La laïcité, garante de l'unité nationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « La laïcité, garante de l'unité nationale », à la demande groupe RDSE.

Mme Françoise Laborde, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains) Il y a cinq ans, la République était frappée au coeur et mon ami Charb, avec la rédaction de Charlie Hebdo, perdait la vie.

Après les militaires tombés à Montauban et les enfants de l'école juive de Toulouse en 2012, d'autres attaques ont tué au Bataclan, à l'Hypercacher, à Nice, à Saint-Etienne du Rouvray, à Trèbes, à la préfecture de police de Paris et, la semaine dernière, à Villejuif.

Ces coups de boutoir ont ébranlé la République mais n'ont pas fait vaciller ses fondements humanistes. Ils visaient l'arbre de la liberté, ses ramures que sont la liberté de pensée, d'expression, la liberté de critiquer, de faire la fête, de croire ou non, la liberté de conscience. Je ne veux retenir de ces jours sombres que les 4 millions de Français descendus dans la rue le 15 janvier 2015 pour rendre hommage à tous ceux qui défendent et protègent nos valeurs républicaines et aux forces de l'ordre qui ont traqué ces assassins mus par l'obscurantisme.

Je me souviens de la solidarité internationale, des chefs d'État accourus du monde entier, de la statue de la place de la République, taguée et éclairée d'une lumière bigarrée, sous l'éclat des bougies allumées en hommage aux victimes, et des slogans qu'on pouvait y lire : « Je suis Charlie », « Même pas peur », « L'encre doit couler, pas le sang », « Tu n'auras pas ma haine ».

Je me souviens de la cérémonie à l'Hôtel de ville où Charb m'avait remis le prix de la laïcité. Comme une prémonition, il disait : « Je préfère mourir debout que de vivre à genoux. » (La voix de l'oratrice s'étrangle.)

Nous savons désormais que la liberté a un prix, celui du sang. Contribuer à l'émancipation individuelle en garantissant à chacun le droit de croire ou ne pas croire, tel est le but de la laïcité à la française. La loi de 1905 contribue à préserver l'unité du pays, dans la paix et la concorde civiles.

La France, qui a fondé son modèle républicain sur les Lumières, peut s'enorgueillir d'une laïcité qui renforce les principes républicains de fraternité et de liberté.

Le groupe RDSE ne laissera pas se développer une vision communautariste de la société, ni se propager une radicalisation.

Comment croire que notre modèle républicain serait supposément défaillant en raison de la laïcité ? C'est un contresens.

Pourquoi certains s'enferment-ils dans le carcan du communautarisme rejetant les valeurs de la République et mettant notre société en danger ? Le Sénat veut lutter contre cela : preuve en est les commissions d'enquête sur la radicalisation ou sur le retour de la menace terroriste ou encore celle présidée actuellement par Nathalie Delattre sur la radicalisation terroriste.

À ceux qui pointent du doigt la laïcité ou cherchent à l'utiliser pour diviser nos concitoyens, il faut répondre que cette laïcité est garante du ciment national. La laïcité est garante du respect et de la pratique des cultes. En tant que présidente de l'association Égalité Europe, j'ai signé l'appel à se rassembler au nom de la laïcité, le 11 janvier, dans toutes les villes de France. Nous pourrons alors réaffirmer : « Nous sommes Charlie », « Nous sommes la République ». Nous continuerons à faire vivre la laïcité en dépit des aboiements de la meute.

Notre pays a besoin d'apaisement et de sérénité ; la laïcité y contribue. Je compte sur votre Gouvernement, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC ainsi que sur plusieurs travées du groupe SOCR ; M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Au coeur de notre pacte républicain, il est une valeur fondamentale avec laquelle le Gouvernement ne transigera pas, c'est la laïcité. Il s'agit d'un principe essentiel qui s'applique à l'État, pas aux individus qui composent la société. Le terrorisme n'est donc pas un échec de la laïcité. (Mme Françoise Laborde opine.)

La laïcité est un équilibre entre les libertés individuelles et la neutralité de l'État. C'est un modèle d'organisation qui garantit de la séparation stricte des cultes et de l'État. C'est aussi la liberté de croire ou ne pas croire sans être inquiété, celle de vivre sa foi ou son absence de foi sans menaces ou représailles. C'est aussi le respect par la République de chaque religion pourvu que celle-ci respecte les principes républicains. Nous ferons tout pour garantir ce fondement qui figure à l'article premier de notre Constitution.

En matière de laïcité, un seul programme doit s'appliquer : celui de la loi de 1905, loi d'équilibre, réfléchie, qui place avant toute chose la liberté de conscience mais aussi la séparation des cultes et de l'État. Bien sûr, elle peut évoluer et a évolué déjà. Le bloc de constitutionnalité et nos lois garantissent les principes d'égalité, de liberté et de fraternité. Ils découlent de notre histoire et des choix de nos concitoyens. Ils façonnent le cadre protecteur dans lequel nous évoluons. Chaque religion doit s'y inscrire. C'est un préalable essentiel.

La laïcité à la carte n'existe pas. La République est un tout que chacun doit accepter comme tel. Aussi devons-nous nous montrer très fermes face à ceux qui veulent s'affranchir de nos valeurs et briser ce cadre.

Opposer le principe de laïcité aux ennemis de la République ne suffit pas, toutefois. Nous devons défendre la laïcité avec vigueur en nous gardant de tomber dans l'angélisme. En novembre, devant les préfets, j'ai demandé qu'elle soit défendue sur chaque mètre carré de notre territoire. Le communautarisme et l'islamisme ne sont pas compatibles avec la République.

L'islamophobie n'est qu'un faux prétexte qu'on oppose au soutien à la laïcité.

En 2018, le Gouvernement a identifié quinze quartiers particulièrement exposés à l'islamisme et au communautarisme. En deux ans, nous avons fermé 138 débits de boissons, 13 lieux de culte, 4 écoles et 11 établissements culturels qui s'étaient transformés en officines de haine. Cette méthode a porté ses fruits. Nous la généralisons.

Il faut aussi frapper au porte-monnaie, c'est également ce que nous faisons.

Le volet répressif ne suffit pas. Il faut aussi reconstruire la présence républicaine, avec une politique ambitieuse pour l'éducation, la ville, l'égalité homme-femme. Enfin, j'ai demandé aux préfets d'assumer un discours républicain intransigeant.

Ce débat est l'occasion de réaffirmer notre laïcité. Je le ferai avec la loi de 1905 chevillée au corps. Nous devons le faire de manière inlassable, partout et à tout moment. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE)

M. Daniel Chasseing .  - L'article premier de notre Constitution rappelle que la France est une République indivisible et laïque. Il est le socle majeur de nos libertés depuis plus d'un siècle.

Je remercie le groupe RDSE d'avoir demandé la tenue de ce débat. La laïcité permet le libre exercice des cultes et fonde la paix civile. Nul ne saurait s'en affranchir. Les nombreuses attaques que subit la loi commune sont inacceptables. La République ne doit laisser aucun communautarisme la contester. Elle est totalement indépendante des religions et de tout système qui priverait les citoyens des possibilités d'exercer leur liberté de conscience.

Mais la laïcité implique aussi des devoirs. Aucune liberté n'est garantie si on n'en défend pas le principe et si l'on ne veille pas à son respect absolu. Il nous appartient à tous de faire respecter la laïcité chaque jour, du ministre à l'instituteur ou du préfet au maire.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Chasseing.  - Il faudrait rappeler les principes de la laïcité à tous les agents de l'État. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous avez raison d'évoquer les attaques contre la laïcité. La liberté n'est pas seulement un corpus de droits. C'est aussi un ensemble de devoirs. Le combat contre l'islamisme doit être conduit pour et avec les musulmans, pas contre eux.

M. Rachid Temal.  - Mais sont-ils bien des citoyens ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - La laïcité ne doit pas empêcher de manifester sa religion. L'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme rappelle l'importance de l'équilibre entre la pratique d'une religion et la mise en danger de la société et de ses lois. Il convient de préserver cet équilibre.

Mme Dominique Vérien .  - Nous avons récemment débattu du port du voile lors des sorties scolaires. Demander aux femmes de retirer le voile, c'est considérer qu'il n'y a pas de contrainte, que son port relève d'un choix éclairé. Or il est lié à une pression sociale et culturelle.

Quand on porte un voile chez soi, on peut le faire par confort. La laïcité consiste à permettre à chacun de pratiquer sa religion dans la sphère privée. Mais comment faire pour que la liberté de croire ou de ne pas croire, de le montrer ou ne pas le montrer, s'applique sur tout le territoire ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Sur ce sujet, je crois d'abord que la loi doit être appliquée. Mais il faut prendre le sujet sous le bon angle. Quand 33 % des femmes musulmanes portent le voile, ce n'est pas le bon pour combattre l'islamisme et le communautarisme.

En revanche, il est effectivement nécessaire de combattre tout ce qui entrave l'exercice des libertés. Le bon angle est, me semble-t-il, celui de l'égalité. Nous pouvons le faire dans le cadre scolaire, les enseignants étant à même de déceler les difficultés rencontrées par certaines jeunes filles, parfois dès le plus jeune âge.

Le port du voile est la plupart du temps choisi. Le Conseil français du culte musulman a rappelé qu'une femme qui ne porterait pas le voile n'est en aucun cas une mauvaise musulmane.

Mme Dominique Vérien.  - Dans certaines zones, le simple fait d'être une femme est dangereux. Un signe distinctif ne doit pas être porté pour se protéger ! Remplissez votre mission de protection des citoyens ! Je remercie Mme Laborde qui a abordé le sujet avec émotion.

M. Roger Karoutchi .  - « Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas », disait le poète au temps de la résistance. Nous n'en sommes plus là... À vouloir défendre absolument la liberté, il est devenu difficile de lutter pour la laïcité.

Vous n'avez pas suffisamment d'armes, malgré la loi de 1905 ou la faculté de fermer certains centres de haine.

La force et la puissance de la République, c'est de s'imposer partout et pas seulement dans certains quartiers. N'auriez-vous pas besoin de nouveaux textes de loi pour cela ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Nous avons reculé dans certains combats à cause d'une certaine forme d'angélisme, qui a notamment conditionné ma vision politique par crainte d'être taxé d'islamophobe.

Ma stratégie n'est pas celle d'une grande loi, mais de l'application ferme de la réglementation existante par les préfets. Ainsi, trente lieux de culte ont pu être fermés.

J'ai demandé aux préfets de faire également remonter les entraves rencontrées et qui ne peuvent être sanctionnées. Nous pourrons alors faire évoluer la législation. L'article 31 de la loi de 1905 est parfait s'agissant du prosélytisme par des voies vestimentaires et alimentaires, mais il n'est pas appliqué depuis de longues années. L'urgence, c'est d'agir, dès ce soir, dès demain, dès la semaine prochaine.

M. Roger Karoutchi.  - Je suis sensible à votre réponse, mais si la loi doit être au-dessus de la foi dans le domaine public, certains savent très bien la contourner et s'organiser pour donner des coups de boutoir à la laïcité.

Le Parlement, en cas de besoin, doit participer à la défense de la République.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'organisation des cultes était prévue par la loi du 18 germinal an X, qui ratifiait le Concordat de l'année précédente. Selon Lucien Bonaparte, en effet, les cultes étaient utiles et devaient être encadrés et organisés par l'État.

La loi du 9 décembre 1905 a supprimé le Concordat et dispose que la République ne reconnaît aucun culte. Selon Victor Hugo, il convenait que l'église soit chez elle et l'État chez lui.

Pourtant, le 22 novembre, le préfet du Rhône demandait au président des universités de Lyon d'inciter les étudiants et les professeurs à participer aux assises territoriales de l'Islam de France. C'est anormal et témoigne de cet esprit concordataire dont le Gouvernement me semble imprégné. Comment allez-vous vous assurer du respect de la loi de 1905 ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous vous trompez de débat et de combat. Vous pensez que le combat doit être mené contre un préfet, mais il doit être mené pour défendre les valeurs de la République. Or elles reculent. Oui, nous avons organisé dans chaque département des Assises territoriales de l'Islam. C'est un sujet important que l'organisation des religions. Il ne faut pas s'en désintéresser, ni fermer les yeux. L'absence de représentants du culte musulman dans les territoires nuit au dialogue avec l'État. Nous n'avons pas vocation à organiser le culte musulman mais ce serait une faute de s'en désintéresser.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Je ne mets pas en cause le préfet, mais je regrette cette initiative de la part de l'État. Il y a des interlocuteurs : il faut engager un dialogue avec eux.

M. Olivier Léonhardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Il est difficile sur ce sujet de rassembler tous les Français. La République française s'est constituée contre l'oppression et la violence de la noblesse et du clergé. Je reconnais l'héritage des religions, ne vous méprenez pas. Je ne stigmatise personne. Mais chaque revendication religieuse se confronte aux valeurs républicaines.

Or notre République est violemment attaquée par l'obscurantisme et le communautarisme de ceux qui n'ont jamais assez de droits et très peu de devoirs. Or le premier devoir des citoyens n'est pas militaire ni fiscal ni réglementaire, mais d'accepter que son identité individuelle ne prime pas sur son identité collective, celle de la République. La laïcité protège les citoyens contre une norme religieuse ou philosophique imposée hors de la démocratie. Il n'existe pas de laïcité extrémiste. Si la République ne tremble pas, la laïcité restera émancipatrice pour notre pays et pour le monde.

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je vous rejoins, monsieur le sénateur. La laïcité est garante de l'unité nationale, mais il faut la faire vivre. Or certains estiment qu'une loi religieuse est supérieure à celle de la République. Sur certaines parties du territoire, nous avons accepté l'effacement de la juste laïcité. Or nous devons utiliser les armes dont nous disposons.

Nous devons au pays une reconquête républicaine ; il en va de notre responsabilité.

M. Arnaud de Belenet .  - Merci à nos collègues du groupe RDSE pour ce débat, complexe dans ses termes. Il n'existe pas de définition de la laïcité. C'est le refus de l'assujettissement du politique au religieux, sans être synonyme d'une totale étanchéité.

La liberté de croire n'est pas la liberté de manifester ses convictions. Alors que la lisibilité du religieux augmente dans l'espace public, il faut séparer la question de la laïcité de celle des atteintes à l'ordre public.

La proposition de loi sur le port du voile lors des sorties scolaires a montré l'ampleur des défis qui se posent aux élus locaux. Comment assurer la neutralité du service public et des agents publics au sein de la fonction publique territoriale ? Faut-il envisager la formation des cadres locaux à ces concepts ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Vous posez une limite à l'expression du choix religieux, cela est pourtant autorisé, y compris sur le domaine public.

La question de la formation des fonctionnaires est essentielle. Un MOOC « Laïcité, paroles de territoires » existe, 2 000 formateurs sont assermentés dans toutes les régions : ainsi 40 000 personnes ont été formées. Les formations civiles et civiques se développent également.

Nous sommes dans un vrai paradoxe : la loi de 1905 interdit à l'État et aux collectivités locales de financer le culte, mais des pays étrangers peuvent le faire. Cela doit nous interroger.

Mme Éliane Assassi .  - « La France n'est pas schismatique, elle est révolutionnaire » disait Jaurès le 15 avril 1905 lors de l'examen de la loi de séparation. La loi de 1905 est la plus grande réforme depuis la Révolution, disait-il. C'est un pilier de la République, un bien commun précieux.

Mais pourquoi n'a-t-elle pas la même valeur juridique sur tout le territoire ? Je pense aux départements d'Alsace et de Moselle et à certains territoires d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a récemment validé ces régimes, mais n'est-il pas temps de revoir cette approche de la laïcité à géométrie variable ? Ainsi, la Guyane est minée par le chômage : ne conviendrait-il pas mieux d'y consacrer les deniers publics au lieu de payer des prêtres, agents de la fonction publique ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Aucun culte n'est l'adversaire du ministre de l'Intérieur, même si certaines dérives doivent être combattues. Il existe en effet un engagement financier de l'État, héritage de l'histoire. Il revient au législateur de modifier éventuellement les régimes issus de l'histoire concordataire. Ce n'est pas la volonté du Gouvernement et je trouve une certaine incohérence à vouloir d'un côté défendre la loi de 1905 et en même temps la remettre en cause. En outre, la place du culte musulman n'avait à l'époque rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui.

Mme Sophie Joissains .  - Le sujet est délicat. Il s'agit d'amener la concorde, non la division. La loi sur les signes religieux à l'école montre que les règles peuvent être adaptées sans porter atteinte à la loi de 1905.

Les élus locaux et les services publics sont confrontés à des abus et à des provocations communautaristes dont les causes sont bien connues. Il faut les combattre et éviter tout angélisme. Le Président de la République s'y est engagé, lors de ses voeux pour 2020.

Quelles seront les réponses du Gouvernement pour les élus locaux et les services publics afin qu'ils puissent faire respecter les valeurs de la France : liberté, égalité et fraternité, et j'ajoute laïcité ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage votre analyse sur le communautarisme : il faut que la reconquête républicaine se fasse dans l'équilibre, entre répression et présence accrue de services publics.

Je n'ai pas de dogme et aucune loi n'est un dogme en soi. On peut considérer qu'une loi qui a 115 ans peut évoluer dès lors que ses principes ne sont pas remis en cause. Par exemple, l'article 20 prévoit des peines de police ; or elles n'existent plus depuis 1990. En revanche, je défendrai bec et ongles les articles premier et deux, fondateurs.

Je suis contre les dogmes ; je m'en suis libéré dans mon parcours personnel. (Sourires)

Je propose un plan d'action dans ma circulaire du 27 novembre. Il faut mobiliser les préfets et les maires et utiliser efficacement tous les pouvoirs de police, et ils sont nombreux, pour mener la reconquête quartier par quartier.

Mme Sophie Joissains.  - Il serait dangereux dans les circonstances actuelles de modifier la loi de 1905. Il faut répondre aux questions que se posent les élus locaux et certains responsables de services publics.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Je veux l'État laïc, exclusivement laïc » disait Victor Hugo. La République laïque est menacée de diverses façons, y compris à l'école et lors des sorties scolaires.

Des pans entiers du territoire tombent progressivement sous la coupe des islamistes : les femmes n'osent plus sortir sans voile, certains animateurs sportifs radicalisent des jeunes fragiles, des femmes refusent de se faire examiner par des hommes dans les hôpitaux.

Le Président de la République devrait se montrer plus ferme pour sauvegarder les valeurs de notre République.

Le concept évasif de laïcité ouverte ne suffit pas à protéger les Français de tenter d'imposer la religion dans la vie quotidienne de chacun. Quand le Gouvernement défendra-t-il clairement le principe de laïcité ? Quand le Président de la République s'exprimera-t-il ? Il faut faire triompher ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Il me semble que le Président de la République a rappelé une bonne dizaine de fois les principes fondateurs de la laïcité.

Vous voulez donner le sentiment que le Gouvernement ne fait rien : c'est faux et injuste. Nous agissons en commençant par nommer les choses. Vous avez évoqué les clubs sportifs. Le 8 novembre 2018, quelques jours après mon arrivée au ministère de l'Intérieur, nous avons publié une circulaire pour mieux travailler avec les maires contre la radicalisation. Depuis 129 contrôles ont été effectués dans 35 départements ; 5 clubs ont été fermés, sans compter les nombreuses saisines des procureurs sur les anomalies que nous constatons.

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous avons reçu en héritage la laïcité. Il nous revient de la faire vivre au quotidien.

La loi de 1905 n'a pas fait que séparer les Églises de l'État, elle a affirmé la liberté de conscience. C'était une révolution, qui structura notre identité. Celle d'un peuple à l'esprit critique et refusant l'ordre établit. C'est ainsi que naquit l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque, qui permet à notre jeunesse de développer sa liberté de conscience et sa capacité à s'émanciper.

L'État n'a pas à craindre une jeunesse éduquée. Jaurès le disait : l'État doit préserver la jeunesse. Je suis inquiet de voir que des citoyens ne font plus appel à leur esprit critique et se confortent dans des vérités proclamées. J'ai aussi un sentiment de honte et de rage de voir les extrémistes et identitaires relever la tête et défier la République.

Quels moyens concrets l'État va-t-il engager dans l'école de la République pour que chaque enfant puisse développer sa liberté de conscience et sa capacité d'émancipation ? Comment préserver notre culture de la fraternité ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage cette inquiétude et cette colère. L'école est un moment clé de la vie : la liberté de conscience doit être garantie. Quand le Gouvernement dédouble les classes dans les quartiers les plus difficiles, il ne se trompe pas, face aux acteurs du communautarisme. Nous oeuvrons pour l'émancipation.

Faisons attention à ne pas considérer l'école comme seule responsable de tout. Il y a cinq ans, lors de l'attentat de Charlie Hebdo, certains pointaient l'école. Mais il y a aussi les bailleurs sociaux, les associations, les collectivités territoriales.

Les assignations à résidence dont souffrent trop de nos concitoyens doivent être levées. Il faut lutter contre les ghettos qui se sont constitués ces cinquante dernières années.

M. Rachid Temal.  - Le dédoublement des classes n'est pas la seule réponse à apporter. Depuis trop longtemps, il y a un recul de la République. Pour les Français, la République doit être une réalité au quotidien.

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Adjointe à la sécurité de Tourcoing, j'ai constaté que certains jeunes n'avaient pas respecté la minute de silence en l'honneur des victimes de l'attentat de Charlie Hebdo et le président du tribunal de grande instance remarquait lui aussi que certains jugeaient la mort des journalistes justifiée car, selon eux, ils avaient blasphémé.

Des lycées ont monté une pièce de théâtre sur la notion de blasphème avec leur langage de jeunes. Ils ont été accompagnés par des magistrats. Ils sont venus ici même présenter leur travail.

La notion de laïcité doit être sans cesse expliquée.

Universitaire, j'ai travaillé avec le doyen de la faculté de droit, Bernard Bossu, qui a mis en place un diplôme universitaire dédié à l'approfondissement de la réflexion juridique dans un contexte religieux. Le directeur régional des services pénitentiaires y était très favorable, car il estimait que les personnes pénétrant en prison devaient être formées et ne pas véhiculer des idées contraires à la République. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je condamne comme vous ceux qui sifflent la Marseillaise. Mais chez certains jeunes, la provocation est un art supérieur à celui du combat militant, politique ou religieux. Ne laissons pas penser non plus qu'en 2015 des quartiers entiers ont contesté l'émotion nationale.

Il faut effectivement éclairer les consciences, expliciter la laïcité sans tabou. Certains considèrent le droit religieux comme supérieur à la loi de la République. J'étais hier avec des responsables de Charlie Hebdo. Ils critiquent souvent le Gouvernement et la religion, mais ils doivent pouvoir le faire. Oui, il faut des formations sur ces sujets.

En France, 300 imams viennent chaque année de l'étranger et professent en langue étrangère - je ne parle pas de la langue sacrée du Coran. C'est une anomalie. Il faut des imams formés pour professer en français. (M. Rachid Temal approuve.)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) L'intégrisme, pourrait-on dire dans un esprit voltairien, est aussi vieux que la religion, mais on fait parfois sortir la laïcité de son propos. Or elle est une stricte neutralité, garante de la liberté de conscience. Elle n'est donc pas le bon outil pour lutter contre extrémisme et terrorisme.

On constate que ceux qui se plaisent dans une laïcité agressive sont souvent les groupes politiques ou religieux qui ont le plus intérêt à ce qu'elle soit mise à mal. Il est plus que jamais nécessaire de nous doter des bons outils contre les dérives sectaires dans l'espace public et pour le respect de l'ordre public.

Est-ce aux parents d'assurer des tâches d'encadrement qui devraient être dévolues au personnel de l'éducation nationale ? Plutôt que d'ouvrir la boîte de Pandore d'une réforme de la loi de 1905, assurons-nous que les principes de laïcité sont connus de tous les agents. Ne devrions-nous pas les former ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je partage votre vision de la laïcité. Son utilisation contre une religion est une erreur. Elle n'est pas un outil de lutte contre le communautarisme. D'autres moyens existent.

Je n'ai pas de dogme sur la loi de 1905. Je pense qu'elle peut être renforcée. Mais dans la lutte contre le communautarisme, nous pouvons utiliser tous les outils qui existent. Par exemple, le contrôle fiscal est difficile lorsqu'il s'agit d'une association loi 1901 : peut-être faut-il revoir la question.

Les questions des financements étrangers, de la formation, de l'ordre public doivent être posées.

M. Jérôme Bascher .  - La laïcité française n'est pas sans foi ni loi. J'ai quatre questions précises.

Le Sénat a tranché sur le port du voile lors des sorties scolaires. Les personnes recrutées pour l'encadrement du temps périscolaire pourraient accompagner les sorties à la place des mamans ou papas portant des signes religieux ostensibles. Mais vos services contrôlent-ils le fait que ces personnels respectent la loi sur la laïcité ? Certaines mairies, certaines collectivités territoriales sont complices et laissent faire. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio approuve.)

Deuxième question : allez-vous étendre les principes de laïcité à l'université ?

Troisième question, que faire du refus d'observer les signes de courtoisie les plus élémentaires, comme serrer la main à une femme ? Faut-il le préciser dans le code du travail ?

Enfin, êtes-vous prêt à étendre les principes de la laïcité du service public aux entreprises où cela pose problème, comme la RATP ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le personnel périscolaire doit respecter les principes de la laïcité et il est sous la responsabilité du maire. L'enseignant doit signaler tout comportement suspect.

Les gens qui vont à l'université sont des adultes libres de leur choix.

Les entreprises sont en partie privées des outils de la fonction publique. Le débat juridique est ouvert, d'autant que les procédures de licenciement pour ce motif sont le plus souvent cassées. Nous pouvons y travailler.

Je ne pense pas que le fait de ne pas serrer la main puisse être répréhensible. On m'a fait des procès d'intention. Mais un signe peut être révélateur de radicalisation comme ne pas l'être ; je l'ai dit devant les sénateurs de la commission des lois. Il ne faut pas d'automaticité qui remettrait en cause les principes de la loi de 1905.

M. Jérôme Bascher.  - Monsieur le ministre, sur ce dernier point, je vous rejoins : vous portez la barbe, et l'on peut difficilement vous soupçonner de radicalisation. (Sourires) On a tendance à flatter certaines minorités pour des raisons électorales ou syndicales.

M. Olivier Paccaud .  - « Depuis l'aurore de notre histoire, nos malheurs furent toujours en proportion de nos divisions. Mais jamais la fortune n'a trahi une France rassemblée ». Ces mots sont du général de Gaulle.

Le vivre ensemble ne se décrète pas mais se construit patiemment, sur un socle de valeurs partagées. Les différences ne doivent pas devenir distance. Quand les jeunes filles ne peuvent plus porter de jupe ou faire du sport, que certaines femmes doivent se voiler par obligation, aucun recul n'est acceptable. L'égalité homme femme est un point cardinal.

La laïcité n'est pas l'athéisme ni l'anticléricalisme, mais une reconnaissance des limites entre sphère publique et privée, politique et religieuse.

Depuis 2013, il existe une charte de la laïcité affichée dans les écoles. Ne pourrait-on l'afficher également dans les mairies ?

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le général de Gaulle que vous citez et dont l'engagement républicain ne saurait être mis en cause, faisait célébrer des messes à l'Élysée, et la loi de 1905 était respectée. Vous le voyez, les contextes peuvent évoluer.

Dans chaque commissariat est affichée la Déclaration universelle des droits de l'homme. Cela relève du ministère de l'Intérieur. Votre proposition n'en relève pas : c'est au législateur de le prévoir.

M. Olivier Paccaud.  - Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu... ce qui est à Dieu. Chacun doit rester à sa place. Faisons respecter la laïcité, il en va de la cohésion de la société.

M. Max Brisson .  - Merci à Mme Laborde et au groupe RDSE d'avoir initié ce débat.

L'éducation nationale est un des creusets de la laïcité. Dans notre pays, l'enseignement religieux a disparu en 1881 mais le fait religieux est enseigné en histoire. Or certains professeurs ne peuvent plus enseigner certaines questions en histoire ou en SVT du fait de la religion de certains élèves. Comment dès lors transmettre le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ?

Le Président de la République a souhaité que 2020 ouvre une décennie d'unité de la Nation. Comment le faire dans l'éducation nationale ? Comment aider les professeurs à dispenser partout les mêmes enseignements ? (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SOCR)

M. Christophe Castaner, ministre.  - Je ne contesterai pas ce constat, et je pense que M. Blanquer ne le ferait pas non plus. Quelquefois, les enseignants n'arrivent pas à gérer des situations. C'est pourquoi des équipes du ministère de l'Éducation nationale, dédiées à la laïcité ont été formées dans les rectorats pour une reconquête par les professeurs de leurs classes.

Je remercie l'ensemble des intervenants de ce débat. J'ai conscience des inquiétudes sur divers sujets, notamment sur la loi de 1905. Mais celle-ci pose un cadre juridique d'exercice des cultes : cette dimension peut évoluer. Je ne parle pas seulement de l'islam. Les télévangélistes ont pris une très grande place politique dans le monde : aux États-Unis, ils ont davantage d'audience que Barack Obama et le président Trump réunis - et je ne parle pas d'un ministre de l'Intérieur. (Sourires) Grâce à la loi de 1905, nous pouvons accompagner l'organisation des cultes.

M. Max Brisson.  - Le non-enseignement de certaines questions du programme scolaire est l'atteinte la plus grave à la laïcité. La formation des professeurs pourrait répondre à ce défi. Je remercie Mme Laborde et le groupe RDSE de l'organisation de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme la présidente.  - À la demande du ministre, je lui cède la parole pour quelques secondes encore.

M. Christophe Castaner, ministre.  - Le grand combat à mener, c'est aussi celui de la déscolarisation. Jean-Michel Blanquer y travaille. La proposition de loi Gatel abordait le sujet des lieux de formation. Le sujet de l'émancipation par le savoir est absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Josiane Costes, pour le groupe RDSE .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) En demandant l'inscription à l'ordre du jour de ce débat, le RDSE a voulu que le Sénat, dans son pluralisme, s'exprime un sujet fondamental pour l'unité de notre pays, en ces temps où les débats identitaires attisent les divisions.

Le principe de laïcité est l'héritier direct du combat pour la liberté de conscience qui a progressivement rétabli la paix et la concorde après des siècles de guerres de religion.

Constitutionnalisée en 1946, réaffirmée en 1958, la laïcité puise sa portée juridique dans la loi du 9 décembre 1905, même si le terme n'y est pas mentionné. Pour les uns, elle cantonne la religion à l'espace privé ; pour d'autres, elle oblige l'État à un égal respect envers les croyants comme les non-croyants. Pour nous, c'est avant tout une loi de de protection de tous les citoyens. Elle vise à séparer l'État du religieux.

Son article 1er proclame la liberté de conscience et son corollaire, le libre exercice des cultes. Aucune distinction ne saurait être effectuée en faveur ou en défaveur de quelque religion que ce soit.

L'article 2 précise que la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Il en découle une stricte obligation de neutralité des personnes publiques dans la sphère publique, mais aussi le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour s'affranchir de la règle commune. La laïcité subordonne toutes les croyances à la loi de la République. Elle garantit l'unité nationale en refusant que la foi soit un attribut de citoyenneté.

C'est pourquoi le principe de neutralité impose une obligation de non-ostentation religieuse dans les services publics, à commencer par l'Éducation nationale. Jules Ferry voyait dans l'école de la République un moyen d'élever les individus hors de leur condition d'origine.

La loi de la République doit toujours primer sur la loi religieuse, qui n'est qu'une sujétion personnelle et particulière. Pourtant, certains fondamentalistes voient dans la laïcité un facteur d'asservissement, voire de discrimination. Ne tombons pas dans le piège, et restons fermes sur ce principe intangible, clé de la concorde civile. Nos compatriotes le savent, qui estiment à 80 % que la laïcité est en danger.

Notre pays est sur une ligne de crête. Plutôt que d'entretenir des débats sur la loi de 1905, ne faudrait-il pas s'intéresser à la loi de 1901 ou aux écoles hors contrat, parfois détournées au service d'un prosélytisme incompatible avec nos valeurs ?

Notre République n'est pas un patchwork de communautés ; elle est une, indivisible, garante du vivre-ensemble. Notre République doit permettre à la France de faire nation. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'à celles du groupe Les Républicains)