Risque de blackout énergétique

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le risque de blackout énergétique, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains   - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vous adresse mes meilleurs voeux pour l'année 2021.

Vendredi dernier, le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (RTE) a activé le signal rouge au niveau national et a incité les Français à réduire leur consommation en appliquant des éco-gestes.

Cet épisode témoigne de notre situation très vulnérable cet hiver et n'a rien d'étonnant. Il est du reste probable qu'il se réitère d'ici le mois de mars. Si le Sénat avait été entendu, cela aurait pu être évité.

Depuis un an, le secteur de l'énergie, singulièrement celui des grossistes, est entré dans une zone de turbulences en raison des répercussions de la crise sanitaire : réduction de la demande, du prix des énergies et de la disponibilité des moyens de production.

Selon l'Agence internationale de l'électricité (AIE), la crise sanitaire et les confinements ont eu un impact hors du commun sur le système énergétique. Dès le 11 juin 2020, RTE a anticipé une situation de vigilance particulière pour cet hiver, d'autant plus critique en cas de conditions météorologiques rigoureuses.

La disponibilité de nos moyens de production se trouve historiquement limitée par l'arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires - neuf en février et cinq en mars sur les cinquante-huit que compte notre parc - en raison du retard pris dans les opérations de maintenance, de considérations liées à la sûreté comme à Flamanville et de décisions politiques. Ainsi, avec la fermeture de deux réacteurs de la centrale de Fessenheim en mars et en juin, le Gouvernement a privé la France de 1,8 gigawatt, soit l'équivalent de 1 800 éoliennes d'un mégawatt ou de quinze centrales thermiques de 250 mégawatts. Nous n'avons pas fini d'en payer les conséquences...

Cette situation de vigilance particulière sera particulièrement sensible en février et en mars, notamment en Bretagne, péninsule où la centrale nucléaire de Flamanville n'a pas succédé à l'arrêt de la centrale à charbon de Cordemais. Elle durera minima jusqu'en 2023.

Les énergies renouvelables (EnR) ou les effacements de consommation ne suffisent pas à compenser la réduction des moyens de production liée à la fermeture de centrales nucléaires et thermiques. Il nous faudra importer de l'énergie, notamment d'Allemagne, où 40 % de l'électricité provient de sources fossiles, alors que la France était traditionnellement exportatrice d'électricité et que les trois quarts de notre production sont décarbonnés. Cela est regrettable au regard de nos engagements climatiques !

Nous devrons également faire appel à des mesures post-marché comme l'interruption séquencée de la fourniture de certains consommateurs, la réduction de la tension sur le réseau et des appels aux gestes citoyens.

Les Français attendent un diagnostic lucide du Gouvernement.

Barbara Pompili liait, devant notre commission des affaires économiques, notre vulnérabilité à la prédominance du nucléaire - 75 % - dans notre mix énergétique.

Je fais le constat inverse : si nous nous trouvons dans une telle situation, c'est faute d'avoir suffisamment investi dans le nucléaire. De fait, les EnR sont indispensables, mais, intermittentes, elles ne sont pas d'un grand secours lors du pic de consommation hivernale. En conséquence, les centrales thermiques tournent à plein régime. Le Gouvernement doit fixer des objectifs réalistes, afin d'assurer notre ravitaillement.

Rapporteur de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, j'avais dénoncé la fermeture de quatre centrales à charbon d'ici 2022 et de quatorze réacteurs nucléaires d'ici 2035, sans évaluation suffisante sur la sécurité des approvisionnements.

Nous n'avons atteint qu'un tiers des capacités d'effacement prévues par la loi d'ici 2028, soit 6,8 gigawatts.

Dans le cadre du projet de loi issu des conclusions de la Convention citoyenne sur le climat, veillons à réaliser les études d'impact nécessaires.

Ainsi, l'interdiction des chaudières à gaz au 1er juillet 2021 dans les logements neufs me semble prématurée, car insuffisamment évaluée.

L'intensification des appels d'offres en matière d'effacement ou le soutien à la rénovation énergétique, entre autres mesures proposées par la commission des affaires économiques depuis la première loi de finances rectificative du mois de mars pour limiter la consommation d'énergie, n'ont pas été retenus par le Gouvernement. Nous avions également demandé à être associés aux réflexions sur la réforme du marché de l'électricité et l'avenir d'EDF, mais avons essuyé une fin de non-recevoir.

L'énergie est trop importante pour être laissée à des décisions hasardeuses. La production d'énergie nucléaire est indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et sécuriser les approvisionnements.

Que compte faire le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Meilleurs voeux pour cette nouvelle année, qu'elle soit celle de la résilience et de l'apaisement pour tous les Français.

La France risque-t-elle un blackout énergétique ?

Notre système de production électrique peut-il répondre aux pointes de consommation hivernale ?

La fermeture de Fessenheim met-elle en danger notre capacité à fournir de l'énergie ?

Devrons-nous recourir aux centrales à charbon cet hiver ?

Ce débat est légitime. Aussi, je salue l'initiative du groupe Les Républicains, même si je ne crois pas au risque de blackout ni au fait que la fermeture de la centrale de Fessenheim menace nos capacités de production. L'accroissement de la part des EnR sécurise notre mix énergétique et notre approvisionnement, tout en nous évitant de recourir aux centrales à charbon.

Nous sommes prêts à faire face au pic hivernal, même si nous restons vigilants en raison de l'impact de la pandémie sur le calendrier des opérations de maintenance d'EDF. Compte tenu de la situation, l'entreprise a retardé l'arrêt de certains réacteurs.

RTE mène des analyses prévisionnelles sur la sécurité des approvisionnements énergétiques. Ses conclusions ont été rendues publiques et sont rassurantes : l'optimisation des plannings d'arrêt des centrales et la gestion prudente des stocks d'hydroélectricité permettent d'assurer sans difficulté l'approvisionnement des Français. Nous ne risquons aucun blackout. Je salue l'implication des agents d'EDF et RTE, qui sont à pied d'oeuvre. (M. Fabien Gay s'indigne.)

En cas de vague de froid inhabituelle sur plusieurs jours consécutifs, nous disposons de leviers pour garantir la continuité des approvisionnements : réduction de la consommation des entreprises par l'effacement comme cela s'est fait jeudi dernier, voire interruptabilité contre rémunération pour les industriels volontaires, diminution de 5 % de la tension sur les réseaux avec des effets imperceptibles pour les usagers et, en dernier recours, délestage temporaire pour deux heures maximum avec information préalable des foyers concernés. La sécurité de votre approvisionnement est garantie ! (M. Fabien Gay proteste.)

La fermeture de Fessenheim n'augmente nullement le risque sur le réseau électrique ; une étude d'impact a été réalisée. Il s'agit d'une décision politique pour retrouver une résilience dans notre production et améliorer l'équilibre de notre mix énergétique.

L'importance du nucléaire dans notre mix, l'arrêt de certaines centrales et le climat hivernal fragilisent la situation. La poursuite d'activité des deux réacteurs de Fessenheim n'aurait rien changé et aurait nécessité des investissements importants pour une contribution faible à notre production d'énergie, au détriment d'autres capacités. Le nucléaire exige de la planification.

Nous poursuivons en ce sens : les dernières centrales à charbon seront arrêtées en 2022. Leur utilité a été réduite : elle a été deux fois plus faible sur la période 2018-2020 que sur les deux années précédentes. La fermeture de Fessenheim n'a donc pas conduit à recourir davantage au charbon.

Notre électricité est la plus décarbonnée d'Europe grâce au nucléaire, à l'hydroélectricité et aux EnR. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) vise, d'ici 2035, à réduire à 50 % la part du nucléaire dans notre mix. L'éolien a représenté un tiers de la production énergétique certains jours de septembre. Nous sommes prêts, et sans crainte, à faire face à cet hiver. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Pierre Médevielle .  - En 2035, il faudra porter la part du nucléaire dans le mix énergétique à 50%. Stratégie ou communication ? Cet objectif ne doit pas conduire à importer ou à se tourner vers des énergies plus polluantes pour compenser la réduction de notre production. Le nucléaire présente l'avantage d'être une énergie propre, même si je crois beaucoup aux EnR stockées en batteries hydrogènes.

Notre production électrique ne doit pas pâtir de cette décision, d'autant que, en 2035, plus de quinze millions de véhicules électriques pourraient circuler en France, soit 7 % de la consommation française globale.

En cas de pic de consommation, piloter la recharge des véhicules électriques serait une solution intéressante. Comment la favoriser dans la recherche et l'innovation françaises ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La politique en matière de mix énergétique à l'horizon 2035 tiendra compte des besoins nouveaux, comme les véhicules électriques. Une expérimentation est en cours. Notre mix doit être diversifié. Tout moyen favorisant le stockage de l'énergie électrique est intéressant et nous y sommes attentifs.

M. Pierre Médevielle.  - Je partage votre optimisme, même si se pose le problème du stockage de l'énergie. En Nouvelle-Calédonie, on a complété les unités de cellules photovoltaïques avec des batteries pour atteindre une quasi-autonomie. Je fais confiance au génie français pour trouver de nouvelles solutions.

M. Thomas Dossus .  - RTE a déclenché son alerte rouge vendredi, compte tenu du niveau de consommation lié au froid. La crise sanitaire a mis en lumière notre vulnérabilité énergétique : quatre réacteurs sur dix se sont retrouvés à l'arrêt. Voilà la réalité de notre modèle fragile, reposant à 75 % sur le nucléaire, énergie coûteuse, fragile, dangereuse et dépassée ! Le projet de Flamanville a dix ans de retard et va coûter 19 milliards d'euros au lieu des trois initialement prévus. Obstination du génie français !

Il faut rendre notre mix énergétique plus résilient et notre consommation plus sobre. Le bâtiment représente 45 % de la consommation finale d'électricité : le chauffage électrique et les passoires thermiques représentent un gisement d'économies. Le rapport sur la 5G du Haut-Commissariat au climat prévoit, en revanche, une explosion de la consommation.

Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de sobriété énergétique ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - La solution réside dans la maîtrise de la demande. La loi prévoit une baisse de 20 % de la consommation d'énergie en 2030 par rapport à 2012.

La rénovation thermique, le renouvellement des modes de chauffage constituent des pistes intéressantes pour atteindre cet objectif. Les Certificat d'économie d'énergie (CEE) renforcés au printemps dernier, MaPrimeRenov', les aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) sont efficaces. Un remplacement du chauffage au fioul par des pompes à chaleur avec une meilleure isolation des bâtiments n'entraîne aucune surconsommation électrique.

M. Thomas Dossus.  - Pourquoi faire des économies d'énergie et laisser se développer les nouveaux usages ? La 5G entraînera une croissance de 5 % à 13 % de la consommation. On n'y gagne rien !

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI) Le groupe Les Républicains s'inquiète d'un blackout - il a fait le choix de cet anglicisme (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) pour évoquer une coupure généralisée d'électricité sur tout ou partie du territoire. Cette crainte a été relayée par les médias. La crise sanitaire a retardé les opérations de maintenance : on craint une sous-production d'électricité, alors que la demande est forte en raison des conditions climatiques.

Les Français consomment beaucoup de chauffage électrique, notamment en début de soirée. La situation est cependant bien plus inquiétante chez certains de nos voisins européens. Membre du groupe d'amitié, j'ai une pensée pour l'Espagne, touchée par la tempête Filomena qui entraîne des températures négatives sans précédent depuis cinquante ans dans le pays.

Le risque de surconsommation a conduit au lancement d'une campagne d'information. On pourrait certes importer de l'électricité, mais l'Allemagne est également concernée par la vague de froid.

En cas de nécessité, RTE peut réaliser des coupures temporaires locales et tournantes, notamment en Bretagne et dans le Sud-Est de la France, très touchés par le délestage. Serait-ce envisageable ?

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Dans les situations exceptionnelles, des mesures peuvent être prises pour éviter les délestages. Elles peuvent consister à activer les contrats d'interruptabilité tout en rémunérant les industriels, à réduire de 5 % la tension sur les réseaux, à augmenter ponctuellement les importations ou à faire appel aux gestes citoyens - le site EcoWatt développé par RTE et par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) s'inscrit dans ce cadre. Les Français peuvent y trouver du sens et adapter leurs habitudes de consommation ; le résultat a été bénéfique jeudi dernier.

En dernier recours, EDF peut se résoudre à un délestage tournant, en épargnant les infrastructures prioritaires. Il ne s'agit pas de mettre la France dans le noir. Ces opérations sont annoncées la veille aux foyers concernés.