« Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? »

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? », à la demande du groupe CRCE.

Mme Laurence Cohen, pour le groupe CRCE .  - Le groupe CRCE a fait le choix de ce débat face à la multiplication des féminicides. Il est essentiel de dresser un bilan objectif de l'action du Gouvernement.

Qu'il s'agisse des inégalités salariales ou du temps partiel subi, les violences économiques font aussi partie des violences faites aux femmes dans notre société capitaliste et patriarcale. Mais je me concentrerai sur les violences sexuelles et sexistes.

Les violences faites aux femmes sont un phénomène systémique de notre société patriarcale. De plus en plus de victimes parlent enfin.

En 2017, la loi Schiappa a allongé de vingt à trente ans le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineur, élargi la définition du cyberharcèlement et créé une nouvelle infraction contre le harcèlement de rue. Mais la déception a été vive face à l'absence de seuil de consentement pour les mineures. La loi Billon a pallié certaines défaillances.

Un Grenelle des violences conjugales a été organisé en 2019. L'urgence n'était pas à un énième bilan. On a perdu du temps. Néanmoins, un plan gouvernemental a été élaboré, pour mieux prendre en compte les besoins en matière d'hébergement, améliorer le dépôt de plainte, inscrire dans la réglementation la reconnaissance du suicide forcé, ou encore étendre le bracelet anti-rapprochement.

Je me réjouis du décret mettant en place une mesure réclamée par Ernestine Ronai : informer systématiquement la victime de la sortie de prison de son agresseur. Le drame d'Épinay-sur-Seine aurait pu être évité...

Cependant, la vision globale manque. En 2013, mon groupe avait déposé une loi-cadre d'une centaine d'articles, qui n'a jamais pu être examinée. Nous avons appelé le Gouvernement à s'en saisir, en vain. Qu'il en soit autrement après les élections !

Pas moins de 113 féminicides ont eu lieu en 2021, déjà 13 en 2022 : les chiffres sont toujours aussi alarmants. Les violences ont augmenté pendant la crise sanitaire, de 40 % pendant le premier confinement et de 60 % pendant le deuxième.

Les outils peinent à prouver leur efficacité. Les femmes, en 2022, sont toujours autant victimes de violences de toute sorte, certaines meurent toujours sous les coups d'hommes qui veulent les soumettre. Les chiffres sont implacables.

Le patriarcat règne partout ; il est donc judicieux d'observer les solutions trouvées dans les autres pays. L'Espagne, depuis 2004 et le vote d'une loi très protectrice, a réussi à baisser le nombre de féminicides de 25 %, par une politique très volontariste.

En France, certains actes viennent contredire la volonté politique. La remise en cause du numéro 3919, par exemple.

Selon le ministre de l'Intérieur, les femmes atteintes psychologiquement ou physiquement par leur compagnon déposent plainte systématiquement, et il y a systématiquement des gardes à vue et des poursuites judiciaires. Pourtant, les chiffres du ministère de la Justice montrent qu'un tiers seulement des violences sexuelles font l'objet de poursuites !

La comparaison des moyens consacrés à la lutte contre ces violences est alarmante : 1 milliard d'euros en Espagne, contre 360 millions d'euros en France.

Le rapport de nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin a montré que ce milliard n'était pas un totem, mais une nécessité, à mettre en perspective avec le coût de ces violences pour la société, qui est de plus de 3 milliards d'euros par an.

Je ne peux dresser un bilan exhaustif de cinq ans d'action, ou plutôt d'inaction...

Je terminerai par les demandes des associations féministes, qui veulent la fin de la correctionnalisation des viols, crimes qui méritent la cour d'assises ; la création de tribunaux spécialisés ; l'instauration d'un délit spécifique de violences conjugales ; une meilleure application de la loi sur la prostitution et une lutte accrue contre la pornographie.

Nous en avons assez de compter les victimes. Pourquoi toujours les mêmes scénarios macabres ? Le machisme et le sexisme tuent et tout n'est pas mis en oeuvre pour les circonscrire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, INDEP et du GEST, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.  - Merci d'avoir mis en avant certaines actions du Gouvernement. Mais je ne peux m'empêcher de réagir quand vous parlez d'inaction. Nous avons fait voter quatre lois en moins de cinq ans pour protéger les victimes de violences et leurs enfants. Le Grenelle a décidé de 46 mesures inédites ! Et 100 % d'entre elles ont déjà été mises en oeuvre.

L'Espagne a investi 1 milliard d'euros sur cinq ans. En France, c'est 1,2 milliard d'euros en 2021 : des dépenses parfaitement mesurables dans le document transversal à disposition de tous ! Non, il n'y a pas eu d'inaction. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Laurence Cohen.  - Je n'ai pas dit qu'il n'y avait que de l'inaction, mais des actions et de nombreuses limites.

Le budget dont vous parlez est transversal. Il comptabilise par exemple les actions de développement à l'international ou le salaire des enseignants pour éduquer sur les différences entre les filles et les garçons. Il faut plus de portée politique et d'écoute des associations, sur lesquelles tout repose. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme Maryse Carrère .  - Comment commencer ce débat sans une pensée pour les 113 femmes tuées par leurs compagnons ou ex-compagnons en 2021, et les 13 femmes tuées cette année ? Je remercie le groupe CRCE d'avoir initié ce débat sur un sujet important.

Les moyens sont-ils à la hauteur ? Ma réponse sera nuancée. Les réponses juridiques ont été complétées. Des propositions de loi ont été portées ici même au Sénat, mais cet arsenal ne suffit pas, face à l'augmentation, par exemple, de 30 % des violences sexuelles.

Dans les Hautes-Pyrénées, il y a eu 220 faits de violences en 2021 contre 90 en 2020.

Il existe des failles dans la prise en compte des plaintes. En 2019, 80 % des plaintes ont été classées sans suite, ce qui renforce le sentiment d'impunité. Je pense au cas de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-mari après un tel classement...

Nous devons aller plus loin dans le traitement des plaintes : il faut accélérer les délais, et développer les moyens humains. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes préconise un budget d'1 milliard d'euros. Il faut un meilleur accueil des victimes, une sensibilisation accrue, des places supplémentaires d'hébergement en accueil sécurisé mère-enfant. Les personnes violées doivent aussi être mieux prises en charge, et les procédures d'accompagnement simplifiées. Il n'y a pas suffisamment de médecins légistes. Une enfant violée à plusieurs reprises ne peut se faire examiner dans les Pyrénées-Atlantiques, à quelques kilomètres de Tarbes, parce qu'elle ne serait pas du département... Une autre est renvoyée de l'unité médico-judiciaire (UMJ) de Pau et conduite à Toulouse. Tant de situations qu'il faut éradiquer !

Ne pourrait-on pas réfléchir avant tout à l'accueil des victimes et à leur accompagnement médical et psychologique ?

Mais la lutte contre les violences ne peut se réduire aux moyens : il faut éduquer, et proposer une réponse pénale ferme. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, INDEP et UC)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - J'ai une pensée pour M. Léonhardt, qui a beaucoup oeuvré au sein de cette assemblée, et a porté des combats humanistes. J'ai aussi une pensée émue pour toutes les femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint, et pour toutes les femmes sauvées grâce aux dispositifs mis en place sous ce quinquennat.

En 2008, il y a eu 168 féminicides, contre 113 l'année dernière. Certes, tout féminicide est un de trop, mais il y a des progrès. Et prétendre que les dispositifs ne fonctionnent pas n'aide pas à libérer la parole.

L'amélioration de la formation de 90 000 policiers et gendarmes est à saluer. Le sujet avait été trop longtemps ignoré. Des intervenants sociaux ont été recrutés pour accroître la compréhension du sujet dans les commissariats et gendarmeries. La grille d'évaluation du danger a été mise en place. Le dépôt de plainte a considérablement évolué et nous l'expérimentons en association, à la mairie ou au chez un membre de la famille.

Tant qu'une seule femme mourra, nous devrons continuer, mais nous progressons.

Mme Maryse Carrère.  - Beaucoup a été fait en matière législative. J'insiste : ces violences touchent aussi les territoires ruraux. Or les unités médico-judiciaires sont dans les grands hôpitaux. Il faudrait les rapprocher des populations, peut-être avec des antennes plus légères.

Mme la présidente.  - Je remercie Mme la ministre pour ses mots pour Olivier Léonhardt.

Mme Laurence Rossignol .  - Merci au CRCE pour ce débat. Au fil des ans, le Sénat a acquis une sérieuse compétence sur ces sujets.

Je concentrerai mon propos sur trois points.

Premier point : les violences conjugales commises par des policiers. Le dernier féminicide a donné lieu à un avis de recherche portant sur l'ex-conjoint, un policier. Mais cette fois, pas de portrait, pas d'appel à témoins ni de nom... Comment expliquer qu'un policier connu pour des faits de violences conjugales ait toujours son arme de service ? Vous allez me répondre qu'une enquête administrative est en cours. Comment la police gère-t-elle ses membres connus pour faits de violences conjugales ? Combien sont-ils ? Sont-ils à l'accueil pour recevoir les plaintes des victimes ?

Depuis le livre de Sophie Boutboul, nous savons que les femmes de policiers ou de gendarmes sont les moins bien placées pour porter plainte. Que faites-vous pour y remédier ?

Deuxième point : les violences post-séparation. Malgré la réforme, l'ordonnance de protection n'est toujours pas efficace. Trop de femmes en sont privées alors que les menaces sont certaines même s'il n'y a pas eu de violence constatée. Or les deux conditions sont cumulatives pour bénéficier d'une ordonnance de protection. Mais quand un homme dit à son ex-conjointe qu'il va la tuer, il ne l'a pas encore fait !

En cas d'autorité parentale conjointe, il est en outre impossible de dissimuler l'adresse de la victime, puisque le père sait où est scolarisé l'enfant.

Troisième point : l'articulation entre justice pénale et justice familiale. J'ai vu trop de dossiers où, à la suite d'une séparation, souvent décidée par la mère, des enfants se plaignaient d'attouchements ou de viols à l'occasion du droit de visite et d'hébergement chez leur père. La mère n'en doit pas moins lui remettre l'enfant un week-end sur deux ! Une mère a porté plainte contre l'État après avoir appris que son ex-mari était poursuivi pour viol sur mineurs dans une autre juridiction ! En attendant, les faits avaient continué pendant quatre ans...

Comment faire ? Il faudrait une révolution dans les pratiques, dans les moyens de la justice. On soupçonne les femmes d'être menteuses et manipulatrices, d'instrumentaliser l'enfant pour régler des conflits qui n'existent que dans la tête des juges ! Il est temps de proscrire toute décision de justice faisant référence au prétendu syndrome d'aliénation parentale, car on fait vivre un enfer à ces femmes et à leurs enfants. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Il ne m'appartient pas de commenter une affaire en cours, mais les procédures administratives et judiciaires permettent d'aller jusqu'à l'exclusion d'un policier. Les dispositifs existent, aux juges et à l'autorité hiérarchique de s'en saisir.

Une loi du 30 juillet 2020 permet de saisir les armes dès le dépôt de plainte, que le conjoint soit plombier ou policier. L'arme de service peut également être saisie dans le cadre d'une procédure administrative.

Il faut séparer sanction et protection des victimes ; les ordonnances de protection, créées en 2010, ont été renforcées par les lois du 4 août 2014 et du 28 décembre 2019, avec une extension de la durée et un raccourcissement du délai de 32 à 6 jours.

Mme Laurence Rossignol.  - Je le sais bien !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ce n'est pas le Gouvernement qui l'a voulu mais le Parlement !

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - En trois ans, les demandes d'ordonnances de protection ont bondi de 138,5 %. Il faut désormais que le monde de la justice s'en saisisse.

Mme Laurence Rossignol.  - Je ne vous demande pas de me raconter le monde merveilleux de la loi : je vous parle du monde réel des femmes et des enfants. Oui, l'ordonnance de protection existe, c'est mieux, mais cela ne suffit pas.

Je ne nie pas votre engagement, mais vous pourriez reconnaître parfois qu'il faut aller plus loin.

Je connais toutes les lois et les décrets - bien souvent, ces textes ont fini par être acceptés par le Gouvernement sous la pression du Sénat ! (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Merci au groupe CRCE d'avoir fait inscrire ce débat à l'ordre du jour.

Le Gouvernement a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité. Le Grenelle des violences conjugales a permis de recenser 46 mesures : ouverture de 2 000 nouvelles places d'hébergement d'urgence, formation de 90 000 policiers et gendarmes, mise à disposition de 1 000 bracelets anti-rapprochement, ouverture 24 heures sur 24 du numéro d'écoute 3919... Nombreuses sont les réalisations.

La loi du 28 décembre 2019 a réformé l'ordonnance de protection, donné un nouvel essor au téléphone grave danger et au bracelet, et donné au juge pénal le droit d'agir en matière familiale.

La loi du 30 juillet 2020 a accordé l'aide juridictionnelle de plein droit pour les procédures urgentes comme l'ordonnance de protection. Le juge peut suspendre le droit de visite et d'hébergement du parent violent, décharger les proches d'assistance alimentaire ou encore lever le secret médical dans certains cas.

Ces textes sur lesquels le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée ont été adoptés à l'unanimité, preuve d'une volonté partagée de fléchir la courbe des féminicides.

Les moyens financiers ont été renforcés : plus 77 % entre 2019 et 2022. Le téléphone grave danger a vu ses crédits augmenter de 145 % entre 2018 et 2021. On ne peut laisser dire que rien n'est fait.

Le secrétaire d'État à l'enfance confirmait l'objectif, affirmé en 2019, de déployer des unités d'accueil pédiatriques enfance en danger sur tout le territoire, pour 14 millions d'euros. Quand le département de Mayotte en bénéficiera-t-il ?

Que répondez-vous à ceux qui disent que le Gouvernement s'est plus concentré sur la protection des victimes que sur la dissuasion des auteurs ?

En 2017 déjà, le Conseil économique, social et environnemental rapportait que les violences intrafamiliales étaient plus fréquentes et plus graves outre-mer, car l'insularité et la faible superficie entravent la libération de la parole et rendent inopérant l'éloignement du conjoint violent. Cela a été récemment confirmé par l'Insee.

À Mayotte, sur 650 signalements, seuls 150 donnent lieu à des suites judiciaires, et encore ce chiffre est-il largement en dessous de la réalité, en raison de la dépendance économique des victimes et de la pression sociale.

Il y a cinq bracelets anti-rapprochement disponibles à Mayotte et autant de téléphones grave danger. Ont-ils été utilisés ? D'autres seront-ils commandés ? Cette solution est-elle pertinente compte tenu de l'exiguïté du territoire ?

Une enveloppe de 325 000 euros était prévue pour un appel à projet spécifique à l'outre-mer. Les lauréats ont-ils déjà été identifiés ?

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Le temps imparti ne suffira pas à répondre à toutes vos questions.

Je vous remercie de votre implication sur ces sujets, comme élu de Mayotte et comme avocat.

Il n'y a pas un seul dispositif mis en place dans l'Hexagone qui ne l'ait été exactement de la même façon outre-mer, où je sais que ces violences peuvent être plus graves.

En 2021, nous avons investi 2,3 millions d'euros en Outre-mer. Depuis le 30 août 2021, le 3919 répond 24 heures sur 24, notamment pour que les ultramarins y aient plus facilement accès. Cinq centres de prise en charge des auteurs de violences ont été ouverts dans les départements d'Outre-mer, qui accueillent en outre 10% des nouvelles places d'hébergement.

Les bracelets anti-rapprochement ont été expérimentés puis déployés fin 2020 : 689 placements, 489 bracelets actifs, dont 14 en Outre-mer. Il y en avait 228 en août : vous voyez que l'accélération est notable.

M. Daniel Chasseing .  - La protection des femmes, leur émancipation et la lutte contre le sexisme sont des exigences. Dans huit cas sur dix, les violences faites aux femmes sont commises par une personne vivant sous le même toit. Rien qu'en janvier, huit femmes et une enfant de 2 ans sont mortes de la sorte.

En 2019, année du Grenelle, 146 femmes ont perdu la vie, 113 en 2021. Ces féminicides ne sont que la partie émergée de l'iceberg des violences psychologiques vécues en silence.

Tout agresseur devrait au moins être convoqué pour un rappel à la loi. La parole des femmes n'est pas assez prise en compte, malgré les récents progrès.

Nous devons former les professionnels de santé pour favoriser l'écoute. Il faut que les femmes retrouvent leur dignité, se défassent de leur peur et de leur honte ; il importe de démonter les mécanismes d'emprise.

Les téléphones grave danger et les bracelets anti-rapprochement sont des réponses concrètes.

Depuis peu, les victimes sont informées de la sortie de prison de leur conjoint ou ex-conjoint violent

La recrudescence des violences, de 25% depuis 2019, s'explique par une hausse significative du phénomène pendant le premier confinement et par la libération de la parole. Les victimes peuvent désormais alerter les forces de l'ordre dans les pharmacies, ce qui devrait favoriser les signalements.

En Corrèze, les crédits pour l'hébergement d'urgence sont insuffisants. Il faudrait améliorer la coordination entre les associations locales. Les conclusions d'Arnaud Bazin et d'Éric Bocquet, dans leur rapport de juillet 2020, sont confirmées par les acteurs de terrain. Les financements sont versés sur des périodes trop courtes pour les associations, qui sont réduites à naviguer à vue, s'appuyant sur le dévouement de leurs salariés et bénévoles. L'association Le Roc a ainsi dû licencier trois personnes.

La prise en charge médicale ne doit pas prendre le pas sur l'accompagnement social. Collectivement, nous devons renforcer la prise en charge des victimes en situation de précarité. Il est essentiel d'augmenter le nombre d'hébergements d'urgence sécurisés.

Nous devons aussi prendre en charge les auteurs pour éviter la récidive.

Nous sommes sur la bonne voie, mais les violences persistent, aggravées par les confinements. Il faut aller plus loin et développer une culture de la vigilance. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - La libération de la parole des victimes est salutaire. En fait, elles parlent depuis longtemps, mais on les écoute enfin.

Si les signalements augmentent de 33 %, c'est qu'après la libération de la parole sur les réseaux sociaux, après l'action des associations, les politiques publiques s'en sont saisies. Il faut continuer dans ce sens-là.

Depuis l'année dernière, le budget de mon ministère a augmenté de 40 %, et de 25 % en 2022. La plus grande partie va directement vers les associations. La semaine dernière, la présidente de la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF) disait : « Il n'y a que des paroles, pas d'actes ». Nous avons pourtant augmenté son budget de 38 % !

Le maillage territorial fonctionne en Corrèze, où nous avons créé huit comités locaux d'aide aux victimes.

M. Daniel Chasseing.  - Je ne doute pas de votre bonne volonté. Mais l'association Le Roc, en Corrèze, a dû licencier trois personnes et a perdu trois de ses six places d'hébergement. Sécuriser les hébergements d'urgence est très important.

Mme Laurence Cohen.  - Très bien.

M. Bruno Belin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.) Sommes-nous à la hauteur de l'enjeu ? Non. Les chiffres sont têtus : dans l'Aisne, les violences sexuelles ont augmenté de 23 %, nous dit Pascale Gruny. Ces chiffres choquent. Derrière, il y a les féminicides, mais aussi la réalité des violences quotidiennes.

Sommes-nous à la hauteur en termes de sécurité ? Non. Nous ne pouvons assurer la sécurité d'une femme même quand nous avons des informations préoccupantes. Nous ne pouvons assurer l'hébergement alors qu'il faudrait inverser la sanction du départ du domicile. Mme Carrère et M. Chasseing ont rappelé les difficultés particulières des zones rurales.

Sommes-nous à la hauteur sur la santé ? Non, alors que treize départements n'ont pas de gynécologues. Un lieu de santé qui disparaît, c'est un lieu de confiance perdu pour les femmes. Je salue l'opération « Masque 19 » mise en place dans les pharmacies.

Sommes-nous à la hauteur sur la place des femmes ? Non. Comme les correspondants défense, créons des correspondants violences dans les conseils municipaux. Permettre l'écoute, c'est permettre la parole.

Au-delà des quotas, ouvrons à la parité toutes les écoles de commissaires, d'officiers de police, et même l'ENA, où 80 % des élèves sont des hommes. La violence perdurera tant que nous n'aurons pas fait une place pour les femmes à tous les niveaux de l'État.

Sommes-nous à la hauteur sur la formation ? Non, quand l'éducation à la sexualité prévue par l'article L. 312-16 du code de l'éducation se résume à quelques minutes à peine. Ouvrons les vannes de l'instruction civique et de la formation à l'école !

Laurence Rossignol et Laurence Cohen ont évoqué les travaux de la délégation des femmes sur la pornographie : la réalité vous ferait tomber de votre siège. Il faut avoir le courage de décider. Une fois de plus, nous ne sommes pas à la hauteur.

Pour conclure, je salue le travail de notre délégation aux droits des femmes et de sa présidente Annick Billon, c'est un honneur d'y participer. (Applaudissements sur plusieurs travées) J'ai une pensée aujourd'hui pour les femmes afghanes : le monde ne pourra vivre sereinement tant qu'une femme sera violentée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, CRCE, SER et UC)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Je précise à M. Chasseing que le Roc a obtenu sept places d'hébergement en 2021.

Monsieur Belin, j'aurais aimé que votre famille politique fasse oeuvre du même volontarisme, de la même ambition. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laure Darcos.  - Et Aurélien Pradié alors ?

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Agir contre ces drames demande de l'humilité et de la détermination, mais s'il n'y a pas de ministère aux droits des femmes, comme sous Nicolas Sarkozy, il est difficile d'en parler.

M. Bruno Belin.  - Qu'est-ce que ça vient faire là ?

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Le sujet est trop grave pour être instrumentalisé. (On se récrie sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes, tout féminicide est un féminicide de trop, mais le chiffre baisse, grâce aux dispositifs que nous avons mis en place. En 2015, il était de 144. Il faut continuer de donner espoir à ces femmes et enfants. Je refuse la fatalité.

M. Bruno Belin.  - Je suis choqué, madame la ministre, que vous cédiez à la politique politicienne. Les plus grandes lois sociales ont été l'oeuvre de la droite : la sécurité sociale sous De Gaulle (marques d'ironie à gauche), l'IVG sous Giscard, la loi handicap sous Chirac !

Les féminicides sont votre seul indicateur, mais les 230 000 violences quotidiennes subies par les femmes sont tout aussi terribles !

Comme le dit Mme Cohen, donnez des instructions, la Chancellerie est là pour ça ! (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - L'année 2022 commence à peine et déjà treize féminicides... Quel décompte macabre. Soyez prudente quand vous donnez des chiffres, madame la ministre : en 2016, il n'y en avait que 109.

Les chiffres démontrent que les violences persistent. Je salue les femmes qui ont le courage de les dénoncer, dans des circonstances souvent difficiles. Grâce à elles, la prise de conscience évolue.

Personne n'affirme que le Gouvernement ne fait rien. Mais nous disons qu'il n'est pas à la hauteur de la situation. Difficile de l'être, alors que le patriarcat domine depuis des siècles. Surtout, le Gouvernement n'est pas à la hauteur de ses propres mots. Vous parlez de « grande cause du quinquennat », vous annoncez 1 milliard d'euros, mais on ne voit pas ou peu d'amélioration sur le terrain. Les associations sont en difficulté, l'hébergement ne suit pas. Vous vous mettrez vous-même en difficulté, avec vos discours. Vous suscitez la déception et la colère, alors qu'il faudrait porter une dynamique collective.

Si vous étiez à la hauteur de vos mots et de ceux du Président de la République, nous vous aurions tous soutenus ici !

La prise de conscience progresse, mais les moyens ne suivent pas. MM. Bazin et Bocquet l'ont montré dans leur rapport d'information. Le fameux milliard est très artificiel et se cantonne à des annonces, à l'image de celles de Mme Schiappa fin 2019-début 2020.

Il faut un sursaut collectif. Le prochain quinquennat doit faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une vraie grande cause, sur le terrain, au sein des commissariats, pour la mise à l'abri, pour la protection de celles qui parlent. Les moyens, je le redis, ne sont pas là, malgré les belles paroles. (Applaudissements à gauche)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Une précision : en 2016, il y avait 157 féminicides. Les chiffres que vous avez donnés ne prennent pas en compte les partenaires hors mariage. Même si les chiffres seuls ne suffisent pas, il faut pouvoir mesurer le progrès.

Une dynamique collective, je ne demande pas mieux ! Oui, beaucoup reste à faire, madame Rossignol. Je ne manque pas d'humilité, je reconnais qu'il faut aller plus loin ; mais reconnaissez à ce Gouvernement qu'il s'est emparé de la question de manière volontariste. Il aura fait voter quatre lois en cinq ans pour protéger les victimes, et deux lois pour reconnaître la contribution économique des femmes.

Je serai attentive à vos propositions, de même que je salue le travail magistral de la délégation aux droits des femmes et de sa présidente, avec qui nous avons toujours travaillé main dans la main.

Nous continuerons à contribuer au débat public avec humilité et volontarisme.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Pour beaucoup d'associations, ce volontarisme est de façade. Si les droits des femmes avancent, ce n'est pas de votre fait mais grâce à la mobilisation des associations, des militantes qui portent leur parole.

Annoncer le milliard alors qu'il n'y est pas, c'est manquer singulièrement d'humilité et de décence !

Enfin, des propositions, nous vous en avons fait à chaque débat budgétaire ! Bien souvent, le Gouvernement était aux abonnés absents.

M. Éric Bocquet .  - Le CRCE a souhaité débattre de cette grande cause du quinquennat. Le 1er septembre 2021, M. Dupond-Moretti avait répondu à la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée que beaucoup avait été fait, mais peut-être pas assez.

Le sujet des violences faites aux femmes s'est imposé dans le débat public, mais les récentes évolutions législatives souffrent du manque de moyens. Le budget de votre ministère a certes doublé, mais ses missions ont augmenté parallèlement. Sans compter qu'une partie de l'enveloppe correspond à la réallocation de crédits non utilisés. Enfin, le milliard revendiqué par le Gouvernement s'échelonne sur plusieurs exercices et près de la moitié rémunère les enseignants qui parlent d'égalité entre les sexes en classe. Il faut donc relativiser le bilan.

Je ne nie pas pour autant les progrès réalisés. Dans son rapport de novembre 2021, l'association Femmes solidaires cite la hausse du nombre de policiers et gendarmes formés et la formation des magistrats à l'accueil des femmes victimes. Elle salue le déploiement de référents violences dans les commissariats et gendarmeries, les expérimentations telles que la Maison des femmes de Saint-Denis. Mais elle note aussi la persistance de freins : peur des représailles, coût des procédures, réticences à se rendre dans un commissariat. Ainsi, seule une victime sur six porte plainte.

La police comme la justice manquent de moyens matériels et humains. Des associations participent à l'accueil avec les services de police, ce qui est cité comme un facteur d'amélioration de l'écoute de la victime. Que pensez-vous de l'intégration d'associations dans l'accueil des victimes de violence en commissariat ou gendarmerie ?

La crise sanitaire a impacté les plus précaires. Mme Michelle Gréaume avait déposé une proposition de loi pour attribuer une aide financière d'urgence aux victimes de violences conjugales, afin de faciliter leur départ du domicile : que pensez-vous de cette proposition ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et UC ; Mme Laure Darcos applaudit également.)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Je connais le rapport que vous avez signé avec Arnaud Bazin.

Les crédits consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes dépassent le budget de mon seul ministère. Une candidate à la présidentielle a dit vouloir un « vrai » milliard, mais financer la formation des policiers et magistrats à l'accompagnement des victimes, n'est-ce pas un vrai budget ? Financer la déconstruction des stéréotypes et enseigner le consentement dès le plus jeune âge, n'est-ce pas un vrai budget ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Ainsi, le milliard n'existerait pas car il se situe hors du programme 137 ? Surprenant.

Le document de politique transversale relate les budgets investis pour lutter contre ce fléau, qu'ils dépendent du ministère de la Santé, de la Justice, du Logement ou de l'Intérieur. Les crédits du 3919 sont passés de 1,5 million d'euros à 3,2 millions d'euros de 2020 à 2022.

M. Éric Bocquet.  - Il serait judicieux de s'appuyer davantage sur les associations, qui sont efficaces, notamment au moment de l'accueil. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Annick Billon .  - Il y a beaucoup à dire et à faire sur ce sujet grave. Chaque année, 213 000 femmes sont victimes de violences de leur conjoint ou ex-conjoint ; 113 sont mortes en 2021.

Le ministre de l'Intérieur fait état d'une hausse de 57 % des violences intrafamiliales et de 82 % des violences sexuelles déclarées depuis 2017. C'est décourageant, alors que la lutte contre les violences faites aux femmes est dite « grande cause du quinquennat ».

Je remercie le CRCE et Mme Cohen de mettre en lumière cette problématique.

Les onze millions de femmes des territoires ruraux sont les grandes oubliées des financements. Notre délégation aux droits des femmes leur consacre un rapport, intitulé « Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité ». Aucune des 181 mesures de l'agenda rural ne mentionnait l'égalité femme-homme : je me réjouis que le Gouvernement s'en saisisse désormais.

Ces femmes subissent une double peine : la moitié des violences et des féminicides ont lieu dans ces territoires ruraux qui ne représentent qu'un tiers de la population ; seul un quart des appels au 3919 en émanent. Ces femmes sont plus isolées, moins informées, moins protégées. S'ajoutent des difficultés de mobilité qui compliquent les plaintes et le départ. Les acteurs locaux manquent de moyens et de coordination.

Notre délégation a formulé de nombreuses recommandations. Il faut mieux communiquer sur les dispositifs d'aide, en s'appuyant par exemple sur les pharmaciens, et varier les supports d'information : sachets de pain, boîtes postales, etc.

Nous devons améliorer les conditions d'accueil des victimes avec au moins une maison de confiance de la gendarmerie nationale dans chaque département, recruter davantage d'intervenants sociaux en gendarmerie et mieux former les accueillants.

Ensuite il faut développer l'hébergement des victimes, mais aussi des auteurs de violences pour limiter la récidive.

Enfin il faut un référent violence dans chaque conseil municipal.

Je vous sais attentive, madame la ministre. Quelle suite donnerez-vous aux 75 propositions du rapport ? (Applaudissements)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Je vous remercie pour votre énergie, madame la présidente de la délégation, et pour votre travail. Vous m'avez remis vos 75 propositions pour les femmes dans la ruralité. Avec Joël Giraud, nous nous en sommes emparés. Nous avons déjà ouvert 166 lieux d'écoute dans 69 départements, et de nombreux sites d'accueil de jour. En 2022, nous créons 41 points d'accueil dans les centres commerciaux et 103 centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), y compris en milieu rural, pour renforcer le maillage.

Nous avons augmenté le budget du CIDFF, et cherchons, via des appels à manifestations d'intérêt, à favoriser la lutte contre les violences familiales et conjugales, mais aussi l'entrepreneuriat des femmes, pour encourager leur autonomie financière ; 400 000 euros permettront de financer dans six régions des structures mobiles « En voiture, Simone ».

Mme Annick Billon.  - S'agissant de la grande cause du quinquennat, les résultats ne seront là que si la volonté politique est partagée par tous les acteurs et toutes les institutions. Depuis 2016 et le vote de la loi contre le système prostitutionnel, nous n'avons pas progressé !

Aujourd'hui, la parole se libère, les associations croulent sous les demandes. Il faut des moyens humains et financiers. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, SER et CRCE)

Mme Martine Filleul .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les chiffres apportent la réponse : non, la grande cause n'a pas été remplie. C'est la réalité crue... En 2021, encore 113 féminicides, et déjà 13 depuis le début de l'année.

Les moyens sont insuffisants. Seules 38 des 46 mesures du Grenelle des violences conjugales - les moins coûteuses - ont été mises en oeuvre. Il faut notamment plus de places d'hébergement spécialisées : 40 % des femmes qui appellent le 115 n'ont pas de réponse et seulement 16 % obtiennent une place dans un lieu d'accueil avec accompagnement spécialisé. Il manque 32 millions d'euros au budget de l'État pour répondre aux besoins et créer les 13 000 places manquantes.

Avec la libération de la parole des femmes, les associations font face à un afflux de demandes d'aide, auxquelles elles ne peuvent donner satisfaction.

La politique de prévention a été un angle mort du Grenelle, alors que l'éducation en milieu scolaire est essentielle. La plupart des établissements n'ont pas les moyens d'assurer les cours d'éducation à la sexualité et à l'égalité. Il faut améliorer la culture de la protection.

Seulement 27 % des victimes se déplacent à la gendarmerie ou au commissariat, et elles se heurtent trop souvent à un refus lorsqu'elles veulent déposer plainte. À quand le « quoi qu'il en coûte » pour lutter contre les violences faites aux femmes ? (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - On me reproche de donner des chiffres - mais vous commencez par-là, je dois donc y revenir. Sous le quinquennat Hollande, il y a eu 166 féminicides en 2012, 134 en 2014, 122 en 2015. Chaque victime est une victime de trop.

Il y avait 4 500 places d'hébergement, nous en avons créé 9 000 sous ce quinquennat. Le budget du ministère était de 27 millions d'euros, il est de 50,6 millions à présent. Il y avait 1 800 ordonnances de protection en 2013, contre 3 900 aujourd'hui !

Nous pouvons toujours aller plus loin, je l'admets bien volontiers. Mais nous avons accru le budget des associations. Restons factuels, reconnaissons ce qui a été accompli, et continuons d'avancer.

Mme Martine Filleul.  - Je ne reviendrai pas sur les chiffres : vos propos sont piteux. L'Espagne, elle, est exemplaire ! Notre voisin dépense 748 millions d'euros...

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - En cinq ans !

Mme Martine Filleul.  - Non, c'est le chiffre annuel, en cumulant l'ensemble des budgets nationaux et régionaux.

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Il est difficile de mettre en oeuvre des mesures efficaces immédiatement. Combien de rapports, de lois votées ? Notre arsenal juridique est florissant, mais les chiffres ne sont pas bons et quatorze enfants ont encore perdu la vie récemment au cours de violences conjugales et familiales. Sur les 213 000 femmes à avoir subi des violences physiques ou sexuelles, une sur cinq a porté plainte, alors que dans neuf cas sur dix elles connaissent leur agresseur.

Le nombre de demandes de protection a certes doublé depuis 2015, mais il y en a eu 27 000 en Espagne, contre 3 900 en France !

Les bracelets anti-rapprochement sont en cours de déploiement, mais il en faut plus, tout comme les téléphones grave danger remis aux victimes : moins de 2 000 téléphones en circulation à novembre 2021...

Les violences au sein du couple illustrent un rapport de domination, elles s'accumulent et s'aggravent avec le temps. Que faire quand le temps de la justice n'est pas celui de l'agresseur ?

La formation systématique des forces de l'ordre est nécessaire, pour mieux accueillir et mieux accompagner les victimes dans le parcours judiciaire. Nous prônons la création de juridictions spécialisées et des délais de jugement resserrés.

Ce n'est pas une utopie : l'Espagne a réussi à mieux prévenir, à mieux protéger et à condamner. Son arsenal juridique est plus dense, grâce à une approche globale et des moyens financiers très importants : 5 euros par habitant en France, 16 en Espagne.

Il faut nous inspirer de cet exemple, doter la justice de moyens suffisants. Il faudrait également une loi-cadre, pour mettre fin à l'éparpillement des mesures.

Ce combat est vital. Dépassons les mots, il faut des actes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Vous avez raison : 70 % des victimes n'osent pas encore déposer plainte. Certaines décèdent sans avoir jamais passé les portes d'un commissariat. Ma responsabilité est de créer des espaces de confiance, pour qu'elles parlent et ainsi sauvent leur vie. Nous avons fait un immense travail pour libérer la parole. Les dispositifs de protection et d'accompagnement sont nombreux : téléphones grave danger, ordonnances de protection, bracelets, numéros d'appel, site arretonslesviolences.gouv.fr. Je souhaiterais que la France, un jour, soit prise pour modèle.

Vous nous comparez avec l'Espagne, mais dans notre 1,3 milliard d'euros, le budget de la sécurité sociale et des collectivités territoriales n'est pas compté. Il s'agit d'un budget interministériel. Peu importe d'où vient l'argent : ce qui compte, c'est qu'il soit utile aux victimes.

Mme Laure Darcos.  - Nous savons que vous avez pris ce dossier à bras-le-corps. Mais le budget de la Justice, dans le projet de loi de finances pour 2020, avait oublié d'inscrire des crédits pour les bracelets anti-rapprochement ! C'est le Sénat qui a dû, en pleine nuit, les ajouter. Le dispositif n'est pas du tout généralisé. Il faut accélérer car tous les jours, des femmes risquent leur vie.

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Mme Annick Billon applaudit.) Le mouvement initié depuis 2017 restera dans les annales et constituera sans doute un marqueur social fort du début du XXIe siècle.

Les violences faites aux femmes sont insupportables, pour les femmes comme pour tant d'hommes de France qui ne se retrouvent pas dans ces maltraitances.

Grande cause du quinquennat : avec quels résultats ? La prise de conscience est transpartisane, les évolutions législatives louables. Mais la question doit infuser dans toutes les politiques publiques. L'Agenda rural doit prendre en compte ces questions, comme l'a demandé le Sénat : je remercie les ministres Moreno et Giraud.

Les moyens supplémentaires annoncés ne sont pas à hauteur des enjeux. Sur 1 000 euros de dépenses publiques, 4 euros seulement pour la justice... La médecine légale est totalement absente dans certains départements, comme les Hautes-Alpes, alors qu'elle est essentielle pour juger.

Les sages-femmes et autres professionnels de santé pourraient être mieux associés à la prévention.

La dimension organisationnelle des acteurs est importante aussi. Détecter, signaler : cela appelle une coordination, un effort qui ne va pas de soi dans les administrations toujours trop verticales.

Il faudrait systématiser les permanences des CIDFF et des maisons France Services.

La raréfaction des services publics complique la lutte contre les violences faites aux femmes. Je salue celles et ceux qui aident les victimes, et j'espère que les propositions de notre rapport « Femmes et ruralité » seront prises en compte, concrètement. (Mme Laurence Cohen applaudit.)

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée.  - Je vous remercie pour votre implication. Nous avons effectivement besoin que les hommes prennent le sujet à bras-le-corps eux aussi.

La justice voit son budget augmenter de 8 % cette année, ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps. Grâce à cela les magistrats pourront traiter ces questions. L'aide apportée à des associations comme France victimes est passée de 6,9 à 12,2 millions d'euros en 2022.

Les mentalités changent dans tous les ministères, qui veulent tous avancer ensemble.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Dans mon département, il n'y a pas de médecine légale. Il couvre 5 550 kilomètres : impossible d'assurer les permanences de proximité à partir du seul chef-lieu. Une bonne répartition des lieux d'accueil est à imaginer, afin que les femmes ne restent plus isolées.

Mme Elsa Schalck .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ces violences sont un véritable fléau. Les chiffres, effrayants, traduisent autant de drames humains. La prise de conscience est désormais collective, grâce à #MeToo, à la médiatisation, à l'engagement de nombreux acteurs. La libération de la parole reste cependant fragile. Il faut que l'inacceptable soit enfin sanctionné.

Nous devons agir plus. Tant qu'une femme sera victime de violences, il faudra être à ses côtés. Les bracelets anti-rapprochement et les téléphones grand danger sont bienvenus, mais les gendarmeries et les collectivités territoriales soulignent de nombreuses difficultés. L'objectif du Grenelle n'est pas encore atteint, malgré la communication du Gouvernement.

Il faut pérenniser les moyens financiers et humains des associations. La vigilance doit être présente 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Dans le Bas-Rhin, pour 1,2 million d'habitants, on dénombre deux intervenants sociaux en gendarmerie...

Il faut donner aux associations les moyens de leur action. Et créer une juridiction spécialisée.

Nous devons accentuer la prévention, maillon faible du Grenelle. Où en sommes-nous sur ce sujet ? De plus en plus de jeunes couples sont en proie à la violence. Il faut agir sur l'éducation.

L'accompagnement doit être spécialisé, global, social, juridique et psychologique. Il faut prendre en compte les réalités territoriales, et la demande de proximité, par exemple pour la garde d'enfants, afin de pouvoir se rendre au tribunal. Les élus, notamment dans les territoires ruraux, doivent être formés à mieux détecter, car ils sont souvent en première ligne.

Voilà ce qui ressort de mes échanges avec les acteurs du Bas-Rhin. Le combat doit être permanent, collectif, à la hauteur de ce terrible fléau.

Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances .  - Certains combats exigent autant d'humilité que de détermination, ils nous imposent de dépasser les clivages transpartisans et l'instrumentalisation à des fins politiques.

Ce fléau tue ; nous devons faire preuve de la plus grande exemplarité. Nous le devons aux victimes, aux associations, à nos concitoyens. Si le Gouvernement s'est investi comme jamais, le travail législatif a lui aussi été précieux et je vous en remercie.

Nous avons pu avoir des divergences de vues, mais soyons fiers d'avoir oeuvré collectivement pour mieux protéger les victimes.

C'est ainsi que je vois l'action politique, loin des polémiques stériles. Je crois en la coconstruction et au débat entre Parlement et Gouvernement, entre majorité et oppositions.

Longtemps tues, cantonnées à la rubrique des faits divers, les violences conjugales et intrafamiliales sont désormais au coeur du débat public, et c'est tant mieux. La loi du silence s'est brisée.

Avec la libération de la parole sur les réseaux sociaux, le travail acharné des associations et la mobilisation des élus, de plus en plus de victimes parlent et la société ouvre les yeux. Enfin ! Mais cette transformation culturelle est longue. Je voudrais, comme vous, l'accélérer.

Ces violences ignorent les frontières géographiques, sociales ou culturelles. Il faut des myriades d'acteurs pour les combattre : forces de l'ordre, professionnels de santé et de la justice, travailleurs sociaux et associations.

C'est un combat interministériel, que nous avons érigé en grande priorité. Beaucoup de nos voisins nous envient cette initiative.

Vous avez cité l'exemple de l'Espagne, qui a commencé ce travail il y a quinze ans. Et pourtant, mon homologue espagnole, Irene Montero, que j'ai rencontrée en juillet 2021, m'a dit que le « terrorisme familial », comme elle le désigne, existe toujours. Cela nous impose l'humilité.

Je m'accroche à notre ambition. Nous avons étendu les horaires du 39 19, doublé le budget de mon ministère, déployé les instruments de protection, doublé le nombre d'enquêteurs sur les violences intrafamiliales et augmenté le nombre d'intervenants sociaux dans les gendarmeries et commissariats. Une expérimentation est en cours pour que les victimes puissent porter plainte partout où elles se sentent en confiance. Avec Olivier Véran, nous avons mis en place la prise de plainte à l'hôpital et le recueil de preuves sans plainte.

Je pense aussi aux trente centres de prise en charge des auteurs de violences, car cette prise en charge permet de lutter contre la récidive.

Autant de mesures concrètes qui ont fait leurs preuves.

Le combat pour éradiquer les violences faites aux femmes est un combat de civilisation. Si le nombre de féminicides a baissé depuis quinze ans, si les victimes se signalent plus qu'hier. Le combat n'est pas terminé.

Oui, nous pouvons aller plus loin, améliorer les dispositifs et pratiquer la tolérance zéro sur les manquements.

Mais les victimes doivent surtout savoir qu'il n'y a pas de fatalité. Des vies sont sauvées tous les jours. Nous arriverons à éradiquer ce fléau dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Laurence Rossignol applaudit également.)

Mme Laurence Cohen, pour le groupe CRCE .  - Merci, madame la ministre, d'avoir joué le jeu démocratique et d'avoir pris le temps de répondre à chaque intervention. Nous partageons beaucoup de choses, même si nous avons des désaccords.

Merci à nos collègues de tous les bancs pour leurs interventions argumentées : il est important d'avoir un tel consensus, c'est ainsi que l'on progresse. (Applaudissements ; Mme la ministre applaudit également.)

Oui, du chemin a été parcouru depuis 22 ans. D'autres lois ont été votées. Mais ma collègue a raison : attention à l'écart entre la loi et la réalité.

Dans le Val-de-Marne, une femme a été pendant plusieurs années séquestrée et violée par son ex-compagnon. Une petite fille est née et elle l'a élevée seule. Sa plainte a été perdue, classée sans suite. Un juge la condamne à présent pour non-présentation de l'enfant, avant de la lui retirer, à l'âge de 10 ans, pour la confier au géniteur violeur. (Marques d'indignation)

Voici un exemple de ce que je dénonce.

Mme Laurence Rossignol.  - Il y a hélas plein d'exemples !

Mme Laurence Cohen.  - Un groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur la violence domestique a publié un rapport en 2019 : il décrit les améliorations nécessaires pour que la France respecte la convention d'Istanbul, en ouvrant des hébergements d'urgence, en améliorant la réponse pénale et le suivi judiciaire.

Françoise Héritier disait que la violence n'est pas innée, mais acquise. Je sais que vous partagez cette analyse : il faut une éducation non sexiste dès le plus jeune âge avec des cours obligatoires en partenariat avec les associations féministes.

Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a su trouver 400 milliards d'euros. Quand on a la volonté politique, on y parvient !

Pour une « grande cause nationale », cela aurait du sens d'atteindre le milliard d'euros que les associations, et nous avec elles, vous demandons. Il faut aussi une loi-cadre pour une vision globale.

Nous devons mener le combat pour l'égalité sur tous les terrains, privé et public. « La tolérance institutionnelle de la violence domestique crée une culture de l'impunité qui contribue à normaliser la violence publique infligée aux femmes », a écrit Silvia Federici. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du RDSE ; Mmes Esther Benbassa et Pascale Gruny applaudissent également.)

La séance est suspendue quelques instants.