« Comment construire plus et mieux en France ? »

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Comment construire plus et mieux en France ? » à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les craintes que nous exprimions au sortir du premier confinement sont devenues réalité. La crise sanitaire a aggravé la crise du logement et de la construction : 90 000 logements sociaux ont été agréés en 2020, contre 120 000 en 2016 ; les permis de construire ont diminué de 16,3 % en un an, et 44 000 logements de moins ont été mis en chantier.

Quelles en sont les causes ? Selon le Gouvernement, les coupables seraient les maires, peu enclins à construire avant les élections, et le virus. Pourtant, en 2014, année électorale, on comptait 106 000 agréments de logements sociaux, hors ANRU, contre 87 000 aujourd'hui. Les maires ne sont donc pas en cause. Et si le virus a bien sûr grippé la machine, il ne saurait expliquer la baisse des courbes depuis 2017.

De fait, il y a des causes structurelles, liées à la politique du Gouvernement, et plus particulièrement les ponctions sur les bailleurs sociaux et sur Action Logement.

Votre prédécesseur a reconnu que baisser les aides personnalisées au logement (APL) avait été une erreur. Reconnaissez que la réduction de loyer de solidarité (RLS) a été tout aussi délétère.

Le Gouvernement mène une politique malthusienne : il n'y aurait pas de crise du logement, mieux vaudrait rénover que construire, point besoin de financement public puisque les taux sont bas... Depuis quatre ans, cette petite musique sape la dynamique de la construction et du logement social.

Les aides au logement ont reculé de 2,2 % du PIB en 2010 à 1,6 % en 2019, soit 14 milliards d'euros de différence, selon la Fondation Abbé Pierre ! Les prélèvements sur le logement sont deux fois supérieurs aux aides, à 80 milliards d'euros. Le mal-logement frappe quatorze millions de personnes, il y a plus de deux millions de demandes de logements sociaux pour 450 000 attributions. La crise du logement n'est pas une lubie. Construire plus et mieux est une absolue nécessité.

Pour cela, il faut aider, libérer et densifier.

Aider les bailleurs d'abord : la mobilisation de 1,2 milliard d'euros d'Action Logement à travers le plan d'investissement volontaire (PIV) ou l'annonce de 42 000 nouveaux logements par CDC-Habitat confirment ce besoin. Aider les maires aussi, car la non-compensation des exonérations de taxes locales fait obstacle au développement du logement social : sur 500 millions d'euros de dégrèvements, seulement 16 millions sont compensés !

Libérer, ensuite, en allégeant les contraintes. J'ai proposé un Ségur de la simplification de l'urbanisme, pour réduire délais et coûts. Il faut aussi ouvrir le débat sur quelques vaches sacrées, comme le Pinel, qui empêche de développer le logement intermédiaire ou de créer un statut du bailleur privé.

Enfin, il faut densifier, pour construire plus et mieux et pour limiter l'étalement urbain. Cela suppose de convaincre nos concitoyens rétifs et d'aider les maires bâtisseurs qui portent des projets qualitatifs, où densité rime avec solidarité et proximité des services. La « ville du quart d'heure » de Carlos Moreno est un concept intéressant. Concevons la ville du XXIe siècle ! C'est vital, pour loger les Français, pour notre économie, pour imaginer un futur meilleur. Construire est un acte de foi en l'avenir, un bien essentiel ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe CRCE)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement .  - Je salue l'engagement et le travail du Sénat sur les politiques du logement.

« De tous les actes, le plus complet est celui de construire », disait Paul Valéry. Il englobe la façon dont nous vivons la ville et le territoire et recoupe les sujets de mixité sociale, d'équilibre entre espaces bâtis et naturels.

Les efforts en matière de construction ont commencé bien avant la crise sanitaire. En 2018, 460 000 logements ont été autorisés, 400 000 mis en chantier. C'est un niveau supérieur à celui de la décennie précédente. Certes, en 2020, il n'y a eu que 382 000 autorisations et 341 000 mises en chantier en raison de la crise sanitaire et du renouvellement des exécutifs municipaux...

M. Philippe Dallier.  - Pas seulement !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - C'est facile !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - ... qui a duré quatre mois de plus que prévu. (M. Julien Bargeton le confirme.)

Non, la construction n'a pas été oubliée. L'effort a porté particulièrement sur le logement social. Deux millions de Français sont en attente, et la crise accentue la demande. J'ai donc proposé aux grands partenaires de l'État - Union sociale pour l'habitat (USH), Action Logement, Caisse des dépôts et consignations - une mobilisation générale pour porter l'objectif à 250 000 logements sociaux en deux ans. Nous signerons la semaine prochaine le protocole d'engagement.

En 2021, la CDC mobilisera 300 millions d'euros pour souscrire des titres participatifs auprès des bailleurs sociaux, la CDC-Habitat s'engage à produire 42 000 logements sociaux nouveaux...

Mme Sophie Primas.  - Et les maires ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Action Logement débloquera 500 millions d'euros de subventions exceptionnelles et Action Logement immobilier a prévu 70 000 logements sociaux nouveaux sur deux ans. Avec le Fonds national des aides à la pierre (FNAP), ce sont 2 milliards d'euros de fonds propres qui seront déployés pour le logement social en 2021-2022.

Nous soutenons également le logement privé en améliorant la lisibilité du prêt à taux zéro (PTZ) et du Pinel pour développer un parc à loyer maîtrisé.

Il faut aussi densifier le foncier. À cet égard, 650 millions d'euros sont mobilisés dans le plan de relance pour la viabilisation des friches et 350 millions d'euros sur deux ans soutiendront les maires bâtisseurs.

Nous simplifions les procédures avec la dématérialisation des documents d'urbanisme - le dispositif sera prêt dès le 1er juin - et la suppression de l'agrément préalable pour les logements locatifs intermédiaires. Un arrêté simplifie l'agrément pour les logements sociaux.

L'État ne peut pas faire seul. Les maires et élus intercommunaux déterminent les règles d'urbanisme et délivrent les permis de construire. Or les professionnels nous alertent sur les cas de blocage ou de remise en cause de projets...

Le véritable danger, c'est de refuser d'accueillir des populations nouvelles, de ne répondre qu'aux besoins des habitants en place et non à ceux des jeunes qui décohabitent, des familles qui déménagent, des personnes en mobilité professionnelle. (Marques d'impatience à droite et au centre) Il faut défendre l'intérêt de ceux qui ont besoin d'un logement comme de ceux qui en ont déjà un. Cela nécessite la mobilisation de tous. J'ai signé avec les associations de collectivités territoriales un pacte pour la relance de la construction durable et je salue l'engagement de certaines villes qui le déclinent localement, comme Dijon.

Mme Sophie Primas.  - Comme par hasard !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Les préfets sont mobilisés pour soutenir les projets.

Il faut se projeter vers l'avenir, dans une logique d'aménagement du territoire. Nous devons donner plus de visibilité sur la loi SRU au-delà de 2025 : ce sera l'un des objets du projet de loi 4D. Nous maintenons le niveau d'exigence mais tenons compte des situations locales, en nous appuyant sur les propositions de la commission nationale SRU présidée par Thierry Repentin.

Il faut construire mieux : proposer des logements confortables et performants sur le plan environnemental, densifier pour limiter l'étalement urbain et l'artificialisation. J'ai proposé de mettre en valeur une centaine de démonstrateurs, dans une démarche que j'appelle « Habiter la France de demain ». Les nouvelles normes de construction, comme la RE2020, ont été aménagées en février.

Mme Sophie Primas.  - Magnifique !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je me félicite de ce débat, que j'aborde dans une posture d'écoute, d'accueil et de partenariat. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. Daniel Salmon .  - Le secteur du bâtiment est au coeur de la transition énergétique, puisqu'il est responsable de 19 % des émissions de dioxyde de carbone et de 60 % des tonnes de déchets produits. Des mesures fortes sont indispensables pour favoriser l'écoconstruction, aux bénéfices multiples.

Les habitations consomment moins grâce à des matériaux biosourcés, souvent locaux - briques de terre cuite, bois de nos forêts.

Le confort thermique est inégalable, en particulier pour un air plus frais l'été, et les matériaux sont biodégradables : c'est un cercle vertueux ! Un mur porteur en béton de chanvre, c'est quatre fois moins d'énergie grise qu'un mur en béton armé.

Comptez-vous favoriser la création de véritables filières locales d'écoconstruction et faciliter la labellisation des matériaux biosourcés?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je soutiens fortement l'écoconstruction et j'ai poussé le projet de nouvelle règlementation, RE2020, qui favorise le développement des matériaux biosourcés avec trois objectifs : sobriété énergétique, moindre impact carbone, fraîcheur en cas de fortes chaleurs.

Nous allons réduire de 30 % la consommation d'énergie sur le cycle de vie du matériau, à partir de 2022. Cela obligera à construire différemment. Le bois de chanvre et d'autres isolants naturels vont être favorisés.

La nouvelle réglementation entrera en vigueur progressivement : elle nous permettra de prendre des initiatives pour soutenir les filières agricoles et industrielles et structurer une véritable filière du bois de construction.

M. Daniel Salmon.  - RE2020 aurait dû être en place... en 2020. Le report à 2022 est lié aux pressions des géants du BTP. Il ne faut rien rabattre des ambitions : tenez bon !

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Construire plus et mieux : c'était l'objectif de la loi ELAN.

Le 2 février, vous avez fixé un nouvel objectif de 250.000 logements sociaux sur les deux ans à venir. Les territoires d'outre-mer font face à des besoins croissants dans ce domaine, à cause de la crise, à cause des flux migratoires grandissants, à cause d'une préférence pour l'habitat individuel,... Outre-mer, 80 % des ménages sont éligibles au logement social, contre 66 % en métropole ; et près de 70% de ceux-ci peuvent prétendre à un logement très social, contre 29 % dans l'Hexagone.

Quelle part des 250 000 logements sociaux à construire sera attribuée aux territoires ultramarins, confrontés à la pénurie ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Vous avez rappelé les particularités des outre-mer, que l'État soutient spécifiquement. Je salue votre délégation aux outre-mer qui place cette année le logement au coeur de son programme de travail.

Nous avons créé les établissements publics fonciers et d'aménagement en Guyane et à Mayotte, afin de produire les terrains aménagés nécessaires pour développer l'offre de logements.

Le ministère finance chaque année sur la Ligne unique la construction ou la réhabilitation de 10 000 logements -  locatifs sociaux ou en accession sociale. Les crédits correspondants sont en hausse. Cette dynamique a été maintenue en 2020 malgré le contexte, et elle doit l'être en 2021 et les années suivantes.

Le plan d'investissement volontaire d'Action Logement prévoit 1,5 milliard d'euros pour l'outre-mer. La territorialisation du plan doit être approfondie ; Sébastien Lecornu et moi-même y veillerons.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth.  - La population guyanaise attend beaucoup des pouvoirs publics dans ce domaine ! Ce sont souvent les occupants illégaux de squats qui obtiennent un logement.

M. Éric Gold .  - La crise et le confinement ont révélé les défauts des logements actuels. Le domicile doit désormais répondre à des usages multiples, travail, école, sport à domicile... L'habitat doit donc être réinventé : luminosité, aménagement, modularité, extérieur-intérieur.

Pour citer la présidente de l'Ordre des architectes d'Île-de-France, nous ne pouvons plus imaginer des logements obsolètes avant même d'être construits...

Ces nouveaux logements auront un coût. Quelles sont les attentes du Gouvernement sur le référentiel qualité qui est actuellement en réflexion ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La qualité du logement est un enjeu essentiel - et l'on a bien vu les inégalités entre Français, dans la période récente.

On connaît les conclusions du rapport de Pierre-René Lemas sur la qualité des logements sociaux : les logements ont perdu en moyenne 10 mètres carrés dans les dernières décennies, et ils sont à la fois trop petits, trop peu modulaires, souvent dépourvus d'un espace extérieur.

J'ai mandaté François Leclercq, architecte, et Laurent Girometti, aménageur : ils devront établir un référentiel simple pour des logements de qualité.

Ce ne sera pas une nouvelle norme, mais un point de repère partagé pour les professionnels.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Surprise : la stratégie bas carbone est fondée sur des hypothèses de baisse démographique continue... donc de baisse du volume de constructions neuves jusqu'à 2050. Mais nous y sommes déjà ! La production n'a pas attendu le Covid pour chuter. Et dans le même temps, les coûts et les prix continuent d'augmenter.

Or nous avons massivement besoin de logements à prix abordables. Pour cela, il faut des aides à la pierre et une régulation des prix.

Mme Sophie Primas.  - Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Les maires qui veulent construire ne doivent pas être bloqués. (On renchérit à droite.) Pour cela, il faut compenser l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) à un taux sérieux et non à 3 % comme aujourd'hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Mouiller.  - Bravo !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - À 50 %, cela ne représenterait que 200 euros par logement et par an.

Le logement procède de la solidarité nationale ; ce n'est pas aux collectivités territoriales de payer ! (Applaudissements à gauche)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La chute de la production est conjoncturelle ; elle deviendra structurelle si nous ne mettons pas en place des outils - ensemble, car la responsabilité est partagée. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe Les Républicains) C'est pourquoi j'ai lancé le défi volontariste de 250 000 logements sociaux par an, en partenariat avec Action Logement. Le logement intermédiaire doit être développé, ce qui pose la question du modèle économique des exonérations foncières.

Oui, il faut soutenir les élus qui veulent construire. Une mission se penche sur les solutions alternatives à l'exonération de foncier bâti pour le logement intermédiaire, nous allons étendre ses travaux à tout le logement social.

Mais les élus ne construisent pas seulement en fonction de considérations fiscales. Beaucoup sont les héritiers des maires bâtisseurs ; ils veulent construire. À nous de trouver le bon modèle économique, fiscal, social, environnemental.

M. Pierre Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Beaucoup de gens veulent vivre à la campagne mais ne le peuvent pas. Les préfets refusent les permis en l'absence de plan local d'urbanisme (PLU). La loi ALUR, qui visait à juste titre à réglementer un urbanisme périurbain galopant, a hélas bloqué du même coup l'urbanisation des territoires ruraux.

Dans ces territoires, de vieux bâtiments pourraient être transformés en logements, en habitats locatifs. Mais aucune aide n'existe. La loi ALUR condamne les territoires ruraux à une mort lente et certaine. Comptez-vous modifier le code de l'urbanisme, fait pour les villes et le périurbain ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'urbanisme rural doit permettre l'arrivée de nouveaux habitants. La question relève de discussions entre élus locaux, dans le cadre des PLU, PLUi, SCoT, avec les services de l'État en appui.

En matière d'artificialisation, la loi Climat et résilience permettra des stratégies différenciées en fonction des besoins.

Nous avons mis en place des outils spécifiques pour la rénovation de certains villages et centres-bourgs avec Action Coeur de Ville, Action Coeur de Bourg, Petites Villes de demain. Nous manquons peut-être d'outils pour la remise de bâtiments rénovés dans le parc social : nous pouvons y travailler. Enfin, MaPrimeRénov' est un outil budgétaire très puissant pour aider ceux qui s'installent à rénover leur logement à prix raisonnable.

M. Pierre Louault.  - L'artificialisation, en zone rurale, est réservée aux routes, aux TGV et aux aéroports. Je répète que la loi ALUR verrouille le système pour les territoires ruraux ! Je déposerai prochainement une proposition de loi pour lever ce verrou. (Applaudissements à droite)

Mme Viviane Artigalas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il faut tenir compte des spécificités locales pour construire vite et mieux. En outre-mer, l'intervention publique doit être repensée, davantage territorialisée et mieux coordonnée. Le logement très social doit être priorisé.

Le plan Logement outre-mer 2015-2019 a été un relatif échec. Comment comptez-vous assurer le succès du nouveau plan ? (Même mouvement)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Il faut une politique spécifique pour l'outre-mer. Le plan Logement outre-mer pour 2019-2022 est concret. Il repose sur 177 mesures déclinées au plan territorial, au plus près des acteurs locaux. Une enveloppe ingénierie permet d'épauler les collectivités territoriales.

Nous travaillons aussi à la simplification des normes, par exemple en réécrivant la réglementation thermique et acoustique. Ainsi, nous tiendrons la trajectoire ambitieuse du plan Logement outre-mer.

Mme Viviane Artigalas.  - Le ministère du logement doit être le chef de file et territorialiser davantage son action, en renforçant l'action des conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement.

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après les mauvais chiffres de l'an dernier, vous affichez un objectif très ambitieux. Mais vous n'avez aucune chance de l'atteindre... Pour prolonger le propos de Mme Lienemann, je vous le demande : quel maire va construire avec zéro recette fiscale en face, surtout quand les dotations de l'État baissent ? Le logement social est concerné, mais aussi le logement intermédiaire.

Pas besoin de réunir une commission ni de lancer une mission : le problème est connu, on sait déjà tout ! Allez-vous agir ? (Applaudissements à droite)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'objectif est ambitieux, en effet ; dans le cas contraire, on me l'aurait reproché... Pour cela, il faut des moyens et des investissements, que nous trouvons dans des partenariats avec Action Logement et la Caisse des dépôts.

Il y a la question du modèle fiscal, mais il faut surtout que les maires accueillent des projets. C'est donc une question de volonté politique. La loi SRU doit être appliquée avec fermeté mais aussi discernement. Je peux envisager plus de contractualisation.

Le Gouvernement remettra prochainement un rapport sur la compensation des exonérations fiscales sur le logement intermédiaire. Je suis prête à ce qu'il concerne aussi le logement social. Cela servira de base au débat du PLF.

M. Julien Bargeton.  - C'est parfaitement clair.

M. Philippe Dallier.  - Vivement l'automne ! Mais vous aurez perdu un an.

Ne jetez pas la pierre dans le jardin des maires : ceux qui ne veulent pas construire sont minoritaires. Aidez les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Le défi est double : construire plus pour répondre à une demande croissante, et construire mieux pour répondre aux exigences environnementales.

La loi ELAN a été bien accueillie, mais elle tarde à porter ses fruits : c'est dans la lenteur des autorisations que le bât blesse.

L'État a rehaussé ses exigences environnementales, très bien, mais attention à ne pas créer encore des normes, simplifions plutôt celles qui existent.

LA RE2020 est un pari sur l'avenir : certaines exigences nécessitent une révision du process et des matériaux et un accompagnement des métiers du bâtiment.

Que comptez-vous faire pour que l'ambition environnementale ne freine pas la dynamique de construction ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La loi ELAN a dématérialisé les autorisations d'urbanisme ; ce sera une réalité au 1er janvier prochain.

Un décret relatif aux mesures de simplification en matière d'urbanisme est devant le Conseil d'État. Il étend le régime de la déclaration préalable.

En matière de décarbonation, nous avons prévu une entrée en vigueur progressive, afin de laisser aux filières le temps de s'adapter, avec des jalons jusqu'en 2031, et des souplesses sur la mixité des matériaux. Le ministère de l'industrie et le mien accompagneront ces filières. Je ne crois pas que les prix de la construction augmenteront.

Mme Anne-Catherine Loisier .  - Je salue la valorisation des matériaux biosourcés dans la construction, avec une méthode de prise en compte du bilan carbone tout au long du cycle de vie.

Cependant les coûts risquent d'augmenter pour les entreprises, ce qui plaide pour une mise en oeuvre très progressive.

Pour réaliser le saut technologique nécessaire, il faut aider la filière bois beaucoup plus qu'aujourd'hui. Comment relever ce défi industriel, et produire des logements à des coûts supportables pour l'ensemble de nos concitoyens ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La construction bois est un levier important dans notre trajectoire climatique ; elle a une place particulière dans la RE2020.

Il faut maintenant accompagner les filières ; nous sommes en retard sur le bois lamellé croisé - ou CLT - et les autres matériaux innovants.

Le 18 février, j'ai lancé un appel à manifestation d'intérêt de 20 millions d'euros pour des projets innovants de mixité des matériaux dans le cadre du PIA4. Un deuxième sera lancé sur la filière bois pour construire une industrie purement nationale.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - La France possède la ressource bois pour relever le défi mais elle n'a pas l'outil de transformation. Il est urgent d'accompagner les industriels, notamment dans la maîtrise des coûts.

M. Denis Bouad .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pas moins de deux millions de Français attendent un logement HLM. Il faut produire plus, mais en songeant à la répartition territoriale, à la mixité sociale et à la qualité du logement.

Les bailleurs sociaux ont un rôle à jouer dans la relance économique, et dans la poursuite de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or la décision de 2018 sur les APL a affecté la capacité d'autofinancement de ces organismes. Les recettes locatives de l'office HLM gardois que j'ai longtemps présidé sont de 60 millions d'euros ; l'impact de la décision a été de 6 millions d'euros ; la capacité d'investissement a baissé de 20 %.

Que comptez-vous faire pour corriger cela ? Y aura-t-il une clause de revoyure ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Certes, il y a la question du volume mais aussi celle de la répartition sur le territoire. Nous allons réfléchir au rôle des commissions intercommunales d'attribution, dans le projet de loi 4D.

Le rendement de la réduction du loyer de solidarité (RLS) était de 600 millions d'euros en 2018, 890 millions d'euros en 2019 et 1,3 milliard d'euros sur 2020-2022. La RLS a été accompagnée par des financements de la Caisse des dépôts et consignations, 1,5 milliard d'euros d'Action Logement et une TVA ramenée à 5,5 % pour certaines catégories de logement et pour les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI). La RLS est désormais, selon les études, absorbée par le secteur, et les bailleurs ont à nouveau des capacités d'investissement.

Le plan de relance consacre 500 millions d'euros de crédits à la rénovation des logements sociaux. Le plan d'investissement volontaire prévoit une clause de revoyure en 2022 ; je suis très attachée à l'équilibre social et économique des bailleurs.

M. Marc-Philippe Daubresse .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je vais enfoncer le clou après mon collègue Dallier : les maires ont bon dos ! Depuis la loi ELAN, construire est devenu un parcours du combattant avec le racket financier des offices HLM, les lourdeurs administratives et les contraintes environnementales malthusiennes.

Il faudrait des incitations financières et une baisse des contraintes administratives. Et une large compensation de l'exonération de TFPB, comme le dit Mme Lienemann.

Les chiffres de 2020 sont terribles : 16,3 % de baisse pour les permis de construire et un recul de 11,3 % des mises en chantier. Lorsque j'étais ministre du logement, j'ai réussi à passer de 330 000 à 486 000 constructions neuves par an. C'est donc possible !

Mais pour cela, il faut une vraie relance : sera-t-elle à la hauteur de l'enjeu ? (Applaudissements sur les mêmes travées)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Je respecte la libre administration des collectivités territoriales. Mais l'État ne saurait se dédouaner de sa responsabilité : fixer le cadre réglementaire et les objectifs de construction.

En 2017, 493 000 logements ont été autorisés ; 460 000 en 2018 et encore 450 000 en 2019.

M. Philippe Dallier.  - Ça baisse...

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - L'année 2020 a été particulière, la crise du Covid a stoppé les chantiers et le cycle - allongé - des élections municipales a gelé des décisions de construction.

L'enjeu porte donc sur l'année qui vient. C'est un défi collectif, mais je vous mets en garde contre les anticipations auto-réalisatrices négatives...

M. Julien Bargeton.  - Le pire n'est jamais certain !

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Il y a une différence de traitement entre métropoles et communes rurales, celles-ci étant victimes d'un urbanisme restrictif.

Il faut apporter une réponse différenciée aux communes, en assouplissant les règles d'urbanisme. Retrouvons de la confiance, au lieu de présupposer les excès des élus.

La question de la récupération du bâti vacant, en zone rurale, est cruciale. Car le seul effet positif de la pandémie, c'est que les ménages souhaitent sortir des villes et s'installer à la campagne. À nous d'améliorer l'attractivité de nos territoires ruraux. Comment aider les petites communes ?

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La crise du Covid a incité nos concitoyens à vouloir quitter les métropoles. C'est une chance pour les territoires ruraux, et nous travaillons à développer les réhabilitations avec les opérations de revitalisation des territoires (ORT), tandis que l'ANAH rénove les centres-villes et lutte contre les logements vacants, pour accueillir ces populations. Un AMI a été lancé sur ce sujet : 250 communes se sont positionnées. L'ANAH a bénéficié d'une augmentation de ses crédits dans le cadre du plan de relance.

J'ai rencontré à Cahors un maire très volontaire qui reprend le bâti ancien, le rénove et le remet en location.

Les aides comme MaPrimeRénov' accompagnent aussi des projets de revitalisation. Installation ne rime pas toujours avec étalement et artificialisation.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise économique appelle une relance volontariste. Les obstacles sont nombreux.

La commission des affaires économiques a créé un groupe de travail sur le zéro artificialisation nette. Nous vous ferons des propositions !

Il y a toujours plus de contraintes réglementaires, même si vous proposez des espaces de discussions au niveau régional et des solutions dans les SCoT.

Mais il faut aussi un effort financier. La fiscalité de l'aménagement a un rendement insuffisant. Comment allez-vous soutenir ces élus locaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Le bâtiment, c'est 12 % des emplois en France. Nous avons soutenu la rénovation par les particuliers, ce qui a maintenu l'emploi et développé l'apprentissage : les perspectives sont positives en 2021, à tel point qu'il y a ici et là des pénuries de main-d'oeuvre.

La lutte contre l'artificialisation ne peut se faire qu'avec les collectivités territoriales. La loi Climat et résilience prévoit une réduction de 50 % des artificialisations nettes dans les dix ans.

Cet objectif, modéré, sera décliné par région dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Straddet).

En outre, un fonds Friches de 350 millions d'euros fonctionne par contractualisation au niveau régional. Nous verrons si nous pouvons le réabonder. L'aide aux maires densificateurs vise à inciter les communes à construire sans étalement.

M. Jean-Baptiste Blanc.  - Dont acte pour le logement social. Il faut aussi adapter les Sraddet, les schémas de cohérence territoriale, les PLUi, les PLU : comment absorber ce coût supplémentaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Somon .  - La compétence du bloc communal se réduit. Or « plus une politique devient technique, plus la démocratie régresse », disait Edgar Morin. Les objectifs de réduction de l'artificialisation ont pourtant été atteints, passant de 35 000 hectares en 2010 à 18 000 hectares en 2016.

Sur le terrain, les acteurs font état de règles qui alourdissent les dossiers et sont parfois contradictoires. Je pense notamment à la RE2020. Pourquoi interdire le chauffage au gaz alors qu'on pourrait mettre en place un cercle vertueux : déchets-méthanisation-gaz ?

Seriez-vous prête à mettre en place comme en Angleterre un permis déclaratif là où des permis similaires ont déjà été délivrés ? Une déclaration de complétude au bout de vingt jours, comme en Belgique ? Ou une instance d'arbitrage pour réduire le nombre de recours, comme en Suisse ? Quelles mesures adopter sur les logements vacants, pas moins de 8 000 à Amiens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - La loi ALUR a permis une prise de compétence par les EPCI, à la bonne échelle. Les services de mon ministère ont fait un tour de France des PLUi afin de partager les bonnes pratiques. Quelque 700 PLUi sont adoptés ou en cours d'adoption : 476 sur tout le territoire de l'intercommunalité et 235 sur une partie.

Je ne comprends guère votre proposition sur le permis déclaratif, mais je suis favorable à une délivrance de permis plus automatique là ou un PLUi a déjà été adopté - même si cela ne me semble pas faire consensus chez les maires... Je suis prête à examiner cette question avec les élus intéressés. Si c'est votre demande, je serai ravie de l'instruire.

M. Bruno Belin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est essentiel. Pas d'avenir sans bâtir.

Il faut bâtir plus car nous manquons de logement, notamment pour les étudiants et pour le grand âge, et cette carence pousse les prix à la hausse.

Mais comment mieux construire ? Il faudra de nouvelles méthodes et de nouveaux matériaux. Or je n'entends pas beaucoup d'annonces sur la recherche et la formation, indispensables dans ce domaine.

Et où construire ? Les projets sont urbains. Les PLUi bloquent la construction dans les territoires ruraux. Or les Français ont envie d'espace, comme nous l'avons vu cet été ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Le grand âge et l'adaptation au vieillissement sont une des dimensions de notre vision. Il existe des aides en partenariat avec Action Logement pour l'adaptation - comme le remplacement d'une baignoire par une douche - mais aussi pour l'habitat inclusif, avec des aides à la vie partagée. Je visite de plus en plus de tels projets.

Pour construire mieux, le ministère soutient la recherche sur les matériaux, dans le cadre du PIA. Il n'y a pas de filière tabou : ciment, béton, acier, matériaux biosourcés, terre cuite... (Murmures) Mais si, la terre cuite est un matériau très efficace et très écologique ! (M. Laurent Duplomb ironise.)

Comment construire partout ? Poursuivons notre débat sur cette question.

M. Bruno Belin.  - Je m'étonne que l'on ne parle pas plus des artisans. Pour construire demain, nous aurons besoin de la transmission des entreprises, des savoir-faire du maçon de village. Les aides de l'ANAH pour le grand âge relèvent du parcours du combattant. Avant de les obtenir...

Mme Sophie Primas.  - On est mort !

M. Bruno Belin.  - Demandez aux préfets par circulaire de ne plus bloquer les projets ruraux au motif qu'un PLUi est en cours de constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les maires ne sont pas vos ennemis mais ils ne sont pas non plus les agents de l'État.

À Milhaud, dans le Gard, la justice administrative a annulé une décision du maire qui refusait un branchement électrique pour un maset de 80 mètres carrés dans une garrigue sans réseau d'assainissement, et où le risque de feu de forêt est élevé.

Les élus avaient raison de se méfier : le propriétaire s'est fait livrer des Algeco et ses travaux de toiture et de fenêtres seront subventionnés par l'État ! (M. Michel Savin s'en scandalise.) C'est une cabanisation en zone naturelle, qui est loin d'être anecdotique dans le Gard. À quoi sert-il, dans ces conditions, d'avoir un PLU ?

Quand allez-vous faire confiance aux maires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Les maires ne sont pas mes ennemis, ni des agents de l'État : je travaille en partenariat avec eux. Je connais bien Milhaud pour y être passée cet été : c'est magnifique. (Murmures à droite)

Je ne connais pas le dossier que vous évoquez et je ne commenterai pas une décision de justice. Je vais toutefois examiner la question des subventions que vous soulevez.

Nous devons poursuivre notre travail sur la question des PLUi car l'échelon intercommunal est souvent le bon. Il doit se concilier avec le rôle du maire.

M. Laurent Burgoa.  - Nous le savons depuis Odilon Barrot : pour frapper juste, en urbanisme comme dans d'autres domaines, il faut raccourcir le manche du marteau. (Sourires) À force de vouloir être partout, l'État n'est plus nulle part. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie tous les orateurs, ainsi que la ministre. Après l'année noire de 2020, la relance de la construction est essentielle.

Retenons trois idées. Tout d'abord, les procédures doivent être simplifiées. Il faut rouvrir le chantier de la simplification, au-delà de la seule dématérialisation, comme l'avaient proposé dans leur rapport Dominique Estrosi Sassone et Annie Guillemot. Nous devons nous résoudre à adopter une loi d'exception pour sortir de la crise, comme nous l'avons fait pour les Jeux olympiques ou Notre-Dame de Paris : il n'est pas trop tard.

Ensuite, les ressources des communes doivent être renforcées. Avec la suppression de la taxe d'habitation et l'exonération de taxe foncière des logements sociaux et maintenant des logements intermédiaires, elles fondent. Les maires ne sont pas des jambons, comme le dirait Philippe Dallier. (Ce dernier applaudit.) Et ils savent compter ! En outre, ils ont besoin de moyens pour accueillir les nouvelles populations.

M. Michel Savin.  - Très bien !

Mme Sophie Primas.  - Enfin, il faut réfléchir à l'acceptation des nouvelles constructions par nos concitoyens. Il est difficile de diversifier dans nos territoires. Vous évoquez des maires nouvellement élus ayant arrêté des programmes de construction : mais ils ont été élus pour cela !

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée.  - Dommage !

Mme Sophie Primas.  - Soutenez les maires bâtisseurs ! Mais ne sous-estimez pas le vrai problème démocratique que posent les grands programmes, qui nécessitent souvent plus d'un mandat pour aboutir.

Voilà les trois chantiers que je vous propose d'ouvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)