Prorogation de l'état d'urgence sanitaire(Nouvelle lecture)

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

Discussion générale

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Le Gouvernement regrette que l'Assemblée nationale et le Sénat ne soient pas parvenus à un accord en CMP sur ce projet de loi, alors que les deux assemblées estimaient justifiée la prorogation de l'état d'urgence sanitaire au regard de la dégradation de la situation.

Les divergences entre vos deux assemblées ont porté sur le choix des échéances pour la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, ainsi que sur des modifications de fond à apporter à ce régime de l'état d'urgence sanitaire qui, aux yeux du Gouvernement, auraient davantage leur place dans le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.

Je ne serai pas long, puisque le vote d'une question préalable devrait interrompre nos débats. Ce texte nous donne jusqu'au début du mois de juin les outils - couvre-feu, obligation du port du masque, limitation des rassemblements - pour éviter la saturation des services de réanimation.

L'épidémie a imposé des mesures de restriction des libertés. Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous demandons aux Français de renoncer à certaines activités de leur quotidien. En tant que secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, je ne connais que trop bien l'effort que cela demande, la souffrance des jeunes étudiants notamment ; mais le virus circule activement, en France comme ailleurs, et des variants dont la contagiosité est supérieure se diffusent : nous n'avons pas d'autre option que de proroger l'état d'urgence sanitaire.

Au-delà des mesures de police sanitaire, nous renforçons la stratégie « tester, alerter, protéger » sur la base de plusieurs principes qui font du système de dépistage français l'un des plus efficaces en Europe.

La gratuité d'abord, et pour tout le monde, ce qui est un cas unique en Europe. (Mme Laurence Rossignol approuve.) En Allemagne, il en coûte 120 euros à une personne asymptomatique de réaliser un test ; au Royaume-Uni, jusqu'à 350 euros.

Proximité ensuite, puisque chacun peut se faire tester à côté de chez lui, dans un laboratoire, une pharmacie, un cabinet médical, infirmier ou dentaire. Au total, on compte plus de 12 000 points de test en France, sans compter les opérations de dépistage en entreprises, écoles ou collectivité, et les aéroports.

En matière de rapidité, 94 % des résultats de test sont rendus en moins de 24 heures. Seule l'Espagne s'en approche. Les tests antigéniques - qui représentent un tiers du total - donnent des résultats en trente minutes.

La traçabilité enfin, est assurée par le système SIDEP. L'assurance maladie et les agences régionales de santé (ARS) retracent les cas contact grâce à ce système d'information dont vous avez fixé les conditions de mise en oeuvre en mai dernier, prolongé grâce à l'article 4 de ce texte.

Notre plus grand défi est d'assurer la compréhension et le respect de l'isolement par les personnes concernées. Nous avons fait le choix de la confiance en ne retenant ni l'obligation ni le contrôle, mais en levant les obstacles financiers. Depuis le 10 janvier, toute personne symptomatique ou simplement cas contact peut se mettre immédiatement en arrêt de travail sur le site de l'Assurance maladie, sans jour de carence.

Depuis la fin janvier, les personnes isolées sont appelées au moins deux fois par l'Assurance maladie. Elles reçoivent également une visite infirmière grâce aux cellules territoriales d'appui à l'isolement mises en place par les préfets et les collectivités - près de 20 000 visites ont déjà eu lieu. Les questions de police sanitaire ne doivent pas occulter l'accompagnement des Français au quotidien.

Le Gouvernement comprend la lassitude du Sénat face aux prorogations successives et votre souci de mieux encadrer le régime de l'état d'urgence. J'entends déplorer un déficit de démocratie, mais depuis fin mars 2020, le Parlement a examiné six projets de loi, plus 3 400 amendements, pendant plus de 160 heures de débats répartis en une vingtaine de lectures. Sans compter douze débats thématiques en séance sur les masques, le déconfinement ou encore Stop-Covid, et les nombreux travaux des deux chambres sur les différentes dimensions de la crise. Le Sénat y a pleinement pris sa part et contribué au bon fonctionnement des institutions.

L'action du Gouvernement demeure directement soumise au contrôle du juge, avec des centaines de référés présentés au Conseil d'État. À chaque fois que celui-ci le demandait, le Gouvernement a fait évoluer sa réponse à la crise.

Nous avons, ensemble, contribué à assurer un fonctionnement plein et entier de la démocratie.

Vous serez amenés à vous prononcer dans les trois prochains mois pour une prolongation éventuelle des mesures au-delà du 1er juin. Le gouvernement, tout autant que vous, veut sortir de cet état d'urgence sanitaire, soyez-en assurés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous pensons, comme vous, que la situation sanitaire justifie malheureusement la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 crée ce régime pour une durée d'un an ; aussi aurions-nous été amenés, selon toute probabilité, à voter sa prorogation au-delà du 23 mars 2021. Il convenait donc de prolonger le régime temporaire lui-même.

C'est un double système : des pouvoirs d'exception accordés pour une durée d'un an, et leur activation lorsque le besoin s'en fait sentir. Ils ont ainsi été utilisés de mars à mai 2020 pour le premier confinement, puis nous sommes passés dans le régime de sortie, avant le rétablissement du régime initial et un deuxième confinement le 29 octobre, suivi d'un couvre-feu. À cette date, il n'y a aucun doute sur la nécessité de ne pas baisser la garde : il faut prolonger l'état d'urgence sanitaire.

En revanche, la situation n'est pas la même qu'à la veille du deuxième confinement. Certes, le niveau des contaminations est élevé, avec plus de 100 000 tests positifs par semaine. Certes, le nombre d'hospitalisations, d'entrées en réanimation et, hélas, de décès est élevé. Mais, et c'est la grande différence, il n'y a pas d'explosion du nombre de contaminations d'une semaine sur l'autre.

Par conséquent, si nous acceptons de prolonger le régime d'état d'urgence sanitaire, qui devait prendre fin au 1er avril, jusqu'au 31 décembre pour l'activer en cas de besoin, nous nous refusons à consentir par avance à un troisième confinement. La loi du 23 mars 2020 autorise le Gouvernement à le déclencher, mais le Sénat refuse qu'il soit prolongé au-delà de trente jours sans que le Gouvernement y soit autorisé par une loi.

L'impact du confinement est exorbitant sur la vie sociale et affecte profondément le psychisme de nombreux Français, ce qui met des vies en péril. On ne saurait le prolonger à la légère.

En mars dernier, le confinement a été accepté par défaut : il n'y avait pas de masques ni même de doctrine de leur emploi, pas de tests de dépistage, pas de système d'information national pour remonter la filière des contaminations et prévenir les personnes exposées, pas de diffusion dans la société des gestes barrières. Le confinement a aussi été décidé par défaut ; c'était une mesure brutale, rustique, qui ne serait pas acceptée de la même manière aujourd'hui que nous avons masques, tests, gestes barrière et système d'information.

Si la combinaison de ces moyens n'était pas mise en oeuvre efficacement pour freiner l'épidémie, des questions se poseraient sur l'efficience de la politique de santé ; les Français n'auraient pas à en faire les frais.

C'est pourquoi nous vous disons à nouveau, comme en octobre, que si le Président de la République décide un nouveau confinement, nous demandons, et même nous exigeons qu'il ne puisse se poursuivre au-delà de trente jours sans l'autorisation du Parlement.

Qu'est-ce qui vous gêne ? Le Parlement n'a-t-il pas toujours été responsable ? N'a-t-il pas accompagné pas à pas les efforts parfois chaotiques du Gouvernement pour protéger les Français ? Nous ne vous faisons pas de chèque en blanc, nous ne vous donnons pas quitus de votre gestion de la crise.

Nous aurions pu nous entendre avec l'Assemblée nationale, trouver les bonnes dates, le bon équilibre. Nous étions tout près d'aboutir, mais les députés en ont été empêchés car le Gouvernement a refusé de se soumettre au vote du Parlement pour prolonger un éventuel reconfinement. C'est très décevant. Vous avez perdu une occasion de rassembler la représentation nationale. Nos concitoyens ne peuvent accepter de nouveaux sacrifices sans l'assentiment du Parlement.

Soyez assuré de la volonté du Sénat de faire respecter la séparation des pouvoirs et la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Esther Benbassa .  - Après l'échec de la commission mixte paritaire, nous examinons une nouvelle fois ce projet de loi.

Le GEST conteste fermement que l'état d'urgence sanitaire ait une utilité contre la covid.

Nous regrettons une gestion solitaire et verticale de la crise ; nous demandons à être mieux associés à la prise de décision, nous voulons plus de transparence du Gouvernement sur sa stratégie gouvernementale. Nous ne pouvons cautionner les coups de canif réguliers de celui-ci contre les prérogatives du Parlement, dont le dernier en date est l'arrêt de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la covid décidé par LaREM.

Écoutons les étudiants isolés, déprimés, précarisés, piégés par une crise qui ne prend pas fin. Les files d'attente de l'aide alimentaire s'accroissent.

Écoutons les départements qui pallient une détresse sociale lente et sournoise.

Écoutons le personnel de santé qui demande non des mesures autoritaires, mais des moyens financiers, matériels et humains.

Écoutons le monde de la culture, les commerçants, restaurateurs et cafetiers, qui se sentent asphyxiés par la léthargie économique et sociale.

Ne nous contentons pas de faire la loi sans entendre les conséquences humaines de la crise. Nous ne serons entendus par les Français que si nous comprenons leur détresse.

Le Gouvernement ne se soucie pas du rôle du Parlement ni des attentes de la population.

Le GEST votera contre ce projet de loi.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La CMP du 28 janvier n'a pas trouvé d'accord, ce qui est d'autant plus regrettable que nous nous rejoignons sur l'essentiel. Nous étions d'accord sur la nécessité de proroger le régime général de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 31 décembre ; sur la suppression du régime transitoire, saluée par le Sénat ; sur l'avancement au 16 mai du terme de l'état d'urgence sanitaire décrété par le Gouvernement le 14 octobre dernier.

Les divergences se sont cristallisées sur un point, certes pas le moindre : le confinement. Le Sénat veut une autorisation parlementaire pour un prolongement au-delà d'un mois, ce qui n'est pas compatible avec la situation sanitaire changeante ; cela impliquait de commencer la rédaction du projet de loi de prorogation deux à trois semaines après le début du confinement.

C'est pourquoi l'Assemblée nationale a proposé la tenue d'un débat suivi d'un vote conformément à l'article 50-1 de la Constitution, au bout de six semaines de confinement ; le Premier ministre en était d'accord. Mais M. Bas n'a pas souhaité donner suite à cette proposition, par défiance à l'égard du Gouvernement. Nous sommes tous attachés à la démocratie et le Parlement a de nombreux outils de contrôle du Gouvernement, comme la mission d'information de l'Assemblée nationale, la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de la crise, ou encore la mission de suivi sénatoriale qui a remis trois rapports d'étape. La saisine du juge administratif est également possible en référé.

C'est une occasion manquée et l'Assemblée nationale a rétabli son texte, enrichi de deux amendements votés par le Sénat.

Le groupe RDPI considère que le texte est équilibré et permettra au Gouvernement d'agir de façon efficace et proportionnée. Nous aurions souhaité poursuivre le débat et nous prononcerons donc contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Maryse Carrère .  - Depuis le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, la situation demeure fragile ; mais notre détermination et notre capacité à agir ensemble restent entières. Je regrette l'échec de la CMP malgré l'accord sur les principales dispositions du texte. C'est une occasion manquée d'affirmer notre unité nationale.

Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que le Parlement serait amené à voter en cas de reconfinement : c'est un premier pas, il faut s'en réjouir. Mais, alors que le contrôle parlementaire du confinement est systématiquement rejeté, pourquoi lui donner l'apparence d'une décision consensuelle ?

Le modèle républicain a des principes auxquels le groupe RDSE est attaché. Le Parlement n'est pas un organe consultatif que l'on sollicite entre deux tirages au sort ! Espérons que l'image de nos institutions n'en sera pas écornée.

Mettons la lumière sur les secteurs les plus sinistrés : étudiants précaires, restaurateurs qui se mobilisent pour ne pas s'enliser, soins à domicile en souffrance, acteurs de la vie culturelle et de l'événementiel, milieu associatif touché de plein fouet... Les corps intermédiaires de la société sont contraints au silence, ce qui aggrave l'isolement. Écoutons Édouard Laboulaye qui écrivait voici un siècle et demi : « C'est l'association qui, dans les pays libres, débarrasse l'État d'une foule de soins qui ne le regardent pas ; c'est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant. »

Si la crise devait durer, il faudra trouver des solutions pour nourrir notre lien social, des moyens de se réunir, de s'associer, de délibérer, de s'entraider, de se cultiver.

Le groupe RDSE ne votera pas la question préalable, ne serait-ce que pour montrer à nos concitoyens que nous sommes là pour continuer à les représenter et à offrir des alternatives démocratiques. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Éliane Assassi .  - Une nouvelle fois, l'état d'exception est prolongé pour une longue période, sans contrôle régulier ni réel. Ces prorogations successives banalisent les atteintes à des principes fondateurs comme la liberté d'aller et de venir ou la liberté de réunion.

Nous ne nions pas la violence, ni la gravité de la crise. Nous sommes responsables et lucides. La démocratie, la mobilisation des institutions, l'intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour lutter contre la pandémie.

Un mot sur les vaccins : en première lecture, Olivier Véran avait contesté avec aplomb les retards que je dénonçais ; mais il faut être factuel : combien de vaccins ont été délivrés en double dose ? Pourquoi pas un vrai débat sur la stratégie vaccinale à l'heure où, faute d'avoir su mettre au point un vaccin, notre pays s'apprête à embouteiller ceux des autres ?

Il faut passer à l'état d'urgence démocratique. La séquence étrange que nous vivons depuis quelques jours réclame une réorganisation en profondeur. La communication du Gouvernement ne laissait guère de doute quant à un reconfinement ; après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, le Président de la République réunissait vendredi son officine du conseil de défense, au terme duquel le Premier ministre est apparu pour donner lecture d'une décision qui a pris beaucoup de monde à contre-pied.

Soyons clairs : je ne me prononce pas sur le bien-fondé du confinement, mais je conteste les conditions de la prise de décision et le manque de transparence.

Allons-nous longtemps subir l'avalanche de décisions ? La gestion de la crise par un seul homme ?

La crise est toujours là, mais nous ne sommes plus dans l'urgence. Le groupe CRCE s'abstiendra sur la question préalable de la majorité sénatoriale qui met en scène un désaccord alors qu'elle soutient la prorogation de l'état d'exception. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe UC est favorable à la question préalable. Nous sommes peu convaincus par cette douzième décision proclamant l'état d'urgence en cinq ans et demi.

Nous partageons les arguments du rapporteur sur la situation sanitaire ainsi que sur les différences entre mars 2020 et février 2021, que ce soit sur les moyens disponibles ou l'état de la société.

Nous estimons que tout confinement devrait être soumis au Parlement -  fortiori sa prolongation au-delà d'un mois. Car, pour le bon fonctionnement de nos institutions et l'acceptabilité sociale des mesures de restriction, l'intervention du Parlement est nécessaire.

Plutôt que l'état d'urgence, nous préférerions nous prononcer, en urgence, sur les mesures sanitaires souhaitées par le Gouvernement.

Nous ne partageons pas l'enthousiasme de certains sur l'article 50-1 de la Constitution, simple déclaration du Gouvernement dépourvue de caractère normatif. Une simple consultation du Parlement ne saurait suffire : le Parlement doit autoriser précisément le Gouvernement à prendre telle ou telle mesure. Le Sénat, gardien des territoires et des libertés, doit être consulté.

Notre Constitution est présidentielle, encore plus avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, mais on bascule dans l'excès avec la pratique actuelle des conseils de défense et de l'état d'urgence en continu. L'efficacité sanitaire tient à l'acceptabilité des mesures et donc au partage de la prise de décision. Il est paradoxal de faire appel à l'esprit de responsabilité des Français et de ne pas faire appel à leurs représentants.

La crise sanitaire écrase, dans les esprits, toutes les autres crises - économique, financière, sociale, culturelle, psychologique... Nous souhaitons que le travail sur l'après Covid-19 démarre dès à présent, car cette crise sera d'autant mieux gérée que nos concitoyens auront une vision claire de l'après.

Le groupe UC est clairement favorable à la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'état d'urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en oeuvre des restrictions de libertés inégalées en temps de paix. Leurs conséquences économiques, sociales, psychologiques seront très lourdes.

Le Parlement les autorise a priori mais son rôle s'arrête là. Cela n'est pas acceptable. L'Assemblée nationale a refusé d'aller plus loin dans le contrôle de l'exécutif par le Parlement : il est donc heureux que la CMP n'ait pas abouti.

La situation sanitaire est préoccupante. Sommes-nous plus mauvais que nos voisins ? Si je salue l'absence de fermeture des écoles et le caractère non obligatoire de l'isolement, qui limite les stratégies d'évitement des tests, je pense néanmoins à notre jeunesse.

Le Président de la République décide tout en conseil de défense, laissant le Premier ministre discuter avec les élus. Le Parlement est confiné par le Gouvernement et le Gouvernement est confiné par le Président de la République. C'est un vrai problème institutionnel.

Il faudra intégrer l'état d'urgence dans notre Constitution pour renforcer le contrôle parlementaire.

Le SIDEP n'est pas adéquat pour suivre l'évolution des variants : nous ne pouvons pas piloter la stratégie au plus près du risque et territorialiser les restrictions comme il conviendrait. Or les Français ont besoin de comprendre en quoi la restriction de leurs libertés est utile : il y a un besoin de collégialité, de responsabilité. Le Parlement a un rôle à jouer. Malgré ce qui s'est passé cette nuit, nous ne désespérons pas du Sénat. Débattons pour faire évoluer les députés !

La fermeture des frontières a été durcie la semaine dernière. Le Conseil d'État a pourtant jugé que le droit d'entrer sur le territoire était une liberté fondamentale pour un ressortissant français, de même qu'il s'est prononcé contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Le Gouvernement fait fi de ses avis.

La décision gouvernementale n'était pas sanitaire mais politique : faute de confinement, il fallait annoncer quelque chose, d'où cette fermeture des frontières. Mais nous ne sommes pas une île et sans concertation européenne, l'efficacité de la mesure est très relative.

Aucun territoire représenté au Sénat n'a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l'étranger, durement frappés par l'épidémie. Il faut leur permettre de rentrer en France et de bénéficier de l'assurance maladie sans délai de carence.

Quand le Gouvernement reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - L'évolution de la situation sanitaire est de plus en plus incertaine. Vendredi dernier, des mesures plus strictes ont été annoncées.

Tout doit être mis en oeuvre pour améliorer la situation sanitaire, limiter les décès et sortir au plus vite de la crise.

La CMP a mis en lumière des convergences entre nos deux assemblées, mais n'a pas abouti à un texte commun. Je le regrette.

Le principal désaccord portait sur l'indispensable contrôle démocratique par le Parlement. Il est pourtant de notre devoir de contrôler si la prolongation de mesures restrictives des libertés est pleinement justifiée.

Je salue la qualité des travaux de notre rapporteur Philippe Bas et soutiens sa proposition.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Merci.

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Nous partageons le même constat face à cette crise, avec chaque jour le même mantra : sauver des vies.

Nous sommes ici tous porteurs d'une exigence démocratique. Le confinement est la plus sévère des mesures de l'état d'urgence sanitaire. Dans un État de droit, aucun confinement ne saurait excéder trente jours sans autorisation explicite par la loi. Cela protège aussi le Gouvernement, monsieur le ministre ! Nous ne pouvons accorder de blanc-seing sans nous départir de nos prérogatives élémentaires.

Esquiver la question de la démocratie, c'est fragiliser ce qui fait Nation. Pour notre liberté, notre liberté chérie, le groupe INDEP votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En mars dernier, puis en mai, juillet, novembre, à quatre reprises, le Sénat a accepté d'accorder des pouvoirs extraordinaires au Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire.

Ces derniers jours ont été riches en rebondissements et confusions. La semaine dernière, nous avions bon espoir de trouver un écho chez les députés mais les divergences entre les deux chambres ont été trop fortes. C'est regrettable quand il s'agit de la santé et des libertés fondamentales et nos concitoyens.

Le Sénat a depuis l'origine manifesté sa circonspection vis-à-vis du régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire et préféré le principe de prolongation et d'application de celui-ci.

Dans ses travaux très fouillés, le rapporteur a dressé le constat d'une situation sanitaire qui demeure préoccupante. Il n'y a pas d'explosion des contaminations comme en octobre dernier, mais l'appareil hospitalier reste fortement sollicité et les décès cumulés s'accroissent : 2 567 décès la troisième semaine de janvier 2021 contre 1 318 avant le confinement d'octobre.

La grande différence, c'est la vaccination. L'objectif a été fixé par le Président de la République il y a deux jours : que la totalité de la population française qui la souhaite soit vaccinée avant la fin de l'été. Pour cela, il faudra accepter les offres de service des collectivités territoriales, des médecins de ville, des pharmaciens.

Or le rationnement du vaccin risque d'enrayer la campagne vaccinale. À ce jour, seules 150 000 personnes sont définitivement vaccinées... Cette situation risque de vous conduire à proposer de nouvelles restrictions des libertés fondamentales. Un débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution semble envisagé : j'espère qu'il s'agit là d'un commencement de contrôle parlementaire.

Nous ne souscrivons pas à l'emploi tous azimuts d'outils autorisés sans un contrôle parlementaire fin. Les juges constitutionnels et administratifs doivent s'assurer de la proportionnalité des mesures prises.

Nous voulons un retour devant le Parlement avant le début mai. M. Véran a invoqué les contraintes de l'agenda parlementaire mais depuis le début de la crise, le Parlement a montré qu'il savait agir vite.

La CMP a achoppé sur le dispositif spécifique d'encadrement du prolongement d'un éventuel confinement. Le projet de loi nous est revenu vidé de l'essentiel de nos principales modifications - je pense notamment à la possibilité de territorialiser les mesures relatives à l'ouverture des commerces, balayée d'un revers de la main par l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - C'était pourtant le bon sens !

M. Stéphane Le Rudulier.  - Plutôt que faire durer une discussion qui s'enlise, le rapporteur Bas a préféré la question préalable. Nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Question préalable

Mme. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Bas, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire (n° 327, 2020-2021).

M. Philippe Bas, rapporteur .  - Les faits sont là. Nous avons un désaccord unique, alors que tous les autres points auraient pu faire l'objet d'un compromis, mais il est très important : nous voulons un contrôle du Parlement étroit et régulier sur toute mesure de reconfinement.

Les restrictions aux libertés n'ont jamais atteint un tel niveau, même lors de l'activation de l'état d'urgence à la suite des attentats terroristes de 2015.

Le temps a passé depuis le premier confinement, les moyens d'action du Gouvernement se sont progressivement accrus et la situation sanitaire, si elle reste préoccupante, est moins grave que par le passé.

Un nouveau confinement serait un terrible échec. S'il devait toutefois avoir lieu, les Français devront avoir l'assurance que le Gouvernement n'utilise pas ces moyens exceptionnels sans frein. Cela n'a rien d'exorbitant : nous devons nous assurer que nous sommes toujours en démocratie et en état de droit.

Le Gouvernement se dit prêt à organiser un débat sur le fondement de l'article 50-1 de la Constitution, voire un vote à l'issue d'une déclaration gouvernementale de politique sanitaire. Est-ce équivalent au vote sur une loi autorisant la prolongation du confinement ? Évidemment, non ! Les conséquences ne sont pas les mêmes.

Ce serait un marché de dupes que d'échanger une loi contre un débat, un vote sur la politique sanitaire contre un vote sur les restrictions des libertés des Français. Nous ne pouvons pas l'accepter.

Notre rôle est de dire au Gouvernement que s'il souhaite être efficace, il doit renforcer l'acceptabilité de ses mesures et donc demander aux représentants des Français de les approuver. Ainsi, le Gouvernement ne sera plus seul devant les Français.

Nous avons toujours assumé nos responsabilités.

Si nous ne sommes pas parvenus à convaincre, c'est sans doute que nous n'avons pas trouvé les mots justes, mais aussi que le Gouvernement ne veut pas nous entendre. Alors à quoi bon discuter à nouveau ? Le débat est fini. C'est pourquoi la commission des lois m'a demandé de vous présenter cette motion de question préalable. Tournons avec regret cette page qui signe la mise à l'écart du Parlement dans la gestion de la crise sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je vais tenter de vous convaincre de ne pas voter cette motion.

Depuis le 11 mars, le Sénat assume son rôle de manière exigeante, avec le concours de tous les groupes. Nous avons à chaque fois réduit la durée de l'état d'urgence, posé des conditions, limité les demandes d'habilitations à légiférer par ordonnance.

Nous ne contestions pas l'utilité d'un état d'urgence, mais exigions son encadrement strict et renforcions la place du Parlement, convaincus que les mesures pénibles sont mieux acceptées si les Français sont associés à la décision, et qu'il ne fallait pas laisser la bride sur le cou du Gouvernement.

La majorité gouvernementale semblait avoir évolué et souhaiter un accord ; l'importance du lien avec les citoyens semblait faire son chemin.

La démocratie a été confinée, le Sénat a délibéré dans des conditions inédites, le Gouvernement a bénéficié de pouvoirs exorbitants depuis onze mois.

Il y a un paradoxe inouï à vouloir à tout prix que le Parlement ait un pouvoir et simultanément à en éluder la possibilité. Le vote de cette motion signifie que nous en aurons terminé : nous ne réaffirmerons pas nos exigences, sur la durée de l'état d'urgence ou sur les modalités de contrôle.

Nous avons pourtant, parfois, pu introduire des avancées malgré une Assemblée nationale peu attentive à nos propositions. Je ne me résous pas, en tant que parlementaire, à ce que le Parlement ne joue pas son rôle.

Cette question préalable est une motion du renoncement ; c'est la négation du bicamérisme. Notre groupe votera contre. Poursuivons le débat, n'éludons pas nos responsabilités, réaffirmons nos positions.

« Vivre, c'est ne pas se résigner », écrit Albert Camus dans Noces. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement regrette le dépôt de la motion et en prend acte. Avis défavorable.

Mme Éliane Assassi.  - Monsieur le rapporteur, nous sommes en désaccord. Nous ne voulons pas simplement améliorer le contrôle des pouvoirs exceptionnels du Président de la République et du Gouvernement : nous les contestons !

On peut lutter contre le mal sans état d'urgence sanitaire, dans le plein respect de la démocratie.

Monsieur le rapporteur, vous avez-vous-même interpellé M. Véran sur les restrictions de libertés et lui avez rappelé qu'il n'avait rien à craindre d'un contrôle parlementaire. Nous ne souhaitons pas limiter le rôle du Parlement au contrôle mais lui rendre la faculté d'élaborer la loi.

Emmanuel Macron écarte le Parlement et s'isole dans son pouvoir personnel, jusqu'au paroxysme. L'état d'urgence lui-même est un danger pour la démocratie ! Pourquoi persévérer dans ce jeu de dupes ?

Nous nous abstiendrons, car le désaccord que vous mettez en scène ne porte pas sur l'état d'urgence lui-même. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Esther Benbassa.  - Nous regrettons que certaines dispositions du Sénat aient été retirées du texte en CMP, comme la consultation du Parlement pour prolonger le confinement au-delà d'un mois. Dommage : notre institution malmenée aurait pu retrouver toute sa légitimité...

Le Sénat a renouvelé son intention de participer à la gestion de l'état d'urgence sanitaire mais il a reçu une fin de non-recevoir. Ce texte en l'état ne peut nous convenir : c'est un affront à notre assemblée. Le Gouvernement n'est pas prêt à la discussion : c'est une maladie chronique de la Macronie.

Mais cette motion est révélatrice d'une surenchère politicienne à l'approche des élections. Le GEST ne s'y associera pas et s'abstiendra sur la motion.

La motion n°1 est adoptée.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Prochaine séance, mardi 9 février 2021, à 9 h 30.

La séance est levée à 16 heures.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication