Mitage des espaces forestiers en Île-de-France

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France.

La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je me félicite de cette procédure législative. Il y a des sujets sur lesquels on a besoin de débattre et d'autres qui font consensus et permettent d'aller en profondeur en commission.

Cette proposition de loi issue de l'Assemblée nationale pérennise une expérimentation en cours issue de la loi de 2017 sur le statut de Paris, ouvrant la possibilité par la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) d'Île-de-France de préempter les ventes des espaces boisés de moins de trois hectares dans des communes ayant un document d'urbanisme et ce, afin de protéger la forêt.

Les élus d'Île-de-France ici connaissent le problème de mitage et de l'artificialisation, bien plus grave dans cette région qu'ailleurs. Ce droit de préemption n'a donc en aucun cas vocation à être étendu à la France entière. Inutile de rappeler que la forêt française est un puits sans fonds pour la captation du carbone, mais cette forêt doit être exploitée. Il ne faut pas avoir le syndrome d'Idéfix et pleurer à chaque fois qu'on coupe un arbre. Pour qu'elle se régénère, il faut l'entretenir.

Madame la présidente-rapporteur, les élus d'Île-de-France réclamaient unanimement cette solution depuis longtemps. Habituellement, la Safer ne peut préempter que des parcelles agricoles naturelles. Avec cette expérimentation, depuis février 2017, la Safer d'Ile de France a exercé son droit de préemption à 510 reprises, dont 198 pour la protection et la mise en valeur de la forêt, pour 5 289 mètres carrés en moyenne - donc des parcelles de toute petite taille -, et 180 à la demande de collectivités pour la protection des espaces boisés, en raison de la nécessité impérieuse de lutter contre le dérèglement climatique. Seulement 18 demandes provenaient des propriétaires forestiers.

Il fallait pérenniser cette expérimentation bien accueillie par tous les acteurs du territoire. Le Gouvernement est donc favorable au vote de ce texte, adopté à l'Assemblée nationale.

Je pense que vous voterez unanimement ce texte, qui doit pouvoir être mis en application au plus vite. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, RDSE et LaREM ; MM. Daniel Gremillet et Jackie Pierre applaudissent également.)

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte ne concerne que l'Île-de-France et la cabanisation de certaines parties rurales et forestières de notre région. Je remercie mon homologue, le rapporteur Jean-Noël Barrot, avec qui nous avons travaillé en très bonne entente.

Nous avons examiné les résultats de l'expérimentation lancée à l'initiative du Sénat en février 2017 ; ils montrent de façon probante l'efficacité du dispositif.

Nous avons examiné l'aspect juridique : peut-on voter un texte législatif spécifique à une partie seulement du territoire ? Outre que nous n'avons pas d'alternative, des règles spécifiques à l'Île-de-France existent déjà, comme en témoigne la décision du Conseil constitutionnel sur la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux.

La forêt francilienne est, au surplus, trois fois plus morcelée que la forêt française. Alors qu'elle ne représente que 2 % de la forêt hexagonale, elle bénéficie à 12 millions de Franciliens. Sa préservation est donc essentielle.

Ce texte est constitutionnellement solide et politiquement attendu, quels que soient les bancs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants ; M. Marc Daunis applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Cette proposition de loi pérennise une expérimentation lancée sous l'ancien quinquennat. (Mme Sophie Primas, rapporteur, s'amuse.) Il était important de le rappeler.

La Safer assure un service public : les collectivités saluent son action et, Valdoisien, je mesure combien ses interventions sont précieuses.

Je suis plus dubitatif que le ministre sur la procédure menée, qui interdit à certains sénateurs de travailler le texte...

L'expérimentation fonctionne : il faut donc la pérenniser. Le mitage forestier est très important à cause de la pression foncière. La forêt francilienne, trois fois plus morcelée que le reste de la forêt française, représente 21 % de la surface - ce n'est pas rien. L'Île-de-France étant la région la plus densément peuplée, la forêt est importante pour les espaces de détente qu'elle fournit et pour la protection de la biodiversité.

Le Val-d'Oise est boisé à 20 %, même si 75 % de sa forêt est morcelée. Le syndicat mixte d'aménagement de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt crée depuis plusieurs années une nouvelle forêt de 1 350 hectares dont les premières plantations ont été réalisées le 25 novembre dernier. À terme, et sur dix ans, ce sont ainsi un million d'arbres qui seront plantés pour donner naissance à une forêt mature dans trente ans.

Cette proposition de loi est bienvenue. Son dispositif est utile. Le groupe socialiste votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Olivier Léonhardt .  - Les problématiques urbaines en Île-de-France ne doivent pas occulter les enjeux agricoles et forestiers. La forêt est un puits de carbone indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, une ressource économique pourvoyeuse d'emplois, un espace de loisirs. Lequel d'entre nous n'a pas déploré des dépôts sauvages en lisière de forêt, des parcelles à l'abandon, la cabanisation ou encore le mitage, sujet que nous examinons aujourd'hui ?

L'Île-de-France, avec ses 12 millions d'habitants, fait face à une pression démographique et donc foncière très élevée. Les propriétaires cèdent à grand prix des petites parcelles en vue de leur changement d'affectation.

Les leviers actuels ne suffisent pas, bien que l'Agence des espaces verts joue un rôle important. Je salue l'initiative de nos collègues députés, pérennisant le droit de préemption de la Safer d'Île-de-France des espaces boisés inférieurs à trois hectares.

Le bilan de l'expérimentation démontre son efficacité : 198 préemptions, sur 510 l'ont été au titre de la protection et la mise en valeur de la forêt. La taille des parcelles concernées est en moyenne de 5 000 mètres carrés, ce qui répond à l'objectif de lutte contre le mitage. Cette lutte doit aussi passer par l'examen des parcelles en déshérence, par l'identification des bâtis illégaux et l'appel au respect des règles déontologiques lors des ventes de petites parcelles.

Mon groupe votera ce texte, d'autant plus que l'objectif de la lutte contre le morcellement et le mitage rejoint la lutte contre la sous-exploitation de la forêt. La forêt est un bien commun que l'urgence écologique nous invite à préserver. Je vous renvoie à l'accord de Paris qui invite les États au reboisement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM et sur le banc de la commission)

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Nous déplorons tous les incendies meurtriers qui dévastent l'Australie. Si l'inquiétude sur les forêts mondiales est récente, celle sur la forêt française est ancienne. Comme tout être vivant, elle est soumise à des perturbations et connaît un équilibre fragile qu'il faut préserver. Face au mitage, à la cabanisation, à la pollution, l'action du garde forestier ne suffit plus ; le législateur doit agir. C'est pourquoi cette proposition de loi de Jean-Noël Barrot est bienvenue.

L'Île-de-France, malgré son caractère urbain, est aussi verte que bien d'autres régions, avec 261 000 hectares de forêts. Mais ce poumon vert est soumis à une pression foncière, sans comparaison avec le reste du territoire, et connaît un morcellement excessif et une grande hétérogénéité : grands massifs de Fontainebleau, de la vallée de Seine, de Rambouillet et multiples forêts dispersées dans la grande couronne.

Yvelinois tous deux, Mme la rapporteure et moi-même sommes tout particulièrement intéressés par ce sujet. L'expérimentation apparaît plébiscitée par les acteurs de terrain : 198 préemptions, dont 107 pour la protection et la mise en valeur de la forêt. Si nous n'avions pas légiféré, il y a trois ans, dans 107 cas, les collectivités territoriales et la Safer auraient été impuissantes face à des ventes accroissant le mitage.

Les collectivités territoriales, les propriétaires privés, les associations environnementales sont unanimes en faveur du dispositif. Sa pérennisation est donc justifiée : le groupe LaREM votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Yvon Collin applaudit également.)

M. Fabien Gay .  - Adoptée le 28 novembre 2019 par l'Assemblée nationale, cette proposition de loi a été adoptée par la commission des affaires économiques et le groupe CRCE la votera. (On s'en félicite sur toutes les travées.)

Il faut aborder cette proposition de loi, bien qu'elle ne concerne que l'Île-de-France, dans le contexte plus global d'urgence climatique et de nécessaire protection de notre patrimoine forestier.

L'Accord de Paris le rappelle : les forêts sont des puits de carbone, absorbant 2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone au niveau mondial et près de 70 millions de tonnes en France, chaque année.

Avec 140 variétés d'arbres, la forêt française est parmi les plus diversifiées d'Europe. Il faut la protéger. À cet effet, nous attendons, depuis près d'un siècle, la réforme du code minier, notamment pour protéger la forêt amazonienne...

La forêt d'Île-de-France représente 261 000 hectares, soit 21 % de la région, pour une moyenne nationale de près de 30 %. Elle est hélas trois fois plus morcelée et mal entretenue. Mitage, cabanisation, artificialisation, pollution des sols sont des fléaux et les ventes à des investisseurs s'accélèrent, dans un contexte de pression sur le foncier. Les collectivités territoriales sont démunies face au détournement des parcelles. Le droit de préemption accordé à la Safer est donc bienvenu.

Dans 107 cas de préemption, l'objectif de la Safer était de protéger la forêt. En absence de disposition, les collectivités territoriales n'auraient rien pu faire. Les 198 cas de préemption par la Safer, autorisés de manière expérimentale, représentent 105 hectares de foncier forestier. La forêt est devenue une valeur refuge qui suscite beaucoup d'appétits de la part d'investisseurs peu soucieux de la biodiversité.

Aussi, je le répète, nous voterons cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur quelques travées des groupes UC, Les Républicains, SOCR et LaREM)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Cette proposition de loi revêt un caractère particulier quand les forêts australiennes sont dévastées par de violents incendies.

Les forêts absorbent chaque année 2 milliards de tonnes de CO2, dont 70 millions en France. Outre son intérêt écologique, la forêt a aussi des qualités sociales et économiques.

Les forêts subissent cependant de nombreuses atteintes et, depuis trente ans, leur surface a continué à se réduire au plan mondial. Parmi ces atteintes, les activités humaines occupent un rôle majeur, que ce soit pour la création d'espaces agricoles ou pour l'exploitation industrielle. Les feux de forêts, comme les incendies spectaculaires en Australie ou dans la forêt amazonienne, rendent la déforestation bien visible. Elle révolte à juste titre les citoyens soucieux de l'environnement.

Il existe cependant des menaces plus silencieuses et moins visibles. Le mitage en fait partie et il met en péril la croissance de la forêt française.

La région Île-de-France rassemble un cinquième de la population française sur 3 % de la superficie du territoire national. Malgré tout, elle est boisée à 20 %. Cette proportion s'établit à 25 % en Seine-et-Marne, mon département. Le massif de Fontainebleau, deuxième forêt domaniale de France, s'étend sur 25 000 hectares.

Le droit de préemption de la Safer d'Île-de-France, créé en 2017 de manière expérimentale, favorise une action en amont, avant la destruction de la parcelle. Les près de 200 préemptions ont concerné des ventes de 5 000 m2 en moyenne.

Les différents acteurs de ces ventes ne se sont pas montrés hostiles au dispositif. Les collectivités locales sont à l'origine de la majorité des préemptions et, même si elles sont moins nombreuses, certaines préemptions ont eu lieu à l'initiative de propriétaires privés.

La proposition de loi rend permanent ce droit de préemption, pour préserver utilement la forêt francilienne, l'expérimentation ayant prouvé son efficacité pour cette région si particulière avec 1 014 habitants/km2. Il ne saurait être envisagé d'étendre ce dispositif à d'autres régions. Le groupe Les Indépendants est attaché à cette spécificité, dans un territoire où 98,8 % des espaces sont des aires urbaines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La forêt française constitue un atout majeur de notre pays dans le contexte actuel de transition écologique et énergétique. Elle occupe plus de 440 000 emplois et son potentiel de développement est considérable. Mais elle est aujourd'hui menacée, notamment par le changement climatique et l'étalement urbain. En Île-de-France, le mitage et la cabanisation font disparaître les forêts périurbaines. Les constructions illégales font fi de l'autorité des maires et accroissent les risques naturels, comme les inondations, créent des nuisances pour les riverains et freinent les projets d'aménagement.

Cette proposition de loi pérennise l'expérimentation de 2017. Il était urgent d'agir et ce dispositif fait l'unanimité. Depuis le début de l'expérimentation, le droit de préemption de la Safer a été utilisé près de 200 fois, souvent à la demande des collectivités territoriales.

Le groupe UC soutient cette proposition de loi, et il faudra s'interroger pour savoir s'il faut l'étendre à d'autres espaces naturels périurbains. Mais tant qu'il sera plus intéressant fiscalement d'artificialiser une parcelle, la tentation sera forte pour les investisseurs.

Ce dispositif, utile pour lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, s'accompagne fort heureusement sur ces territoires et depuis la mise en place des plans régionaux forêt-bois, de politiques de préservation et de développement forestier. Mais, à mon sens, cette mesure n'a pas vocation à se déployer en dehors des massifs périurbains.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous sommes d'accord !

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Elle ne répond aucunement à la problématique du morcellement de la propriété. L'enjeu est tout autre puisqu'il s'agit non pas d'éviter la cabanisation, mais bien de permettre des regroupements de parcelles, propices à créer des unités de gestion sylvicole durables. En ce sens, le droit de préférence aux riverains demeure l'outil le plus approprié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La pédagogie étant affaire de répétition, j'indiquerai à mon tour que cette proposition de loi pérennise une expérimentation lancée il y a trois ans, qui a montré son efficacité. La forêt francilienne, poumon vert de la région, est exposée au risque de mitage. Il en résulte un processus de cabanisation.

Le droit de préemption au profit de la Safer d'Île-de-France, expérimenté depuis 2017, a été un succès. L'évaluation est une condition examinée par le juge constitutionnel pour valider une pérennisation. Or le bilan parle de lui-même. En trois ans, la Safer a utilisé son droit de préemption 198 fois pour un total de 105 hectares de surface forestière. En moyenne, la moitié des préemptions réalisées n'aurait pas été possible sans l'expérimentation. C'est 5 289 m2 par opération, soit un sixième du plafond de trois hectares fixé par la loi.

L'outil juridique, qui comprend un volet préventif et dissuasif, est pleinement opérationnel et contrecarre le morcellement extrême. Il permet une intervention préalable, alors que le droit prévoit des souplesses d'installation dans des habitats démontables et mobiles.

Un dispositif spécifique à l'Île-de-France est légal : le Conseil constitutionnel a validé une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France.

La forêt d'Île-de-France est trois fois plus morcelée que la forêt nationale, avec une superficie moyenne d'un hectare.

Les forêts franciliennes doivent pouvoir bénéficier de ce que les scientifiques appellent « l'effet fertilisant » du CO2 qui permet aux arbres de se développer en capturant du carbone tout en diffusant de l'oxygène dans l'atmosphère francilienne. De plus, ces peuplements forestiers sont les garants d'une certaine fraîcheur climatique pour les Franciliens puisqu'un arbre de grande taille puise environ 100 litres d'eau par jour dans le sol et en vaporise une grande proportion dans l'air.

Il ne s'agit pas de mettre la forêt sous cloche, mais de l'exploiter comme elle doit l'être.

Le groupe Les Républicains votera ce texte sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et LaREM)

La proposition de loi est adoptée définitivement.

(Applaudissements sur toutes les travées)