Accès à l'énergie et lutte contre la précarité énergétique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et à lutter contre la précarité énergétique, présentée par M. Fabien Gay et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe CRCE.

Discussion générale

M. Fabien Gay, auteur de la proposition de loi .  - Quarante et un : c'est le nombre de milliardaires répertoriés dans notre pays par Oxfam dans son récent rapport sur les inégalités. En tête, figure Bernard Arnault, patron de LVMH, avec 76 milliards de dollars. Dans le même temps, 400 000 personnes supplémentaires sont passées en 2019 sous le seuil de pauvreté en 2019, fixé à 1 120 euros. Il y a 9,8 millions d'euros de pauvres en France.

Avec 1 015 euros, on doit choisir : payer ses factures, son loyer ou manger.

Notre proposition de loi n'entend pas à elle seule, réduire toutes les inégalités, mais lutter contre la précarité énergétique qui s'est accrue et pénalise ceux qui sont déjà en grande difficulté.

Nous sommes loin d'une réduction de 15 % de la précarité énergétique en 2020, objectif proclamé par la loi sur la transition énergétique votée en 2015. Près de 7 millions de foyers, soit 12 millions de personnes sont touchées, auxquels il faut ajouter 3,5 millions de personnes souffrant du froid dans leur logement, soit au total un Français sur quatre en situation de précarité énergétique.

Après une hausse de plus de 7 % de l'électricité l'été dernier, les tarifs pesant sur les ménages ont à nouveau augmenté de 2,4 % et les hausses continueront au 1er février. Et cela ne s'arrêtera pas de sitôt, puisqu'on annonce des hausses continues jusqu'en 2025.

Près de 420 000 ménages supplémentaires pourraient ainsi basculer dans la précarité énergétique. Après des mois de gilets jaunes et de mobilisation contre la paupérisation, voici votre réponse : la facture des particuliers augmentera de 180 euros en moyenne en un an.

M. Carenco, président de la commission de régulation de l'énergie (CRE) a dit que cette hausse « n'est pas grave pour les ménages, car c'est l'équivalent d'un paquet de cigarettes par mois » : quelle déconnexion de la réalité, quel mépris, alors qu'elle creuse les inégalités et fait basculer des dizaines de milliers de personnes dans la précarité énergétique !

Les usagers ne paient pas le coût de l'énergie mais de l'idéologie libérale européenne. C'est 1,3 milliard d'euros pris dans les poches des ménages qui passe ainsi directement dans les coffres-forts des opérateurs privés, avec les deux augmentations tarifaires décidées ces neuf derniers mois, avec votre bénédiction...

Depuis dix ans, le coût de l'électricité a augmenté de 27 %, celui du gaz de 70 %. Dire que l'ouverture à la concurrence conduit à une baisse de prix est devenu une allégorie du mensonge !

Or, pendant ce temps, vous préparez la privatisation d'EDF avec le projet Hercule, à rebours du sens de l'histoire. Votre libéralisme l'oblige à fournir la rente du nucléaire à des concurrents, sans contrepartie, sans engagement de leur part à investir. Tout cela pour respecter le dogme de la sacrosainte concurrence libre et non faussée imposée par Bruxelles !

La régulation des prix par le marché est inefficace. Notre proposition de loi choisit de consacrer l'accès à l'énergie comme droit fondamental, tel qu'il est garanti par la Constitution.

Au cours de l'histoire, sont nées des revendications, puis nous avons conquis des droits, obtenu des garanties. Alors que nous combattons sans relâche pour les enrichir, nous voulons en créer de nouveaux. C'est l'objet de cette proposition de loi, qui érige l'accès à l'énergie en droit fondamental.

Oui, l'énergie est un service essentiel auquel toute personne a droit, selon le socle des droits sociaux de Göteborg, auquel nous voulons donner un fondement national.

Nous voulons garantir l'accès à ce droit à l'article premier et en finir à l'article 2 avec le scandale qui consiste à priver des hommes et des femmes d'électricité, de chaleur ou de gaz, c'est-à-dire à les empêcher de se doucher, de se chauffer, de manger.

Lorsque des syndicalistes de l'énergie, il y a quelques jours, ont coupé quelques instants le courant...

M. Frédéric Marchand.  - Eh oui !

M. Fabien Gay.  - ...la droite et le Gouvernement ont poussé de concert des cris d'orfraie mais quand 574 000 ménages ont vu leur électricité coupée ou réduite, l'an dernier, on n'entend personne... Oui, en France, une entreprise peut punir les pauvres seulement parce qu'ils sont pauvres !

Ces syndicalistes que vous accusez de tous les maux, sont les mêmes, ce sont eux qui rétablissent le courant, sous le nom de Robins des Bois, et sont poursuivis pour délit de solidarité. Nous les soutenons pleinement.

Enfin, il faut sortir l'énergie du secteur marchand, de l'emprise du marché, pour lui reconnaître le statut de bien de première nécessité. Nous souhaitons, par notre article 4 un taux réduit de TVA à 5,5 % pour l'énergie.

Nous proposons aussi que les bénéficiaires du chèque énergie soient exonérés de taxes sur la consommation d'électricité et de gaz, et à raison : la contribution au service public de l'électricité (CSPE), censée financer les énergies renouvelables, demeure un dispositif à la gestion et aux résultats opaques.

Elle est absorbée dans le budget de l'État où elle sert par exemple à verser le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) aux entreprises.

La commission n'a pas adopté notre proposition de loi. Elle propose de travailler sur le chèque énergie. Or cette solution curative n'est pas durable. Selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) il faudrait un chèque par foyer d'en moyenne 710 euros. Son montant varie aujourd'hui entre 48 euros et 277 euros et même s'il a été augmenté de 50 euros, nous sommes loin du compte...

M. Roland Courteau.  - Oui.

M. Fabien Gay.  - Un quart des personnes éligibles ne le demandent pas. Surtout, elles ne souhaitent pas demander l'aumône mais pouvoir payer leur facture. Il faut donc urgemment augmenter les salaires. (M. Jean-François Husson s'exclame.)

Pour lutter contre la précarité énergétique, il faut aussi mettre en place des politiques publiques ciblées sur les facteurs qui fragilisent les ménages : revenu disponible, prix de l'énergie, conditions de vie, qualité de l'habitat et de l'équipement de chauffage. Nous le redisons, comme nous l'avons porté pendant la loi Élan, il faut d'urgence un plan Marshall de la rénovation énergétique des logements (M. Jean-François Husson s'exclame derechef.) Au rythme actuel, il faudrait 140 ans pour les seuls logements classés F et G...

M. le président.  - Il faut aussi conclure.

M. Fabien Gay.  - Cette proposition de loi est un pas contre la précarité énergétique, mais nous avons besoin d'actions publiques d'ampleur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - Nous mesurons tous l'importance de disposer d'énergie en quantité suffisante à un prix raisonnable. C'est une dépense contrainte difficile à maîtriser quand les moyens manquent pour mieux isoler son logement ou remplacer sa vieille chaudière.

Quelque 6,8 millions de ménages sont victimes de précarité énergétique, selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). Ces chiffres sont compris au sens économique : il s'agit des ménages modestes, dont plus de 8 % des revenus passent dans les dépenses énergétiques.

Chacun partage la préoccupation des auteurs de la proposition de loi. Il faut réduire la fracture énergétique. Toutefois, la commission des affaires économiques a jugé que la proposition de loi ne proposait pas de solution satisfaisante.

L'interdiction des coupures proposée tout au long de l'année déresponsabiliserait les usagers et le coût se reporterait sur tous ceux qui paient, y compris les plus modestes. Prenez l'exemple de l'eau : dans les trois ans suivant l'interdiction des coupures, les impayés ont augmenté de 20 % selon la Fédération des entreprises de l'eau. En outre, cela n'inciterait pas à moduler la consommation, à rebours de notre politique. Adosser la mesure au chèque énergie n'est pas satisfaisant. Des effets d'aubaine importants pourraient être constatés.

Certains publics précaires n'en bénéficieraient pas, car ne recevant pas le chèque énergie ou n'en faisant pas la demande. Ce sont plutôt des mesures telles que l'étalement des paiements qui aident les ménages à sortir de la spirale.

La proposition de loi exonère certains ménages de deux taxes : la contribution au service public de l'électricité et la taxe intérieure de consommation du gaz naturel (TICGN). Elle réduit aussi le taux de TVA à 5,5 % sans condition de ressources.

Nous pouvons nous accorder sur le constat sans pour autant partager les solutions proposées, complexes, voire impossibles à mettre en oeuvre, et inefficaces. Le droit européen n'autorise pas l'application de régimes d'exonération ou de taux différents de TVA entre les ménages en fonction des revenus. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l'on ne peut redistribuer aux plus modestes.

Il faut passer par des outils plus adaptés tels que des aides directes. La facturation serait rendue plus complexe, avec des risques d'erreurs et des surcoûts importants. Les entreprises devraient pour le moins connaître la composition du foyer, ce qui pose problème au regard de la protection de la vie privée et de l'utilisation des données personnelles.

Enfin, la perte de recettes pour l'État serait au moins de 2,5 milliards d'euros par an, du fait des diminutions de TVA, CSPE et TICGN.

Notre commission préconise d'améliorer et d'amplifier les dispositifs existants...

M. Roland Courteau.  - Lesquels ?

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur.  - ...et de réduire le taux de non-recours au chèque énergie, qui est de 20 % à 25 %.

Il faut intensifier la communication sur le chèque énergie et simplifier son fonctionnement autant que possible pour éviter que ceux qui y ont droit s'autocensurent par phobie administrative.

Le Sénat a adopté une hausse de 75 millions d'euros des crédits du chèque énergie en loi de finances initiale, contre l'avis du Gouvernement. Le montant moyen du chèque énergie est de 277 euros contre 710 euros conseillés par l'ONPE pour passer sous le seuil de 8 % des revenus des ménages les plus modestes.

La précarité énergétique est un mal qu'on n'éradiquera pas seulement en aidant les ménages à payer leur facture. (M. Roland Courteau s'exclame.)

Il faut accroître la rénovation énergétique des logements, notamment en poursuivant l'effort de simplification des aides avec la prime unifiée « Ma prime Renov ».

Il faut aussi sanctionner les fournisseurs qui ne respectent pas l'interdiction de rattraper les factures au-delà de quatorze mois d'impayés et élargir la trêve hivernale au GPL en réseau. Pour l'ensemble de ces raisons, notre commission est défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et les Indépendants)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire .  - Le Gouvernement travaille à réduire la précarité énergétique, réalité forte pour nombre de nos concitoyens, enjeu de transition énergétique et de lutte contre la pauvreté, définie par l'ONPE comme le fait de consacrer plus de 8 % de son budget à l'énergie.

Quelque 11,7 % des Français sont concernés contre 14,5 % en 2013. Les progrès sont donc réels mais, reconnaissons-le, trop lents.

En 1997, 123 000 ménages ont été aidés pour le paiement de leurs factures par le fonds de solidarité logement. En 2019, 572 000 foyers ont subi des réductions de puissance, des suspensions de fourniture, ou des résiliations de contrats, de la part des fournisseurs d'énergie, en raison d'impayés, contre 624 000 en 2014.

La fluctuation des prix de l'énergie a un impact important sur les Français, comme nos concitoyens nous l'ont rappelé ces derniers mois.

La proposition de loi entre en désaccord direct avec plusieurs engagements européens de la France. Il est ainsi impossible de moduler la fiscalité sur l'énergie en fonction des revenus ou de la composition des ménages. Le soutien à ces ménages peut en revanche passer par d'autres moyens, comme ceux que le Gouvernement a mis en oeuvre et continuera à soutenir, par exemple le chèque-énergie.

Seule la Constitution peut ériger un droit au rang de droit fondamental. Cependant, les tribunaux le considèrent déjà comme un droit essentiel et le traitent comme tel.

La Commission de régulation de l'énergie suit en permanence les prix de l'énergie. Un rapport supplémentaire serait inutile.

Le Gouvernement, est à l'écoute, et est force de proposition. Depuis 2017 il a renforcé les mesures de protection des ménages, par exemple, pour les bénéficiaires du chèque énergie. Ils jouissent du maintien de la puissance tout l'hiver et d'une exonération des frais en cas de rejet de paiement.

Le chèque énergie a été ouvert à plus de 3,6 millions de ménages en 2018, année de sa généralisation. Il a encore été élargi en 2019, à 5,7 millions de ménages, et augmenté de 50 euros. Près de 850 millions d'euros y sont désormais consacrés. Le taux de recours était de 80 % en 2018.

Le Gouvernement travaille à la simplification des démarches. Nous travaillons aussi à la source, en menant une politique ambitieuse de rénovation des logements.

Le Gouvernement vise toujours 500 000 rénovations énergétiques par an, dont 100 000 logements sociaux, avec une priorité pour les passoires énergétiques.

M. Jean-François Husson.  - C'est insuffisant !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le crédit d'impôt de transition énergétique (CITE), et l'aide de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) aux plus modestes ont été rassemblés dans « Ma prime Renov ». Les certificats d'économies d'énergie (CEE) apportent en effet des moyens importants, en finançant des investissements, en soutenant des programmes de détection et d'accompagnement des ménages. Ces dernières années, les CEE précarité délivrés ont représenté un financement d'un milliard d'euros par an.

Début 2019, le Gouvernement a modifié le dispositif « coup de pouce économies d'énergie », financé par les CEE, de façon à renforcer les aides pour les changements de moyens de chauffage et les travaux d'isolation.

Les 275 000 changements de chaudière dont 203 000 au fioul et les 750 000 travaux d'isolation de combles ou de planchers ont permis de réduire sensiblement les factures.

Le remplacement d'une chaudière au fioul pour une pompe à chaleur permet ainsi une économie de 1 000 euros par an en moyenne et 175 millions d'euros d'économies de facture chaque année pour les ménages. L'éco-prêt à taux zéro (PTZ) a été également simplifié en 2019.

L'accès à l'information et au conseil est considéré comme prioritaire. Une charte a été signée à ce sujet par une centaine d'acteurs, sous une même bannière, dénommée « Faire ». Les collectivités territoriales se sont aussi engagées avec l'État pour le financement des plateformes d'informations.

Il faut aussi renforcer la détection et l'accompagnement des ménages en précarité énergétique. En 2021, le CITE sera intégralement transformé en prime et sera étendu aux bailleurs. Son accès sera facilité aux copropriétés, où habitent un grand nombre de ménages en situation de précarité énergétique.

Le programme Energy strong sera renforcé dans l'habitat privé et social. Nous devons viser à moyen terme l'éradication des passoires thermiques y compris du parc locatif privé. La loi énergie climat a donné un cadre clair en ce sens : une performance énergétique minimale devra être respectée à partir du 1er janvier 2023 pour que le logement puisse être qualifié de décent.

D'ici 2028, les passoires énergétiques correspondant aux logements classés F et G seront supprimées pour les maisons individuelles et la plupart des copropriétés en difficulté.

Un nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE), amélioré grâce à une concertation avec les professionnels, sera rendu fiable et opposable dès 2021.

Après une phase d'incitation, des sanctions pourront être définies en 2023.

Le Gouvernement s'engage pour que la transition écologique soit aussi solidaire. La proposition de loi est louable dans son objectif, mais les mesures qu'elle propose ne nous semblent pas satisfaisantes. C'est pourquoi nous en proposons d'autres, qui nous semblent plus efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Fabien Gay : son texte pose un vrai débat.

Pour atteindre l'objectif de neutralité carbone, les ménages doivent pouvoir réaliser les travaux nécessaires. Or, déjà, près de 6,8 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique selon l'ONPE. La facture énergétique atteint parfois 4 000 euros par an en zone rurale !

M. Jean-François Husson.  - C'est trop !

M. Daniel Gremillet.  - Merci à Fabien Gay d'avoir pris l'initiative de ce débat. Les ménages ne doivent pas subir les contrecoups de la transition énergétique. Souvenez-vous des conséquences de l'augmentation de la taxe carbone l'an passé...Nous devons être très attentifs au poids de l'énergie dans le portefeuille des Français. Le groupe Les Républicains partage l'objectif de la proposition de loi, mais ... (Sourires sur les travées du groupe CRCE) ne pourra pas la soutenir.

La proposition de loi propose d'établir l'accès à l'énergie comme un droit fondamental : c'est largement incantatoire. (M. Jean-François Husson approuve.)

La différenciation proposée pour la TVA, la CSPE et la TICGN n'est pas conforme au droit européen. Dès lors, notre groupe ne votera pas ce texte.

Pour autant, il faut trouver des solutions pour ces familles. Il faut renforcer les informations transmises aux opérateurs et aux instances de régulation. Je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas suivi le Sénat pour augmenter le montant du chèque énergie dans le budget 2020.

Comment atteindre l'objectif de 500 000 logements rénovés chaque année alors que les crédits budgétaires baissent d'un milliard d'euros cette année ?

M. Jean-François Husson.  - Absolument !

M. Daniel Gremillet.  - Si le Gouvernement avait mis les moyens nécessaires dans la loi de finances, nous n'en serions pas là, car la proposition de loi aurait été satisfaite. (M. Jean-François Husson approuve vivement.)

Vous auriez dû suivre le Sénat pour apporter une réponse durable aux plus modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Patrick Kanner applaudit également.)

M. Roland Courteau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Comment la France peut-elle laisser des enfants souffrir du froid ? N'est-il pas temps de revenir aux principes de l'économie morale et de formuler un droit à une existence digne ?

Nous soutenons cette proposition de loi du groupe CRCE qui va dans le bon sens. Personne n'échappera aux conséquences du changement climatique, mais les plus modestes en seront les premières victimes. Ils vivent dans des passoires énergétiques contre lesquelles il faut lutter.

Le mal est trop grave pour que l'on tergiverse, encore, ou que l'on reporte à plus tard. Ce n'est pourtant pas faute d'entendre les alertes lancées par la Fondation Abbé Pierre ou celles de l'ONPE.

En 2019, nous avons atteint un record de coupures pour impayés. Le prix de l'électricité est en augmentation de 40 % ces dernières années, le CSPE a été multiplié par cinq, la TICGN par sept : les taxes représentent près de 35 % du prix de l'électricité, 27 % de celui du gaz ; elles dépassent parfois plus que le montant maximal du chèque énergie.

Selon l'ONPE, 6,7 millions de personnes sont concernées par la précarité énergétique. Il faudrait plus de 3 milliards d'euros pour passer tous les ménages sous le seuil de 8 %. Je regrette le refus du Gouvernement d'augmenter le montant du chèque énergie comme l'a proposé le Sénat lors du projet de loi de finances.

Je déplore aussi que certains opérateurs exigent le paiement des impayés au-delà de 14 mois, alors que la loi de 2015 l'interdit.

Je soutiens la proposition de loi de Fabien Gay et de son groupe qui établit l'accès à l'énergie comme un droit fondamental. Je rappelle que l'énergie est reconnue comme un bien de première nécessité par l'article L.100-2 du code de l'énergie, selon lequel l'État doit veiller à garantir son accès aux personnes les plus démunies...

M. Fabien Gay.  - Tout à fait !

M. Roland Courteau.  - Cela ouvrirait la loi à une forme d'opposabilité, comme pour le logement. Cessez de parler d'effets d'aubaine ! Lorsque nous avions interdit les coupures de gaz et d'électricité durant l'hiver, on nous avait servi les mêmes arguments, or il n'y eut point d'effets d'aubaine ou si peu !

Étendons cette interdiction à toute l'année ! Les mesures fiscales proposées -  exonération de CSPE et TICPN pour les ménages modestes à l'article 3, taux de TVA à 5,5 % pour une première tranche de consommation à l'article 5 - ont également notre soutien. Ces taxes ne sont pas étrangères aux difficultés financières des ménages.

Si, depuis les années 1960, la France a des prix de l'énergie inférieurs à ses voisins, elle le doit au mix énergétique et aux tarifs réglementés. Mais je crains les conséquences des directives européennes depuis vingt ans... Nous avons trop cédé sur ce terrain et il ne faudrait pas remettre en cause ce qui reste de ces tarifs, alors que la concurrence a conduit à augmenter les prix. Or les tarifs réglementés assurent la sécurité et sont un point de repère pour les consommateurs. Les mesures prévues par la loi Énergie Climat fixent des objectifs trop lointains en matière de rénovation énergétique des logements et laissent un reste à charge trop élevé. Nous devons mettre fin à la précarité énergétique pour mettre enfin en cohérence nos discours et nos actes. Ne nous contenons pas de dénoncer ce problème ! Combattons-le, Faisons-le, en pensant que rien, jamais, ne doit contrevenir à un principe aussi simple que fondamental, celui du droit à une existence digne ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

M. Pierre Ouzoulias.  - Bravo !

M. Jean-Claude Requier .  - Facteur déclenchant de la crise des « gilets jaunes », l'augmentation du prix de l'énergie, amplifiée par l'application de diverses taxes sur une même assiette, demeure peu intelligible et peu acceptable pour nos concitoyens.

L'élargissement du bénéfice du chèque énergie pour 3,6 millions à 5,8 millions de personnes va dans le bon sens, mais ne permet pas de régler totalement le problème.

La proposition de loi est intéressante, mais notre groupe n'est dans sa majorité pas favorable à l'interdiction des coupures tout au long de l'année qui favoriserait les mauvais payeurs. Les garanties sur la trêve hivernale et les aides existantes sont substantielles mais il faudrait améliorer l'information sur les dispositifs. Il faut aussi accélérer la rénovation des logements.

Les mesures fiscales proposées ne sont pas satisfaisantes, car juridiquement et pratiquement inapplicables. Il faudrait que le fournisseur connaisse la composition des ménages. Souvenez-vous de la tarification progressive de l'énergie dans la proposition de loi Brottes, usine à gaz qui avait été finalement censurée par le Conseil constitutionnel.

Il faudrait davantage simplifier la fiscalité écologique et l'attribuer à la transition écologique.

Certes, l'énergie a un coût, ce qui incite à la sobriété et à l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Nous ne justifions pas pour autant l'augmentation continue des tarifs de l'électricité. Nous regrettons l'augmentation de 0,16 euro à 0,21 euro le kilowattheure pour les ménages.

Dans ces domaines, la concurrence n'a pas apporté d'amélioration. Évitons de maintenir une concurrence artificielle au détriment du consommateur.

Le Conseil d'État a considéré, le 18 mai 2018, que l'électricité était un produit de première nécessité non substituable.

Nous veillerons, lors de l'examen du prochain texte sur le nucléaire, que les consommateurs ne soient pas les grands perdants de l'ouverture à la concurrence.

Dans cette attente, la majorité des membres du groupe RDSE s'abstiendra.

M. Frédéric Marchand .  - Le sujet de la précarité énergétique et de l'accès de tous à l'énergie est plus que prégnant dans la société française. Pour les plus modestes, la part du budget consacrée à l'énergie, et notamment au chauffage, est parfois insurmontable. L'énergie représente en effet une dépense contrainte. Selon les indicateurs pris en compte, entre 1 million et 5,6 millions de ménages sont en situation de précarité. Les impayés, en hausse, ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Les diagnostics sur le terrain montrent que les ménages pauvres se privent pour ne pas alourdir la facture.

Droit fondamental à l'énergie, interdiction des coupures, TVA à 5,5 % : les mesures de la proposition de loi sont symboliques et leur efficacité douteuse. Plutôt que d'inventer des dispositifs nouveaux difficilement applicables, nous ferions mieux d'améliorer l'existant. Traitons les causes en agissant sur la consommation et en aidant au paiement des factures via le chèque énergie. Concentrons-nous sur la performance énergétique des logements, parfois exécrable, sur les chaudières vétustes qui gonflent les factures.

Conscient de l'urgence, le Gouvernement a lancé en 2018 un grand plan de rénovation énergétique des bâtiments, avec des aides à hauteur de 1,2 milliard d'euros jusqu'en 2022 pour aider les plus modestes à les rénover : CITE, programme « Habiter mieux » de l'ANAH, certificats d'économie d'énergie, coup de pouce chauffage et isolement, éco-PTZ, TVA à taux réduit, les dispositifs sont nombreux.

Le Gouvernement les a simplifiés, en fusionnant certaines aides en une prime unique, en supprimant le critère du bouquet de travaux pour l'éco-PTZ. Le CITE est étendu aux propriétaires bailleurs, afin de mieux lutter contre les passoires thermiques. C'est un objectif prioritaire, avec en particulier la rénovation de 23 000 logements dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. À Hornaing, cela concerne 153 logements.

Le chèque énergie permet de régler la facture d'énergie et de financer les travaux de rénovation énergétique ; il pallie les défauts des tarifs sociaux. Son montant est passé de 150 à 200 euros en 2019, et le nombre de bénéficiaires de 3,6 à 5,8 millions de ménages.

S'il est plus que jamais nécessaire de lutter contre la précarité énergétique, le groupe LaREM votera contre cette proposition de loi, dont les mesures semblent inefficaces.

Mme Cécile Cukierman .  - Je salue ceux, peu nombreux, qui sont présents ce matin. L'examen dans le cadre d'une niche suppose des propositions de loi ramassées - Fabien Gay s'est donc concentré sur l'aspect social, car la précarité énergétique rend les fins de mois, voire les milieux de mois, difficiles, quand il faut choisir entre manger ou se chauffer ! Nous n'ignorons pas pour autant l'enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments.

Année après année, de plus en plus de gens basculent dans la précarité énergétique. Dans la Loire, selon la Fondation Abbé Pierre, 68 000 ménages consacrent plus de 12 % de leurs revenus à se chauffer.

Cette proposition de loi serait compliquée à mettre en oeuvre ? Déclarer que l'énergie est un droit fondamental n'est pas si difficile. Pouvoir se chauffer - même si l'hiver est doux ! - est une condition pour vivre dignement. Dans le genre compliqué, on sait faire : le CICE, c'est très cher - 100 milliards d'euros depuis sa mise en place - et compliqué, en plus d'être inefficace. Pourtant on le reconduit chaque année.

Madame la rapporteure, si un taux de TVA différencié n'est pas possible, pourquoi ne pas avoir proposé de baisser la TVA sur l'énergie pour tout le monde ? Pour votre information, elle n'est que de 13,5 % en Irlande, 10 % en Italie, 8 % au Luxembourg et 5 % au Royaume-Uni. Quand on veut, on peut ! Ce serait une mesure immédiate qui soulagerait nombre de familles.

Le chèque énergie et les aides existantes sont insuffisants. Pour une rénovation thermique d'ampleur des logements, il faut mobiliser l'ensemble des bailleurs sociaux, que la loi ELAN a fragilisés, ainsi que les bailleurs privés. C'est ainsi que l'on réduira et la fracture, et la facture énergétique.

L'urgence sociale n'est pas séparable du défi environnemental. L'investissement dans la rénovation thermique permettrait également de générer des revenus en créant des emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Roland Courteau applaudit également.)

M. Franck Menonville .  - Nous débattons d'un enjeu social, économique et environnemental qui touche nos concitoyens au quotidien : 6,7 millions de ménages consacrent plus de 8 % de leurs revenus au chauffage ; 15 % souffrent du froid dans leur domicile. C'est imputable pour 40 % à un défaut d'isolation, au 28 % à un manque de chauffage.

Un ménage sur cinq est en situation de vulnérabilité énergétique. Sur les 3,8 millions de ménages en précarité énergétique, 50 % habitent en zone rurale ou dans une agglomération de moins de 20 000 habitants ; les retraités modestes sont surreprésentés.

Soyons pragmatiques, commençons par encourager les travaux de rénovation énergétique dans les zones rurales. Mieux vaut améliorer les dispositifs existants plutôt que de consacrer un droit fondamental abstrait. La gratuité de l'énergie aurait pour effet de déresponsabiliser les ménages, à rebours de l'objectif d'efficacité énergétique et de lutte contre le changement climatique. Incitons plutôt nos concitoyens à changer leurs comportements.

Le chèque énergie, qui a remplacé les tarifs sociaux, a été porté à 200 euros en moyenne, pour deux millions de bénéficiaires de plus. Mais 900 000 personnes ne savent pas qu'elles y sont éligibles et 75 % seulement des personnes qui pourraient en bénéficier le demandent. Il faut donc mieux le faire connaître.

La priorité reste la disparition des passoires énergétiques, alors que 80 % des Français vivent dans des bâtiments énergivores. Le programme « Habiter mieux » de l'ANAH qui subventionne jusqu'à 50 % des travaux, les certificats d'économies d'énergie sont des dispositifs intéressants. Nous serons attentifs aux résultats du plan de rénovation énergétique des bâtiments lancé en 2018, qu'il faut amplifier.

La précarité énergétique est un problème global aux multiples facettes, qui impose la simplification, le renforcement et une meilleure lisibilité des aides.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi, même si ses objectifs sont louables.

M. Jean-Pierre Moga .  - La précarité énergétique est une réalité : douze millions de Français en souffrent. Le risque d'être en mauvaise santé est doublé. Alors que les factures s'envolent, la mauvaise performance énergétique des logements aggrave la situation, obligeant les foyers modestes à renoncer à un certain confort.

La précarité énergétique impacte la facture, mais aussi la qualité de vie. Elle touche à tout âge et dans des situations variées : 87 % des foyers concernés vivent dans le parc privé, 70 % appartiennent aux 25 % des foyers les plus modestes ; 55 % ont de plus 60 ans, 35 % vivent dans les zones rurales. Quelque 11 % des Français disent avoir du mal à payer leur facture. Les locataires sont trois fois plus concernés que les propriétaires.

Les 5,5 millions de ménages français les plus modestes consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses énergétiques, contre 6 % pour les plus aisés.

Trois quarts des logements se situent dans les classes D, E, F ou G. Les logements BPC sont 15 % plus chers que les logements traditionnels ; ceux qui peuvent se le permettre échappent à la précarité énergétique, mais ils sont quasiment introuvables à la location.

La solution passe par un grand plan de rénovation énergétique des logements, plus ambitieuse que le simple remplacement des fenêtres et de la chaudière.

Il faut une réglementation plus stricte et contraignante pour les bailleurs, les passoires devant être considérées comme impropres à la location. Il est également nécessaire d'orienter les outils de financement incitatifs en direction des ménages modestes.

La nouvelle directive européenne adoptée en mars 2019 risque d'aggraver la situation en autorisant les fournisseurs à faire payer des frais de résiliation - ce qui revient à mettre fin à la gratuité du changement de fournisseur. L'État doit s'y opposer.

Le démarchage de masse entraîne une hausse des litiges. Tous les moyens sont bons : certains commerciaux se font passer pour des releveurs de compteurs. Les personnes âgées sont des cibles, comme les petites entreprises. Certains changent de fournisseur à leur insu, et doivent alors contester ce changement. Pour garantir le bon fonctionnement du marché de l'énergie, les tarifs doivent être raisonnables et les pratiques saines.

Je partage les constats de Fabien Gay, mais ce qu'il propose est difficile à réaliser. La gratuité déresponsabiliserait, serait trop onéreuse pour la collectivité et difficile à mettre en oeuvre. Comme l'a dit notre rapporteure, il faut améliorer les dispositifs existants.

Le groupe UC ne votera pas la proposition de loi.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La précarité énergétique touche 7 millions de personnes, soit 233 000 de plus qu'en 2018. La pauvreté et la solitude augmentent ; selon la Fondation Abbé Pierre, la mono-résidentialité est l'une des principales causes du mal-logement. Le problème est social mais aussi sanitaire et environnemental.

Si les hausses de prix de l'énergie impactent autant les consommateurs, c'est qu'ils vivent dans des logements mal isolés. Or les pouvoirs publics peinent à rénover les 7 millions de passoires thermiques.

Comment faciliter l'accès des ménages aux aides à la rénovation énergétique ? CITE, chèque énergie, éco-PTZ doivent gagner en lisibilité. Dressons déjà un bilan des dispositifs existants.

Les mesures de la proposition de loi sont curatives et non préventives, et risquent de déresponsabiliser les ménages.

L'interdiction de coupure d'énergie ne s'entend qu'en parallèle d'une démarche de maîtrise de la consommation. La priorité doit porter sur l'accompagnement préventif des ménages précaires en les formant aux bons gestes de consommation et en les orientant vers les dispositifs d'aide à la rénovation.

Il faut rénover le parc existant plutôt qu'artificialiser de nouveaux sols. Il s'agit également de protéger la biodiversité. Les collectivités locales ont un rôle déterminant pour identifier les zones concernées. Enedis est également un partenaire crucial. Dans mon département, il a mis en place un groupe de travail sur la précarité énergétique et développé un outil de cartographie utile, Précariter. Je voterai contre cette proposition de loi même si les intentions sont bonnes, car les solutions proposées ne sont pas adaptées. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En France, plusieurs millions de ménages sont en situation de précarité énergétique. C'est le cas d'un ménage normand sur six. La ruralité est très concernée. Les bâtiments sont anciens et le mode de chauffage, au fioul ou à l'électricité, plus coûteux. Les ruraux en ont assez d'être taxés de délinquance écologique ! Les villes normandes reconstruites après la guerre sont aussi exposées. La situation provoque détresse et colère, on l'a vu avec le mouvement des gilets jaunes qui dénonçaient le coût de l'énergie.

La situation pourrait encore s'aggraver si les tensions géopolitiques perdurent en Iran, avec la Russie et en Méditerranée orientale. Situation nationale dégradée, contexte international explosif, difficultés de la filière nucléaire française : il y a de quoi être pessimiste.

Cette proposition de loi a le mérite de nous faire débattre de ce sujet. Je remercie Fabien Gay. La commission a conclu à la fragilité juridique du texte. Pour autant, il faut améliorer les dispositifs existants qui doivent se traduire en aides concrètes pour les plus modestes. Or c'est tout l'inverse... Le rapport de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) confirme que la politique du Gouvernement favorise les plus riches au détriment des plus modestes. C'est aussi le cas en matière énergétique. Il faut mettre les moyens au service de cette cause.

Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi même si l'intention est bonne.

M. Rachid Temal.  - C'est l'intention qui compte, Fabien ! (Sourires)

M. Pascal Allizard.  - Des outils existent : il faut les doter budgétairement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Les articles premier, 2 et 3 ne sont pas adoptés.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par M. Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 2

1° Première phrase, après le mot :

applicable

insérer les mots :

, pour les ménages en situation de précarité énergétique au sens de l'article L. 124-1 du code de l'énergie,

2° Seconde phrase, après les mots :

Conseil d'État

supprimer la fin de cette phrase.

M. Roland Courteau.  - La TVA est l'un des impôts les plus injustes. Aisé ou modeste, chacun est taxé au même taux. Taxer à 20 % la consommation d'énergie pénalise particulièrement les plus fragiles, qui peuvent basculer dans la précarité énergétique. Les dépenses d'énergie étant contraintes, c'est la double peine pour ces ménages pour qui l'énergie représente une part toujours croissante de leur budget.

Cette double taxation régressive est punitive. Selon UFC-Que Choisir, les particuliers ont payé l'année dernière 4,6 millions d'euros de TVA sur les taxes.

La proposition de loi élargit le périmètre du taux réduit de TVA à la tranche de consommation de première nécessité. La commission redoute un effet d'aubaine important ; je propose donc de limiter cette réduction du taux de TVA aux seuls bénéficiaires du chèque énergie.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur.  - Avis défavorable. La fiscalité indirecte n'est pas l'outil adapté pour faire de la redistribution : les aides directes ciblées sont plus simples et plus efficaces. Ensuite, le droit européen ne permet pas d'appliquer des taux différents selon les revenus. Enfin, l'article 34 de la Constitution précise que c'est à la loi de fixer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, or votre amendement renvoie au pouvoir réglementaire.

Pour alléger la facture énergétique des ménages, mieux vaut améliorer les dispositifs existants, à commencer par le chèque énergie.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Même avis pour les mêmes raisons de droit. Le chèque énergie constitue le bon outil pour soutenir le pouvoir d'achat. Nous travaillons à augmenter son taux de recours, qui dépassera 80 % cette année.

M. Roland Courteau.  - La fiscalité énergétique et écologique n'a cessé d'augmenter. Elle est à l'origine du mouvement des gilets jaunes.

Pour les plus fragiles, c'est la double peine. Si la rapporteure préconise d'autres outils redistributifs, nous préférons, nous, agir en amont plutôt que de compenser -  partiellement - en aval. Nos amendements pour revaloriser le chèque énergie s'étaient d'ailleurs heurtés à un refus en loi de finances...

Ce n'est pas la hausse de 50 euros du chèque énergie qui suffira. Les plus pauvres participent, proportionnellement à leurs revenus, plus que les autres à la fiscalité sur l'énergie, et ce n'est pas acceptable.

La loi de finances exonère certaines entreprises électro-intensives de certaines taxes et leur applique un taux réduit de TICPE, correspondant à une dépense fiscale de 620 millions d'euros en 2019. Pourquoi ne pas protéger nos plus précaires avec une réduction de la TVA quand nous le faisons pour les industries ?

M. Patrick Kanner.  - Très bien.

M. Jean-François Husson.  - Je rends hommage à M. Courteau. J'ai moi-même souvent souligné l'injustice de la fiscalité sur l'énergie. Je partage l'avis de la commission mais, madame la ministre, je note que ce n'est jamais le bon moment pour agir... (M. Roland Courteau renchérit.) Cette surtaxe est inacceptable et elle n'est plus acceptée.

Le Gouvernement a tiré au sort 150 citoyens pour participer à sa Convention sur le climat. À quel moment allez-vous écouter les élus ?

On ne peut pas continuer à se regarder en chien de faïence, et dans deux mois, venir avec une proposition prétendument magique proposée au référendum alors que cela fait des années que le Parlement formule des propositions. Allons-nous travailler ensemble ou allez-vous mépriser les élus ? La colère monte. Qu'y aura-t-il après les gilets jaunes ? Chaque année, nous nous faisons balader en loi de finances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE)

M. Jean-Claude Requier.  - Que Fabien Gay demande un plan Marshall m'a fait rire quand on songe à l'enthousiasme du PCF à l'époque. (Rires) Je rappelle à M. Courteau qu'en 1992, c'est un ministre des finances socialiste en manque de recettes qui a imaginé la TVA sur la taxe sur l'électricité... (Sourires)

M. Roland Courteau.  - Je n'avais pas soutenu sa démarche à l'époque !

M. Jean-Claude Requier.  - Le groupe RDSE s'abstiendra en majorité.

M. Pascal Allizard.  - Selon l'OFCE, plutôt classé à gauche, les deux tiers des 10 % des foyers les plus modestes affichent une perte de revenu disponible entre 2018 et 2020. Changez de politique fiscale ! Voilà une marge de manoeuvre pour redonner du pouvoir d'achat aux Français et leur permettre de payer leurs factures énergétiques ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

L'amendement n°2 rectifié bis n'est pas adopté.

L'article 4 n'est pas adopté.

ARTICLE 5

M. Roland Courteau .  - Nous sommes dans une situation d'urgence énergétique et sociale. La lutte contre la précarité énergétique doit être au coeur de la lutte contre la pauvreté et pour la transition énergétique.

Cette proposition de loi a le mérite d'apporter des réponses. Tous les sénateurs reconnaissent qu'il faut agir, mais s'arrêtent là. Vous rejetez les solutions proposées, mais sans en proposer d'autres !

Des millions de Français souffrent du froid, vivent dans des passoires énergétiques. Des milliers de ménages doivent choisir entre se chauffer et se nourrir. C'est la quadruple peine !

Les plus pauvres sont les premières victimes du coût de l'énergie, alors que ce sont ceux qui contribuent le moins au dérèglement climatique. L'Insee, la Fondation Abbé Pierre, l'Observatoire des inégalités constatent que la misère et les inégalités s'accentuent.

Le groupe socialiste soutient cette proposition de loi. Je regrette qu'aucune suite ne lui soit donnée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)

M. Fabien Gay .  - Le droit à l'énergie est-il incantatoire ? Nous ne le pensons pas. C'est un symbole. Il s'agit de garantir l'accès de tous à ce droit, comme à tous les biens nécessaires à l'existence.

Dans l'état naturel, c'est la force qui régule. Dans la société civilisée, c'est le droit. Or le droit à l'énergie est une réalité.

Où va-t-on s'arrêter ?, m'a demandé la rapporteure. Jamais ! Il y aura toujours besoin de nouveaux droits - le droit à l'internet par exemple. Un quart des personnes éligibles au chèque énergie ne fait pas valoir son droit, par méconnaissance.

L'interdiction des coupures entraînerait des effets d'aubaine ? Certes, les impayés sur l'eau ont augmenté depuis la loi Brottes - de 1,73 % en 2014 à 2,08 % d'impayés en 2017.

Le Conseil d'État a rappelé que l'énergie était un bien essentiel. Pourquoi dès lors ne pas lui appliquer la TVA à 5,5% ? Pourquoi la CSPE a-t-elle été intégrée au budget général de l'État ? Elle pèse sur la facture des plus précaires et n'est nullement fléchée vers la transition énergétique ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Daniel Gremillet .  - Regardons la problématique avec lucidité. Le débat n'est pas inutile puisque l'on constate une unanimité sur le constat. Nous divergeons sur la manière d'atteindre l'objectif.

Lorsqu'on a obligé 8 000 Français, de 80 ans en moyenne, à changer leurs chaudières à charbon par pure idéologie, alors qu'elles allaient bientôt disparaître, le Sénat n'a pas été écouté. Quel argent gaspillé ! Quel manque de considération pour ces personnes !

Si le Sénat était écouté sur la trajectoire énergie climat, le constat serait différent. À maintes reprises, notre assemblée a donné rendez-vous au Gouvernement pour le budget 2020. Ce rendez-vous n'a pas été tenu.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. Daniel Gremillet.  - Au lieu des initiatives à fonds perdu, il faut proposer des solutions concrètes aux familles modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur .  - Je remercie mes collègues qui ont travaillé sur le sujet de la précarité énergétique, qui nous intéresse tous. Nous avons hélas constaté la fragilité de la proposition de loi - et je le dis avec toute la considération que je porte au groupe CRCE : ce texte ne tient pas la route.

Il y a ainsi une contradiction entre l'article premier, qui définit l'accès à l'énergie pour tous comme un droit fondamental, et les articles 3 et 4 qui visent seulement les bénéficiaires du chèque énergie. Le taux de TVA réduit pose également problème : la proposition de baisse réservée à la première tranche de revenus ne tenant juridiquement, Mme Cukierman aurait voulu une baisse générale. Je préfère pour ma part des aides ciblées pour les plus précaires de manière ciblée : c'est aussi le sens de mon engagement personnel.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteur.  - En accord avec le Gouvernement, continuons à améliorer les dispositifs existants, notamment le taux de recours au chèque énergie, et garantissons l'application de la loi par les fournisseurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Roland Courteau.  - Il y a urgence !

M. Guillaume Gontard .  - La précarité énergétique s'accroît et le pouvoir d'achat des plus modestes diminue : il faut agir. Je vous entends, madame la ministre : il y a le Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (SARE), mais son budget n'est pas garanti après 2022. Dans les territoires, l'avenir des plateformes territoriales de rénovation énergétique n'est pas assuré.

La contribution Climat Énergie devra être lisible et orientée vers les territoires, afin qu'ils puissent agir directement. Le « en même temps » et les beaux discours du Gouvernement ne suffisent pas : passons aux actes.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État .  - Le Gouvernement agit. D'abord avec le chèque énergie : 850 millions d'euros par an pour un nombre de bénéficiaires qui passe de 3,6 à 5,7 millions de ménages potentiels. Le taux de recours est de 80 %, ce qui est élevé pour une prestation sociale, mais cela reste insuffisant : notre objectif est de passer à 90 %.

Ensuite, il faut soutenir les travaux pour réduire la facture énergétique. En 2020, les aides publiques directes atteindront 3,5 milliards d'euros. La prime de rénovation énergétique est ciblée sur les plus modestes, ce que certains, dans cette assemblée, nous ont reproché. Les plateformes SARE ont vu leur financement garanti à 200 millions d'euros pour trois ans, à travers des certificats d'économie d'énergie. Je signe des partenariats avec les régions en ce sens.

Le troisième axe est le soutien au pouvoir d'achat, à travers les cinq milliards d'euros de la prime d'activité et autant au titre de la baisse de l'impôt sur le revenu.

Enfin, nous travaillons dans le respect du Parlement. Le Gouvernement s'est ainsi engagé à rediscuter tous les cinq ans la programmation pluriannuelle de l'énergie dans une loi d'orientation.

Je remercie l'auteur de la proposition de loi d'avoir posé ce sujet important.

L'article 5 n'est pas adopté.

L'article 6 n'a plus d'objet.

M. le président.  - L'ensemble des articles du texte ayant été rejetés, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance, suspendue à 11 h 10, reprend à 11 h 15.