Diverses mesures de justice sociale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale, à la demande de la commission des affaires sociales.

Discussion générale

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées .  - Une société pleinement inclusive : telle est notre ambition depuis quatre ans. Nous travaillons à améliorer le quotidien des personnes handicapées qui doivent pouvoir vivre une citoyenneté comme les autres. Cette politique se place dans un projet plus large d'égalité des chances, d'équité, de liberté de choix.

Cette proposition de loi remet en cause les principes de solidarité et de redistribution. La solidarité nationale s'appuie sur la solidarité familiale ; le foyer est la première cellule protectrice comme l'indique l'article 220 du code civil. Notre système doit protéger en priorité les plus fragiles, et cela implique de prendre en compte les revenus du foyer.

La loi de 1975 a créé l'allocation aux adultes handicapés (AAH) pour assurer des conditions de vie dignes aux personnes handicapées à faibles revenus.

Chaque année, 51 milliards d'euros sont consacrés à l'amélioration du quotidien des handicapés, soit 2,2 % du PIB. Conformément à l'engagement du Président de la République, l'AAH a été revalorisée en 2018 et 2019 pour 775 millions d'euros par an.

En outre, des avancées majeures ont été réalisées en matière d'accès aux droits. Nous pouvons en être fiers collectivement.

En avril 2018, le montant de l'AAH est passé de 810 à 903 euros, soit une augmentation de 12 % du pouvoir d'achat. Cela correspond à un effort de 2 milliards d'euros sur la durée du quinquennat.

Notre objectif est de faire des personnes en situation de handicap des citoyens à part entière. Il convient d'assurer la prise en compte de leurs spécificités, avec un système qui ne soit pas dérogatoire, mais juste et adapté à chacun. L'AAH tient compte d'un éloignement particulier à l'emploi avec un montant sensiblement supérieur à celui du RSA, 565 euros en moyenne.

Le fonctionnement de l'AAH favorise le cumul avec un emploi. Le plafond est de 3 000 euros si c'est la personne handicapée qui travaille - comme dans 35 % des cas - et de 2 270 euros si c'est le conjoint. Ils sont donc beaucoup plus élevés que pour les autres allocations.

La demi-part fiscale et l'exonération de la taxe foncière et de la taxe d'habitation sont normales pour des personnes qui sont particulièrement éloignées de l'emploi.

Cette proposition de loi est issue d'un appel des associations à propos des femmes victimes de violences conjugales. J'étais hier, Journée internationale des droits des femmes, dans un centre d'hébergement d'urgence. Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, vous connaissez mon engagement dans ce domaine.

En cas de séparation, les situations sont prioritaires pour les caisses d'allocation familiales (CAF) qui doivent traiter le dossier sous dix jours : les femmes doivent pouvoir échapper à l'emprise de leur conjoint violent. Les premiers jalons d'une expérimentation dans trois territoires, pour un repérage rapide, ont été lancés hier avec l'aide du département de la Gironde. Les sénateurs intéressés par ces problématiques sont bien sûr les bienvenus pour prendre part à ces travaux.

La proposition de loi pose des questions réelles. Les amendements du rapporteur Philippe Mouiller apportent une correction bienvenue, notamment le rétablissement du plafond de ressources.

En revanche, la réécriture de l'article 3 pour neutraliser les effets négatifs de la déconjugalisation, via un droit d'option pendant dix ans pour le maintien de la conjugalisation des ressources, est source de complexité et crée un dispositif à deux vitesses. Cela accroît le coût de la mesure - déjà 730 millions d'euros - et crée de l'incertitude sur le pouvoir d'achat.

L'effort doit porter au contraire sur la simplification des parcours de vie et l'amélioration du recours aux droits.

Lorsque les deux membres du couple travaillent en établissement et service d'aide par le travail (ESAT), ils perdront 400 euros. Comment actionneront-ils leur doit d'option ?

Depuis la loi 2005, la prestation de compensation du handicap (PCH) assure une prise en compte compensatoire individualisée ; 2,6 milliards d'euros lui ont été consacrés en 2019, en cofinancement avec les départements. Un tiers des bénéficiaires de l'AAH reçoivent 500 euros en moyenne, mais les deux allocations répondent à des objectifs différents : la PCH compense des frais supplémentaires, tandis que l'AAH assure un revenu digne aux personnes en situation de handicap aux faibles ressources.

Je propose qu'une mission travaille à simplifier et à mieux articuler les dispositifs pour les rendre plus équitables. Ce travail de concertation prendra plus de temps qu'un débat parlementaire. Il faut réexaminer les dispositifs et leur articulation avec la cinquième branche.

Le relèvement de l'âge maximal pour bénéficier de la PCH à 65 ans ne peut pas être décidé sans concertation avec les départements. Cette mesure aurait en effet un coût de 20 millions d'euros. Pour ces raisons, je ne suis pas favorable au texte issu des travaux de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la députée à l'initiative de cette proposition de loi, mais aussi Véronique Texier qui nous a alertés sur les conséquences de la conjugalisation sur la plateforme du Sénat. Cette proposition de loi doit beaucoup aussi au président Larcher qui a permis, en janvier 2020, la création de la plateforme participative sur laquelle cette question a été placée et a réuni de nombreux soutiens, jusqu'à dépasser le seuil requis pour saisir la Conférence des présidents.

La déconjugalisation de l'AAH est tout sauf symbolique. Nous avions toujours défendu la notion de foyer, comme lorsque nous avions rejeté une proposition de loi du groupe CRCE en octobre 2018 sur le même sujet. Mais les derniers mois ont éclairé cette question d'une lumière nouvelle...

Actuellement, l'AAH est calculée en tenant compte des revenus du conjoint et du nombre d'enfants. Un bénéficiaire qui se met en couple peut donc perdre son allocation : c'est ce que les associations appellent « le prix de l'amour ». À l'inverse, une personne en situation de handicap peut devenir bénéficiaire de l'AAH si elle se met en couple avec une personne aux revenus faibles.

Beaucoup de bénéficiaires sont frustrés par l'écrêtement lié à cette règle administrative. Les jeunes générations aspirent à plus d'autonomie au sein du couple, notamment les jeunes femmes qui gagnent en moyenne moins que les hommes, tout en étant plus diplômées. Enfin, les femmes en situation de handicap sont plus souvent victimes de violences.

Les opposants à la déconjugalisation ont un argument simple : l'AAH est un minimum social qui doit donc passer après la solidarité familiale. Mais cet argument est devenu de moins en moins convaincant. Si elle est plus généreuse que le RSA, tant pour son montant que pour le plafond de ressources, c'est bien que l'AAH compense quelque chose : l'éloignement de l'emploi. On ne saurait donc l'indexer sur des variables exogènes.

Le Président de la République avait exprimé sa volonté de clarifier le système en février 2019. Il est vrai que l'AAH a de moins en moins à voir avec un minimum social qu'avec une prestation compensatoire.

En l'état, le texte aurait eu des conséquences injustes : 44 000 ménages perdants contre 196 000 gagnants. La commission des affaires sociales a rétabli le plafond de revenus et aménagé une transition simple, sous forme de droit d'option pendant dix ans.

La cohérence du principe n'est pas encore trouvée : l'individualisation complète supposerait une révision totale de l'AAH, mais les perdants seraient nombreux.

Le pilotage de la prestation est par ailleurs difficile, comme le reconnaissait un rapport de la Cour des comptes de novembre 2019.

Les 560 millions d'euros que coûterait une déconjugalisation sont à rapporter aux 11 milliards d'euros de l'AAH aujourd'hui, car elle a crû de 2 milliards d'euros depuis quatre ans.

Une cinquième branche a été créée, dont le périmètre n'est pas fixé. L'AAH, qui n'est pas seulement un minimum social, pourrait-elle y être transférée, comme le suggère le rapport Vachey de septembre 2020 ? Il faut bien en soupeser les conséquences. Quid également du lien avec la prestation de compensation du handicap et les pensions d'invalidité ?

Il est temps de supprimer les barrières d'âge, comme nous l'avons fait de la barrière de 75 ans dans la loi du 7 mars 2020. Il faudra ensuite s'atteler au décloisonnement des politiques relatives au handicap et au grand âge dans une logique de parcours de vie.

Mais en attendant, commençons par adopter cette proposition de loi dans le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et sur celles du GEST)

Mme Colette Mélot .  - Cette semaine se tient la Semaine nationale des personnes handicapées physiques, afin de sensibiliser le grand public au handicap et récolter des fonds pour des projets d'inclusion.

En octobre 2018, le Sénat a rejeté une première proposition de déconjugalisation, en l'absence de chiffrage financier.

Une pétition rassemblant 100 000 signatures a porté cette proposition de loi à l'ordre du jour. Elle soulève la question de la cohérence de notre système social : il faudra justifier le maintien des conditions de revenus du RSA et de l'allocation personnalisée d'autonomie.

L'augmentation de l'abattement - aujourd'hui de 50 % pour le bénéficiaire et de 28 % pour le conjoint - et l'alignement des deux plafonds à 3 000 euros auraient constitué une alternative intéressante à la déconjugalisation, moins coûteuse que les 20 milliards d'euros de la proposition de loi initiale.

La commission des affaires sociales a pris ses responsabilités en abaissant le coût de la mesure à 560 millions d'euros. Elle s'est préoccupée des 44 000 foyers perdants en leur conservant leurs droits pendant dix ans.

L'individualisation de l'AAH répond toutefois à une demande sociale forte. Elle favorise l'émancipation des jeunes handicapés, parfois victimes de violence de la part de leur conjoint. Le rapport du sénateur honoraire Roland Courteau est éloquent à cet égard.

Quant à l'idée de repousser l'âge limite pour demander la PCH, que l'on peut comprendre en raison d'une espérance de vie qui s'allonge, elle coûterait entre 10 millions d'euros et 57 millions d'euros. Il faudrait la travailler en concertation avec les départements, dont les finances sont déjà fortement sollicitées. J'y suis favorable si l'accompagnement financier par l'État est suffisant. Je voterai cette proposition de loi à titre personnel, mais la majorité de mon groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Exigence ancienne des personnes en situation de handicap et des associations, la déconjugalisation de l'AAH marquera une étape essentielle de son individualisation. Il faut replacer cette allocation au sein d'un ensemble plus vaste et cohérent assurant à la personne en situation de handicap sa place au sein d'une société solidaire, émancipatrice et inclusive.

La question de la garantie de ressources se pose pour autant que la loi de 2005 s'applique. Mais les objectifs d'inclusivité ne sont pas toujours poursuivis et les personnes demeurent dans un schéma de précarité. Les actions d'accompagnement vers l'emploi, notamment, restent insuffisantes. Or, tout ce qui peut réduire le handicap doit être fait.

L'AAH est attachée à l'adulte pendant la période d'activité. Elle doit lui être propre, pour lui garantir une relative autonomie financière en fonction de sa situation.

Ce revenu ne doit pas dépendre des choix de vie de la personne. Il doit aider celle-ci à participer aux charges du ménage. La solidarité familiale maintient dans une dépendance, une asymétrie, une dette symbolique propice aux violences notamment à l'encontre des femmes. Le mouvement vers l'individualisation doit se poursuivre vers la défamiliarisation. Le droit à l'AAH doit être durable et sécurisé.

Nous soutenons également l'accès à la PCH jusqu'à 65 ans.

Cette proposition de loi favorise le changement de regard sur le handicap. Pour les écologistes, elle préfigure une avancée concrète pour l'individualisation dans une société inclusive.

En adoptant une loi pour les personnes en situation de handicap ou de vulnérabilité, c'est toute la société tout entière que nous faisons progresser. Le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Nassima Dindar applaudit également.)

M. Xavier Iacovelli .  - Je salue le succès de la plateforme du Sénat : ce texte a été soutenu par 100 000 signatures et nous en débattons.

Tendre vers une société plus inclusive est une des priorités absolues. L'AAH représente 11 milliards d'euros en 2020. Peu de pays sont dotés d'une telle prestation. Je veux souligner l'action du Gouvernement : en 2019, elle a été augmentée de 100 euros pour 1,2 million de personnes, ce qui n'était pas arrivé depuis onze ans. Cela correspond à une hausse de 12 % du pouvoir d'achat des intéressés.

La proposition de loi supprime la prise en compte des revenus du conjoint. Elle rétablit un plafond afin de limiter le coût de la réforme à 560 millions d'euros. Enfin, elle instaure à l'article 3 bis un régime de transition injuste entre bénéficiaires de l'AAH, qui en outre ne nous semble pas constitutionnel.

Nous partageons l'objectif de mieux accompagner les personnes en situation de handicap mais cette proposition de loi pose problème. L'AAH doit assurer des conditions de vie dignes. Elle est donc conçue comme un minimum social. Elle est plus élevée que le RSA car elle prend en compte les spécificités du handicap. Or ce texte en fait une prestation de compensation et renie la solidarité familiale qui fonde notre système de politique familiale.

Nous risquons d'ouvrir la brèche pour le quotient familial ou le RSA, dont le coût de l'individualisation totale était estimé à 9 milliards d'euros en 2016. La réforme renforce en outre les inégalités sociales, en bénéficiant surtout aux plus aisés.

Un allocataire rémunéré à 0,5 Smic dont le conjoint est rémunéré à 2 Smic bénéficierait d'un gain net allant de 320 euros à 720 euros tandis que l'individualisation totale de la prestation serait défavorable pour les couples dont l'allocataire est le seul à percevoir un revenu d'activité. Le manque à gagner peut aller jusqu'à 550 euros pour un Smic.

Quelque 44 000 bénéficiaires verront leur allocation diminuer, notamment ceux qui travaillent déjà. C'est contraire à l'objectif de l'allocation.

La proposition de loi relève à 65 ans le versement de la PCH. Cela nécessite une concertation et une co-construction avec les départements pour lesquels ce n'est pas anodin.

Soutenir l'autonomie de personnes en situation de handicap ne doit pas affaiblir notre politique familiale ni accroître les charges des départements. Cela entraînerait de la complexité pour les usagers et leurs aidants.

Nous défendrons un amendement privilégiant une réévaluation de cet âge tous les cinq ans, par décret et après concertation avec les départements. Le gestionnaire resterait ainsi au coeur du processus.

Ne créons pas davantage d'inégalités. Le groupe RDPI, dans sa majorité, votera contre ce texte.

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cette proposition de loi nous tient particulièrement à coeur. Je remercie la commission des affaires sociales de s'être saisie du sujet.

Elle prouve que nous pouvons travailler ensemble à des solutions de bon sens pour améliorer le quotidien des Français. C'est une reconnaissance du travail parlementaire à l'heure du recours massif aux ordonnances.

La dépendance peut frapper chacun et à tout âge. Je salue Jeanine Dubié, qui a défendu cette proposition de loi à l'Assemblée nationale.

En pleine crise sanitaire et sociale, il n'y a jamais trop de redistribution. Les plus fragiles sont les premiers frappés. Aussi, je regrette l'avis défavorable du Gouvernement qui nous renvoie à la future loi Grand âge et autonomie.

Les articles 2 et 3 suppriment les inégalités entre bénéficiaires de l'AAH en fonction de leur situation maritale. L'objectif est de mettre fin aux liens de dépendance financière et de rappeler le principe de primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.

L'AAH n'est pas un minimum social, c'est une prestation à affectation spéciale. Le Président de la République a d'ailleurs indiqué, le 11 février lors de la Conférence nationale du handicap, qu'elle ne serait pas inclue dans le revenu universel d'activité.

Nous soutenons le rétablissement du plafonnement supprimant les revenus du conjoint de l'assiette et la prise en compte des 44 000 perdants de la déconjugalisation de l'AAH.

La PCH, en revanche, est une prestation de compensation. Le relèvement de la limite d'âge à 65 ans représente une avancée. Lier le handicap à la vieillesse perd de plus en plus son sens.

En attendant le projet de loi Grand âge et autonomie, notre groupe votera ce texte qui constitue une avancée sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mmes Nassimah Dindar et Elisabeth Doineau applaudissent également.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Notre groupe se félicite de ce débat, lui qui avait porté une proposition de loi similaire en 2018. L'individualisation de l'AAH est une demande ancienne des associations contre l'injustice vécue par les couples. Ce prix de l'amour n'est pas acceptable : il crée une dépendance économique, or les femmes en situation de handicap sont plus souvent que d'autres victimes de violences conjugales, comme le rappelait la Défenseure des droits.

Je salue la proposition de loi de Marie-George Buffet, soutenue de la France insoumise aux Républicains à l'Assemblée nationale, repoussée par la droite sénatoriale au prétexte d'une refonte globale. Une proposition de loi Libertés et Territoires, en 2019, est restée lettre morte au Sénat. Il aura fallu la mobilisation de milliers de personnes pour remettre l'ouvrage sur le métier. Nous le devons à la pétition initiée sur la plateforme du Sénat par Véronique Tixier qui a recueilli plus de cent mille signatures, quand les autres pétitions en recueillent environ deux cents.

Je me félicite du changement de pied de la droite sénatoriale sur l'individualisation. C'est une avancée importante pour les familles. J'espère que le Gouvernement suivra. Montrons aux personnes en situation de handicap que nous nous soucions de leur dignité.

Le Gouvernement estime le nombre de perdants trop important. Pourtant, la suppression des revenus du conjoint bénéficiera à 196 000 ménages : 67 % de couples bénéficiaires ! Dommage que le Gouvernement ne tienne pas le même raisonnement pour le million de perdants de la réforme de l'assurance chômage...

Le mécanisme transitoire de dix ans proposé par le rapporteur est utile. Je regrette que la majorité sénatoriale ne l'ait pas proposé en 2018.

La balle est désormais dans le camp du Gouvernement, sur l'individualisation de l'AAH, sur sa revalorisation et sur la suppression des barrières d'âge.

Nous refusons le transfert de l'AAH à la cinquième branche. Elle doit être intégrée au régime général de l'assurance maladie, comme la pension d'invalidité. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ainsi que sur quelques travées du groupe UC.)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Dans son essai Indignez-vous, Stéphane Hessel écrivait : « Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers. » Cette maxime pourrait s'appliquer à ce texte, qui revisite notre système de protection sociale avec deux mesures symboliques : la déconjugalisation de l'AAH et le recul de l'âge limite pour demander la PCH de 60 ans à 65 ans.

Avant d'être sénateur, j'ai travaillé au quotidien pour l'insertion des personnes handicapées, notamment en tant que vice-président du conseil départemental du Nord chargé de l'insertion. Je connais leurs attentes. Le succès de la pétition en ligne en est le témoin, et je salue l'initiative du président Larcher.

Nous nous sommes arrêtés sur le principe de vulnérabilité lors de l'examen de la loi de bioéthique. C'est tout à notre honneur.

Je salue le travail de notre rapporteur. Nous voterons ce texte dont la légitimité est solide.

Il existe une puissante revendication, inspirée par Beveridge et les pays du Nord de l'Europe, d'individualisation des prestations sociales. Cela ne concerne pas que l'AAH, qui est à mi-chemin entre le minimum social et le substitut de salaire. S'agissant de l'AAH, nous y sommes favorables. Pour le reste, nous lui préférons l'universalité, bien que le législateur doive comprendre l'évolution individualiste de la société.

Les femmes en situation de handicap aspirent aussi à l'autonomie financière, notamment pour échapper à un conjoint violent. Quelque 34 % d'entre elles sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % dans la population générale - ce qui est déjà considérable.

Ces chiffres insupportables, bouleversants, interrogent sur notre condition masculine... Si cette proposition de loi donne leur indépendance à quelques femmes, ce sera déjà une victoire. Nous y sommes favorables mais refusons une défamiliarisation généralisée de notre modèle social.

Veillons aussi à nos finances publiques. L'argent public ne coule pas d'un robinet à ouvrir sans compter. Le texte de l'Assemblée nationale coûterait 20 milliards d'euros, selon la Drees ! Le Gouvernement a annoncé un déficit public de 8 % du PIB en 2021. Plusieurs milliards d'euros viendraient aggraver la dette que nous léguerons à nos enfants.

Je salue le travail équilibré de notre rapporteur, sur le plafond du cumul, la période de transition et le recul de la limite d'âge pour solliciter la PCH. Je me réjouis qu'il ait réussi à circonscrire la déconjugalisation.

Au lendemain de la création de la cinquième branche, nous devons réfléchir à nos politiques en faveur des personnes handicapées et à leur financement. Nos collectivités et nos départements font un travail remarquable, mais les moyens font souvent défaut.

Le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ainsi que sur quelques travées du RDSE.)

Mme Michelle Meunier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi porte principalement sur la déconjugalisation de l'AAH : l'exclusion des ressources du conjoint dans le calcul du montant de l'AAH. C'est du jargon - mais c'est aussi une conquête d'autonomie. Pour nous, cette réforme n'est pas nouvelle : les groupes de gauche de l'Assemblée nationale avaient cosigné la proposition de loi de Marie-George Buffet en 2017, puis Laurence Cohen a été à l'origine d'une autre proposition de loi à l'automne 2018.

De fait, c'est une revendication de longue date des associations, en particulier APF France Handicap et son mouvement « Ni pauvre, ni soumis ».

En 2018, Michel Amiel, de LaREM, assumait la position du Gouvernement. Et la majorité sénatoriale tenait à ce que le foyer reste la base fiscale. Mais notre groupe dénonçait le tour de passe-passe du Gouvernement qui reprenait d'une main ce qu'il donnait de l'autre via la revalorisation de l'AAH.

Que s'est-il passé en deux ans ? Des fissures dans le bloc de la majorité gouvernementale. Mais surtout, la pétition en ligne de Mme Tixier qui, contre toute attente, a recueilli rapidement des dizaines de milliers de signatures, preuve de l'indignation du secteur associatif.

Non, il n'est pas juste qu'une personne handicapée doive choisir entre son statut conjugal et ses ressources. Comme lors de l'audition de Mme Tixier par la commission des affaires sociales, je tiens à saluer le courage de ceux qui vont permettre une réelle avancée parlementaire : « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait. »

Le groupe SER soutient le texte de la commission.

Le dispositif transitoire de dix ans laissera le temps de mettre en place des correctifs pour éviter les effets négatifs sur les 44 000 foyers perdants.

La déconjugalisation a une dimension égalitaire. Le mode de calcul actuel enferme les femmes dans une double dépendance : celle du handicap et celle, économique, à l'égard de leur conjoint. Or ces femmes sont de deux à six fois plus souvent victimes de violences conjugales. Nous devons cette connaissance fine du phénomène à la regrettée Maudy Piot.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire du statu quo et de nombreuses actions doivent encore être mises en place. L'AAH devra être versée sur un compte bancaire au nom de l'allocataire, et non sur un compte joint.

Le caractère ambigu de l'AAH est patent. N'oublions pas que le montant de l'AAH laisse encore un quart de ses allocataires sous le seuil de pauvreté !

À l'automne dernier, nous proposions une allocation de compensation universelle de la perte d'autonomie, mais le Gouvernement nous a renvoyé au projet de loi Grand âge et autonomie, annoncé comme le tournant social du quinquennat mais repoussé à l'issue de la crise sanitaire. Nous avons compris qu'il était urgent de ne rien faire.

Le groupe SER votera cette proposition de loi, en attendant la prochaine étape. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC ainsi que sur quelques travées du RDSE ; M. Pascal Allizard applaudit également.)

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En janvier 2020, le Sénat se dotait d'une plateforme de pétition citoyenne. Une pétition a dépassé les cent mille signatures : cette mobilisation traduit un fort sentiment d'injustice. Le Sénat a toujours beaucoup travaillé sur l'accompagnement du handicap et je salue le rapporteur, M. Mouiller.

Le 13 février 2020, contre l'avis du Gouvernement, ce texte a été adopté à l'Assemblée nationale avec l'appui d'une minorité de Marcheurs. S'agit-il d'un dispositif budgétaire de 12 milliards d'euros ? D'un débat de terminologie, car l'AAH relève actuellement des minima sociaux ? Il s'agit surtout d'un débat profondément humain, qui relève de l'émancipation et de l'épanouissement de chacun dans notre société.

Nombreux sont les allocataires de l'AAH qui ont l'impression terrible d'être une charge, sous la tutelle de leur conjoint... Certes, en cas de séparation, l'AAH serait recalculée, mais cela prend du temps et de plus en plus de couples préfèrent gérer leurs finances séparément. Il est dérangeant que nos concitoyens en situation de handicap soient dissuadés de s'unir : leurs enfants seraient moins protégés.

Je souhaite une déconjugalisation faite avec méthode. Le texte de l'Assemblée nationale ferait plus de 44 000 ménages perdants. Pour eux, la commission des affaires sociales propose un régime transitoire judicieux de dix ans.

En outre, il est juste de ne pas supprimer tous les plafonds de ressources : il faut orienter la solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin.

Je me réjouis du recul de la barrière d'âge de 60 ans à 65 ans pour la PCH, qui était une nécessité au vu de l'allongement de la vie.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Bouloux .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale en février 2020 contre l'avis du Gouvernement. Nous l'examinons aujourd'hui grâce à la plateforme des pétitions en ligne du Sénat, qui permet de proposer à la Conférence des présidents l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'une proposition de loi si le nombre des signataires dépasse cent mille en six mois : la démocratie participative enrichit ainsi la démocratie représentative sans s'y substituer. Que le président Larcher et le Bureau du Sénat soient félicités pour cette modernisation du droit de pétition.

Créée en 1975, l'AAH est la deuxième prestation de solidarité, avec 1,2 million de bénéficiaires pour un budget annuel de 11 milliards d'euros. Réservée aux personnes de plus de 20 ans dont le taux d'incapacité est supérieur à 50 %, son montant dépend des revenus du conjoint et de la composition du foyer.

Cette prise en compte ajoute à la dépendance physique une dépendance financière vis-à-vis du conjoint. Les articles 1er et 2 qui la suppriment répondent à une forte attente : à cause de cette disposition, 22 % des bénéficiaires se déclarent en couple.

Cette prestation a un caractère spécifique : c'est une aide pérenne qui compense une incapacité à travailler. C'est pourquoi son montant est supérieur à celui du RSA, et c'est pourquoi elle n'entrera pas en compte dans le revenu universel d'activité.

Il faut redonner de l'autonomie aux personnes handicapées et les autoriser à s'émanciper.

Je salue le travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, qui a prévu un dispositif transitoire pour les perdants de la réforme. Pourquoi le ministère ne nous a-t-il pas fournis d'éléments chiffrés ?

Le texte repousse à 65 ans l'âge limite d'éligibilité à la PCH, selon les préconisations de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Un million de bénéficiaires de l'AAH vivent avec 819 euros par mois : le temps n'est plus à la revalorisation mais à la réforme.

Le groupe Les Républicains votera ce texte qui marque une première étape vers plus d'autonomie pour les personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale en février 2020. Elle s'inscrit dans un contexte particulièrement compliqué, du fait de la crise sanitaire. Elle a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat grâce à une pétition déposée sur la plateforme expérimentale e-petition.

Le volet humain est prioritaire, mais chaque année nos rapporteurs spéciaux Bazin et Bocquet nous rappellent les montants budgétaires importants consacrés au handicap par le budget de l'État : 26,1 milliards d'euros au titre de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dont 12,4 milliards pour le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », 12,5 milliards pour la prime d'activité dans le programme 157 « Handicap et dépendance », 1,3 milliard d'euros pour le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales » et enfin plus de 30 milliards d'euros pour le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».

Le partenariat entre l'État et les départements doit être consolidé, en résonance avec la mission d'information rapportée par Cécile Cukierman et présidée par Arnaud Bazin sur la place des départements dans les nouvelles régions. Dans mon département, les Ardennes, la compensation de la PCH, mais aussi du RSA pose problème.

Le groupe Les Républicains soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE 2

M. Bernard Jomier .  - Madame la ministre, votre position est peu confortable. Vous aviez émis un avis défavorable à cette proposition de loi à l'Assemblée nationale. Vous êtes favorable au maintien de la conjugalisation de l'AAH. Les associations, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) ne sont pas du même avis. Vous avancez le chiffre de 44 000 perdants, mais comment a-t-il été calculé ?

Un droit d'option permettrait d'éviter ces effets négatifs : ce ne serait ni complexe ni discriminatoire.

Il y a un an, vos arguments étaient idéologiques, au bon sens du terme : la nécessité d'investir dans l'emploi plutôt que dans l'aide sociale. Aujourd'hui, ils sont davantage budgétaires. Mais tout est plus cher quand on est en situation de handicap : l'immobilier, les déplacements, l'informatique, etc.

En février 2020, lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République avait déclaré : « Ce que nous poursuivons, n'est pas de ne pas s'occuper ou de moins s'occuper de ces Françaises et ces Français ». En voici l'occasion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Catherine Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Daniel Chasseing .  - Cet article fait primer la solidarité nationale sur la solidarité familiale en supprimant la prise en compte des revenus du conjoint. Créée en 1975 par le gouvernement de Jacques Chirac, l'AAH bénéficie à 1,2 million de personnes pour un budget annuel de 11 milliards d'euros.

Cette réforme ferait des perdants - 44 000 ménages, voire 125 000 avec la suppression du plafond au titre des enfants à charge. Je tiens à rendre hommage à la commission des affaires sociales et au rapporteur qui ont rééquilibré ce texte en proposant un dispositif transitoire. On ne pourra pas individualiser l'ensemble des prestations, comme l'a indiqué Olivier Henno.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. Mickaël Vallet .  - J'ai déposé un amendement pour combler une faille de cette proposition de loi, que je soutiens par ailleurs. La déconjugalisation ne doit pas se limiter à la période du mariage : il faut aussi penser à la transition entre la séparation de fait et le prononcé du divorce.

Durant cette période, qui peut durer plusieurs années, une pension de secours peut être décidée par le juge au bénéfice du conjoint aux plus faibles revenus, afin qu'il - ou, en général, elle - ne dépende pas de son époux pendant cette période.

Seulement, elle entre dans le calcul de l'AAH, ce qui est pour le moins ubuesque : le bénéficiaire doit choisir entre les deux prestations alors qu'elles n'ont pas le même objet, mais sont toutes deux indispensables. Cet amendement y remédie.

Mme la présidente.  - Amendement n°4, présenté par M. Vallet.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  Après le premier alinéa du même article L. 821-3, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les ressources de l'intéressé tirées des créances d'aliments qui lui sont dues au titre des obligations instituées par les articles 203, 212, 214, 255 et 371-2 du code civil, ainsi que de la prestation compensatoire due au titre de l'article 270 du même code, sont exclues du montant des ressources servant au calcul de l'allocation dans la limite d'un plafond fixé par décret. » 

M. Mickaël Vallet.  - Défendu.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Avec cet amendement, les créances nées des liens du mariage, dont les pensions alimentaires, seraient retirées du calcul de l'AAH. On en comprend la logique, mais la pension versée au titre du devoir de secours relève d'une logique proche de l'AAH : il n'est pas absurde qu'elles ne soient pas cumulables. En revanche, la prestation de compensation, qui compense la disparité de revenus entre les conjoints, n'est pas prise en compte dans le calcul de l'AAH puisqu'elle n'est pas imposable. L'amendement me paraît satisfait. Avis défavorable.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Votre amendement recouvre des prestations de natures très différentes. De plus, il ne traite pas du problème bien réel de la non-perception des pensions dues. Les CAF peuvent d'ores et déjà procéder au recouvrement des pensions alimentaires dès le premier impayé ou verser une allocation de substitution de 115 euros. Il faut avant tout s'assurer que les femmes font valoir pleinement leurs droits. Avis défavorable.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS après l'article 3 bis

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Meunier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 3 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

 « Le versement de l'allocation aux adultes handicapés doit se faire sur un compte bancaire individuel au nom de l'allocataire. »

Mme Michelle Meunier.  - Afin d'éviter le versement sur un compte joint qui pourrait priver la personne en situation de handicap de l'autonomie de gestion de ses ressources, cet amendement rend obligatoire le versement de l'AAH sur un compte bancaire individuel au nom de l'allocataire.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - La CNAF verse l'allocation sur le compte indiqué par l'allocataire, qui peut donc être un compte bancaire individuel. Les associations ont un avis mitigé sur votre proposition. Avis défavorable.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - L'allocataire peut déjà demander le versement de son allocation sur un compte personnel. La solution réside plutôt dans le renforcement de l'accompagnement des femmes dans leurs déclarations. Avis défavorable.

L'amendement n°2 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par Mme Meunier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 3 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant l'impact de l'application de la présente loi sur les personnes dont la levée du plafond de couple pour le droit à l'allocation aux adultes handicapés fait baisser leur niveau de ressources. Ce rapport présente les modalités possibles d'adaptation pour remédier à cela.

Mme Michelle Meunier.  - Cet amendement, que je présente sans grand espoir, prévoit un rapport pour évaluer l'impact de ce dispositif.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Avis défavorable, en effet, à toute demande de rapport. Mais il est vrai que nous manquons d'outils statistiques précis. Dans la perspective du projet de loi Autonomie, nous avons besoin d'éléments fiables. La commission va y travailler.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Une évaluation partagée est nécessaire. Nous devons y travailler. Malgré cela, avis défavorable.

Mme Laurence Cohen.  - Vous nous dites vouloir travailler sur l'évaluation du dispositif, mais j'ai un doute... Madame la ministre, le Gouvernement disait la même chose en 2018 pour repousser la proposition de loi de Marie-George Buffet... Trois ans plus tard, où est l'étude d'impact promise ?

Il est regrettable qu'on demande encore du temps, alors que la commission a amélioré le dispositif et que plusieurs d'entre nous ont rejoint les manifestants présents cet après-midi devant le Sénat. Il faut aller plus vite !

M. René-Paul Savary.  - L'AAH ne relève pas du revenu universel, comme le Président de la République l'a dit ; il ne s'agit pas non plus d'une prestation relevant de la cinquième branche, donc de la Sécurité sociale. Il est légitime de s'interroger sur son financement. Il faudra bien que le Gouvernement réponde : pour le moment, cette proposition de loi est gagée sur des taxes sur le tabac... Il faudra bien préciser la place de l'AAH par rapport aux autres prestations.

Madame la ministre, votre cabinet a évoqué devant moi le chiffre de 2 milliards d'euros au titre du financement de la transition pour les 44 000 ménages perdants. D'où vient cette évaluation ?

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - L'AAH est bel et bien un minimum social qui relève du budget de l'État. À ce titre, elle répond aux principes de conjugalisation, de fiscalisation et de familiarisation. Mais elle présente une dimension de contrepartie de reprise d'activité, comme le Président de la République l'a expliqué, d'où son exclusion du revenu universel d'activité (RUA).

La PCH, en revanche, est une mesure compensatoire individuelle, sans condition de ressources.

Le Gouvernement a engagé 25 millions d'euros pour aider les départements à harmoniser les systèmes informatiques des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour partager les moyens et les besoins : en la matière, nous avions perdu quinze ans.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Monsieur Savary, dans ce texte, l'évaluation la plus facile est celle des conséquences sur les ménages perdants ; pour notre part, nous l'estimons à 140 millions d'euros, très loin des 2 milliards annoncés. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage...

L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.

ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par M. Iacovelli et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa du I de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'âge limite fixé par décret est réévalué tous les cinq ans après concertation avec les représentants des départements et en tenant compte des évolutions démographiques. »

M. Xavier Iacovelli.  - En créant un droit d'option, l'article 4 introduit une grande complexité logistique et administrative pour les départements, surtout ceux qui n'ont pas mis en place de maison départementale pour l'autonomie (MDA) où l'allocation personnalisée d'autonomie et l'AAH sont gérées conjointement. De plus, le report de la limite de perception de la PCH à 65 ans leur coûterait 20 millions d'euros.

Mieux vaudrait une réévaluation régulière et concertée avec les départements, ce que nous proposons dans cet amendement. Il est regrettable qu'ils n'aient pas été associés à la réflexion, alors qu'ils sont au coeur de la politique de l'autonomie.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Monsieur Iacovelli, nous avons sollicité l'avis des départements. Nous avons chiffré les conséquences de la mesure proposée entre 5 et 20 millions d'euros.

Le vrai sujet, c'est la notion de parcours de vie, de prise en compte des besoins de la personne quel que soit son âge. Ce que vous proposez ne simplifierait rien. Avis défavorable.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Je vous remercie de porter la voix des départements. Je les consulte systématiquement : ainsi, un accord inédit conclu avec le président de l'Association des départements de France, Dominique Bussereau, a permis d'améliorer le fonctionnement des MDPH.

Un droit d'option entre PCH et APA entre 60 ans et 65 ans mériterait davantage de concertation. Je m'en remets à la sagesse de la chambre haute pour veiller à aux intérêts des collectivités territoriales.

M. René-Paul Savary.  - Nous défendons tous les territoires, notamment les départements, et souhaitons tous replacer les personnes handicapées au coeur du dispositif.

À 60 ou 65 ans, la barrière d'âge reste une barrière, mais les personnes, elles, ne changent pas. Il faut avant tout simplifier la vie des bénéficiaires, en articulant mieux les prestations et, pour cela, rapprocher l'instruction des demandes d'APA et de PCH, que le département ait une MDA ou non.

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - Le relèvement de la barrière d'âge améliorera la couverture des besoins après 60 ans. En effet, la PCH est plus intéressante que l'APA mais elle ne peut être réclamée après 60 ans, sauf si le handicap existait avant cet âge. La loi du 11 février 2005 prévoyait d'ailleurs une évolution de la barrière d'âge dans un délai de cinq ans.

J'y suis favorable, mais René-Paul Savary a raison : il faut rapprocher les deux prestations et les départements doivent être consultés et compensés pour le surcoût induit.

M. Xavier Iacovelli.  - Votre propre rapport, monsieur Mouiller, reconnaît la complexité que j'ai soulignée - d'où l'importance d'une véritable concertation pour mettre en place un système plus souple et moins contraignant.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Savin, Mmes L. Darcos et Schalck, MM. Hugonet et Détraigne, Mme Berthet, MM. Bonnus, Laugier, Levi et D. Laurent, Mme Loisier, M. Regnard, Mme N. Delattre, MM. Houpert et Bonne, Mme Joseph, MM. Burgoa, Pellevat et B. Fournier, Mmes Dumas, Chauvin et Malet, MM. Charon, Perrin et Rietmann, Mme Dumont, MM. A. Marc, Pointereau et Vogel, Mmes Raimond-Pavero, Lassarade, Belrhiti et Richer, MM. Darnaud et Lefèvre, Mme Deromedi, M. Menonville, Mme M. Mercier, M. Babary, Mme Demas, MM. Savary, Bas et Dallier, Mmes Drexler et Puissat, M. Guerriau, Mme Lopez, MM. Mandelli, Husson, Bouchet et Klinger, Mmes Billon et Garriaud-Maylam, M. Laménie, Mmes Gosselin et Jacquemet, M. Wattebled, Mmes Doineau et Ventalon et MM. E. Blanc, Cambon, Hingray et P. Martin.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I.  -  Le code de l'action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° L'article L. 245-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« - les primes liées aux performances versées par l'État aux sportifs de l'équipe de France médaillés aux jeux paralympiques. » ;

2° Le second alinéa de l'article L. 344-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce minimum ne tient pas compte des primes liées aux performances versées par l'État aux sportifs de l'équipe de France médaillés aux jeux paralympiques. » ;

3° Après la première phrase du 1° de l'article L. 344-5, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Ce minimum ne tient pas compte des primes liées aux performances versées par l'État aux sportifs de l'équipe de France médaillés aux jeux paralympiques. »

II.  -  Après le premier alinéa de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les ressources de l'intéressé tirées des aides ponctuelles attribuées par l'Agence nationale du sport et des primes liées aux performances versées par l'État aux sportifs de l'équipe de France médaillés aux jeux paralympiques sont exclues du montant des ressources servant au calcul de l'allocation. »

M. Michel Savin.  - Il s'agit des primes versées par l'État aux sportifs de l'équipe de France qui ont été médaillés aux Jeux paralympiques du calcul. L'amendement les exclut du plafond de ressources d'attribution des prestations sociales versées aux personnes en situation de handicap.

De même, il exclut les aides ponctuelles attribuées par l'Agence nationale du sport (ANS) du calcul du plafond de ressources d'attribution de l'AAH.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Avis favorable. Cet amendement codifie l'intention du législateur exprimée dans l'article 90 du collectif budgétaire de 2012, en y ajoutant les aides ponctuelles versées par l'ANS.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Les athlètes paralympiques doivent être soutenus, car ils donnent un autre visage au handicap. Avis défavorable cependant, au nom de l'équité de traitement.

M. Michel Savin.  - On ne parle pas de ressources mirobolantes... Soutenons nos athlètes qui préparent les jeux paralympiques, au lieu de les pénaliser !

L'amendement n°3 rectifié est adopté et devient un article additionnel.

L'article 6 est adopté.

Explications de vote

Mme Monique Lubin .  - Le handicap ne se partage pas. Pour les personnes en situation de handicap, c'est la triple peine : handicap, impossibilité de travailler, absence d'allocation si le conjoint perçoit un revenu, pas nécessairement mirobolant.

Cette prestation est particulière ; elle est liée à un état de fait auquel la personne ne peut rien. Vous le savez bien, madame la ministre.

La situation financière des départements est une évidence. Mais l'État ne respecte pas sa parole : cela dure depuis longtemps, et pour toutes les allocations individuelles...

Les personnes handicapées reprennent espoir depuis le vote à l'Assemblée nationale. Nous devrons avancer d'ici la fin du quinquennat et trouver les financements.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - En mars 2018, Marie-George Buffet avait fait voter par l'Assemblée nationale une proposition de loi transpartisane. Le 24 octobre 2018, nous déposions la même au Sénat, qui la rejetait. Je n'ose imaginer que c'était parce qu'elle émanait des communistes...

Vous déposez aujourd'hui un texte fort similaire. N'étant pas dogmatiques, nous le voterons. Les associations, que nous avons encore rencontrées devant le Sénat, nous le demandent. Je regrette que nous ayons perdu deux ans et demi, mais « le passé est un oeuf cassé ; le présent est un oeuf qui couve ».

L'AAH représente 902 euros par mois. C'est peu. Il ne faut pas que la prestation dépende des revenus du conjoint. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Antoine Lefèvre .  - Je suis heureux de voter cette proposition de loi qui prend en compte des cas de figure oubliés par l'Assemblée nationale. Elle améliore l'autonomie et la dignité des personnes handicapées et affirme la primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale. Quinze ans après la grande loi du 11 février 2005, cette mesure était attendue.

Il est aussi heureux que l'AAH ne soit pas diluée dans le futur revenu universel d'activité. Nous voterons ce texte.

Mme Nassimah Dindar .  - Je crois en votre action, madame la ministre. Je vous ai entendue à La Réunion et je connais votre implication. Aussi, je suis persuadée que vous êtes favorable à ce texte.

Je salue le travail du rapporteur et de la commission des affaires sociales. Vous vous souvenez sûrement d'Ahmed, ce jeune stagiaire porteur de handicap qui partage la vie d'une personne également porteuse de handicap. « Je ne suis pas homme à prendre les revenus de ma conjointe, mais j'en connais beaucoup qui le feraient », nous avait-il dit. Cette situation place les femmes en situation de précarité. C'est pourquoi l'AAH doit être individualisée. Soyez la ministre qui aide ceux qui ont besoin d'un autre regard ! J'espère que ce texte sera voté à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État .  - Depuis quatre ans, je me bats pour les droits des personnes en situation de handicap : droit de vote pour les majeurs protégés sous tutelle, droits à vie pour n'avoir pas à prouver en permanence son handicap, droit à la parentalité, avec 900 euros dès la naissance d'un enfant en situation d'handicap et 1 200 euros d'aide technique...

Ces personnes sont des citoyens à part entière. Pourquoi les sortir du droit commun de la fiscalisation des revenus ? On ne peut pas demander à la fois le droit commun et des dérogations ! Je préfère soutenir les personnes en situation de handicap en créant un droit au logement grâce à l'aide à la vie partagée, en menant une politique efficace d'accompagnement qui soutient leur pleine citoyenneté.

Si je suis défavorable au texte en l'état, je souhaite en revanche continuer à travailler avec les départements pour en finir avec les silos, les limites d'âge et sécuriser les parcours. (M. François Patriat applaudit.)

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - Nous n'étions pas d'accord sur ce texte, madame la ministre, mais je salue votre action et votre engagement auprès des personnes en situation de handicap.

Je remercie Philippe Mouiller pour l'équilibre qu'il a su trouver sur ce texte, le premier à être adopté dans le cadre de l'expérimentation des pétitions voulue par le président Larcher. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)