Gratuité totale des transports : fausse bonne idée ou révolution écologique ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat : « la gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », à la demande de la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs.

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs .  - J'ai le plaisir de vous présenter les conclusions du rapport de notre mission d'information. Je remercie mon groupe, le CRCE, d'avoir demandé sa création, la présidente, Michèle Vullien, avec qui la relation de travail a été riche, franche et constructive, ainsi que les membres de la mission.

Le sujet de la gratuité des transports, popularisé par la métropole de Dunkerque, est de plus en plus présent dans le débat public, surtout avant les élections municipales. La consultation en ligne a reçu 10 500 réponses - un record -, et 47 heures d'auditions ont été menées.

Notre rapport a été conçu comme un outil d'aide à la décision. La gratuité des services publics est une question d'ordre philosophique, qui enflamme facilement les débats. On ne se pose plus la question de la gratuité de l'école publique, de l'accès aux soins essentiels ou de l'usage des routes nationales et départementales, mais la gratuité des équipements publics ou collectifs tels que les bibliothèques, les musées ou les transports collectifs fait débat.

Notre République doit-elle assurer un droit universel à la mobilité, comme elle assure un droit universel à l'éducation ou à la santé ? Vaste débat qui agite les passions et qui voit trop souvent s'affronter des positions de principe, voire des lieux communs, des idées reçues, que le premier objectif de ce rapport était de mettre à l'épreuve du réel. Non, la gratuité des transports n'entraîne pas une explosion des incivilités, et la suppression de la billettique et des contrôles ne suffit pas à compenser les pertes de recettes.

Notre première recommandation est donc de débattre des faits, des réalités, des chiffres. D'où l'état des lieux que nous brossons : en France, 29 communes ont mis en place cette gratuité. Les expériences françaises et internationales sont rares, les études encore plus. Celles-ci sont parcellaires, mais elles sont indispensables pour évaluer le bilan environnemental de la gratuité.

C'est pourquoi nous préconisons la mise en place d'un observatoire. Mais les études de l'Ademe sur Châteauroux, ainsi que celle réalisée par la ville de Dunkerque ont montré que la gratuité est une mesure sociale très efficace : elle a permis à des personnes en difficulté de voyager ; à Niort, la fréquentation des bus a grimpé de 23 %, à Dunkerque, c'est 80 %. La gratuité remplit donc son objectif d'égalité devant la mobilité. La révolution sociale n'est pas loin.

Mais dans des réseaux très fréquentés, comme ceux de la région capitale ou des grandes agglomérations, il y a un risque de saturation totale des réseaux, donc de baisse de la qualité du service. Améliorer le réseau serait un préalable à la gratuité, cela d'autant plus que l'entretien des réseaux ferrés est plus cher que celui des réseaux de bus.

La gratuité n'est pas une fin en soi mais un outil de politique publique parmi d'autres qui doit s'inscrire dans un projet urbain plus vaste. Ainsi, dans toutes les villes moyennes aux réseaux assez récents et aux centres-villes peu fréquentés, il s'agit d'une politique de revitalisation du centre-ville ; comme le montrent les exemples de Châteauroux, Dunkerque et Niort. C'est un objectif de politique globale. Cela pose la question du financement de l'accès aux transports.

M. Loïc Hervé.  - C'est la vraie question !

M. Guillaume Gontard.  - On pourrait taxer les Uber, les plateformes commerciales. Une seule disposition a été adoptée par la mission d'information : le retour à une TVA transport à 5,5 %.

Permettez-moi pour conclure des propos plus personnels.

La gratuité des transports relève d'un choix politique local. Le coût de fonctionnement des transports s'élève à 16 milliards d'euros, financé par les usagers et contribuables, soit l'équivalent de la somme payée pour les routes par les seuls contribuables. C'est un objectif que nous devons avoir à long terme, la gratuité partielle étant un premier pas.

Réfléchissons à l'étalement urbain, au zonage différencié. Pour établir un modèle économique résilient, appuyons-nous sur des projets locaux et des circuits courts, et assurons la réduction de la fracture territoriale et prévoyons la démobilité ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR ; M. Olivier Leonhardt applaudit également.)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État .  - J'excuse M. Djebbari, retenu à l'Assemblée nationale. Félicitations pour ce rapport. Je préfère parler de tarification plutôt que de gratuité, le coût étant forcément à arbitrer entre l'usager et le contribuable. Si l'usager ne paie pas, l'intégralité du coût repose sur le contribuable.

Votre travail met en exergue trois objectifs : le droit au transport pour tous, le report modal et la tarification.

Les moyens de les atteindre dépendent des élus locaux qui connaissent le mieux les besoins de leurs concitoyens. L'État n'a donc pas à décider à leur place. Le Gouvernement a bien l'intention dans ce domaine de respecter le principe de libre arbitre des collectivités territoriales.

La gratuité pour l'usager peut être une commune mesure sociale essentielle pour les plus fragiles, mais il existe aussi la tarification solidaire, alternative efficace et plus égalitaire. Ce choix a été retenu par la grande majorité des collectivités territoriales pour les étudiants notamment.

Pour les publics les plus fragiles, un accompagnement à la mobilité est nécessaire, selon ce qui ressortait des Assises. Un plan d'action de mobilité solidaire sera conduit, après l'adoption de la loi d'orientation des mobilités (LOM), sur tous les départements.

Le premier frein à la mobilité, plus que le coût, est l'absence d'une offre adéquate. Nous devons offrir des solutions de mobilités rapides, fréquentes et fiables. La tarification vient ensuite.

Il faut combiner l'amélioration de l'offre des transports et de sa qualité, et réduire l'usage de la voiture. Mais la gratuité permet aussi de fidéliser les usagers et de capter de nouveaux publics. Revers de la médaille, certains préfèrent les transports à la marche ou au vélo.

La perte de ressources pour la puissance publique résultant de la gratuité serait tangible. En effet, comme l'a montré l'étude récente du groupement des autorités organisatrices de transport (GART), « la gratuité n'existe pas dans l'absolu ». Ce qui n'est pas payé par l'usager sera financé par le contribuable et par les entreprises via le versement transport.

Or il n'y a pas de grandes entreprises partout. Ce n'est pas un hasard si, actuellement, les réseaux gratuits sont de taille modeste et leur fréquentation inférieure à la moyenne. Le modèle de la gratuité n'est en effet pas facilement applicable pour les grandes métropoles.

Ainsi, en Île-de-France, 36 % des coûts de fonctionnement, soit 3,36 milliards d'euros, sont couverts par la billetterie. De plus, la gratuité pourrait augmenter la saturation des transports aux heures de pointe.

Les exemples étrangers montrent parfois une remise en place de la tarification afin de financer et de développer l'offre. Le premier facteur d'exclusion est l'offre et non la tarification. Développons d'abord l'offre ! Tel est le sens de mon propos à l'orée de ce débat qui sera, j'en suis certaine, riche et constructif. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, M. Philippe Bonnecarrère et Mme Michèle Vullien applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi .  - Cette mission d'information, à l'initiative de notre groupe, voulait disposer de données précises sur les expériences de gratuité des transports mises en place dans un nombre croissant de collectivités, notamment sous l'impulsion d'élu(e)s de notre sensibilité.

Dans le contexte de problèmes climatiques, la gratuité est un outil de report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs et peut conditionner l'accès à d'autres droits. Il y a 48 000 morts à cause de la pollution par an.

Le rapport pointe les atouts d'une telle politique. Il faut des financements pour aider les collectivités territoriales. Nous proposons l'augmentation et la généralisation du versement transport. On nous oppose que cela pénaliserait les entreprises, mais une bonne mobilité favoriserait les entreprises et leurs clients.

Ce rapport propose aussi l'instauration d'un taux de TVA de 5,5 %. Quelle suite comptez-vous donner à cette proposition dans le cadre du prochain débat sur le budget ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Ce rapport permet en effet d'avancer, en tirant les premières leçons des expériences françaises et internationales. En 2017, 8,807 milliards d'euros ont été dédiés aux transports collectifs en province, dont 6,9 milliards d'euros, soit 78 %, au fonctionnement et 1,9 milliard d'euros à l'investissement.

Le versement transport des employeurs contribue à hauteur de 44 %, soit 3 ,87 milliards d'euros, l'État, à hauteur de 105 millions d'euros, les collectivités territoriales à hauteur de 2,83 milliards d'euros, soit 32 %, les usagers pour 1,38 milliard d'euros, soit 16 % ; à ces ressources propres s'ajoutent les emprunts à hauteur de 615 millions d'euros.

Les employeurs sont donc déjà suffisamment mis à contribution. La TVA à 5,5 % représenterait un manque à gagner de 805 millions d'euros pour l'État et cette possibilité n'est pas instruite. Le versement transport est déjà très significatif.

Mme Éliane Assassi.  - En revanche, le réseau routier est pris totalement en charge par le contribuable, à hauteur de 16 milliards d'euros, c'est bien plus que les 12,16 milliards d'euros que coûtent les transports publics urbains en 2018.

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Le rapport, de qualité, nous éclaire sur une politique publique très sensible. Plutôt que de répondre à court terme aux besoins des collectivités territoriales, la gratuité est une réponse de long terme et doit s'intégrer à une politique globale. Elle n'est applicable qu'à des collectivités territoriales moyennes.

Pour des communes plus grandes, ou des métropoles, une gratuité partielle peut être envisagée et dépend des conditions locales. Certaines collectivités ont créé une tarification solidaire.

La mise en place de solutions modulables nécessite des recettes. Outillons mieux les acteurs des mobilités pour répondre aux besoins des territoires. Chaque offre a sa singularité. Afin que ce dispositif s'applique sur tous les territoires, quels outils le Gouvernement entend-il proposer aux autorités organisatrices de la mobilité ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, le choix de la gratuité relève de la libre administration des collectivités territoriales et non de l'État, et sur long terme.

Le tarif solidaire apparaît déjà comme une alternative efficace pour les populations fragiles, d'autant que des mesures d'accompagnement sont prises concomitamment. D'où l'objectif de la LOM de donner la compétence tarifaire aux autorités organisatrices, avec un plan d'action appuyé par la région et le département.

Il faut également développer le niveau de l'offre et la qualité des transports. C'est la position de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports. Nous devons développer un panel d'outils pour les territoires. C'est aussi le sens de la LOM.

M. Jean-Marie Mizzon .  - La gratuité des transports collectifs divise mais, dans certains territoires, elle passe après la qualité des transports, tant ceux-ci sont déficients.

Ainsi, les travailleurs transfrontaliers du nord de la Lorraine ont du mal à se rendre au Luxembourg. Ils sont déjà 105 000 et ce nombre augmente de 4 000 par an, obligeant les collectivités territoriales à investir lourdement dans les équipements scolaires, périscolaires, sportifs, culturels, mais aussi dans les équipements liés à la mobilité vers le Grand-Duché. Le Luxembourg vient d'accepter de payer 50 % d'une dépense totale de 250 millions d'euros. Mais le Gouvernement ne devrait-il pas plutôt négocier 100 % de financement ?

Ces aménagements sont uniquement faits pour des déplacements vers le Luxembourg ! De plus, pour l'heure, aucune rétrocession fiscale de l'impôt des transfrontaliers, totalement perçu par le Luxembourg n'est prévue.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - C'est un problème épineux. Il est en effet très difficile d'intéresser les autorités du Luxembourg au sort des travailleurs transfrontaliers, comme le montre le problème TER français, qui ne pourront passer la frontière à Thionville. Les secrétaires d'État Jean-Baptiste Djebbari et Amélie de Montchalin ont encore écrit tout récemment au ministre des transports luxembourgeois à ce sujet.

L'aide du Luxembourg n'est pas désintéressée. Il faut investir sur le co-développement et solliciter des investissements massifs sur les travaux nécessaires sur le sillon ferroviaire Metz-Luxembourg et le débouché sud via Nancy.

Le Conseil de l'Europe a validé le 29 octobre un système de contribution à la mobilité des transfrontaliers. Certains États voisins, l'Allemagne et la Suisse notamment, ont mis en place un tel système. Des discussions à ce sujet sont donc devant nous avec les Luxembourgeois.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Votre réponse manque d'ambition et de réactivité. Je réclame la gratuité non pas pour les usagers, mais pour l'État ! Le Luxembourg a fait un premier pas. Mettez-y de la force ! Les parlementaires vous appuieront.

M. Didier Mandelli .  - De nombreux débats ressurgissent à la veille des municipales : gratuité des transports collectifs, de la restauration scolaire, des piscines et j'en passe... Je remercie la présidente Michèle Vullien et le rapporteur Guillaume Gontard d'avoir été pragmatiques, plus que dogmatiques.

La mission a su déjouer ce piège en montrant que l'impact environnemental de la gratuité est limité ; l'impact financier est préjudiciable aux entreprises et aux collectivités territoriales ; les publics les plus fragiles sont déjà pris en compte par des tarifs préférentiels, voire par la gratuité ; les usagers souhaitent une amélioration de l'offre avant la gratuité. Et la gratuité peut aboutir à la saturation des réseaux denses.

Le Gouvernement souhaite-t-il prolonger ce travail et sous quelle forme, sachant que le projet de loi d'orientation des mobilités prive les autorités organisatrices de 45 millions d'euros et que rien n'est prévu au budget 2020 pour financer la compétence mobilité, point d'achoppement de la CMP sur le projet LOM.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, en effet, nous ne cherchons pas une solution uniforme sur des territoires différenciés. L'impact de la gratuité sur le report modal est difficile à identifier. Le report modal résulte plutôt d'une politique d'ensemble visant à améliorer l'offre et à réguler l'espace public. Des outils méthodologiques pourraient être mis en place par les réseaux.

L'aide à la décision des collectivités territoriales en matière tarifaire doit les amener à réfléchir aux problématiques financières et à l'équilibre entre dépenses et ressources. Le Gouvernement soutient donc la proposition de la mission d'information de créer un observatoire, que le GART, pourrait avantageusement prendre en charge, le Gouvernement participant en tant que de besoin.

M. Didier Mandelli.  - Comme je l'avais indiqué à Mme Borne et à M. Djebbari lors des débats sur la LOM, rien n'est actuellement prévu pour aider les EPCI qui prendraient cette compétence pour financer les nouvelles mobilités.

M. Olivier Jacquin .  - Cette question passionnante de la gratuité concerne les zones où il y a une offre de transports : les zones urbaines en priorité. Elle interroge la notion de fracture territoriale, car des territoires sont dénués de transports publics. Quid des « insulaires », assignés à résidence, sans transports en commun et sans moyens de se payer une voiture particulière ? Que ferez-vous pour eux, sachant que vous avez repoussé toutes les initiatives du Sénat en la matière ? Les départements sont exsangues, d'autant que la taxe d'habitation est progressivement supprimée. Et de grâce, ne me parlez pas de la TVA, qui n'est pas fléchée, car elle est pour tout le monde !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Nous sommes tous sensibles à la question de la fracture territoriale. Pour les intercommunalités à faibles ressources qui ne lèveront pas de versement transport, le Gouvernement compensera par une quote-part de TVA la perte de la taxe d'habitation. Cela concerne toutes les intercommunalités et représentera 30 à 40 millions d'euros chaque année.

M. Loïc Hervé.  - La belle affaire !

M. Olivier Jacquin.  - Ce n'est pas à la hauteur !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Ce sont 120 à 160 millions d'euros pour la France entière au bout de la quatrième année. Les communautés de communes qui se chargeront de la compétence Transports disposeront ainsi d'une recette dynamique. L'État, à travers la démarche France Mobilités, offre des financements sur appels à projets et des cellules régionales d'appui à l'ingénierie. En outre, l'État investira 13,4 milliards d'euros consacrés aux infrastructures de transport au cours du quinquennat.

Le Gouvernement consacrera également 2,6 milliards d'euros au développement de RER entre villes moyennes et métropoles et 1 milliard d'euros à l'amélioration de la sûreté des routes.

M. Olivier Jacquin.  - Vous ne me répondez absolument pas. Un droit à la mobilité pour tous, c'est un accès à d'autres droits. Assez d'assignations à résidence !

M. Olivier Léonhardt .  - Je veux, comme à chaque occasion, vous alerter sur le cauchemar des usagers des RER franciliens et rappeler que notre système de transports, à bout de souffle, est au bord de l'explosion. À chaque fois, l'on m'explique que le Gouvernement investit de plus en plus, que le Grand Paris s'occupe des transports du quotidien. Sans doute, mais tout cela est bien insuffisant face à l'ampleur de la crise à laquelle nous sommes confrontés.

Vous avez prévu d'interdire les véhicules diesels à l'intérieur des frontières de l'A86. C'est bien pour l'environnement mais où sont les RER et les bus qui remplaceront la voiture pour les habitants de la grande couronne ? Le Grand Paris Express, même s'il est achevé dans 25 ans, en étant optimiste, ne va pas jusqu'à la grande couronne.

Les trains sont supprimés, toujours en retard, si bondés qu'il faut parfois en laisser passer deux ou trois avant de pouvoir y entrer. Les usagers ne veulent pas la gratuité ; ils savent bien que les transports ont un coût qu'ils finiront par payer ; ils veulent cesser d'être entassés dans des wagons bondés et d'arriver en retard au travail. Mettez en place des transports gratuits ou payants, pour les quatre millions et demi d'habitants de la grande couronne, mais qu'ils fonctionnent, et nous les prendrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Guillaume Arnell.  - Très bien !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Les RER franciliens seront financés par l'État à hauteur de 300 millions d'euros par an dans le contrat de plan État région, soit 100 millions d'euros de plus par an que lors de la période précédente, sans parler du Grand Paris Express, qui représente 35 milliards d'euros, ni des bus pour la grande couronne. C'est à l'État et à l'autorité organisatrice, Île-de-France mobilités, de répondre aux besoins des usagers.

M. Frédéric Marchand .  - Nombre d'études de cas confirment la théorie économique des transports, selon laquelle la gratuité des transports collectifs en réseau urbain dense n'a que peu d'effets en matière de report significatif depuis l'automobile. Le report modal a été systématiquement inférieur aux attentes et provenant des modes actifs - marche ou vélo - bien plus que de l'automobile.

Le changement de paradigme nécessaire à un report modal significatif passerait par une forte augmentation du coût relatif de l'automobile, qui serait politiquement incorrecte en cette période agitée. Elle peut prendre plusieurs formes : péage cordon, péage de zone, stationnement payant.

La tarification n'est cependant pas le seul critère. Il faut une approche globale des mobilités urbaines qui prenne en compte l'espace accessible à l'automobile et la promotion du co-voiturage et de l'auto-partage.

Ce débat sur la gratuité permet ainsi d'ouvrir celui de la mobilité urbaine. La gratuité est un alibi pour éviter des mesures plus difficiles, impopulaires auprès des usagers. Qu'en pensez-vous ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, il faut penser globalement la question des mobilités. Aussi, je partage votre approche : les territoires qui ont réussi un report modal ont allié offre de transports alternatifs de qualité et régulation de la voiture, notamment par le stationnement payant. Le péage urbain peut être expérimenté, la loi le permet déjà, mais le dispositif n'est pas opérant et n'a jamais été utilisé.

Il faut trouver un juste équilibre entre les contraintes et les incitations positives. La mission d'information suggère à juste titre d'encourager les mobilités partagées, comme la LOM l'y incite également. Même chose pour l'approche de la « mobilité comme un service », qui permet aux autorités organisatrices de développer des tarifications à l'usage pour les différentes formes de mobilité.

Le Gouvernement entend ouvrir le champ des possibles pour que la nécessaire transition écologique ne soit pas vécue comme punitive.

M. Loïc Hervé .  - À mon tour, je veux évoquer le sujet du financement des transports publics - refrain lancinant sur tous les bancs. La majorité de ce financement ne vient pas de la billetterie, qu'elle existe ou non, mais du versement transport, impôt de production assis sur la masse salariale - ce que critiquent les employeurs notamment dans les territoires industriels.

Les intercommunalités ne peuvent pas le mettre en place, en raison de l'allergie fiscale. Dans la vallée de l'Arve, qui subit à la fois des problèmes industriels et une pollution importante, comment ferons-nous ? Vous parlez de 40 millions d'euros de TVA par an pour toute la France, ce n'est pas satisfaisant !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, vous avez raison : la contribution des entreprises est importante, 44 % du coût global. Dans les longues discussions préalables à la LOM, le Medef a écarté toute augmentation du versement transport. Mais que répondre aux besoins de 25 % des citoyens et de 75 % des territoires dépourvus d'autorité organisatrice des mobilités ? La LOM a prévu d'inciter les petites intercommunalités à exercer cette compétence.

Le Sénat avait proposé un versement transport réduit à 0,3 % et une part de la TICPE. Mais le Gouvernement a préféré recourir à la réforme de la fiscalité locale et substituer, au bénéfice des collectivités, une ressource dynamique comme la TVA, à une ressource qui ne l'est pas, la taxe d'habitation, afin qu'elles puissent organiser les mobilités sur leur territoire.

M. Loïc Hervé.  - Avec l'allergie fiscale, les communautés de communes ne peuvent pas mettre en place cette politique publique essentielle pour nos concitoyens, dont vous les incitez à se saisir, sans financement.

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Le rapport du GART paru début octobre s'est appuyé sur les conclusions d'un colloque qui s'est tenu en juin à Nice, intitulé « Gratuité des transports publics : entre idéal et réalité ? », a abouti à ce constat assez unanime : la gratuité pure et simple dans les transports publics est un leurre, à la limite de la démagogie. Il ne faut pas sacrifier la qualité des transports, priorité des usagers, à la gratuité. D'ailleurs, les plus modestes, les jeunes et les séniors disposent déjà de tarifs réduits, voire nuls. Cela créerait, en outre, un effet d'aubaine pour les vacanciers, dans les territoires à forte attractivité touristique, comme le mien, au détriment des contribuables locaux qui seuls financeraient les transports.

Dans la métropole de Nice, le ticket unique à 1 euro, du centre-ville aux petites communes, de la montagne au bord de mer, permet l'équité territoriale.

L'hypothèse d'un taux de TVA à 5,5 % a été évoquée. Seriez-vous prête à considérer les transports publics comme un service essentiel, comme c'est le cas en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède et en Norvège ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le colloque de Nice a effectivement contribué à la réflexion et au débat. Le choix doit rester libre pour les collectivités territoriales entre la tarification solidaire - alternative pour la mobilité des plus fragiles - en appui à la mobilité, et le développement d'une offre de mobilité qui tienne compte de leurs marges de manoeuvre financière et fiscale.

Quant à faire des transports des services essentiels, je vous répondrai la même chose qu'à la présidente Assassi : la décision n'est pas prise. Elle entraînerait un manque à gagner de 805 millions d'euros pour l'État.

M. Jean-Michel Houllegatte .  - Ce rapport d'information a l'avantage d'envisager la problématique globalement. Cité à la page 93, Henri Lefèvre en 1968, dans Le Droit à la ville, signalait déjà que « les milieux populaires souffrent d'une double peine, car pour eux, la distance domicile-travail ne cesse de croître et parce que la pauvreté se traduit par l'usage de modes de transport plus lents, moins directs, inconfortables ».

Un rapport du Conseil économique, social et environnemental, (CESE) pointe l'accentuation de la péri-urbanisation avec le renchérissement du foncier en centre-ville. Les lieux de vie n'ont jamais été si éloignés des lieux de travail ; les politiques d'urbanisme des années soixante ont montré leurs limites.

Y a-t-il une volonté générale de mettre en place des outils tels que la taxation des plus-values immobilières pour remédier à ces problèmes ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, l'étalement urbain est un problème majeur, également parce que certains sont éloignés à la fois du travail et des lieux de convivialité, et pour des raisons environnementales, avec l'artificialisation des sols.

Le Gouvernement considère qu'une réflexion pourrait être menée sur la taxation des plus-values liées aux réseaux de transports. Plusieurs mesures législatives ont été adoptées ces dernières années, mais aucune mise en oeuvre en Île-de-France. La loi sur le Grand Paris prévoyait ainsi de taxer les terrains nus.

De telles taxes avaient été instituées ; non seulement elles n'ont jamais été appliquées, mais elles ont été abrogées par des lois postérieures. Ainsi, dans la loi sur le Grand Paris prévoyant une taxe sur les produits de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis, instituée par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010, abrogée par la loi de finances initiale pour 2015.

Les réflexions portent sur des dispositions fiscales à la fois plus larges et plus simples, telle la taxe sur les bureaux, prévue pour financer le Grand Paris Express.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - Il y a urgence à repenser nos politiques urbaines et nos outils de taxation des plus-values. La gentrification des centres-villes représente un risque social important, mis en évidence par Jérôme Fourquet dans son ouvrage L'Archipel français.

M. René Danesi .  - En France, la part des recettes dans les ressources des AOT est moins élevée qu'à l'étranger. Les entreprises participent fortement aux transports publics.

L'apport financier des entreprises est fait par deux canaux : d'abord, la participation des employeurs aux frais de transport de leurs salariés entre le domicile et le lieu de travail, avec un coût annuel de l'ordre de 900 millions pour les entreprises. Ensuite, le versement transport, prochainement dénommé versement mobilité, est un impôt qui fut instauré en 1971 pour la seule région parisienne et qui fut progressivement étendu. Actuellement, plus de 250 autorités organisatrices de la mobilité lèvent cet impôt sur les entreprises ayant plus de 10 salariés. Or, ces quinze dernières années, la part des usagers dans le financement des transports publics a diminué tandis que le versement transport augmentait considérablement. Il représente désormais 45 % des ressources des AOM. En 2017, 67 % de celles de plus de 300 000 habitants avaient atteint le plafond. Une vingtaine de programmes électoraux municipaux proposent la gratuité totale des transports, mais les employeurs ne peuvent guère financer davantage.

L'extension de la gratuité ne va-t-elle pas amener les employeurs à contester la légitimité d'un impôt de plus en plus éloigné de sa raison d'être initiale ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le versement transport représente 44 % des ressources des AOT. Nous ne souhaitons pas l'augmenter mais le stabiliser.

La gratuité entraînerait des conséquences sur les contribuables, c'est certain, sous la forme d'un transfert de charges. Ce qui n'est pas financé par l'usager l'est par le contribuable local ou l'employeur.

La gratuité implique plus de fréquentation et donc plus d'investissements en matériels et infrastructures. Pour les plus grands réseaux, la gratuité pourrait renchérir le recours à l'impôt, notamment le versement transport. Elle serait alors pénalisante pour l'égalité entre usager et contribuable.

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Notre rapport a permis de sortir ce débat d'une approche binaire : la gratuité n'est ni bonne ni mauvaise, elle dépend des territoires et des habitants.

Pour ma part, je préfère la notion d'accès libre aux transports : il revient à la collectivité d'en ouvrir l'accès à tous ou pas. Cette expression permet de mieux réfléchir à des outils alternatifs, comme la tarification solidaire. La révolution sociale des mobilités aura des conséquences sur tous : citoyens, collectivités territoriales, État via la baisse des dépenses de santé. Pour l'accompagner, des ressources supplémentaires sont nécessaires, y compris une part de la fiscalité de l'État. Que penseriez-vous d'une vignette sur les SUV ou de l'affectation d'une part de la TICPE au fonctionnement des transports en commun ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Ce débat souffre en effet trop souvent de positions de principe et d'idées préconçues. La gratuité dépend du libre choix des collectivités territoriales.

Des solutions alternatives comme la tarification solidaire existent aussi, afin de toucher les publics les plus fragiles. Mais l'accompagnement de ceux-ci doit aller au-delà du tarif.

La TICPE est fléchée pour les investissements ; elle ne me semble pas correspondre aux besoins que vous évoquez.

M. Gilbert-Luc Devinaz.  - Le transport public est bien un investissement. Il conviendrait d'avoir une vue plus globale des dépenses de l'État : celui-ci ferait des économies sur les dépenses de santé en développant le transport propre.

Mme Brigitte Lherbier .  - En 2018, le GIEC préconisait une baisse de 40 % des consommations d'énergie dans les transports. C'est à une révolution des usages qu'il nous appelle. La voiture ne doit plus constituer le premier mode de transport et l'État doit les y aider.

L'agglomération de Dunkerque - 200 000 habitants - propose la gratuité pour les bus en semaine, après l'avoir expérimentée trois ans le week-end. Les premières conclusions de l'expérience sont très positives. Des maires de la métropole lilloise se sont déclarés favorables à une gratuité partielle, ciblée sur les plus jeunes, et lors des pics de pollution.

Quels moyens l'État va-t-il employer pour inciter nos concitoyens à utiliser davantage les transports collectifs ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Chaque AOT doit trouver le bon équilibre entre les différentes sources de financement. Si la métropole lilloise souhaite mettre en place une gratuité partielle, c'est-à-dire solidaire, c'est sa liberté. Comme vous, le Gouvernement est attaché à la libre administration des territoires en la matière.

Le Gouvernement s'engage dans la lutte contre les zones blanches, pour que nul Français ne se trouve hors du territoire d'une AOT. Les appels à projet France-Mobilité permettront d'innover, mais chaque autorité devra prendre ses responsabilités.

M. Jacques Grosperrin .  - Les transports collectifs en zone rurale ou périurbaine méritent une réflexion différenciée. La gratuité n'est pas ici une priorité. De fait, le choix de la gratuité en métropole - je pense à Besançon - peut avoir des conséquences négatives sur les communes péri-urbaines. Je suis en revanche favorable à la gratuité partielle, notamment au bénéfice des jeunes, mais celle-ci se justifie parce que la mobilité, en zone rurale, leur est imposée pendant leur scolarité.

Ainsi, Grand Besançon Métropole est l'autorité organisatrice de la mobilité sur son territoire. La région Bourgogne Franche-Comté organise les transports scolaires, à l'exception des zones couvertes par un réseau urbain et périurbain. Les transports scolaires sont ainsi gratuits pour tous les élèves du ressort de la région, du CP à la terminale. En revanche, les élèves de la communauté urbaine doivent s'acquitter d'un abonnement mensuel important. L'absence d'une mesure nationale se fait donc sentir.

Comment le Gouvernement peut-il tendre vers une plus grande équité pour répondre aux transports de demain ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La première équité est que chaque Français soit couvert part une AOT, qui ne doit pas concerner que la seule ville centre : il faut mutualiser à l'intérieur d'un EPCI. La première solidarité se situe à l'échelle d'une agglomération. L'État, cependant, n'a pas à s'insérer dans les relations entre les différents niveaux de collectivités territoriales bien que la question puisse être abordée dans le cadre des contrats de plan entre l'État et les régions.

M. Jean-Pierre Grand .  - À l'approche des élections municipales, les débats sur la gratuité se multiplient. Je n'y suis pas opposé en principe, mais elle n'est justifiée que si elle permet un vrai report modal pour que les usagers délaissent leurs voitures. Pour cela, l'offre de transports doit être développée ; c'est d'ailleurs le premier souhait des usagers, plutôt que la gratuité.

Mais la gratuité a un coût, surtout que la fréquentation augmente. Jusqu'en 2014, l'agglomération de Montpellier a consenti de lourds investissements pour son réseau de transport. Mais la gratuité, c'est moins de recettes et un nécessaire redéploiement des personnels. L'État serait-il prêt à aider une métropole comme Montpellier, notamment sur son encours de dette, si celle-ci envisageait de mettre en place la gratuité et d'accroître son offre de transports ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La gratuité pose effectivement des questions de soutenabilité économique. Sa mise en oeuvre dans des grands réseaux, comme à Montpellier, où la billetterie représente une part significative des dépenses de fonctionnement, apparaît difficile.

L'État n'a pas vocation à intervenir financièrement dans les politiques de transport qui relèvent des collectivités locales : celles-ci doivent examiner avec la plus grande prudence les effets de la gratuité sur leurs ressources. En revanche, l'État souhaite soutenir les collectivités en ce qui concerne la qualité de l'offre, notamment pour les infrastructures, comme il l'a fait à Montpellier.

Un quatrième appel à projets en faveur des investissements en transports collectifs sera ainsi lancé en 2020, la LOM ayant prévu des crédits à ce titre.

Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d'information sur la gratuité des transports collectifs .  - La gratuité, certes, mais à quel prix ? Le sujet passionne, notamment en cette période pré-électorale. Je remercie chacun pour sa participation aux travaux de la mission d'information.

Nous avons trouvé un équilibre, après un premier rapport ni adopté, ni rejeté. La commission a préféré prolonger ses travaux, aboutissant à un second rapport, adopté à l'unanimité. Je salue le rapporteur qui a bien voulu se remettre sur le métier durant l'été.

Ceux qui proposent la gratuité systématiquement sont souvent des gens qui ne se sont jamais intéressés aux transports et qui n'en connaissent pas le fonctionnement. C'est ma touche personnelle ! (Sourires) On voit fleurir des propositions électorales en ce sens, sans même une évaluation préalable. C'est se faire de la publicité à bon compte, si j'ose dire ! Mais la gratuité n'est pas une réponse miracle ! Elle n'est possible qu'à la condition de l'existence d'un réseau de bus sous-fréquenté et d'un financement qui repose essentiellement sur le versement transport. Alors, comme à Dunkerque, elle peut contribuer à redynamiser le centre-ville ou à optimiser le service existant. Je suis plus circonspecte pour des réseaux comme celui du métro parisien, déjà saturé.

La gratuité n'est pas demandée par les usagers qui lui préfèrent un accroissement de l'offre. À Lyon, je n'ai jamais entendu réclamer de la gratuité mais toujours plus d'offre, de maillage, de fréquences... La gratuité présente le risque d'accroître les inégalités entre les zones urbaines et rurales ou péri-urbaines. La priorité doit rester le développement de l'offre dans tous les territoires. Il en va de l'équité entre tous les Français !

Je crois davantage à la tarification solidaire, généralement appelée la gratuité partielle, solidaire. La mission a donc proposé la création d'un observatoire de la tarification des transports. M. Djebbari m'a assuré qu'il avait transmis le dossier à ses services. Je gage que le travail est en cours. (Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État, le confirme.)

La gratuité totale n'est ni une bonne ni une mauvaise idée, mais un outil au service des collectivités territoriales pour revitaliser les centres-villes, ou créer des aménagements urbains laissant moins de place à la voiture.

Mme la présidente.  - Il faut vraiment conclure.

Mme Michèle Vullien, présidente de la mission d'information.  - À titre personnel, j'estime que la gratuité totale est un outil d'iniquité aggravant la fracture territoriale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants)

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 h 5.