Réforme de l'adoption (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l'adoption.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles .  - Un an après son vote par l'Assemblée nationale, je suis heureux de débattre de cette proposition de loi avec vous. Ce texte attendu par les professionnels du secteur améliorera le quotidien de milliers d'enfants et de pupilles de l'État.

Il a un but : donner une famille à des enfants qui n'en n'ont pas et à des enfants dont les parents ne peuvent plus s'occuper.

L'adoption existe depuis des siècles. Le statut de pupille de la Nation créé en 1917 symbolise un tournant par rapport à une époque où l'adoption était une pratique successorale.

Les avancées de la loi de 2016 -  grâce à la ministre Laurence Rossignol et à la sénatrice Michelle Meunier  - permettent d'inscrire de plus en plus d'enfants dans des parcours adaptés.

Aujourd'hui, une évaluation sans fard de l'application des lois précédentes et des pratiques professionnelles s'impose.

En avril 2019, j'avais confié une mission à deux parlementaires dont je salue solennellement le travail : la députée Monique Limon et la sénatrice Corinne Imbert -  désignée par ailleurs par l'Assemblée des départements de France (ADF), car le travail devait bien sûr associer ces derniers. La présente proposition de loi est le résultat du rapport qui m'avait été remis dans les Deux-Sèvres, en présence du président du département Gilbert Favreau, devenu depuis sénateur.

Intitulé « Vers une éthique de l'adoption : donner une famille à un enfant », ce rapport repose sur un constat simple : nous ne faisons pas suffisamment pour donner une famille aux enfants qui ont un « méta besoin » de sécurité affective, physique et matérielle, pour reprendre les mots du docteur Marie-Paule Martin-Blachet.

Pour 49 % des enfants qui ne sont pas adoptés, c'est une difficulté spécifique qui est en jeu : âge, handicap, fratrie. Alors que la part des enfants présentant de tels besoins parmi les pupilles de l'État augmente, que le nombre même de pupilles augmente, il nous faut agir pour mieux les inscrire dans des parcours d'adoption sécurisants.

La part des enfants adoptés parmi ceux que nous protégeons à l'aide sociale à l'enfance est cent fois moins importante que chez certains de nos voisins. De plus, un enfant pupille de l'État sur deux ne trouve pas de famille d'adoption. De leur côté, les futurs parents attendent en moyenne près de cinq ans après l'obtention de l'agrément pour que leur projet d'adoption se réalise.

Ce texte peut paraître technique, mais il est politique.

Premier objectif, rendre les enfants adoptables en plus grand nombre, en dispensant les assistants familiaux d'agrément pour un projet d'adoption de l'enfants qu'ils accueillent ; en prévoyant à l'article 12 un bilan médical, psychologique et social pour préparer l'adoption ; en autorisant l'adoption plénière des enfants de plus de quinze ans par les personnes qui les ont accueillis au titre de l'aide sociale à l'enfance, ou lorsque ces enfants ont fait l'objet d'un délaissement parental.

Le nombre de demandes en déclaration judiciaire de délaissement parental a fortement augmenté ces dernières années, passant de 391 en 2016 à 916 en 2020 : la loi de 2016 commence à produire ses effets.

Les commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés (Cessec) rédigeront désormais leurs rapports sur la santé psychique et physique des enfants jusqu'aux trois ans de ceux-ci, et non plus deux ans.

Nous devons prévoir une inscription rapide des pupilles de l'État dans un parcours de vie. Cela passe par un renforcement de l'accompagnement des candidats à l'adoption. L'article 10, qui le prévoit, accroîtra les chances d'une adoption.

Une démarche réussie est une démarche dans laquelle l'enfant se retrouve. Je regrette la suppression de certaines dispositions sur l'interdiction d'adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et soeurs : elles sont certes imparfaites, mais je vous en proposerai une rédaction améliorée.

Sur l'adoption internationale, la proposition de loi comporte des dispositions de bon sens.

Il n'y a pas de parcours type, pas deux parentalités qui se ressemblent : nous devons nous ouvrir à la diversité des familles, à commencer par les couples non mariés. Des coordinations avec la loi bioéthique sont nécessaires, d'où la proposition de rétablir l'article 9 bis.

Autres mesures attendues de longue date, l'allongement du congé d'adoption de dix à seize semaines, une meilleure articulation avec l'école, un accompagnement santé spécifique pour les enfants adoptés...

Ma seule boussole est la protection de l'enfant, qui a besoin de stabilité et de repères. Ce texte y contribue en ancrant l'adoption dans la protection de l'enfance ; il a été pensé pour le seul bénéfice d'enfants pour lesquels l'adoption est un horizon synonyme d'épanouissement. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois.  - Cette proposition de loi émane de la députée Monique Limon, à la suite de son rapport avec notre collègue Corinne Imbert, commande du ministre et de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Il aurait été judicieux que ce travail donnât lieu à un projet de loi, assorti d'une étude d'impact qui aurait éclairé la commission pour examiner certaines dispositions votées par l'Assemblée nationale, parfois à l'instigation du Gouvernement, mais bien peu documentées...

Par ailleurs, nous aurions préféré examiner le texte sur la protection de l'enfance avant celui-ci, pour aller du général au particulier. Le bien-être animal en a profité - chacun ses priorités, même si je sais que ce ne sont pas forcément les vôtres, monsieur le Secrétaire d'État. (Sourires)

Il ressort de nos auditions que le texte reçoit un accueil assez mitigé.

Oui, l'intérêt de l'enfant prime, et nous partageons l'objectif de donner une famille à un enfant, et non un enfant à une famille - mais ce qui nous est proposé nous a semblé parfois dogmatique et non étayé.

Ainsi de l'article 9 bis qui, dans le prolongement de la loi bioéthique, permet, de façon inédite, d'imposer à la mère biologique l'adoption de l'enfant par son ancienne compagne, dont elle est séparée. Où est l'intérêt de l'enfant ?

Deuxièmement, quand une femme - il s'agit souvent d'une femme - remet son enfant aux services sociaux, elle n'aurait plus son mot à dire sur son consentement à l'adoption. Or pour se construire, l'enfant a besoin de savoir que sa mère a choisi de le laisser pour qu'il ait une vie meilleure.

Troisièmement, la suppression de l'intervention des organismes agréés pour l'adoption dans l'adoption nationale est regrettable : ils représentent une alternative utile aux services sociaux.

Quatrièmement, le conseil de famille comprendrait désormais une personne qualifiée en matière de discrimination, mais pas en protection de l'enfance. Là encore, ce n'est pas l'intérêt de l'enfant qui prime.

En revanche, certains éléments sont bienvenus, comme l'ouverture du public adoptant aux couples pacsés et aux concubins, et l'écart d'âge de 50 ans maximum pour préserver la crédibilité de l'adoption, peut-être l'acquis le plus important.

La formation des conseils de famille et la préparation des familles avant l'agrément est cruciale. En la matière, les situations sont très disparates entre départements.

Enfin, le bilan d'adoptabilité des plus jeunes enfants jusqu'à 3 ans est bienvenu.

Mais ces mesures se bornent à entériner des pratiques en vigueur dans les conseils départementaux. Cette réforme de l'adoption en est-elle une ? Nous en sommes loin ! Il faudrait d'abord définir ce qu'est l'adoption

Fin 2019, 10 263 agréments sont en cours de validité - autant de parents potentiels qui attendent - pour 3 250 pupilles environ, dont 480 nourrissons. Seules 706 pupilles ont été adoptés, plus 421 adoptions à l'étranger. De surcroît, 27 % sont des adoptions plénières, 73 % des adoptions simples, juxtaposant des liens de filiation. Les trois quarts sont des adoptions familiales, c'est-à-dire l'adoption de l'enfant du conjoint.

Il faut donc encore travailler, notamment au niveau réglementaire. Les conditions d'agrément sont très disparates, ce qui explique sans doute leur trop grand nombre, et les nombreuses déceptions à la clé.

Il faut aussi mieux mettre en oeuvre la loi de 2016. Nous avons besoin de travailler dans le cadre d'une culture qui serait commune aux magistrats, aux services sociaux et aux parents, sachant que 30 % des pupilles ont des besoins spécifiques - mais cela ne relève pas du travail législatif.

Enfin, l'impensé de l'adoption, ce sont ses échecs : il faut l'aborder. (Mmes Catherine Di Folco et Laurence Harribey applaudissent.)

Mme Esther Benbassa .  - L'adoption a connu des évolutions nécessaires ces dernières années pour adapter son régime juridique aux transformations de notre société, dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant défini par la Convention de 1989.

Je pense à la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels et à la loi du 14 mars 2016.

Toutefois, certaines lacunes restent à combler. La proposition de loi ne le fait qu'en partie.

Les conditions d'accès à l'adoption sont encore imprégnées du modèle de la famille traditionnelle, or le mariage n'est plus le seul modèle familial : 200 000 couples optent chaque année pour le PACS et le concubinage. Je me félicite que l'accès à l'adoption leur soit élargi, en regrettant cependant le peu d'attention portée aux personnes trans, pour lesquelles il est quasiment impossible d'établir un lien de filiation dans le genre choisi.

Ensuite, je déplore la suppression de l'article 9 bis qui protégeait la mère intentionnelle en cas de refus abusif de l'ancienne compagne ayant porté l'enfant.

Enfin, j'alerte le Gouvernement : il faut augmenter le financement des organismes et collectivités responsables de l'accueil, de la protection et de l'adoption des enfants.

Mme Laurence Harribey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Refonder le modèle de l'adoption afin de permettre à chaque enfant de trouver le projet de vie le plus adéquat et en faire un outil de protection de l'enfance : difficile de ne pas souscrire à ces objectifs louables.

La proposition de loi fait suite à un rapport intitulé « Pour une éthique de l'adoption : donner une famille à un enfant », une commande du Gouvernement à la suite d'un rapport de l'IGAS de mars 2019 qui révélait des fragilités dans le dispositif, laissant courir un risque de discriminations selon l'orientation sexuelle des adoptants.

Il aurait fallu avant tout évaluer la loi de 2016, souvent mal mise en oeuvre, ce que souligne le rapport Limon-Imbert. Je regrette que l'on ait privilégié une proposition de loi, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, qui plus est en procédure accélérée, au risque de créer des zones d'insécurité juridique.

Ce texte est un agrégat de mesures sans cohérence. Le titre II sur la tutelle aurait dû prendre sa place dans le projet de loi Protection de l'enfance, qui lui-même aurait dû être examiné avant ce texte...

Tous les acteurs du secteur - magistrats, avocats, associations, services départementaux - s'inquiètent de la faiblesse juridique de la proposition de loi. Vous avez d'ailleurs sollicité à l'Assemblée nationale une habilitation à légiférer par ordonnance, qui est une forme d'aveu et révèle votre peu de considération pour le travail parlementaire.

Vous comprendrez donc son rejet quasi unanime en commission. Nous nous opposerons à votre tentative de rétablir l'habilitation en séance.

Cela dit, ce texte comprend quelques avancées et nous entendons donc l'amender, dans une démarche constructive.

L'article 2 ouvre l'adoption aux couples pacsés et aux concubins : c'était inévitable alors que la Cour de cassation jugeait, dès 2012, que réserver l'adoption conjointe à des couples mariés « ne consacrait pas un principe essentiel reconnu par le droit français ».

Il reste des contresens ou des imprécisions sur le consentement, les organismes autorisé pour l'adoption (OAA), le conseil de famille et le statut des tuteurs.

Je salue le travail minutieux et l'écoute de la rapporteure ; son honnêteté intellectuelle aussi, dont elle vient de témoigner.

Le texte ainsi remanié nous semble allégé de ce qui pouvait poser problème.

Certaines améliorations restent possibles, sur l'adoption internationale par exemple. Nous défendrons des amendements.

Depuis 1966, le droit de l'adoption est devenu illisible. Je ne suis pas sûre que ce texte parvienne à y remédier.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Les ordonnances !

Mme Laurence Harribey.  - Il reste du travail, mais nous ne nous opposerons pas à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Xavier Iacovelli .  - (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.) Cette proposition de loi de notre collègue députée Monique Limon, fruit d'un travail transpartisan, vise à sécuriser le recours à l'adoption et à renforcer le statut de pupille de l'État.

L'adoption est un sujet de société qui nous touche tous, un sujet de protection de l'enfance, qui recouvre aussi des enjeux techniques. Je salue Michelle Meunier, à l'origine de la loi du 14 mars 2016.

L'approche centrée sur l'intérêt de l'enfant nous rassemble. Onze des vingt-sept articles de la proposition de loi ont été supprimés en commission. Mais il reste de bonnes dispositions, à commencer par l'ouverture de l'adoption aux couples pacsés et concubins, largement soutenue par la commission qui a rejeté l'amendement de suppression de la rapporteure. Je me réjouis également du retrait par la rapporteure de son amendement visant à limiter l'adoption par des personnes seules.

L'amélioration de l'information et de la préparation des candidats à l'adoption et le renforcement de la formation des conseils de famille vont dans le sens des demandes des acteurs du terrain.

Enfin, je salue le maintien de l'avis conforme de la commission d'agrément, l'écart maximum de 50 ans entre adoptant et adopté, l'examen bisannuel du jeune enfant et le bilan d'adoptabilité des pupilles.

En revanche, l'article 4, supprimé par la commission, nous semblait répondre à l'intérêt supérieur de l'enfant de plus de 15 ans. Nous proposerons de le rétablir, dans une rédaction de compromis.

L'article 9 bis, qui permettait de sécuriser la filiation de l'enfant né par PMA à l'étranger, a été supprimé, tout comme l'article 11 bis. Je le déplore.

Il y a un paradoxe : la rapporteure, pour des raisons juridiques, a souhaité limiter l'accès à l'adoption mais s'oppose à l'interdiction des adoptions internationales individuelles, susceptibles de dérives.

Nous proposerons des amendements pour sécuriser l'adoption internationale et favoriser l'accès au statut protecteur de pupille.

Au total, il y a des divergences de forme, sur la portée ou l'utilité de certaines mesures, mais aussi des divergences de fond, que nous pourrons je l'espère combler, dans l'intérêt de l'enfant.

Il faudra aussi aller plus loin sur les procédures de délaissement, instaurées par la loi de 2016, afin d'augmenter le nombre d'enfants adoptables et éviter de longs parcours chaotiques à l'ASE. (M. Thani Mohamed Soilihi et Mme Michelle Meunier applaudissent.)

La séance est suspendue à 20 heures.

présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.