Demain les robots : vers une transformation des emplois de service

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service », à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.

Mme Marie Mercier, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Aucune technologie ne peut être neutre, car elles portent toutes en elles une vision du monde. La délégation à la prospective a voulu réfléchir, à la demande de son président Roger Karoutchi, à la question de l'impact sur l'emploi de l'utilisation de plus en plus fréquente des robots et machines intelligentes.

Les robots ne sont plus l'apanage de la seule industrie. Des systèmes automatiques réalisent mieux que nous des tâches de la vie quotidienne. Certes, un monde où l'ensemble des tâches, de la plus banale, comme conduire une voiture ou faire la cuisine, aux plus complexes, comme analyser des documents, seraient effectuées par des machines, relève encore de la science-fiction. Mais la révolution des robots est déjà lancée.

L'intelligence artificielle a pris un essor extraordinaire dans la dernière décennie, avec le développement de l'apprentissage automatique et des neurones profonds. La capacité à mettre en réseau des informations, grâce à l'internet des objets, et à traiter des masses gigantesques de données, affine le comportement des machines et les rend réactives à une grande variété de situation.

Ce mouvement inquiète : les robots, qui semblent appelés à se répandre, peuvent-ils remplacer les salariés, en particulier dans les emplois de service, qui représentent 75 % des emplois en France ?

Les machines peuvent lire avec précision un cliché radiologique ou effectuer des opérations de trading haute fréquence dans les salles de marché. Le rapport Frey-Osborne de 2013 estime que 50 % des emplois de service pourraient disparaître en vingt ans aux États-Unis.

La crainte d'un chômage technologique de masse n'est pourtant pas fondée, les pays ayant le plus recours aux robots comme l'Allemagne, le Japon ou la Corée du Sud, ayant les taux de chômage les plus bas.

En revanche, la nature des emplois évoluera selon les experts, dont les travaux les plus récents laissent penser que seulement 10 % à 15 % des emplois existants sont menacés de disparition par l'automatisation. Tous les domaines sont concernés : l'agriculture, la logistique, les transports, la sécurité, la défense, les services financiers, le commerce et les loisirs, l'énergie, l'environnement, les services juridiques et même le soin et l'accompagnement des personnes âgées. Même l'accueil dans un hôtel ou l'animation d'une maison de retraite peuvent être confiés à un robot. Sera-t-on capable de répondre aux besoins d'adaptation qui en découlent ? Soyons optimistes et préparons-nous à une robotisation heureuse ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM et sur quelques travées du groupe SOCR)

MM. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective et René-Paul Savary, rapporteur.  - Très bien !

M. René-Paul Savary, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Les robots vont-ils rendre l'homme obsolète au travail ? Des modifications importantes interviendront dans les années qui viennent. Si la robotisation n'est pas forcément synonyme de régression, nous devons rester vigilants face à la déstructuration progressive des emplois intermédiaires. Il faut l'anticiper. Il faut aussi prendre en compte les risques de délocalisation des emplois. Quant à la formation, il faut aussi anticiper des évolutions rapides, car les emplois transformés pourraient devenir, demain, un handicap.

Demain, 80 000 emplois risquent de manquer dans le numérique qui représente 3 % à 5 % des emplois aujourd'hui. C'est pourquoi la formation, initiale et supérieure, mais aussi continue, est essentielle : il faut apprendre à apprendre pour avancer. Des mesures sociales seront nécessaires, pour les salariés des plateformes.

Autre objectif, il nous faudra réguler l'activité des robots et non pas les bloquer, ce n'est pas possible. Nous avons étudié les conséquences de l'automatisation sur les emplois intermédiaires. La fiscalisation des robots est une piste.

Mais il faut aussi tenir compte de la dimension éthique du phénomène : la robotisation ne doit pas nuire aux conditions sociales du travail. Les lois d'Asimov, formulées il y a près de 80 ans, restent d'actualité : un robot ne doit pas être sans maître, il doit être contrôlable et ne pas mettre l'homme en danger. Ainsi l'automatisation ne devrait pas devenir un outil d'esclavage ou de manipulation, ni faire disparaître les relations sociales au sein de l'entreprise.

L'homme, animal adaptable, doit veiller à ce que l'homme ne soit pas à la disposition du robot, mais l'inverse. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Roger Karoutchi, président de la délégation.  - Très bien !

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Je vous prie d'excuser l'absence d'Agnès Pannier-Runacher et Cédric O, retenus par d'autres obligations.

Les besoins de main-d'oeuvre liés au numérique sont massifs : selon la Commission européenne, 756 000 postes sont à pourvoir en Europe en 2020, dont 212 000 en France. Selon le syndicat de l'industrie du numérique, il existe un déficit annuel de 10 000 diplômés dans ce domaine.

La révolution numérique implique des transformations globales tant sur le marché du travail que sur la formation.

Elle est prise en compte à l'école : l'informatique et l'algorithmique sont enseignées dès le CP depuis 2016, une heure et demie de « sciences numériques » sont proposées en Seconde et jusqu'à six heures en Terminale, et un Capes numérique verra le jour en 2020.

Un dispositif French Tech Tremplin financé à hauteur de 15 millions d'euros aidera les porteurs de projets éloignés de la technologie, demandeurs d'emplois ou jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville, à créer leurs entreprises ou en accélérer le développement.

Le numérique sait s'organiser. Les entreprises françaises devront intégrer et s'approprier l'intelligence artificielle, notamment par le recrutement de spécialistes hautement qualifiés, mais aussi une formation à l'intelligence artificielle à tous les échelons de l'entreprise. Il faudra former des data scientists. Pour cela, l'écosystème éducatif français en matière d'intelligence artificielle est mondialement réputé et se développe, dans le cadre de la stratégie nationale. De nombreux masters spécialisés existent déjà.

Des actions européennes ont été développées par l'intermédiaire des MOOC, à l'initiative de l'université d'Helsinki ou du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), par exemple, pour renforcer la spécialisation dans le champ du numérique.

La robotisation est utilisée dans le tourisme depuis cinq ans, via des chatbots et l'intelligence artificielle. L'automatisation améliore la qualité de l'accueil des touristes sans remplacer la présence humaine. Une plateforme datatourisme.gouv.fr a été ouverte il y a deux ans.

Quant au commerce physique, la robotisation se développe dans le domaine du paiement et dans les entrepôts. Si elle permet aux consommateurs de faire leurs achats le dimanche, elle induira un taux d'emploi plus faible et donc de possibles restructurations.

Le Gouvernement veille à ce que cette automatisation ne contribue pas à contourner le droit du travail. Les salariés doivent être accompagnés vers les activités à plus haute valeur ajoutée pour ne pas être exclus du marché du travail. Il faudra donc que les professionnels soient formés pour faire face à la robotisation de l'activité, notamment dans les centres d'appels des entreprises : souvent situés dans des bassins d'emplois fragiles, ils participent activement à l'insertion professionnelle pour des jeunes, très touchés par le développement de l'intelligence artificielle.

L'intelligence artificielle et les chatbots risquent d'aboutir à la suppression de 70 000 emplois par an. Le Gouvernement accorde une priorité aux travailleurs dont l'emploi risque d'être automatisé, en leur proposant une offre de formation renforcée.

Les assistants robotisés pourraient contribuer à réduire le coût du travail. Cependant la modernisation des services ne se fera pas sans une formation renforcée.

Les activités de services à la personne ne se prêteront pas, heureusement, à une automatisation systématique. L'État est attentif à la filière, sensible à la recommandation 4 de votre rapport sénatorial concernant l'élaboration de politiques d'utilisation de la donnée publique et privée.

La numérisation des filières via les plateformes permet de dynamiser l'offre et de diversifier les marchés. Le Gouvernement veille à réguler de façon transversale le secteur, notamment dans les domaines de la mobilité et de la logistique.

Un chantier a été lancé sur la réglementation du travail dans les sociétés de services conformément à la recommandation 9 de votre rapport, et en vertu de l'habilitation donnée au Gouvernement au titre de l'article 48 de la LOM. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et LaREM et sur le banc de la commission)

M. Roger Karoutchi .  - Grandeur et servitude de la fonction... Monsieur le ministre, vous voilà maître des robots. (Sourires) Beaucoup d'initiatives existent en matière de robotisation, dans l'éducation, le tourisme. N'aurions-nous pas intérêt, collectivement et au-delà de tous les clivages, à produire un texte, une sorte de loi-cadre, à l'instar de ce qui a été fait aux États-Unis, en Allemagne, en Corée du Sud ou en Israël, pour nous projeter à dix ou quinze ans ? On y inscrirait des principes de financement ou de protection des salariés. Croyez-vous possible que le Gouvernement puisse produire un tel texte d'engagement pour l'avenir ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Le marché mondial de la robotique est en très forte croissance, de plus de 20 %, notamment grâce à l'automobile. Mais 75 % des ventes de robots industriels se concentrent sur le Japon. La France reste un pays peu robotique, avec 137 robots industriels pour 10 000 salariés, contre 157 en Espagne par exemple.

Le Gouvernement a fait le choix, avec le projet Industrie du futur, d'accélérer la pénétration des robots. Le Président de la République a réaffirmé en septembre 2018 à Vélizy-Villacoublay, à l'occasion du lancement du plan de transformation numérique, sa volonté d'aller dans ce sens.

Votre rapport éclaire concrètement la globalité et la diversité des enjeux à traiter, qui sont sociaux, portent sur le droit du travail, la formation, et tant d'autres domaines.

Faut-il une loi-cadre ? Peut-être faudrait-il d'abord se projeter dans les dispositifs existants et prendre en compte le cadre européen ?

M. Roger Karoutchi.  - Je ne suis pas un obsédé des lois-cadres. Pour autant, le Gouvernement aurait intérêt à regrouper les initiatives pour avoir une vision d'ensemble de ce que sera la société dans vingt ou trente ans.

M. Franck Montaugé .  - La robotisation toujours plus sophistiquée pose la question de la transformation profonde du travail et de sa place dans la société. Yann Le Cun, grand spécialiste français de l'intelligence artificielle, lauréat du prix Turing, nous dit qu'il n'est pas sûr qu'elle profitera à tous. Elle ne peut rivaliser avec la sensibilité humaine valorisée sur le marché. La mission d'information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, conduite par Alain Chatillon et Martial Bourquin, a auditionné Pierre-Noël Giraud, économiste à Mines ParisTech, qui considère que nous pourrions aller, selon ses propres termes, vers une proportion importante d'« hommes inutiles », dans une économie globalisée diluant toujours plus les classes moyennes, intermédiaires, pour ne laisser d'un côté que des acteurs productifs mobiles et de l'autre, des acteurs assujettis, sédentaires, au service de « nomades créateurs de valeur ».

La nature humaine étant ce qu'elle est, je suis convaincu que tout ce qui est techniquement possible sera fait, tôt ou tard. Les politiques ont une responsabilité forte face à ces changements. Comment associerez-vous les intellectuels et les corps intermédiaires à l'indispensable réflexion qui doit les accompagner pour construire un avenir commun ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - L'histoire du monde est peuplée de révolutions technologiques qui ont fait croître le même type de craintes que celles auxquelles nous nous confrontons. Le Gouvernement y répond par la formation qui donnera de la visibilité aux travailleurs sur les changements à venir.

Nous veillons aussi à ce que la robotisation ne remette pas en cause notre souveraineté, dans le cadre européen, et ne devienne pas le moyen de détourner notre droit du travail et notre modèle de société.

M. Éric Gold .  - Le secteur de l'aide à domicile pour les personnes dépendantes fait face à d'importantes difficultés de recrutement : faiblesse des rémunérations, longs déplacements, précarité, parfois violence physique et verbale des patients.

Au Japon, il manquera 370 000 soignants en 2025 ; pour y répondre, le Gouvernement mise sur les robots - y compris un robot émotionnel qui calme l'anxiété des personnes atteintes d'Alzheimer.

La domotique améliore déjà le confort des personnes à mobilité réduite.

Le lien humain doit certes être préservé mais ces outils peuvent aider au maintien à domicile et soulager les auxiliaires de vie, notamment au lever et à la toilette.

Qu'en pensez-vous ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Le secteur de l'aide à domicile peut être aidé par la robotisation, notamment dans l'assistance et la veille. Il y a des expériences en France ; attendons d'en faire le bilan, mais la robotisation ne peut venir qu'en complément du lien humain, en soulageant les auxiliaires de certaines tâches - leurs taux d'arrêt de travail sont supérieurs à ceux du BTP.

L'expérimentation de l'application Nova sur les données ouvertes devrait aboutir fin 2020.

M. André Gattolin .  - La robotisation et l'intelligence artificielle bouleversent déjà le marché du travail : selon l'OCDE, un emploi sur six sera détruit par la robotisation, un sur trois sera transformé. Mais c'est aussi un gisement d'emplois : 600 000 postes d'experts du numérique sont à pourvoir dans l'Union européenne.

Les forces de la France sont son écosystème éducatif et ses start-up ; ses faiblesses, la fuite des cerveaux et le rachat de ses jeunes pousses.

Pour répondre au défi de la formation, un milliard d'euros devrait être investi dans la recherche sur l'intelligence artificielle chaque année par la Commission européenne, permettant un effet de levier de 20 milliards d'euros d'investissements publics.

Quel rôle la France y jouera-t-elle, notamment dans le cadre du programme Horizon Europe ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - La France peut s'appuyer sur l'excellence de son école de mathématiques. Tous les patrons de l'intelligence artificielle dans les GAFA sont français. Mais cela ne suffit pas. La Chine consacrera 40 milliards d'euros par an à l'intelligence artificielle, comme les États-Unis.

Sous l'impulsion d'Ursula von der Leyen et de Thierry Breton, l'Europe prend conscience de l'enjeu. Je citerai le programme Digital Europe, Horizon Europe doté de 100 milliards d'euros, et la création d'une agence européenne pour l'innovation de rupture.

La France a trop peu de licornes ; il faut y remédier.

M. Fabien Gay .  - La numérisation dit quelque chose de notre société future. Elle touche tous les champs d'activité - industrie, services, santé, éducation... Socialement, sera-t-elle deshumanisante, ou au service de l'humain ? Songeons aussi à l'environnement : le numérique, c'est 10 % de l'énergie consommée dans le monde.

Qui va concevoir les robots de demain ? Allons-nous subir, comme pour la 5G, la domination de la Chine et des États-Unis, ou être à l'initiative et construire nos propres robots ?

Avant d'apporter une meilleure qualité de travail, la robotisation permet surtout de maximiser les profits. La valeur créée par les robots ira-t-elle uniquement au capital, ou sera-t-elle aussi redistribuée vers le travail ? J'ai entendu le Che Guevara de Bercy, Bruno Le Maire, dire que les entreprises devaient participer à l'effort... (Sourires) Enfin, si le travail se réduit, il faudra le partager - et aller vers la semaine de 32 heures. (Sourires)

M. Marc Fesneau, ministre.  - C'est un programme économique complet que vous proposez là ! Vous posez néanmoins des questions justes. La France est en retard dans la production de robots ; c'est un objectif de compétitivité et un enjeu de souveraineté, mais il faut être vigilant sur les conséquences sociales.

Dans des secteurs qui reposent sur la relation humaine, comme les services à la personne ou le tourisme, le robot ne peut venir qu'en complément, pour soulager les salariés.

Le marché de production des robots, en forte croissance, est dominé par le Japon, la Corée du Sud, l'Allemagne, la Chine et les États-Unis.

En France, seules deux entreprises sont en mesure de rivaliser. Il faut accompagner la révolution technologique à l'oeuvre, permettre aux Français de se former tout au long de leur vie professionnelle.

La question de la répartition de la valeur ajoutée est légitime - en gardant à l'esprit le souci de rester compétitifs. La meilleure façon de la partager est d'en créer. Plutôt que diviser la faiblesse du travail, nous voulons multiplier les capacités de travail.

M. Fabien Gay.  - Le débat du partage de la valeur ajoutée est déjà brûlant. Même le Medef et Bruno Le Maire sont contraints de bouger : en trente ans, dix points sont passés du travail au capital et en 2018, 51 milliards d'euros de dividendes ont été versés aux actionnaires du CAC 40, tandis que le Smic augmentait de 50 centimes par jour...

M. Franck Menonville .  - Au début du XIXe siècle, les artisans anglais, derrière John Ludd, se soulevaient contre l'automatisation et détruisaient les métiers à tisser qui menaçaient leur emploi. Depuis, l'économie s'est numérisée et mondialisée, mais les mêmes craintes ressurgissent. On craint aujourd'hui pour les métiers de service, la robotisation va faire émerger de nouveaux emplois et en détruire d'autres, voués à disparaître ou à évoluer.

La distinction entre industrie et services est de plus en plus dépassée. Nous assistons au développement de l'économie de la fonctionnalité, à l'éclatement des chaînes de production, au développement du travail intérimaire.

Pour être compétitifs, il nous faut être à la pointe du développement technologique ; cela exige un accompagnement individuel et des formations adaptées. Qu'allez-vous faire pour accompagner ces mutations ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Comment faire en sorte que le solde d'emplois soit positif ? Il y a une part de risques, mais aussi d'opportunités.

Selon la Commission européenne, il y a 756 000 postes à pourvoir dans l'Union. Mais il y a un défi de formation et de promotion des métiers du numérique. Le Président de la République a souhaité lancer une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) au niveau national, avec les régions, pour anticiper les évolutions de l'offre de formation. Nous allons accompagner les start-up grâce à French Tech, Pôle emploi et l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) pour le recrutement de jeunes talents, simplifier l'intéressement pour les salariés. Le défi est à la fois de former aux emplois de demain et d'adapter les métiers d'aujourd'hui.

Mme Nadia Sollogoub .  - Le passionnant rapport de la délégation nous a aussi permis de démasquer les robots qui envahissent déjà notre quotidien.

Acteur impliqué de mon territoire, j'entends chaque jour que beaucoup d'emplois ne sont pas pourvus. Il faudrait stimuler, encourager la recherche et le développement pour combler ce vide : que la robotisation entraîne donc la disparition des emplois non pourvus !

Le retard de la France dans la robotique industrielle est-il en cause ? Le robot ne remplace que le geste pénible ou dangereux, pas le geste humain, irremplaçable.

Enfin, il est à craindre que l'empreinte carbone des robots soit incompatible avec leur développement.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Dans un monde parfait, la robotisation irait combler les emplois non pourvus... Mais ce sont aussi les emplois de demain qui ne sont pas pourvus !

Difficile d'anticiper l'impact de la révolution technologique sur l'emploi, en volume et sur l'organisation du travail. En France, la numérisation de l'économie pourrait détruire 15 % à 20 % des emplois et transformer près d'un emploi sur deux. Un travail prospectif a été engagé par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) ; il identifiera les secteurs les plus créateurs et destructeurs d'emplois. On anticipe ainsi une baisse de 9 % des emplois dans la finance et l'assurance, mais une hausse de 36 % pour les activités informatiques et de service.

Le plan GPEC voulu par le Président de la République sera décliné au niveau territorial pour aider les entreprises et salariés à anticiper et faire face aux mutations. Il faut une montée en compétences généralisée pour atteindre le plein emploi en 2025.

M. Cyril Pellevat .  - Le rapport de nos collègues montre combien la robotisation va bousculer tous les secteurs de notre existence. Or la France et l'Europe se sont laissé distancer par les États-Unis, riches du trésor de guerre que représentent les données collectées par les GAFA, et par la Chine, qui ambitionne de devenir le leader mondial de l'intelligence artificielle dès 2030.

La France a des atouts, mais il faut agir vite. Je salue le plan européen sur les données annoncé par Thierry Breton, prôné il y a un an dans une proposition de résolution de notre commission des affaires européennes. Il faut aussi que l'intelligence artificielle face l'objet d'un projet européen d'intérêt commun permettant d'adapter les règles de concurrence pour attribuer des aides.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Les acteurs économiques ont besoin d'accéder aux données, publiques et privées, pour déployer des solutions innovantes. C'est un enjeu de compétitivité et de souveraineté. L'Europe est en retard, les données existent mais sont trop peu partagées et mutualisées. Il conviendrait d'ouvrir les banques de données privées à des projets d'intérêt public, tout en respectant les droits des utilisateurs. La plateforme Dawex est un exemple de réussite. Face aux contraintes de sécurité, il faut adopter une stratégie commune et opérationnelle, définir une typologie des données et des finalités d'accès claires.

Une réflexion est en cours au niveau européen. Les choses sont sur la table, il faut aller plus loin.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Faut-il taxer les robots ? J'ai lu avec attention le rapport de nos collègues, qui fournissent quatre arguments pour - et quatre arguments contre. Une étude de l'OCDE de 2018 estime que 14 % des emplois pourraient être détruits par l'intelligence artificielle d'ici à 2025. La taxation des robots freinerait le remplacement du travail humain et permettrait de gagner du temps pour adapter les personnels exposés à ces évolutions, estime Bill Gates.

Le dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) évoque aussi la question.

La richesse produite par la robotisation ne profite presque qu'aux actionnaires - d'où un besoin de redistribution et de correction des inégalités. Est-ce faisable ?

Le Parlement européen a évoqué un impôt sur le travail réalisé par les robots ou une redevance d'utilisation visant à soutenir la reconversion des chômeurs et maintenir la cohésion sociale. Mise en oeuvre seulement en France, une telle mesure aurait des conséquences négatives pour notre compétitivité. Au niveau européen, nous éviterions cet écueil.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Faut-il taxer les robots pour contribuer à la protection sociale ? La question n'est pas simple. À ce stade, le Gouvernement n'y est pas favorable. Votre délégation n'est pas parvenue à un consensus sur la question. Le COR n'est pas davantage favorable à la taxation. La première étape, la plus urgente, est d'augmenter le taux de robotisation. En outre, se posent des difficultés juridiques -comment définir le robot, fixer le seuil d'automatisation ? - et de constitutionnalité, au regard du principe d'égalité devant l'impôt.

Enfin, la taxation serait-elle pertinente d'un point de vue économique ? De nombreux économistes remettent en cause la notion de raréfaction de l'emploi. Surtout, cela poserait un problème de compétitivité des entreprises françaises.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est une ouverture.

M. Marc Fesneau, ministre.  - Mieux vaudrait agir dans un cadre européen. Je ne suis pas d'accord avec Bill Gates lorsqu'il estime qu'il faut gagner du temps. Nous devons plutôt rattraper notre retard.

M. Olivier Cadic .  - « Le hasard ne favorise que les esprits préparés », disait Pasteur. Je remercie la délégation de ce débat. Il y a cinq ans, elle nous proposait déjà un débat sur les emplois de demain. Les plus catastrophistes estimaient alors que plus de trois millions d'emplois seraient mis au tapis d'ici à 2025... Nous voyons ce qu'il en est.

De plus en plus, ce n'est plus l'ordinateur qui assiste l'homme, mais l'homme qui assiste l'ordinateur. Cessons les fantasmes sur les robots.

En août dernier, je me suis rendu à Kazan, avec la ministre Pénicaud, pour défendre la candidature de Lyon pour accueillir les Olympiades des métiers en 2023. Avoir WorldSkills à Lyon est une chance. Ces olympiades sont une vitrine tant pour les métiers traditionnels que pour les nouveaux métiers. Or nos compétiteurs relèvent surtout des premiers... La France sera-t-elle au rendez-vous de 2023 ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Il faut former plus et mieux aux métiers de la révolution numérique - développeur, web designer, intégrateur, etc. Le Gouvernement est très actif : l'informatique et l'algorithme sont inscrits dans les programmes dès l'école primaire ; les lycéens suivent des cours hebdomadaires de sciences numériques et technologie.

Le Président de la République a annoncé un GPEC au niveau national en 2020 pour affiner l'offre de formation.

Il reste beaucoup à faire pour répondre aux défis de recrutement de l'industrie numérique. French Tech, Pôle emploi et l'APEC y contribuent.

Mme Christine Lavarde .  - En cette longue période de grève, il ne vous aura pas échappé qu'à Paris deux lignes de métro fonctionnent en continu : la 14, automatisée depuis sa mise en service en 1998, et la 1, au prix de 629 millions d'euros de travaux.

Le Gouvernement compte-t-il accompagner l'automatisation de toutes les lignes du métro ? Certes le coût est élevé, mais il faut le mettre au regard du coût des grèves : une journée de grève coûte 3 millions d'euros à la RATP, soit 102 millions d'euros au 9 janvier, auxquels il faut ajouter le remboursement du pass Navigo, décidé hier. Et je ne parle pas des coûts induits pour les entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre.  - Sans vous caricaturer, vous proposez de contourner le droit de grève par la robotisation, (Mme Christine Lavarde le conteste.), ou du moins la capacité à faire grève. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE)

Au-delà de la question circonstancielle - et je suis conscient des nuisances réelles qu'entraîne la grève - je rappelle que le STIF est en charge du dossier de l'automatisation du métro. Cela a un coût, vous l'avez dit. Le STIF et la RATP réfléchissent à ces problèmes. Il est plus facile d'automatiser les lignes nouvelles que les anciennes.

Qu'il s'agisse de métro ou de voiture, l'automatisation est un outil pour faciliter la mobilité, en Île-de-France comme ailleurs.

Mme Christine Lavarde.  - Je n'ai absolument pas attaqué le droit de grève.

M. Jean-Michel Houllegatte.  - À peine !

Mme Christine Lavarde.  - Une ligne automatique fonctionne avec 300 agents contre 900 à 1 000 pour une ligne classique. Si ces agents se mettaient en grève, elle ne pourrait pas fonctionner.

Mme Viviane Artigalas .  - Les ruptures technologiques portent des bouleversements drastiques dans l'organisation du travail. On se souvient des luddites au XIXe siècle, qui détruisaient les métiers à tisser. Les nouveaux travailleurs ubérisés sont devenus servants des machines numériques que sont les plateformes. Comme le taylorisme qui émiettait le travail, la révolution numérique risque, si l'on n'y prend garde, de le déshumaniser.

Mais elle offre aussi de nouvelles opportunités en diminuant la pénibilité de certaines tâches.

Les pouvoirs publics doivent orienter les investissements en ce sens et encourager l'utilisation des nouvelles technologies dans les PME et TPE du secteur des services. Qu'avez-vous prévu en matière d'aides, pour ne pas rater le coche de la modernisation ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Chaque rupture technologique est source d'inquiétudes. Nous ambitionnons d'augmenter le taux d'emploi des séniors ; cela suppose de pouvoir travailler plus longtemps. Parmi les facteurs de pénibilité, il y a le travail de nuit, le travail répétitif, les postures pénibles, la manutention. Nombre de ces tâches peuvent être automatisables. Le Skypod d'Exotec, entreprise des Hauts-de-France, est un bon exemple.

Il faudra former les salariés appelés à travailler avec les robots, accompagner les PME dans leurs investissements. Le Gouvernement est pleinement engagé en ce sens, dans le cadre de l'objectif de retour au plein emploi en 2025.

Mme Viviane Artigalas.  - Les normes ne pourront être imposées que par le volontarisme politique. Cela suppose une aide spécifique pour les PME. Ne faites pas la même erreur qu'avec l'article 41 de la loi LOM, censuré par le Conseil constitutionnel, qui permettait aux plateformes de définir elles-mêmes les caractéristiques du contrat de travail ! Si l'on prend les mesures nécessaires pour canaliser l'innovation, les nouvelles technologies peuvent être source de progrès social.

Mme Catherine Procaccia .  - Le Japon a une population vieillissante et manque de personnel dans les maisons de retraite ; pour y remédier, il a investi dès 2013 dans des robots pour accompagner les malades, les personnes âgées mais aussi les aidants et les soignants. Plutôt que d'opposer la machine à l'homme, pourquoi ne pas envisager leur complémentarité ?

Investir dans les robots aidants soulagerait le personnel socio-médical en France et rendrait plus attractif les métiers de l'aide à la personne, pénibles et mal rémunérés. Des structures privées les développent, mais leur coût est un frein à un déploiement massif.

Les Ehpad sont chers. Comment le Gouvernement compte-t-il encourager ce type de technologie ? A-t-on tiré un bilan de l'expérience japonaise ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - Le Japon représente à lui seul 52 % des ventes de robots industriels dans le monde. La France en est loin, et je ne crois pas qu'il soit possible, ni souhaitable d'arriver à ce niveau. Reste que nous sommes en retard dans la robotisation du secteur des services. Les robots peuvent soulager les soignants de certaines tâches et leur permettre de se concentrer sur la relation humaine. N'étant pas en charge des questions de santé, je ne connais pas les retours de l'expérience japonaise. Mais je m'informerai et vous transmettrai les éléments utiles.

M. Marc Laménie .  - Merci à la délégation pour ce débat sur un sujet d'actualité, et merci à nos collègues pour leur rapport.

Les lignes de métro automatisées sont impressionnantes : dans le wagon de tête, on a presque l'impression de conduire le train !

Les gares ferroviaires des Ardennes, département que vous connaissez, sont désertées : même à Charleville-Mézières, il n'y a plus personne derrière les guichets. Idem pour les contrôleurs à bord. Les moyens humains restent pourtant irremplaçables...

M. Marc Fesneau, ministre.  - C'est une question récurrente, qui a été soulevée lors de la crise des gilets jaunes. Comment maintenir le lien social du service public quand on commande désormais ses billets sur internet ? Sans doute en faisant des gares des lieux nouveaux, avec des services variés autres que le seul guichet - qui, reconnaissons-le, ne peut être maintenu dans toutes les gares pour des raisons de compétitivité.

Les maisons France Services ont pour ambition de remettre de l'humain dans le dispositif numérique. C'est un besoin qui s'exprime dans les petites communes - la mienne compte 700 habitants...

Reste que pour les territoires ruraux, l'essentiel est de renforcer les mobilités et donc les dessertes des lignes dites petites.

M. Marc Laménie.  - La présence humaine est irremplaçable, que ce soit au guichet ou sur les quais. La machine ne remplacera pas l'homme. C'est un combat permanent pour défendre nos services publics.

Mme Laure Darcos .  - Rapporteur des crédits sur la recherche et sénateur d'Île-de-France, je souhaite apporter mon témoignage. L'Île-de-France rassemble deux tiers des start-up françaises, les principaux centres universitaires, et 45 % des laboratoires de recherche publics et privés.

Un plan régional vise à faciliter l'usage de l'intelligence artificielle par les entreprises, et nous privilégions les collaborations entre collectivités et start-up dans des champs variés, transport, transition énergétique, urbanisme, santé, avec des solutions innovantes : maintenance des escalators, calcul des déchets du BTP, propositions de trajets pour les personnes handicapées, etc...

Tout cela améliore la qualité de vie, et cette dynamique est forte dans ma région. Mais les coûts de ces recherches sont importants. L'État doit apporter son soutien.

Nous connaissons aussi, en France, les difficultés du passage de la phase de recherche à la mise en application. Comment comptez-vous développer l'apprentissage des technologies numériques à l'école, et stimuler la capacité d'adaptation et la créativité des étudiants ?

M. Marc Fesneau, ministre.  - L'accès aux données est central dans le domaine des mobilités et de l'environnement. Un appel à projets soutenant les initiatives en intelligence artificielle a été lancé fin juillet. Collectivités territoriales et acteurs économiques privés doivent effectivement collaborer.

Le dispositif Challenge IA, financé à hauteur de 5 millions d'euros, favorise les démarches d'open innovation.

Quant à la formation à la culture numérique, nous y veillons. Elle commence dès le CP ! Mme Pénicaud mène aussi un travail d'identification des formations à mettre en place pour promouvoir les emplois de demain.

Mme Marie Mercier, rapporteur .  - Nous avons de la chance, au Sénat, d'avoir une délégation à la prospective qui joue pleinement, avec ce débat, son rôle d'anticipation. Nous avons abordé le sujet avec gourmandise.

Tout changement est anxiogène ; il faut accompagner le saut technologique et insister sur la complémentarité entre l'humain et le robot.

C'est l'intelligence sociale qui nous distingue des robots. L'intelligence - interagir avec autrui - c'est l'essence même des relations humaines et de l'équilibre de nos sociétés, et c'est notre chance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM)

M. René-Paul Savary, rapporteur .  - Monsieur le ministre, vous avez attentivement lu notre rapport, tant mieux ! Reste à mettre en oeuvre ses préconisations. Nous ne détenons pas la vérité, mais ces recommandations sont le fruit de réflexions menées avec de nombreuses personnalités auditionnées. La prospective doit ensuite se concrétiser dans les actes.

Le débat doit être circulaire, c'est pourquoi je reviendrai à la question posée en ouverture par le président de notre délégation. Que peut faire le législateur ? Il lui revient de réguler, d'organiser la société, en agissant a priori et non a posteriori.

Marie Mercier l'a dit : il faut répondre à l'angoisse de nos concitoyens. Ils se demandent à quel âge et avec quel montant de pension ils partiront à la retraite et si des robots se substitueront à eux. Si l'on remplace leurs postes par des robots, c'est qu'ils effectuent un travail de robot... Il faut donc développer la complémentarité, l'adaptation sociale, pour qu'ils s'y retrouvent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Prochaine séance, mardi 14 janvier 2020, à 9 h 30.

La séance est levée à 12 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication