Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger et garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le Sénat examine la proposition de loi constitutionnelle dans sa version adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 24 novembre dernier.

Ce texte n'est pas encore abouti, comme le rapport de votre commission des lois ne manque pas de le relever. Mais il est le fruit d'un travail constructif et transpartisan entre les nombreux groupes politiques de la chambre basse. Je salue à cet égard les présidentes Aurore Bergé et Mathilde Panot.

Depuis l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, six propositions de loi constitutionnelle ont été déposées sur le bureau des assemblées. Six visions différentes et autant de beaux débats passés, présents et à venir.

L'importance des initiatives parlementaires montre combien le revirement de jurisprudence de la Cour suprême a été un électrochoc. Nos institutions doivent résister à l'épreuve du temps, et le droit chèrement conquis de chaque femme à disposer de son corps doit être préservé.

Nous ne partons pas de rien en la matière : depuis sa décision du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel reconnaît que le droit à l'IVG résulte de la liberté de la femme, qui découle de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Il faut à présent aller plus loin en conférant un fondement constitutionnel autonome à l'IVG, en l'érigeant explicitement en liberté fondamentale au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je persiste et signe : le Gouvernement soutient toutes les initiatives parlementaires qui visent à constitutionnaliser le droit à l'IVG. À ceux qui nous opposent que le droit à l'avortement n'est pas menacé en France, je réponds : n'attendons pas qu'il soit trop tard pour le défendre. Le droit des femmes à disposer de leur corps doit être inaliénable.

En 1975, Simone Veil déclarait que l'objectif du Gouvernement était de « faire une loi réellement applicable ; faire une loi dissuasive ; faire une loi protectrice ». Le législateur a atteint son objectif. À présent, il faut protéger ce droit en l'élevant au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes.

Toutes les femmes doivent avoir le choix, ce choix leur appartient, et elles sont soutenues par la société tout entière pour l'exercer.

Partout dans le monde, nous voyons qu'une démocratie digne de ce nom ne peut exister sans l'émancipation totale d'une moitié de sa population.

Ne nous trompons pas de débat. J'entends les arguments de la commission des lois : ce texte ne résoudrait pas les difficultés d'accès à l'IVG sur le terrain. Mes collègues François Braun et Isabelle Rome sont pleinement engagés pour rendre ce droit le plus effectif possible. Mais l'effectivité d'un droit et sa protection juridique sont deux sujets différents.

Si les modalités de l'IVG doivent être encadrées par le législateur, niveau le plus approprié, le droit à l'IVG en lui-même ne doit pas être entravé, restreint, voire aboli. Une garantie constitutionnelle peut nous l'assurer pour l'avenir.

Car constitutionnaliser le droit à l'IVG, c'est assurer que ceux qui auraient ce néfaste projet ne puissent le faire sans l'accord du Sénat. Inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution, c'est garantir que le Sénat aura le dernier mot pour protéger ce droit, comme il en a protégé tant d'autres, dans la noble mission qui est la sienne.

Le Gouvernement n'a pas changé d'avis : il est favorable à l'inscription de l'IVG dans la Constitution.

Le sujet le plus complexe, comme en témoignent les nombreuses versions des propositions de loi déposées dans les deux chambres, est le suivant : quelle rédaction choisir ?

L'humilité s'impose, car nul ne détient la vérité révélée. Il faut examiner toutes les propositions.

L'emplacement dans le texte est une question juridique plus que symbolique. Ne touchons à notre Constitution que d'une main tremblante. La commission des lois ne s'y est pas trompée : une telle disposition doit y trouver sa place pour s'y fondre - sinon, elle sera fragilisée.

L'emplacement choisi donnera la portée que le Parlement assigne à ce droit.

M. Bas propose une rédaction alternative et place le texte à l'article 34 de la Constitution. Vous avez pesé, comme toujours, tous les mots au trébuchet, mais votre rédaction soulève plusieurs interrogations.

D'abord, elle renvoie entièrement au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les femmes peuvent recourir à l'IVG. C'est très exactement l'état de notre droit : il résulte déjà de l'article 34 qu'il revient au seul législateur de prévoir les garanties et les limites du droit de l'avortement. C'est ce qu'il a fait par la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement, ce dont je me félicite.

J'entends vos arguments : en faisant référence à cette liberté, cet alinéa la consacrerait implicitement au niveau constitutionnel, mais le doute subsiste sur la réalité de cet effet.

Je comprends et partage votre souci de laisser une certaine marge de manoeuvre au législateur. Le droit à l'IVG doit évoluer avec le temps.

L'Assemblée nationale souhaite créer un nouvel article 66-2, emplacement choisi pour donner une chance supplémentaire au texte d'être voté par le Sénat. Quelques semaines plus tôt, vous aviez rejeté la proposition de loi Vogel qui prévoyait une inscription au même endroit. Le sujet reste ouvert.

Vient ensuite la question de la rédaction. À plus forte raison, nous devons être humbles : chaque mot doit être réfléchi, pesé, justifié. Ce n'est pas aisé.

Prenant acte du refus net du Sénat de constitutionnaliser le droit à la contraception, l'Assemblée nationale a recentré la proposition de loi sur l'IVG.

Pour motiver son refus, la commission des lois a dénoncé à bon droit les risques d'une rédaction inaboutie, autour des notions d'effectivité et d'égal accès. Le risque serait de consacrer un accès sans aucune condition à l'IVG, par exemple à des avortements réalisés bien au-delà des délais légaux.

Une rédaction trop rigide pourrait empêcher des adaptations du dispositif analogues à la loi du 2 mars 2022 qui a allongé le délai légal de 12 à 14 semaines.

La tâche est ardue, mais notre volonté est claire. Le Gouvernement a soutenu les initiatives de constitutionnalisation, d'où qu'elles émanent : il est dans son rôle. La navette parlementaire fait son oeuvre : l'Assemblée nationale, prenant acte du premier refus du Sénat, a pris en compte plusieurs de vos craintes.

Toutes ne sont pas levées, mais l'espoir est permis que le Parlement parvienne à un accord. Il y va du droit des femmes à disposer de leur corps, et cela seul devrait nous suffire. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes SER, RDSE et UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ne faire ni plaisir ni tort, mais faire la loi : tel est notre mandat. Nous devons élaborer la norme avec hauteur et maîtrise, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de réviser la Constitution.

Le 24 novembre 2022, l'Assemblée nationale a adopté un texte pour constitutionnaliser l'IVG, introduisant un article 66-2 dans le titre VIII consacré à l'autorité judiciaire.

Sommes-nous pour ou contre l'IVG ? Telle n'est pas la question. Ne nous laissons pas enfermer dans un simplisme manichéen.

La vraie question est la suivante : faut-il modifier la Constitution pour y inscrire le droit à l'IVG, pour reconnaître la liberté des femmes de mettre fin à leur grossesse ? Même si l'opinion publique y est favorable, c'est une fausse bonne idée.

Retirer le droit à la contraception de la proposition de loi n'a pas levé tous les doutes.

Le 19 octobre dernier, le Sénat a rejeté une proposition de loi similaire du GEST. La majorité sénatoriale avait déjà jugé très solide la protection du droit à l'IVG, inscrit à l'article 2212-1 du code de la santé publique.

La liberté d'avorter est pleinement protégée par la loi Veil de 1975 qui fait partie intégrante de notre patrimoine juridique, et à laquelle le Sénat est fortement attaché. Nous l'avons démontré en votant notamment les allongements successifs du délai légal, l'élargissement de la liste des praticiens, l'amélioration de la prise en charge, la suppression du délai de réflexion préalable.

Certes, ce droit n'est pas constitutionnel, mais le Conseil constitutionnel s'est prononcé à quatre reprises en sa faveur, en 1975, en 2001, en 2014 et en 2016.

Depuis sa décision du 27 juin 2001, il rattache ce droit à la liberté de la femme, découlant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, concilié avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Aucun groupe politique n'a jamais voulu remettre en cause ce principe. Ce droit n'est donc pas menacé en France, dont la situation institutionnelle n'est pas comparable à celle des États-Unis. Dire le contraire serait méconnaître la décision de la Cour suprême, qui a renvoyé aux États fédérés le soin de statuer sur ce droit. Notre République est une et indivisible, et les lois sont les mêmes pour tous.

Je préfère donc rester fidèle aux conclusions du comité présidé par Simone Veil en décembre 2008, qui ne recommandait ni de modifier le préambule, ni d'intégrer des dispositions de portée purement symbolique à la Constitution.

Je m'indigne comme vous des difficultés rencontrées par certaines femmes pour recourir à l'IVG, notamment dans certains territoires, mais la constitutionnalisation ne résoudra pas le problème.

Il faut des moyens supplémentaires pour le Planning familial, des moyens pour les médecins, des mesures concrètes d'ordre réglementaire voire législatif, mais pas constitutionnel.

La Constitution de 1958 n'a pas été conçue pour décliner tous les droits et libertés énoncés de manière générale dans son préambule. À ce compte, pourquoi ne pas inscrire dans le dur tous les droits et libertés reconnus par le Conseil constitutionnel comme, demain, ceux qui seront liés à la fin de vie ? La Constitution ne doit pas s'apparenter à un catalogue.

La difficulté à trouver une place à ce texte dans la Constitution prouve son manque de cohérence. Ainsi l'inscrire au titre VIII, juste après l'abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre.

Les propositions d'inscription à l'article 34 ou à l'article 1er, qualifié d'âme de la Constitution par le doyen Carbonnier, ne sont pas plus satisfaisantes. Il n'y a pas de place naturelle pour ce droit dans la Constitution.

Comme pour toutes les libertés publiques, le législateur doit en fixer les conditions. En outre, il convient d'avoir un débat serein : l'introduction de ce droit supposerait un projet de loi constitutionnel, pour éviter un référendum sur une question qui n'a pas fait l'objet d'un débat public.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à ne pas adopter la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bonnecarrère, M. Pascal Martin et Mme Évelyne Perrot applaudissent également.)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°2, présentée par M. Ravier.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat s'oppose à l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 143, 2022-2023).

M. Stéphane Ravier .  - Cette motion vise à repousser de nouveau un texte inutile et dangereux. La semaine dernière, Françoise Gatel et Rémy Pointereau ont remis un rapport sur l'inflation normative, qui pointe « une croyance quasi-mystique dans la norme miraculeuse qui protègerait voire guérirait ».

Ces propos s'appliquent parfaitement à la révision constitutionnelle que nous proposent les députés, vain exercice de communication et d'agitation.

Si ce texte est adopté, qu'aurez-vous changé au quotidien des femmes de France ? Rien. Pourquoi s'y opposer, alors ? Parce qu'il modifie l'esprit de la Constitution : l'État de droit se transformerait en tas de droits. (On s'amuse à gauche.)

Dès lors que le pouvoir constituant s'introduit dans la chambre à coucher, la res publica cède le pas à la res privata : la République devient la Réprivée, c'est l'anarchie et la fin de la société ! (Rires à gauche)

Vous multipliez les normes contradictoires et renforcez le pouvoir d'arbitrage des juges, au détriment du Parlement.

Je n'ai pas d'intérêt électoral en la matière, je défends l'intérêt général. On ne joue pas avec les textes juridiques sans conséquence politique. Vous travestissez l'esprit de la loi Veil en faisant de l'avortement un objectif de société.

Ne vous en déplaise, l'IVG n'est pas menacée en France, elle est même renforcée.

Mme Laurence Rossignol.  - Elle est menacée par vous !

M. Stéphane Ravier.  - En revanche, la natalité, elle, est menacée ; elle est au plus bas depuis l'après-guerre. (Protestations à gauche) La main-d'oeuvre qui nous manque, les cotisants au système de retraite par répartition se cachent dans les dix millions d'avortements depuis 48 ans. (Exclamations à gauche) L'ère des conséquences est venue : sachons en tirer les enseignements, avec le sens des responsabilités.

M. Antoine Lefèvre.  - Et de la mesure !

M. Stéphane Ravier.  - Rejetons ce texte inconséquent et idéologique présenté par La France Insoumise.

M. Xavier Iacovelli.  - Comme le disait Victor Hugo, la forme, c'est le fond qui remonte à la surface.

Monsieur Ravier, votre propos plaide, à votre corps défendant, pour un renforcement du droit à l'IVG. Vous formuliez les mêmes remarques en octobre, sur la proposition de loi de Mélanie Vogel.

Pourquoi une question préalable ? Pour ma part, je défends la constitutionnalisation du droit à l'IVG, car il est toujours plus difficile de modifier la Constitution que la loi. Les avis peuvent diverger, mais pourquoi refuser le débat ?

Vous parlez d'attaque à la vie, d'hiver démographique... Non, aucun pays n'est à l'abri d'une majorité politique qui abrogerait les dispositions autorisant l'avortement ou en restreindrait l'accès.

Je salue tous ceux, sur tous les bancs, qui se sont battus pour le droit des femmes à disposer de leur corps. Sur ce point, nous serons toujours ensemble face à l'extrême droite. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis défavorable. Ce débat important doit être mené à son terme et toutes les convictions doivent pouvoir s'exprimer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Chacun apprécie la nuance avec laquelle s'exprime M. Ravier.

Il s'agit d'un débat sociétal important. Madame la rapporteure, personne ne s'imaginait aux États-Unis, qu'un jour, les amis de M. Trump remettraient en cause ce droit fondamental : le constitutionnaliser, c'est protéger l'avenir. La menace n'est pas immédiate, sans doute... mais M. Ravier s'exprime par prétéritions : son jeu de mots, digne de l'Almanach Vermot, montre bien ce qu'il pense de l'État de droit !

M. Stéphane Ravier.  - C'est de Guy Carcassone... Rendons à César ce qui est à César !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Votre dernier compagnon de route veut d'ailleurs « mettre au pas » le Conseil constitutionnel !

En Hongrie, vos amis obligent désormais les femmes souhaitant avorter à écouter les battements de coeur du foetus. C'est une torture psychologique. (M. Stéphane Ravier proteste.)

Il n'y a peut-être pas péril en la demeure aujourd'hui, mais protégeons l'avenir : inscrivons ce droit dans la Constitution.

M. Stéphane Ravier.  - Ça changerait quoi ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Ce serait un beau message adressé aux femmes. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDPI ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

M. le président.  - J'imagine que votre avis sur la motion est défavorable ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - En effet.

La motion n°2 est mise aux voix par scrutin public ordinaire de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°118 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l'adoption     1
Contre 344

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements sur quelques travées à gauche)

Discussion générale (Suite)

Mme Esther Benbassa .  - (M. Daniel Breuiller applaudit.) Cette proposition de loi a été rejetée en commission, trois jours après une manifestation « pour la vie ». Rien de nouveau sous le soleil sénatorial !

Le recours à l'avortement est protégé par la loi Veil du 17 janvier 1975, mais pas par la Constitution : le sanctuariser le mettrait à l'abri des tempêtes politiques. Après la Pologne, la Hongrie, les États-Unis, l'Italie risque à son tour de s'engager dans la voie de la régression, sous la pression des conservateurs.

Philippe Bas propose une nouvelle rédaction, en substituant à la notion de droit à l'IVG celle de liberté de mettre fin à sa grossesse, déjà reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juin 2001. Une liberté n'est pas un droit, or le recours à l'IVG doit être traité comme un droit effectif, comme le préconise la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale dans un rapport de 2020.

Jusqu'à quand faudra-t-il nous battre pour une reconnaissance pleine et entière du droit des femmes à disposer de leur corps ? Les hommes choisissent bien leur paternité ! Pourquoi vouloir toujours contrôler la sexualité des femmes ?

Mieux vaudrait que le Gouvernement se saisisse du sujet et propose un projet de loi, ce qui éviterait de devoir passer par un référendum, périlleux dans le contexte politique actuel. À moins que son but inavoué ne soit de faire traîner les choses ? J'espère que non ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Patricia Schillinger et Hélène Conway-Mouret et M. André Guiol applaudissent également.)

M. Jean-Yves Roux .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Chacun a en tête la volte-face historique de la Cour suprême des États-Unis, qui est venue rappeler combien le droit à l'avortement est fragile. Notre assemblée avait hélas rejeté un texte proche en octobre dernier : nous sommes heureux qu'il revienne devant le Sénat, même s'il n'est plus question de contraception mais seulement d'IVG.

Je regrette toutefois que ce texte n'ait pas été amélioré du point de vue formel. Nous sommes attachés à l'IVG, mais aussi à notre Constitution, à laquelle on ne doit toucher que d'une main tremblante. Viser l'article 34 aurait été plus opportun...

La France n'est pas les États-Unis, ai-je entendu. On ne peut nier la tendance mondiale au recul des droits des femmes. Si certains reculent, soyons fiers de montrer le chemin inverse !

La constitutionnalisation ne résoudrait pas les problèmes d'accès à l'IVG ? Certes, mais cela vaut pour tous les droits consacrés par le bloc de constitutionnalité. Les problèmes d'accès ne sont pas du ressort du constituant, mais du législateur et du pouvoir réglementaire.

Notre Constitution doit afficher des principes, des valeurs et des objectifs, montrer la finalité de notre droit. Nous ne sommes pas à l'abri d'un éventuel revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui s'appuie sur l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, laquelle, bien sûr, ne fait pas référence à l'IVG...

Notre groupe votera dans sa majorité en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue la pertinence et la vigueur de la présentation du rapport par Mme Canayer, qui justifie notre refus de voter cette proposition de loi.

Je ne m'attarderai pas sur le fait que celle-ci n'est pas rédigée en français - un détail ! On peut faire des fautes de grammaire dans la Constitution sans que nul ne s'en émeuve... (Rires sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Philippe Bas.  - Cette rédaction ne définit pas ce qu'est le droit à l'IVG mais le présente comme un absolu, une créance sur la société. Elle ne prévoit de garantie par le législateur que pour son effectivité - qui relève de l'organisation du système de santé.

Comme le garde des sceaux l'a suggéré, la rédaction n'exclut pas l'idée que ce droit indéfini à l'IVG serait illimité. Or on ne peut reconnaître un droit ou une liberté sans en prévoir les conditions, c'est-à-dire les limites. La liberté de la femme prévaut jusqu'à un certain délai ; après, prévaut la protection de l'enfant à naître. C'est cet équilibre qui a justifié le consensus autour de la loi Veil.

Est-il pertinent d'inscrire une liberté ou un droit dans la Constitution ? C'est déjà le cas : la Constitution est bien un lieu permettant d'accueillir des libertés que le pouvoir constituant, souverain, veut voir consacrées.

Je formule une contre-proposition : elle reprend l'énoncé d'une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel le 27 juin 2001 et la consolide, mais prévoit que le législateur en détermine les conditions, donc les limites, comme l'a prévu la loi Veil. Il n'y a pas de droit absolu : il y a une liberté, sous réserve de conciliation entre les droits de la femme enceinte et, après un certain délai, la protection de l'enfant à naître.

Monsieur le garde des sceaux, vous dites qu'il ne faut toucher à la Constitution que la main tremblante, mais les vôtres sont restées dans vos poches ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. le garde des sceaux proteste.) Nous aurions aimé que le Gouvernement nous soumette une rédaction, après avis du Conseil d'État, qui aurait de meilleures chances d'aboutir. Vous restez sur le banc de touche, mais ce confort ne sera pas durable, car le verrou du Sénat peut être levé : vous serez alors face à vos responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, SER et UC ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - Notre groupe considère qu'une femme doit avoir la possibilité d'interrompre sa grossesse quand elle le décide, dans le cadre d'un régime établi par la loi, fruit d'un équilibre entre liberté de la mère et sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Aux États-Unis, on observe depuis le revirement de la Cour suprême un retour en arrière manifeste. La législation a été durcie en Pologne et en Hongrie, réduisant fortement l'accès à l'IVG. Il reste interdit à Malte. Ces évolutions nous inquiètent.

Dans notre pays, l'IVG n'est pas menacée politiquement. Les délais légaux ont même été allongés de douze à quatorze semaines. Aucun parti politique de l'arc républicain ne remet en cause ce droit. Ce qui menace l'IVG, c'est le manque de médecins et de moyens !

Même voté conforme, ce texte devrait encore être soumis à référendum. Perspective qui suscite des réticences, y compris chez ses auteurs. Difficile en effet d'expliquer que le Parlement a longuement débattu, sans que l'accès à l'IVG n'ait été nullement amélioré...

Notre groupe est très attaché aux libertés individuelles, notamment celle d'interrompre une grossesse. Il est urgent de densifier l'offre de soins sur le territoire et d'améliorer l'accompagnement des femmes qui souhaitent avorter, car c'est toujours une épreuve.

Les membres du groupe INDEP sont unanimement favorables à la liberté d'avorter. Certains s'interrogent sur l'intérêt de son inscription dans la Constitution. Chacun votera selon ses convictions. Pour ma part, je ne prendrai pas part au vote, car l'équilibre de la loi Veil me satisfait. (M. Cédric Vial applaudit.)

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.) Je salue le travail de l'Assemblée nationale et le sens de l'intérêt général de Mathilde Panot, d'Aurore Bergé et de tous ceux qui ont su se rassembler autour d'un impératif plus grand que nos divergences politiques.

La loi Veil a nécessité trois éléments : d'abord, la mobilisation des féministes, qui ont battu le pavé, mis leur vie en danger pour sauver tant d'autres de l'horreur et imposer le droit à disposer de nos corps et à maîtriser nos vies ; ensuite, la détermination et la responsabilité de la gauche, qui a su, à un moment de l'histoire, rendre l'imparfaite victoire possible ; enfin, la dignité d'une certaine partie de la droite, qui en dépit du conservatisme et de la misogynie de ses rangs, s'est alliée à ce combat. (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains)

La situation est aujourd'hui similaire. La population française soutient à 86 % la constitutionnalisation du droit à l'IVG. Parmi ces 86 %, vos filles, vos petites-filles, toutes celles et ceux qui savent que, en la matière, il n'est pas de protection superflue (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER), qui ont conscience des menaces qui planent toujours sur les droits des femmes.

La France peut envoyer un message d'espérance au monde entier. Les Américaines, les Maltaises, les Hongroises, les Italiennes, les Chiliennes, les Iraniennes nous regardent ; dans cette période si sombre pour les droits des femmes, nous pouvons tracer un chemin de progrès.

Ceux d'entre vous qui voteront en faveur de l'inscription de l'IVG dans la Constitution n'auront jamais honte de leur vote.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Les autres non plus !

Mme Mélanie Vogel.  - Les autres auront du mal à expliquer à leurs petites-filles qu'ils n'ont pas tout fait pour les protéger. Dans les moments de bascule de l'Histoire, nous sommes face à nos responsabilités. Même s'il ne nous satisfait pas pleinement, ce texte marquera une avancée vers cette victoire qui est de protéger un droit avant qu'il ne soit menacé - avant qu'il ne soit trop tard. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDPI)

M. Xavier Iacovelli .  - Le 19 octobre dernier, le rejet par le Sénat de la proposition de loi constitutionnelle de Mélanie Vogel envoya un signal malheureux à nos concitoyens, en particulier aux femmes. Le droit à l'IVG est remis en cause dans le monde. Depuis l'annulation de l'arrêt Roe v. Wade, treize États américains ont rendu illégal l'avortement et cinq en ont limité l'accès.

Il est légitime de s'interroger sur son avenir en France : « marche pour la vie » du 22 janvier, récent colloque anti-IVG parrainé par notre malheureux collègue Ravier...

M. Stéphane Ravier.  - Pourquoi malheureux ?

M. Xavier Iacovelli.  - Un droit n'est jamais acquis. Encore moins pour les femmes. Malgré cela, nous n'avons pas atteint une majorité en première lecture. Qu'attendons-nous ? Il s'agit ici d'empêcher tout retour en arrière. Saisissons cette chance de faire de notre pays un pionnier en la matière ! La portée symbolique d'un tel acte enverrait un message fort aux pays où le droit à l'avortement est bafoué.

Je salue l'esprit constructif de M. Bas, mais son amendement ne consacre pas le droit à l'IVG comme un droit autonome. J'ai proposé un sous-amendement plus ambitieux.

La Constitution reconnaît déjà une série de droits et libertés fondamentaux. Inscrire dans cette liste un droit garanti depuis près de cinquante ans n'entraîne pas « un changement de nature dommageable », madame la rapporteure. Une large majorité du RDPI soutiendra ce texte, au nom des droits des femmes, de leur droit à disposer de leur corps, au nom de leur liberté. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du GEST et du groupe SER)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « N'oubliez jamais : il suffira d'une crise politique, économique, religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes », disait Simone de Beauvoir.

Rappelons-nous le long chemin, l'âpre lutte, les femmes criminalisées pour avoir avorté, celles qui sont mortes pour avoir avorté dans des conditions indignes. La constitutionnalisation de l'IVG s'inscrit dans cette longue histoire.

Notre Constitution est la règle la plus élevée de notre ordre juridique : elle fonde notre contrat social. L'égalité de genre impose de tenir compte des besoins de santé de femme, qui diffèrent de ceux des hommes, selon le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies. Si les rédacteurs du Préambule de la Constitution de 1946 en avaient tenu compte, le droit à l'IVG figurerait déjà dans la Constitution !

Ce serait notre fierté et notre honneur d'inscrire, les premiers, le droit des femmes à disposer de leur corps dans notre Constitution. Ce combat, mené par la gauche depuis longtemps, est partagé par 80 % des Français, toutes convictions politiques ou religieuses confondues.

Certains estiment que la législation actuelle suffit. Mais ne sera-t-il pas trop tard pour légiférer si des forces rétrogrades prennent le pouvoir et décident de s'attaquer à ce droit ? N'avez-vous pas vu les manifestations hostiles rassemblant plusieurs milliers de personnes dans les rues de Paris ?

Si le Conseil constitutionnel n'a pas conclu à une inconstitutionnalité depuis sa décision initiale sur la loi Veil en 1975, il n'a jamais reconnu l'IVG comme un droit fondamental. Ces lois ont été validées au motif qu'elles respectent un équilibre entre d'une part la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et d'autre part, la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de la déclaration de 1789.

Nous nous battons pour une protection plus forte de ce droit. Certains avancent que l'effectivité de l'accès à l'IVG ne serait pas améliorée par la constitutionnalisation. Mais pourquoi opposer ainsi les choses ? Ne pourrait-on pas agir également pour renforcer l'accès à l'IVG ?

D'autres qualifient notre demande d'inutile, car la France serait une sorte d'îlot protégé dans un monde qui vacille... Ils ne se sont pas opposés à la constitutionnalisation de la peine de mort, qui rend tout retour en arrière impossible.

Philippe Bas s'engage dans cette constitutionnalisation avec une rédaction différente, qui présente selon nous deux faiblesses : d'une part, elle ne permet pas un vote conforme de l'Assemblée nationale ; surtout, elle retient le terme de « liberté » et non celui de « droit ». Or l'IVG n'est pas seulement une liberté, mais bien un droit.

La première loi Veil a été adoptée grâce à un travail parlementaire transpartisan, la gauche ayant accepté de larges concessions. Notre groupe soutiendra la démarche du Sénat, même si elle est imparfaite.

M. le ministre a fait une analyse très intéressante. Qu'il la concrétise dans un texte !

Ce soir, le Sénat a rendez-vous avec son histoire, avec l'histoire des droits des femmes. Ne les décevez pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du RDPI ; Mme Daphné Ract-Madoux applaudit également.)

Mme Laurence Cohen .  - Gisèle Halimi disait en 1973 qu'il y a dans le droit d'avortement de la femme une revendication élémentaire physique de liberté.

Plusieurs d'entre nous ont dit que ce droit existe et qu'il est reconnu depuis la loi Veil de 1975. Mais il est intolérable que, en 2023, l'avortement rencontre encore une opposition certaine, jusque dans cet hémicycle. Il est toujours des voix pour limiter ou encadrer les droits des femmes, surtout quand il s'agit de la liberté d'avoir ou non un enfant.

Aux blocages idéologiques s'ajoutent les embûches matérielles : fermeture des centres IVG, manque de professionnels pratiquant l'IVG, T2A, double clause de conscience, tout cela pénalise avant tout les femmes les plus précaires, celles qui n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger lorsqu'elles ont dépassé le délai légal. Cette musique, nous la connaissons bien : elle ressemble à celle des années 1970.

J'espère donc que le Sénat va se saisir de cette opportunité de constitutionnaliser le droit à l'IVG si chèrement acquis. Car si le Conseil constitutionnel a toujours jugé les lois relatives à l'IVG conformes à la Constitution, il ne l'a jamais consacré comme un droit fondamental : une loi portant atteinte au droit à l'IVG ne serait pas censurée.

Cela fait onze ans que le Parti communiste plaide pour cette constitutionnalisation, et notre groupe avait déposé une proposition de loi dès 2017, bien avant la décision de la Cour suprême américaine.

Nous l'avons rappelé en octobre dernier, lors de l'examen de la proposition de loi Vogel, dont nous étions cosignataires : il est grand temps de conférer à l'IVG le statut de droit fondamental, et de l'inscrire dans la Constitution afin qu'il ne soit pas affaibli, voire supprimé par d'éventuelles dispositions législatives.

Cela supposerait un vote conforme, qui, vu le rapport de force, semble incertain. Mais des débats dans la société ont peut-être conduit certains à évoluer. C'est ainsi que M. Bas propose une nouvelle rédaction, qui pose question et nous inquiète sur la latitude possible laissée au législateur. Cependant, nous sommes conscients que cet amendement représente une ouverture pour laisser cette proposition de loi constitutionnelle poursuivre son trajet législatif. Nous ne ferons donc rien pour nous y opposer.

Les associations féministes, représentées en tribune, nous y invitent : soyons le premier pays à garantir le droit à l'IVG dans sa Constitution. Je ferai mien l'appel d'Osez le féminisme : donnons un message d'espoir aux femmes de ce monde qui se battent pour leurs droits, pour le respect de leur corps et de leur santé. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous examinons pour la deuxième fois en trois mois une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit fondamental à l'IVG. Ce texte, déposé par Mathilde Panot, fut largement adopté à l'Assemblée nationale le 24 novembre 2022. Quelques semaines plus tôt, nous examinions le texte de Mélanie Vogel inscrivant dans le marbre constitutionnel le droit à l'IVG et à la contraception.

Je salue la sagesse de notre rapporteur sur ce sujet délicat, politiquement et socialement, qui renvoie à l'intime.

La genèse, c'est l'arrêt Dobbs v. Jackson Women's Health Organization de la Cour suprême des États-Unis, le 24 juin 2022, modifiant l'arrêt Roe v. Wade. Désormais, il appartient à chaque État fédéré de légiférer sur l'interdiction ou non du recours à l'IVG.

La France est une République indivisible et non une fédération. Je ne vois donc pas de comparaison possible avec les États-Unis.

Notre arsenal juridique sur l'IVG est solide : depuis 1975, les dispositions de la loi Veil n'ont cessé d'être renforcées par le législateur confortées par le juge constitutionnel. Aucun parti, même aux extrêmes, n'a jamais appelé à remettre en cause le principe de l'IVG. Le vote du 24 novembre dernier de l'Assemblée nationale en témoigne : 38 députés RN étaient prêts à inscrire ce droit dans la Constitution.

Avec la désertification médicale, l'accès à l'IVG est cependant devenu très difficile pour certaines femmes sur notre territoire. Notre délégation aux droits des femmes l'avait déjà dénoncé en 2015, dans un rapport intitulé « Femmes et santé, enjeux d'aujourd'hui ». Inscrire dans la Constitution « l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse » serait un leurre, car treize ans plus tard, la situation n'a guère évolué...

L'amendement Bas, malgré une imputation différente, ne change rien en termes de procédure parlementaire : l'adoption d'une proposition de loi constitutionnelle en termes identiques conduirait le Président de la République à convoquer ou non un référendum. Il n'y a pas d'autre issue possible. (« Très bien » sur les travées du groupe Les Républicains)

Le groupe UC pratique la liberté de vote de manière générale, et fortiori sur les sujets de société. Certains soutiendront le texte, d'autres s'abstiendront ou ne prendront pas part au vote ; la plupart d'entre nous voterons contre l'amendement de Philippe Bas et contre la rédaction de l'Assemblée nationale, suivant ainsi l'avis de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après l'examen en octobre dernier de la proposition de loi constitutionnelle déposée par Mélanie Vogel, nous sommes à nouveau réunis pour débattre de l'IVG. Le débat doit se concentrer sur l'inscription ou non de ce droit dans la Constitution. À ceux qui opposent volontiers progressistes vertueux et conservateurs arriérés, je rappelle que l'IVG a été voté grâce à la loi Veil, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Max Brisson et Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Très bien !

Mme Corinne Imbert.  - J'ai tenté de me poser objectivement les bonnes questions pour dépasser les réflexes partisans. Quel est le rôle de la Constitution ? Le droit à l'IVG est-il menacé en France ? L'inscription de l'IVG dans la Constitution représente-t-elle une protection supplémentaire ?

La Constitution fixe la forme de notre État, règle la production des normes, les relations des pouvoirs. Son rôle n'est pas d'être bavarde et de dresser un inventaire à la Prévert des droits. Cela pourrait d'ailleurs l'affaiblir. Nous devons être les garants de la Constitution. (M. Max Brisson renchérit.)

Je m'étonne de voir des débats venus d'outre-Atlantique prendre autant d'importance en France. Ma philosophie gaulliste m'incite à ne point céder aux sirènes de l'actualité. (M. Pierre Charon acquiesce.)

Le droit à l'IVG est-il menacé aujourd'hui en France ? Aucun des douze candidats à l'élection présidentielle ne s'est prononcé pour une limitation de ce droit.

Pensez-vous que la Constitution empêchera quoi que ce soit ? En cas de prise du pouvoir par la force, elle ne pourra plus rien, ni pour l'IVG, ni pour la liberté de conscience, ni pour la liberté de la presse, ni pour aucune de nos libertés publiques ! Comment croire que son inscription dans la Constitution renforcera le droit à l'IVG si nous devions avoir un régime autoritaire ?

Le XXe siècle est riche d'exemples de combats pour les droits des femmes. Mais, malgré l'amélioration de la place des femmes dans notre société, le chemin est encore long.

Je crois que ce débat traduit un phénomène plus large : le recul de notre capacité à agir sur le réel. Il ne s'agit pas de faire de la communication, de se faire de la publicité.

M. Xavier Iacovelli.  - Pas de mépris !

Mme Corinne Imbert.  - La posture est facile, les bons sentiments aussi ; agir réellement est bien plus difficile.

Nous croyons à la prééminence du fond sur la forme. C'est pourquoi le groupe Les Républicains, dans sa très grande majorité, votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Discussion de l'article unique

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Oui, le droit à l'avortement est aujourd'hui remis en question : voyez la Pologne ou les États-Unis. Benoîte Groult le rappelait : rien n'est plus précaire que les droits des femmes.

L'IVG continue d'être un combat. Chaque année, 3 000 à 4 000 Françaises sont forcées de se rendre à l'étranger pour avorter hors délai. Par ailleurs, des Françaises établies à l'étranger ont des difficultés à avorter. Pour la première fois, une ligne budgétaire du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est consacrée à l'accès à l'avortement de nos ressortissantes à l'étranger.

Quelque 81 % des Français sont favorables à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Soyons en phase avec nos compatriotes et montrons l'exemplarité de la Constitution française en matière de droits fondamentaux et de protection des droits individuels.

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur des travées du groupe UC) Je tiens à réaffirmer ma position personnelle : je voterai cette proposition de loi constitutionnelle comme j'ai voté celle de Mélanie Vogel.

J'entends ceux qui objectent que ce droit n'est pas menacé. Mais qui peut le certifier ? Pas moi.

L'IVG doit demeurer un droit fondamental pour les femmes. Le vote d'aujourd'hui n'est pas une fin en soi, mais une étape et un signe envers les femmes. Graver l'IVG dans la Constitution n'aura d'effet que si son accès est facile sur tout le territoire, ce qui n'est pas le cas.

La question qui se pose à nous est : souhaitons-nous consolider le droit à l'IVG ? Pour ma part, je réponds oui. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, SER et du GEST)

Mme Elsa Schalck .  - Voulons-nous apporter une garantie constitutionnelle au droit à l'IVG ? À titre personnel, je le souhaite. Je voterai donc cette proposition de loi, comme celle d'octobre dernier.

La Constitution est notre texte à valeur suprême ; elle est notre socle, ce à quoi nous ne devons pas déroger. Nous sacraliserions ainsi, au sommet de la hiérarchie des normes, un droit menacé dans des pays pas si lointains.

L'absence actuelle de remise en cause du droit à l'IVG ne doit pas nous empêcher de garantir ce droit, auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et SER ; Mmes Else Joseph et Anne Ventalon, ainsi que M. Marc Laménie, applaudissent également.)

Mme Muriel Jourda .  - Cette question nous occupe depuis longtemps, avec six propositions de loi. Je ne reconnais pas la sagesse sénatoriale dans notre débat. Nous réagissons comme de vulgaires tabloïds à un événement qui ne nous concerne pas et n'aura aucun effet sur nous - de même que notre décision n'aura aucun effet sur les États-Unis. C'est assez surprenant.

Nous avons l'habitude de faire preuve d'une certaine objectivité. Or nous débattons comme si l'IVG était menacé. Vous savez pourtant bien que ce n'est pas le cas. À l'Assemblée nationale, l'extrême droite a majoritairement voté pour la constitutionnalisation de l'IVG.

Nous sommes attachés à la rigueur juridique. Or j'entends parler de la Constitution comme si c'était un fourre-tout. Certes, elle n'est pas intangible - elle a été modifiée vingt-quatre fois. Mais cette liberté n'a pas grand-chose à y faire. (On s'impatiente sur les travées du groupe SER.)

J'ai, au Sénat, l'habitude d'un certain respect. Or nos positions ne sont pas acceptées. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; protestations sur les travées du groupe SER)

M. Yan Chantrel.  - C'est du sabotage !

Mme Laurence Rossignol .  - Le nombre d'orateurs sur l'article unique grossit de plus en plus. Même certains qui se sont exprimés dans la discussion générale reprennent la parole. Or, à 20 h 45, notre débat s'arrêtera. Je ne voudrais pas que le Sénat, déjà remarqué en octobre pour son vote hostile, le soit de nouveau en raison d'une manoeuvre consistant à faire durer les débats pour ne pas voter aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE)

Rappel au Règlement

M. Loïc Hervé .  - Vous connaissez les règles de notre Assemblée : le groupe SER dispose d'un espace réservé de quatre heures, au cours duquel il a choisi de présenter deux textes.

Nous en sommes à quatre propositions de rédaction. Il est normal que nous prenions le temps de discuter d'un texte qui modifie la loi fondamentale de notre République ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains)

M. le président.  - Acte est donné de rappel au Règlement.

Discussion de l'article unique (Suite)

M. Dominique de Legge .  - Ce débat est suffisamment important pour que chacun puisse s'exprimer.

La Constitution n'est pas un symbole ; c'est une chose sérieuse. Certains souhaitent y inscrire la liberté d'avorter. Et pourquoi pas, demain, la fin de vie ou la PMA ? Ce n'est pas le lieu des sujets sociétaux.

Le garde des sceaux appelle à un vote conforme - encore que ce ne soit pas très clair. Le Gouvernement souhaite-t-il vraiment organiser un référendum ? Est-ce le bon moment pour un débat apaisé ?

Le Président de la République souhaite attacher son nom à une réforme de la Constitution. (M. Xavier Iacovelli s'exclame.) Mais évitons de la réformer au gré des aléas de l'actualité, surtout américaine. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

M. Rémy Pointereau.  - Bravo !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - Ne nous trompons pas de débat. Est-il pertinent pour nous, parlementaires français, de nous emparer d'un débat de société américain ? Non.

Le recours à l'IVG n'est absolument pas remis en cause en France. C'est un droit fondamental, que le Conseil constitutionnel défend en se fondant sur la liberté de la femme, issue de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Inscrire l'IVG dans la Constitution n'aurait qu'une conséquence : fragiliser le recours à l'IVG.

Je m'opposerai à cette proposition de loi et n'aurai pas honte de mon vote ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ; M. Stéphane Ravier applaudit également.)

Mme Marie Mercier .  - Nous n'avons pas à légiférer « au cas où », ou bien sur des symboles. Un symbole est un fait évoquant quelque chose d'absent ou d'impossible à percevoir. Croyez-vous que la protection du droit à l'IVG, que je défends de toute mon âme, soit absente ou impossible à percevoir ?

À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a renforcé la protection de ce droit. Les femmes ne veulent pas de symboles, mais des moyens, des plannings familiaux, un accompagnement psychologique. N'oublions pas non plus qu'une femme avorte parfois parce que son compagnon le lui demande. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Toine Bourrat .  - La baisse de confiance envers les politiques nous oblige. Or elle est souvent le fruit des incohérences constatées par nos concitoyens.

Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l'IVG en octobre, tant en commission qu'en séance publique, et de même en commission ces derniers jours. Je resterai cohérente en votant contre ce texte.

Mme Catherine Di Folco .  - Nous nous fourvoyons. Le maître mot, c'est l'effectivité. Une norme juridique effective est appliquée dans les faits, comme l'écrivait en 1958 le doyen Carbonnier. Nous sommes favorables à l'effectivité du recours à l'IVG.

Ne nous trompons pas quant à la question juridique qui nous est posée. Faut-il ajouter à notre texte fondamental une disposition déclarative ? Je ne le crois pas et n'en ai pas honte, madame Vogel. Mettons plutôt le Gouvernement face à ses obligations effectives en la matière. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Loïc Hervé .  - Je m'exprime à présent à titre personnel. Nous en sommes à quatre formulations juridiques : celle de Mme Vogel, la rédaction initiale de Mme Panot, la rédaction de l'Assemblée nationale et l'amendement de M. Bas. Nous devons examiner le tout dans des délais contraints. S'agissant d'une proposition de loi, pas d'étude d'impact ni d'examen en Conseil d'État.

En outre, nous savons tous que le processus n'ira pas à son terme, puisque la seule issue est le référendum. Imaginez ce que représenterait un débat sur cette question dans l'état actuel de la société française...

Posons-nous la question de la qualité du droit que nous écrivons ! (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Exactement !

M. Loïc Hervé.  - Une Constitution, ça ne se défait pas si facilement.

Plusieurs voix sur les travées du groupe SER et du GEST.  - Justement !

M. Bruno Retailleau .  - Il n'y a pas d'un côté le camp de la dignité, de l'autre celui de l'indignité. Le débat s'abîme quand on le polarise.

Le Sénat ne doit pas légiférer sous la pression de telle ou telle opinion publique, mais de façon rationnelle et raisonnable.

Le droit à l'IVG n'est pas menacé dans son existence même, par aucune formation politique. D'autre part, le Conseil constitutionnel l'a en quelque sorte constitutionnalisé (Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie le contestent), en le reconnaissant comme un élément fondamental de la liberté de la femme.

Est-il raisonnable d'importer dans notre pays un débat américain ? De vouloir un référendum sur ce sujet ? Est-il raisonnable de constitutionnaliser à tout-va -  demain peut-être sur la fin de vie ou la PMA ?

La Constitution de la Ve république n'est pas faite pour adresser des messages au monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Stéphane Ravier .  - Je l'ai dit et répété, j'ai même organisé un colloque au Sénat sur le sujet : la constitutionnalisation du droit à l'IVG est inutile et dangereuse.

Inutile, car ce droit n'est pas menacé en France. Pourquoi donc cette obsession de la gauche ? Parce qu'elle souffre d'une frustration politique. (Quelques femmes présentes en tribune se lèvent et scandent : « Protégez l'IVG ! » ; la séance est aussitôt suspendue et ces personnes sont évacuées de la tribune ; la séance est reprise après quelques instants.)

M. le président.  - Mes chers collèges, nous saurons qui a invité ces personnes -  telle est la règle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE)

Je rappelle que, aux termes de l'article 91 du Règlement du Sénat, le public admis en tribune se tient assis, découvert et en silence ; toute personne donnant des marques d'approbation ou d'improbation est exclue sur-le-champ.

M. Stéphane Ravier.  - La loi de 1975 a été proposée par un ministre de droite, soutenue par une majorité de droite. La gauche ne l'a toujours pas digéré : elle enrage d'avoir été dépossédée de ce qui lui revenait idéologiquement de droit. Elle a donc saisi une actualité tronquée venue d'outre-Atlantique pour tenter un hold-up politique.

Chers collègues de droite, je vous mets en garde : nous sommes face à une gauche minée par son fanatisme. Elle exigera toujours plus : après l'IVG, ce sera la constitutionnalisation de l'euthanasie. Si vous posez un genou à terre, vous devrez poser l'autre, puis ramper à plat ventre. Ces fanatiques n'en ont jamais assez.

J'en appelle à votre courage : restez debout, fiers de votre vote ! Ne lâchez rien !

M. le président.  - Votre temps de parole est épuisé. (L'orateur poursuit quelques instants, mais sa voix se perd dans le brouhaha et les protestations.)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Oublions cet incident, dont les protagonistes desservent leur propre cause.

La majorité des membres de notre groupe ne voteront pas ce texte.

Notre Constitution est notre socle, un élément de stabilité contre les événements difficiles. N'en faisons pas un recueil de dispositions sociétales.

Alors que la société française est déjà assez troublée, diffuser l'idée d'un référendum sur ce thème, c'est être bien joueur...

Enfin, les décisions de la Cour suprême américaine ne nous concernent pas. Si demain, notre système parlementaire est renversé et que le Conseil constitutionnel est amené à revenir sur sa jurisprudence, c'est que nous serons vraiment dans une situation difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.)

Mme Françoise Gatel .  - Quelle est la capacité de notre pays à faire respecter ce droit qu'une femme centriste a fait reconnaître ? Le sujet est éminemment important.

Nous sommes dans un lieu de raison et de liberté. Je soutiens l'analyse rigoureuse et factuelle de notre rapporteur.

Comment ose-t-on sous-entendre qu'il y aurait le camp des bien-pensants et celui des conservateurs, voire des mécréants ? (Mme Jacqueline Eustache-Brinio applaudit ; murmures désapprobateurs à gauche)

Il faut que chacun puisse s'exprimer. Dans le cadre d'un espace réservé, à chacun de choisir ses sujets et le temps qui leur est consacré. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par M. Bas.

Rédiger ainsi cet article :

Après le dix-septième alinéa de l'article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

M. Philippe Bas.  - Je propose d'effacer totalement la rédaction de l'Assemblée nationale pour prévoir que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ».

Cette formulation préserve l'équilibre de la loi Veil, à laquelle je me félicite que nous soyons tous attachés. Ce sujet reste donc législatif, mais, en cas de changement de jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse resterait préservée.

Certes, je sais que cela ne change pas la liberté réelle. Mais pourquoi se priver de l'avantage d'inscrire dans la Constitution la reconnaissance de cette liberté, à laquelle nous tenons tous ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - La commission des lois est défavorable à cet amendement contraire à la position adoptée par le Sénat en octobre dernier. Restons cohérents. La loi Veil garantit l'avortement en France : il n'y a pas lieu de constitutionnaliser ce droit alors qu'il n'y a aucune remise en cause de l'IVG.

Si cela ne change rien à l'existant, à quoi sert cet amendement ?

Le Sénat s'est toujours opposé à un droit strictement expressif. Cet amendement n'ajoute rien au droit positif. L'article 34 prévoit déjà que la loi garantit l'exercice des libertés publiques.

Il est important que la Constitution de 1958 ne soit pas un catalogue de droits et libertés, car ce serait sans fin - liberté du mariage, d'entreprendre... Simone Veil elle-même avait indiqué qu'on ne constitutionnalise pas pour le symbole, mais pour ajouter un droit nouveau.

S'il est vraiment nécessaire de constitutionnaliser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il manque une partie du raisonnement : l'amendement ne fait pas référence à la conciliation nécessaire avec le principe de dignité de la personne humaine.

Enfin, le recours à un référendum ne serait absolument pas responsable. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Bas, contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, je n'ai pas mes mains dans mes poches - ni ma langue, d'ailleurs.

Le Gouvernement a annoncé qu'il soutiendrait les initiatives parlementaires.

M. Loïc Hervé.  - Jusqu'au référendum ? Il y a une Constitution, en France !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Il y a aussi une navette. Cet amendement fait un pas vers le compromis. Dès lors, sagesse. (M. Loïc Hervé s'exclame.)

M. Max Brisson.  - Quelle hypocrisie !

Mme Laurence Rossignol.  - Le groupe SER, comme tous les groupes ayant voté la proposition de loi de Mme Vogel, votera l'amendement de M. Bas.

À tous ceux qui disent que la Constitution n'est pas un catalogue, je rappelle que le droit à l'IVG n'est pas n'importe quelle liberté. C'est la première liberté systématiquement remise en cause par tous les gouvernements illibéraux. Cela ne pourrait arriver en France ? Vous êtes bien optimistes. Écoutez la forme et le fond de l'intervention de M. Ravier. Celui-ci représente un courant politique en mesure, un jour, de gouverner le pays.

Voter cet amendement, c'est envoyer un signal aux 81 % de Français qui veulent cette constitutionnalisation. Ce vote montrera qui sont les adversaires de l'IVG. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Protégeons la liberté des femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Laurence Cohen.  - Il est troublant de voir que, dès qu'il s'agit d'aborder l'IVG, le débat devient extrêmement passionné.

Plusieurs voix à droite et au centre.  - La faute à qui ?

Mme Laurence Cohen.  - Écoutez nos arguments, au lieu de vociférer.

Je vois dans l'amendement de M. Bas un signe positif : il estime qu'il y a nécessité de constitutionnaliser ce droit. L'amendement ne contient que le mot liberté, auquel je préfère celui de droit ; néanmoins, nous le voterons.

On ne devrait pas mettre n'importe quoi dans la Constitution ? Pour nous, la possibilité pour les femmes de décider d'avoir une grossesse ou non est un droit fondamental.

Des collègues d'autres camps politiques peuvent partager cela. Je vous invite à voter l'amendement de M. Bas. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)

Mme Muriel Jourda.  - Mme Cohen votera cet amendement tout en étant en désaccord avec ses termes... Pour ma part, je ne le voterai pas tout en considérant que sa rédaction apporte une amélioration.

M. Patrick Kanner.  - Allez, un beau geste !

Mme Muriel Jourda.  - Cet amendement dit exactement ce que sont les choses. L'avortement est effectivement une liberté et non un droit. Nous n'allons pas inscrire toutes les libertés dans la Constitution, sauf à la transformer en un code...

J'insiste : il n'y a pas d'un côté les partisans de l'IVG, de l'autre ceux qui s'y opposent On peut parfaitement ne pas voter ce texte et être favorable à cette liberté des femmes.

Soyons sérieux : depuis 1975, les parlementaires qui sont contre l'IVG, ce qui est leur droit, n'ont jamais déposé de texte pour revenir sur la loi Veil. Les sept modifications ont toujours visé à faciliter l'exercice de cette liberté. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Billon.  - Il n'y a pas non plus les spécialistes du droit, opposés à la constitutionnalisation, et les autres. Je remercie Philippe Bas pour cette rédaction de compromis. Il ne s'agit pas d'un symbole, mais de la protection d'un droit fondamental. Je voterai l'amendement, car personne ne peut garantir que le droit à l'IVG n'est pas menacé. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC, SER et CRCE ainsi que du GEST)

M. Stéphane Ravier.  - Monsieur Bas, je suis étonné de votre amendement. Gaulliste, vous voulez horizontaliser la Constitution et en faire un self-service normatif... Ce que vous disiez en 2018 des inutilités constitutionnelles, à propos de la Charte de l'environnement, s'applique également ici. Sénateur attaché aux pouvoirs du Parlement, vous proposez de déposséder les parlementaires au profit du juge constitutionnel. Homme de droite, je crois, vous érigez ce droit en panacée sociétale et entérinez l'opération politique sur l'avortement menée par l'extrême gauche.

Soyez fermes sur vos convictions, chers collègues ! J'espère que vos votes ne suivront pas les vents mauvais venus de la gauche.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - L'article 34 de la Constitution a pour unique vocation de répartir les compétences entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Le Constituant de 1958 a ainsi entendu clarifier les choses.

Cet amendement n'aura pas l'effet juridique souhaité, puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel continuera de s'appliquer. J'y insiste pour que chacun ait conscience des enjeux.

M. Dominique de Legge.  - Nous aurions été contents de savoir ce que compte faire le Gouvernement si l'amendement de M. Bas est adopté - ou si le texte initial est adopté. Au-delà de nous dire que vous soutenez la démarche, comment allez-vous procéder concrètement ?

Malgré tout le respect que j'ai pour Philippe Bas, quel est l'apport de son amendement ? En réalité, il ne change rien, et notre collègue le reconnaît lui-même. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Je suis triste de la nature de nos échanges. Nous devrions parler de la constitutionnalisation de l'IVG, or nous parlons de l'IVG : ce n'est pas le débat ! Je fais partie d'une génération qui doit beaucoup à Simone Veil, et je n'ai de leçons à recevoir de personne. (Mme Muriel Jourda et M. Rémy Pointereau applaudissent.)

M. Loïc Hervé.  - (Protestations sur les travées du groupe SER) Je doute avant de décider et je n'ai aucune certitude. Ce débat me fait cheminer. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que la rédaction constitutionnelle que nous devons choisir doit être pesée au trébuchet. Nous en sommes à quatre rédactions. L'amendement de Philippe Bas ne fait même plus mention de l'IVG. Certains souhaitent tellement une constitutionnalisation qu'ils sont prêts à accepter n'importe quelle rédaction...

On nous dit que c'est une rédaction de compromis, mais entre qui et qui ? Cette quatrième rédaction pose une vraie difficulté. Je voterai contre.

M. Bruno Retailleau.  - L'amendement de M. Bas, s'il est adopté, vaudra adoption de la proposition de loi ; il faut que chacun en soit bien conscient.

Cet amendement est superfétatoire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Pas la peine de se battre, alors !

M. Bruno Retailleau.  - Je ne vois aucune raison de modifier le vote d'octobre dernier. La cohérence est une vertu politique. On nous parle de signal, de symbole. La politique doit être d'abord connectée au réel, sinon les Français se déconnecteront de la politique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

L'amendement n°1 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°119 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 166
Contre 152

L'amendement n°1 rectifié bis est adoptéet l'article unique est ainsi rédigé.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et sur quelques travées du groupe UC ; Mmes Anne Ventalon et Elsa Schalck applaudissent également.)