commission européenne prévoit de réduire les crédits alloués à la PAC. Le ministère de l'agriculture s'est engagé à défendre sans relâche un budget de la PAC capable de répondre aux défis d'aujourd'hui. Tout nous pousse vers un nouveau modèle économique, social et environnemental. La transition écologique du monde agricole doit être encouragée.

Notre groupe regarde avec bienveillance cette proposition de résolution ; nous voterons pour, même si nous considérons qu'elle pourrait aller plus loin. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et SOCR)

Mme Cécile Cukierman .  - La nécessité d'une transition agro-environnementale est de plus en plus évidente, et il en fut largement question lors des états généraux de l'alimentation. La sécurité alimentaire, la santé publique, le bien-être animal, la préservation des ressources en eau sont autant de défis pour l'agriculture. Mais cela nécessite des moyens.

Que propose cette proposition de résolution ? Elle invite, comme au Costa-Rica, les grandes entreprises agro-alimentaires, à mettre en oeuvre le zéro-déforestation ; elle propose de mettre en place des paiements pour services environnementaux. Cela part d'une très bonne intention. Mais il existe déjà un mécanisme de cet ordre en France, à savoir les MAEC. L'agriculteur s'engage à respecter des pratiques environnementales précises, allant au-delà de la règlementation : en contrepartie, l'administration lui verse une rémunération couvrant les coûts supplémentaires. Selon la proposition de résolution, il ne s'agirait pas de compenser les surcoûts mais de rémunérer une pratique environnementale. L'idée des PSE est séduisante.

Cela pose la question d'un réel accompagnement des agriculteurs dans la transition vers l'agro-écologie. Comment éviter les effets d'aubaine, l'éco-opportunisme et le chantage environnemental en mode « si vous ne me payez pas, je détruis tout » ?

La généralisation des paiements pour services environnementaux pourrait entraîner la fin des pratiques vertueuses généreuses et désintéressées.

La contractualisation pourrait affaiblir les normes législatives.

Il ne faut pas non plus réduire l'objectif des interventions publiques au seul environnement. Les crises agricoles ne seraient alors plus prises en compte.

La majorité du groupe CRCE s'abstiendra sur cette proposition de résolution qui risque d'exclure nombre d'agriculteurs. Le passage d'un modèle intensif à un modèle vertueux doit être défendu, mais pas par cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Claude Tissot .  - Pour être rentable, une exploitation agricole doit-elle nécessairement avoir un impact environnemental négatif ? Non.

Cette proposition de résolution reconnaît les effets positifs de l'agriculture qui est trop souvent présentée négativement dans les médias : maltraitance animale, pesticide, scandales alimentaires...

C'est l'opinion publique qui nous pousse à transformer notre modèle agricole. Celui-ci, construit après-guerre, visait à produire suffisamment pour nourrir la société du baby-boom. Nous devons à présent répondre à une exigence qualitative et pas uniquement quantitative et refuser une agriculture à deux vitesses.

De nombreux agriculteurs n'ont pas attendu le législateur pour améliorer leurs modes de production, mais leurs actions positives sont trop peu visibles.

Au-delà d'une juste et nécessaire reconnaissance symbolique, les agriculteurs qui font des efforts attendent une rémunération correcte.

Les agriculteurs ne peuvent plus faire face au dilemme entre utiliser des produits nocifs et tirer le diable par la queue, d'autant que l'un n'empêche pas l'autre. Pour modifier les pratiques, il faut valoriser les comportements vertueux pour l'environnement, d'autant que les coûts de la conversion sont élevés. Les mesures agro-environnementales vont dans le bon sens mais restent insuffisantes.

La France, grand pays agricole en Europe, pèse dans la négociation de la PAC, qui sera d'ailleurs impactée par le Brexit. Les paiements pour services environnementaux doivent concilier nombre d'impératifs : rotation des cultures, travail du sol, produits de qualité...

Il est de notre devoir de tout faire pour rendre le modèle de demain possible. Le paiement pour services environnementaux serait un bon outil. Il faut dépasser la couleur politique des auteurs de la proposition de résolution. Comme M. Duplomb, je suis agriculteur et pas jardinier de la nature, et c'est pour cela que je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Joël Labbé .  - Merci au groupe socialiste pour cette proposition de résolution. Les paiements pour services environnementaux suscitent de fortes attentes chez les agriculteurs et les associations qui ont des doutes sur les engagements du président de la République, à l'échelon européen comme national. La fin du cofinancement de l'aide au maintien en agriculture bio, qui était une forme de PSE, a envoyé un très mauvais signal.

L'enveloppe de 150 millions d'euros sur trois ans aux agences de l'eau est très insuffisante. Si la France veut être un exemple européen, elle doit encourager les bonnes pratiques sur son sol et mettre en oeuvre une politique ambitieuse. La modification de notre modèle agricole est urgente, à l'heure du dérèglement climatique, de l'effondrement de la biodiversité, des atteintes à la qualité de l'eau, de l'air, des sols, mais aussi de la crise des revenus agricoles.

Les paiements pour services environnementaux peuvent et doivent constituer la base d'un nouveau contrat pour réorienter notre modèle agricole. Il faut cependant mettre un contenu précis derrière ce concept, dont la définition n'est pas stabilisée.

J'ai co-organisé une rencontre au Sénat la semaine dernière avec le collectif « Pour une autre PAC » qui rassemble 33 organisations agricoles, syndicales, associations environnementales, internationales et de citoyens consommateurs. Leur demande sur les paiements pour services environnementaux va plus loin que la proposition de résolution. Les PSE doivent rémunérer des pratiques concrètes dont l'effet positif sur l'environnement est avéré : ils ne doivent pas se limiter aux externalités négatives.

Cette proposition de résolution reste incomplète. Elle ne s'engage pas sur le financement. Or il faudrait y consacrer 40 % du premier pilier de la PAC. Des pistes plus concrètes auraient pu être inscrites, telles que le captage de carbone, haies bocagères, agroforesteries, maintien d'un couvert végétal permanent. (M. le ministre approuve.)

Les pratiques favorables au bien-être animal pourraient aussi être incluses.

Les contrôles PAC sont source d'angoisse pour les agriculteurs. Monsieur le ministre, nombre d'aides PAC n'ont pas encore été payées, notamment les aides bio et lait MAEC.

Rappelons l'idée de Nicolas Hulot - que l'on n'a pas tout à fait oublié - : pour réussir une politique aboutie, il est nécessaire que la PAC soit copilotée par les ministères de l'agriculture et de la transition écologique. Je voterai cette proposition de résolution, mais les membres du groupe RDSE, où règle la liberté de vote, ce qui est très respectable, se prononceront en fonction de nos échanges. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Pierre Louault .  - Le constat de départ fait consensus tant les difficultés de l'agriculture française sont importantes. Des agriculteurs à qui je parlais récemment de cette proposition de résolution m'ont ri au nez. Ils m'ont dit qu'il existait déjà des mesures proches depuis des années et qu'aujourd'hui tous ceux qui faisaient des efforts en faveur de l'environnemental n'avaient toujours pas perçu les aides qu'ils devaient recevoir de l'Union européenne et de l'État. Ils m'ont dit que nous avions vraiment du temps à perdre et que nous nous moquions un peu d'eux... Alors qu'ils ont réduit de 50 % la quantité d'intrants, ils attendent depuis deux ans d'être payés et n'ont aucune reconnaissance de la Nation. Certes, cette proposition de résolution est louable, mais avant, reconnaissons les efforts énormes des agriculteurs qui ne donnent pas de leçon depuis leur salon.

Les agriculteurs n'attendent pas une énième loi ou une énième résolution - surtout si elle engendre une complexité qui fait buguer les ordinateurs du ministère de l'Agriculture !

Prenons le temps d'écouter les agriculteurs qui font des efforts, ont acquis des compétences environnementales. Certains disent que d'ici cinq à dix ans, on n'aura plus besoin de pesticides, mais d'ici là, supprimer le glyphosate serait comme supprimer le cuivre ou la chaux en agriculture bio.

Pour Robuchon, le summum de la cuisine, c'est la simplicité du plat. Pour la réglementation environnementale, c'est pareil. Je regrette qu'on s'acharne à complexifier des lois.

Les agriculteurs ont besoin de mesures rapides et efficaces pour leur permettre de gagner leur vie. Tout le reste est perçu comme une provocation. Ils veulent des mesures environnementales européennes qui ne les pénalisent pas.

On ne peut pas avoir la chèvre et le chou dans le même parc. Il faut écouter les agriculteurs comme les scientifiques. Les chercheurs de l'INRA nous disent que nos méthodes sur le loup sont folles. À l'étranger, les loups - en nombre raisonnable - peuvent vivre en même temps que l'agropastoralisme ! Mais, en France, on ne sait pas faire car on imagine qu'il suffit de légiférer pour que tout aille bien.

Je vous propose d'attendre. Cette proposition de résolution arrive trop tôt. Je proposerai au groupe UC de ne pas la voter. Ne sacrifions pas l'agriculture française sur l'autel de l'idéologie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Pierre Decool .  - L'agriculture de demain devra répondre à des défis majeurs : une demande alimentaire accrue et plus diversifiée, une concurrence internationale plus rude, un contexte international instable, une révision de la PAC et une nécessaire préservation des territoires et des ressources naturelles.

Il nous faudra être plus que jamais innovants sur les réponses à apporter aux attentes de notre société et pour soutenir nos agriculteurs.

Cette proposition de résolution pose une question fondamentale sur l'avenir de notre agriculture. La création de PSE semble aller dans le bon sens. Les agriculteurs sont les premiers utilisateurs des territoires et ils jouent un rôle fondamental dans la préservation de notre paysage et de la biodiversité.

Leurs externalités positives sont trop rarement rémunérées et mises en valeur. L'activité agricole influe directement sur la biodiversité, les sols et la ressource en eau. Il est fondamental de le faire reconnaître.

Parmi les territoires agricoles les plus intéressants en termes de biodiversité, je voudrais évoquer les zones humides : les marais littoraux, les vallées alluviales, les zones humides intérieures et les tourbières.

Signataire de la Convention de Ramsar en 1971, la France a ratifié ce traité en 1986 : il a pour mission la conservation et l'utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales.

À ce jour, 48 sites s'étendent en France sur une superficie de plus de 3,6 millions d'hectares, en métropole et en outre-mer. Ces milieux abritent près de 45 % des espèces menacées en France métropolitaine. Et pourtant, malgré plusieurs plans nationaux successifs, leur disparition et leur dégradation se poursuivent.

J'ai dans ma région plusieurs sites Ramsar, le marais audomarois est l'un d'entre eux et c'est un atout. Il est le témoin d'un équilibre réussi mais fragile entre la nature et les activités humaines. Actuellement, les aides octroyées pour les zones humides ne diffèrent que très peu des aides classiques appliquées à l'échelon national et sont loin d'être suffisantes pour prendre en compte les spécificités de cette activité agricole et ses bénéfices pour la société.

Ces milieux de transition sont au coeur des efforts que nous devons fournir pour lutter contre le réchauffement climatique. Nous devons faire des efforts pour la santé de nos concitoyens.

Créer des PSE pour toutes ces zones, dont les polders, serait reconnaître leur plus-value et le travail quotidien de ceux qui les préservent, les agriculteurs. Cela s'inscrit parfaitement dans la ligne de la mission confiée par le Premier ministre à Jérôme Bignon sur les zones humides, dont les conclusions sont très attendues.

Le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de résolution qui vise à dégager de nouvelles sources de revenu pour nos agriculteurs tout en préservant l'environnement et les ressources naturelles. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE et Les Indépendants)

Mme Anne-Marie Bertrand .  - Victimes du changement climatique, nos agriculteurs n'ont pas attendu l'État ou l'Union européenne pour se soucier de leur terre, leur passion.

En région méditerranéenne, la gestion pastorale des milieux embroussaillés est précieuse pour lutter contre les départs de feu. Autre exemple ; l'irrigation traditionnelle grâce à l'eau du Rhône ou de la Durance, avec le système d'irrigation gravitaire ou par submersion, préserve les nappes phréatiques. Nos initiatives portent leurs fruits au nom du bon sens paysan.

Le département des Bouches-du-Rhône est le premier en matière d'agriculture bio.

Cette résolution part sans doute d'une bonne intention, mais quand on me demande d'habiller Paul, je me demande qui sera Pierre...

M. Franck Montaugé.  - Ce n'est pas du tout ça !

Mme Anne-Marie Bertrand.  - Veillons à ne pas créer d'usines à gaz, soyons pragmatiques. Nos agriculteurs ne veulent pas d'aides, ils veulent vivre de leur travail et préserver les ressources qui sont leur matière première.

Marchandiser les services environnementaux pose aussi des questions philosophiques. Faut-il comprendre que par défaut, un agriculteur ne souhaite pas protéger l'environnement ?

M. Claude Bérit-Débat..  - N'importe quoi !

Mme Anne-Marie Bertrand.  - Sur le « comment », cela pose la question des marchés publics. Quels critères pour établir le juste prix ? Quel contrôle ? Quid des aléas climatiques ? Les externalités positives doivent être la norme. Sanctionnons plutôt les externalités négatives et concentrons nos moyens sur la recherche et l'innovation.

Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, ne faisons pas de notre droit un enfer pour les agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; on se récrie sur les bancs du groupe SOCR.)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Autour de Montpellier, un automobiliste sur dix avait un gilet jaune. À Béziers, ils étaient neuf sur dix... Il faut mesurer l'écart entre l'urbain et sa périphérie paupérisée, abandonnée, comprendre la mutation de nos villages ruraux en villages dortoirs, où l'extrême droite progresse le plus. Les enjeux sont sociaux, économiques, environnementaux et évidemment politiques.

C'est pourquoi je prône une vraie complémentarité entre l'urbain et le rural et pas seulement de bonnes intentions teintées de condescendance.

Au-delà des réponses fiscales et sociales, il faut concentrer les efforts sur les zones périphériques. Cela passera par une prise de conscience, par les urbains, de la plus-value des territoires ruraux pour l'environnement.

Les PSE sont un outil utile, né dans les années 90 mais jamais développé. Trop tôt, sans doute, monsieur Louault, mais cela fait tout de même trente ans !

Changement climatique, instabilité des revenus, crise des vocations, sur fond d'agri-bashing intolérable : si les enjeux de l'agriculture durable sont devenus évidents, les modalités restent complexes.

L'étude menée en septembre 2017 par le centre d'études et de prospectives sur les mesures agrienvironnementales définit le PSE comme « la fourniture additionnelle de services environnementaux à travers des paiements conditionnels à des fournisseurs volontaires ». Une contribution volontaire, et non obligatoire, monsieur Duplomb !

Depuis 2017, silence radio. Des questions restent en suspens : ciblage, critères de paiement, montants, évaluation... Les difficultés sont autant techniques que politiques.

Les PSE changent le paradigme de l'évaluation : l'obligation de moyens des MAEC devient obligation de résultat. D'où le volontariat. Il n'est pas question d'ajouter normes ou contraintes. Les PSE reposent sur un degré d'acceptabilité essentiel. Il faudra identifier le coût d'opportunité pour l'agriculteur, cibler les mesures, définir l'échelle, les parties prenantes, le taux de paiement incitatif...

J'espère que les sceptiques comprendront notre volonté d'apporter un revenu complémentaire aux agriculteurs vertueux pour les soutenir.

L'environnement dont la société bénéficie collectivement à un prix. Les bergers ouvrent les chemins, préviennent les incendies... À l'État de mettre en oeuvre un cadre incitatif et des mesures concrètes pour développer les PSE dans les territoires. Beaucoup d'agriculteurs y sont prêts. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Vincent Segouin .  - Cette proposition de résolution crée des paiements pour services rendus par les agriculteurs, complémentaires aux MAEC mises en place en 2015. Celles-ci ont été créées et financées par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) pour développer de nouvelles pratiques agricoles, préserver la qualité de l'eau, la biodiversité, les sols et lutter contre les changements climatiques.

Il en existe plusieurs types : MAEC grandes cultures, MAEC des surfaces pastorales, MAEC polyculture-élevage, MAEC pour l'aide à la conversion ou au maintien de l'agriculture biologique.

Assorties d'une obligation de résultat, elles ont été comprises par les agriculteurs car elles favorisent une agriculture raisonnée. Trop bien comprises ! À force de signer des chèques en blanc, le fonds a été rapidement épuisé et les aides sont versées avec trois ans de retard ! Les contrôles se sont faits plus réguliers et plus sévères. L'État, par le biais de la MSA, reprochait à l'agriculteur de ne pas payer ses factures à temps, avec majorations à la clé, alors que celui-ci attendait de l'État les aides promises !

Pourquoi une nouvelle aide, dès lors ? Les PSE auraient une obligation de résultats ; les aides seraient proportionnelles aux bénéfices générés pour l'environnement. Cela peut se calculer pour la source de Vittel-Perrier, par exemple, mais quid des sources de nos communes qui ne font pas de profits ?

M. Henri Cabanel.  - Buvons l'eau de New York !

M. Vincent Segouin.  - Quid de l'entretien des territoires de montagne, si nous n'avons plus d'agriculteurs ?

Bref, cette disposition me paraît bien compliquée à mettre en place à l'échelle nationale de manière équitable. De plus, on peut craindre un changement de vocation des agriculteurs. Des exploitants pourraient réclamer aux communes, aux syndicats d'eau le remboursement de sommes aujourd'hui supportées par l'Europe.

Les agriculteurs ne veulent pas être des salariés de l'État mais vivre de leur production et avoir des exploitations rentables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Claude Bérit-Débat.  - Ils pourraient vivre mieux !

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR) C'est un grand jour : ce matin, le Conseil des ministres a validé les ordonnances qui assureront une meilleure répartition de la valeur agricole, l'encadrement des promotions dans les grandes surfaces... Espérons qu'après quinze ans de tentatives, nous arriverons enfin à ce que les agriculteurs vivent mieux de leur travail. Lutter contre l'agri-bashing, c'est aussi tenir un discours positif vis-à-vis des agriculteurs.

Je salue l'initiative de Franck Montaugé qui acte le lien entre agriculture et environnement. Les agriculteurs ont fait leur mue, ils sont en avance en matière de protection de l'environnement, vous l'avez tous signalé. Alors n'ayons pas peur, ne soyons pas frileux, traçons des perspectives dans un texte proactif.

Le Gouvernement est favorable à cette proposition de résolution qui correspond aux orientations de mon ministère : garantir un revenu décent aux agriculteurs, les protéger contre l'agri-bashing - c'est mon rôle - et réussir l'irréversible transition vers l'agroécologie. Les agriculteurs s'y sont tous engagés, certains en choisissant la voie du bio, d'autres en optant pour une agriculture raisonnée, en limitant les intrants ou la consommation d'eau... N'opposons pas les uns aux autres, tous vivent les pieds dans la terre, pas un seul ne souhaite la polluer !

Les PSE sont un outil innovant. Ce n'est pas une contrainte supplémentaire mais une incitation qui valorise certaines actions, en matière d'entretien du paysage par exemple. Les agriculteurs ne sont pas des jardiniers mais ils entretiennent nos prairies où les urbains aiment à se promener.

Il faut toutefois aller plus loin, accompagner et valoriser sans stigmatiser. Les PSE peuvent nous y aider, en garantissant un revenu plus juste aux professionnels. Les actions vertueuses peuvent être rémunérées tant par les politiques publiques que par le marché - le bio, par exemple, bénéficie des deux.

Oui sur le principe, donc, mais il faudra affiner la mise en oeuvre. Le colloque qui s'est tenu vendredi a fourni un certain nombre de pistes, et j'en remercie le sénateur Labbé. (Murmures à droite)

Certaines MAEC reposent sur une logique de résultat ; attention toutefois à ne pas généraliser cette logique, car les résultats en matière environnementale ne sont pas immédiats et sont complexes à évaluer.

Nous progressons sur le versement des aides au bio : pour 2016, 99 % des aides ont été payées à l'heure actuelle. Reste à verser 100 millions d'euros sur 9,2 milliards d'euros. Pour 2017, le chiffre est de 98 %, avec 150 millions restant à verser. C'est trop, l'État a été défaillant - mais on ne peut dire que les agriculteurs n'ont pas été payés. J'ai demandé que l'on hâte le pas.

Les PSE ne doivent pas être une usine à gaz. C'est pourquoi le travail doit se poursuivre pour les rendre fluides et simples à contrôler, autour d'indicateurs de résultats pertinents.

Nous agissons dans un cadre réglementaire contraint. La France soutient une PAC rénovée, simplifiée. Les 9 000 critères doivent être rationalisés. Or quand on veut simplifier, cela se transforme généralement en une simplification qui complexifie ! J'aurais besoin de votre soutien. L'architecture proposée dans la future PAC permettra de rémunérer les agriculteurs qui en ont besoin.

Vous avez parlé de l'éco-schéma ou éco-programme : il devra s'imposer à tous les États membres pour éviter les distorsions. Le dispositif devra permettre une rémunération sur une base incitative et forfaitaire. Cela exigera un budget PAC suffisant. La France se bat pour qu'il soit maintenu au niveau actuel.

Sans attendre, le Gouvernement a engagé en 2017 un recensement des dispositifs publics et privés de rémunération des services environnementaux en France et travaille à la rédaction de guides méthodologiques afin de sécuriser le cadre juridique des PSE.

Avec le plan Biodiversité présenté en juillet dernier, le Gouvernement s'est engagé à consacrer 150 millions d'euros d'ici 2021 aux services environnementaux. Monsieur Decool, les zones humides des wateringues peuvent entrer dans ce dispositif.

Le ministre de l'agriculture et le ministre de la transition énergétique travaillent conjointement, le Gouvernement est pleinement engagé pour développer ces démarches. Nous soutenons cette proposition de résolution, mais il faudra sans doute aller plus loin pour espérer un jour généraliser ces initiatives. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE, LaREM et Les Indépendants)

À la demande du groupe SOCR, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°40 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 131
Contre 197

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance suspendue à 18 h 5, reprend à 18 h 30.