Personnels enseignants du premier degré dans les îles Wallis et Futuna (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au transfert à l'État des personnels enseignants de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
Discussion générale
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance permettra le transfert des personnels de l'enseignement du premier degré wallisien de la mission catholique vers l'État, comme l'État s'y est engagé.
Depuis 1969, l'État concède sa compétence en matière d'enseignement du premier degré à la mission catholique locale - situation à présent obsolète qui traduisait un équilibre entre l'autorité de l'État, les chefferies coutumières et l'Église catholique.
Ce régime est à réformer. D'abord parce qu'il rend difficile le pilotage de la politique éducative dans l'archipel, alors que le niveau à l'entrée en 6e est très inférieur à la moyenne nationale ; ensuite, parce qu'il distend le lien entre les enseignants et le vice-rectorat. Il est temps que l'État recouvre la plénitude de ses compétences pour accompagner les jeunes de l'archipel vers la réussite.
En 2023, après une grève de deux mois et demi, l'État s'est engagé à assumer la pleine responsabilité du service public de l'enseignement du premier degré à Wallis-et-Futuna, ce qui suppose une loi pour intégrer les 116 enseignants dans le corps des professeurs des écoles, sans concours préalable. Ils pourront choisir de rester affiliés au régime de retraites de la caisse des prestations sociales de Wallis-et-Futuna. Les enseignants intégrés bénéficieront de nouvelles perspectives de carrière. Ils exerceront avec les mêmes droits et obligations que ceux du second degré. Le reclassement tiendra compte de leur expérience.
Un amendement de la rapporteure a prévu l'intégration dans le corps des professeurs des écoles sans condition de diplôme. Cela concerne les enseignants les plus anciens, qui ont commencé leur carrière sans le baccalauréat. Je vous en remercie, madame Corbière Naminzo.
Ce transfert vers l'enseignement public complétera la rémunération des enseignants, avec un nouveau coefficient de majoration, la prime d'attractivité, un équipement informatique et une indemnité de résidence.
Les personnels administratifs et techniques de la direction de l'enseignement catholique intégreront aussi les effectifs du vice-rectorat, sous un statut de contractuels de droit public. Un décret apportera une réponse adaptée. Je mesure les interrogations, mais ces agents exercent des professions différentes : nous ne pouvions les traiter d'un bloc. Dès 2026, le vice-rectorat organisera des recrutements pour permettre à ses agents d'intégrer un corps de la fonction publique.
Le 1er août au plus tard, l'enseignement public reprendra sa juste place à Wallis et Futuna. Ce projet de loi consacre un engagement en faveur de l'égalité entre tous les territoires de la République. J'adresse mes sincères voeux de réussite à tous les élèves. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe Les Républicains)
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, et Les Républicains) Comme souvent pour les territoires d'outre-mer, le Gouvernement opte pour une ordonnance. Le Parlement est dessaisi, le débat tronqué.
Je remercie le président Lafon ainsi que mes collègues de la commission pour l'attention portée à ce texte. Merci aussi à Mikaele Kulimoetoke pour les informations essentielles à la compréhension de son territoire.
M. Max Brisson. - Très bien !
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Dans ce territoire distant de 16 000 km, l'État a concédé en 1969 l'organisation de l'enseignement primaire à la mission catholique. Situation unique en France, l'école primaire y est exclusivement privée et catholique. Les enseignants sont des agents de droit privé ; rémunération et progression salariale sont fixées par la convention qui régit cette concession.
Cette situation a conduit à une succession de grèves depuis 1990. Celle de 2023, très éprouvante, a duré plus de deux mois et demi.
Le système actuel est à bout de souffle et doit évoluer. Ce projet de loi habilite donc le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions pour intégrer ces enseignants dans la fonction publique ; ils pourront opter pour le maintien du régime de retraite de Wallis-et-Futuna.
Les auditions ont montré un consensus fort en faveur de ce retour de l'école de la République dans le giron de l'État. Les enseignants veulent bénéficier des mêmes droits que leurs collègues fonctionnaires et sécuriser leur statut. Le vice-rectorat y voit le moyen de renforcer un pilotage pédagogique inexistant. Les parents d'élèves espèrent une amélioration du système scolaire. Quant à la direction de l'enseignement catholique, elle constate la dégradation des relations avec les enseignants, rendant toute discussion impossible.
La commission de la culture soutient unanimement l'intégration des enseignants de Wallis-et-Futuna dans la fonction publique, et souhaite également celle de l'ensemble des personnels. Elle a précisé le champ de l'habilitation pour viser l'ensemble des enseignants actuellement en poste, y compris les dix qui ne détiennent pas le bac.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Merci, madame la ministre, d'y avoir été sensible.
Les carrières individuelles de tous les enseignants de Wallis-et-Futuna seront marquées par cette date historique du retour dans le giron de l'État. Cette ambition nous réunit.
Le calendrier est contraint car la concession expire dans moins de vingt jours, le 5 juin 2025. C'est pourquoi le texte a été travaillé en amont avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, avec pour objectif un vote conforme des députés.
Si le Parlement délègue son pouvoir législatif, il conserve son pouvoir de contrôle. Nous serons vigilants. L'objectif de la réforme est que l'école de demain soit meilleure que celle d'aujourd'hui. En effet, les résultats des élèves wallisiens en français et en mathématiques sont inférieurs à la moyenne nationale, et la mission commune d'inspection a constaté l'absence de pilotage pédagogique. Il faut également un effort de formation continue envers les enseignants.
Le reclassement entraînera un écrasement de la grille. Quinze enseignants, ayant une ancienneté de plus de dix ans, se retrouveront aux premiers échelons, sans perte de salaire toutefois. Il faudra un suivi de carrière attentif. D'où l'intérêt de créer une circonscription de l'éducation nationale à Wallis-et-Futuna. Selon vos services, les arbitrages sont en cours. Cette évolution serait budgétairement neutre, et normaliserait le système éducatif à Wallis-et-Futuna.
Un mot des personnels non enseignants. À la différence de l'Hexagone, l'État est compétent à Wallis-et-Futuna pour la construction, l'aménagement et l'entretien du bâti scolaire. La fin de la concession entraîne le basculement de 49 agents administratifs, techniques ou surveillants des écoles à l'État. Je regrette que le périmètre du projet de loi ait été limité aux seuls enseignants. Les agents du vice-rectorat seraient les seuls encore soumis au statut de l'arrêté 76, en voie d'extinction. Ils sont 120 : 49 agents non enseignants du premier degré et 72 du second degré. Droits à congé, autorisations d'absence et majoration du traitement sont inférieurs à ceux des contractuels de l'État.
Des agents exerçant des missions semblables sont traités différemment selon qu'ils sont fonctionnaires ou soumis à l'arrêté 76. Gare aux conflits sociaux ! Tous devraient être soumis au droit commun de la fonction publique, avec des adaptations tenant compte des spécificités locales.
Ce texte entraînera des bouleversements historiques à Wallis-et-Futuna. Cela doit se faire dans le respect des personnes et dans la concertation, pour prendre en compte un héritage historique parfois lourd, mais unique. Ce projet de loi est la première marche d'une évolution que la commission suivra avec attention. (Applaudissements)
Mme Lana Tetuanui . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K) Ia ora na !
Aux termes de l'article 72-3 de la Constitution, Wallis-et-Futuna est une collectivité régie par l'article 74, mais avec une organisation institutionnelle particulière, qui date des années 1960 : aucun comparatif possible avec ma collectivité, dotée d'une très large autonomie.
Ce projet de loi, qui vise à transférer à l'État les enseignants du premier degré, fait suite à un mouvement social de deux mois et demi, au printemps 2023. Depuis 1969, l'État exerce la compétence de l'enseignement sur le territoire mais en concède l'exercice pour le premier degré à la mission catholique, par une convention renouvelable tous les cinq ans. Il recrute les maîtres employés par la direction de l'enseignement catholique via un concours organisé par le vice-rectorat. Ils sont nommés par l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna, sur proposition du vice-recteur, après avis du directeur de l'enseignement catholique et de la commission consultative mixte territoriale.
Au cours du mouvement social de 2023, les enseignants du premier degré et le personnel non enseignant - j'insiste ! - ont demandé avec insistance leur intégration à l'État. C'est plus que légitime.
Les grèves récurrentes depuis les années 1990 ont fortement dégradé les relations avec la direction de l'enseignement catholique. Un consensus s'est dégagé pour mettre fin à ce système de concession, source de nombreuses contestations, l'État ayant l'obligation constitutionnelle d'organiser un enseignement public, gratuit et laïc.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
Mme Lana Tetuanui. - La situation actuelle est perçue par les enseignants comme un héritage colonial. Ils doivent bénéficier des mêmes droits que l'ensemble des enseignants. Beau symbole que de faire des enseignants de Wallis-et-Futuna des fonctionnaires d'État !
J'espère que ce changement de statut mettra fin aux mouvements sociaux récurrents - dont pâtit la qualité de l'enseignement - ; les résultats aux évaluations nationales le montrent.
Cependant, les personnels non enseignants, dont l'effectif reste raisonnable, sont oubliés. Ils mériteraient leur intégration au même titre que les enseignants. Néanmoins le groupe UC votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC ; Les Républicains, CRCE-K, du RDPI et du groupe SER)
M. Robert Wienie Xowie . - (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et Les Républicains) Ce projet de loi fait entrer en vigueur la réforme sur laquelle l'État s'est engagé dans l'accord de fin de conflit du 20 juillet 2023.
Elle assurera l'égalité de traitement des enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna avec leurs homologues d'outre-mer, et créera des conditions plus favorables à la réussite des élèves.
L'État aura pleinement compétence sur l'enseignement du premier degré, qu'il avait délégué depuis 1969 à la mission catholique.
Le pays de Wallis et Futuna conserve une forme particulière de laïcité à l'océanienne, qui respecte les réalités culturelles locales. Si l'imposition historique du catholicisme peut être vue comme une colonisation religieuse, le système éducatif l'a intégré pour répondre aux réalités locales, d'où des tensions entre valeurs républicaines et croyances traditionnelles. Nous pensons que le système scolaire doit être adapté à l'omniprésence du catholicisme localement. Intégrer les valeurs locales dans l'éducation garantit une harmonie entre l'enseignement républicain et les croyances locales. L'école doit rester le lieu de la transmission et du développement de l'esprit critique.
L'intégration statutaire permettra une revalorisation substantielle de la rémunération des enseignants. Selon la mission d'inspection, le gain mensuel pourrait être compris entre 988 euros et 1 773 euros. Nous sommes favorables à une intégration sur la base du salaire et non de l'indice, comme le préconisent les inspecteurs.
Quid du personnel non enseignant de la direction de l'enseignement catholique, rémunéré au titre du forfait État ? Nous devons entendre l'intégralité des doléances. Je soutiens à ce titre l'amendement du sénateur de Wallis-et-Futuna, déclaré irrecevable.
Une fois de plus, lorsqu'il s'agit d'éducation outre-mer, on demande au Parlement de se dessaisir. Ce manque de considération alimente le sentiment d'injustice et de marginalisation dans les territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du RDPI)
Mme Monique de Marco . - Je remercie notre rapporteur de son travail et je salue notre collègue Kulimoetoke, qui avait soulevé le problème en mars 2025, lors d'une question d'actualité au Gouvernement. Il nous a éclairés sur la situation en vigueur à Wallis-et-Futuna, où l'école est exclusivement privée et catholique.
La gestion par concession à la mission catholique pose la question de la laïcité - mais surtout, de statut et de conditions d'emploi. Au fil des décennies, les enseignants fonctionnaires ont conquis des droits sociaux - dont ne bénéficient pas leurs collègues de Wallis-et-Futuna.
Leur transfert à l'État met fin à une discrimination systémique héritée de notre passé colonial. C'est ce que souligne le syndicat FO Enseignants de Wallis-et-Futuna : « Comment, en 2023, justifier le maintien d'un tel imbroglio pernicieux hérité des mentalités postcoloniales, en total décalage avec les principes républicains ? » L'intégration de ces personnels est un droit mais aussi une nécessité pour garantir un service public d'enseignement à la hauteur des enjeux.
On ne peut que regretter le recours à l'ordonnance, qui prive le Parlement de la possibilité de garantir dans le détail une égalité réelle pour les élèves et les enseignants de Wallis-et-Futuna. Mercredi, le Premier ministre a affirmé à l'Assemblée nationale que « la circulaire n'est pas le bon instrument, car le ministre peut dire qu'il a fait une circulaire. Il faut changer de méthode ». Dont acte. Nous serons vigilants au moment de la ratification.
Ces travaux nous rappellent l'impensé colonial derrière notre politique éducative outre-mer, qui alimente la colère contre l'État. Face à la surreprésentation de personnels venus de l'Hexagone, qui touchent d'importantes primes d'éloignement, quelle politique de recrutement local ? Le service militaire adapté (SMA) est souvent la meilleure option, faute d'offre d'enseignement supérieur. On prive les jeunes d'un avenir.
Nous attendons des actes, madame la ministre. Le GEST votera toutefois ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST, ainsi que sur quelques travées du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Colombe Brossel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette mesure, attendue de longue date, normalise une situation atypique qui trouve ses racines dans l'histoire. C'est un premier jalon pour améliorer la scolarité des élèves. Nous enjoignons le Gouvernement à dégager des moyens pour améliorer les conditions d'apprentissage, au vu des écarts de niveau constatés avec la métropole.
Je regrette que, comme souvent, les sujets ultramarins fassent l'objet d'ordonnances. J'aurais pu m'arrêter là. Mais grâce à la qualité des auditions et du travail de notre rapporteure, et à Mikaele Kulimoetoke, il est apparu que le sujet est complexe, et que de nombreux problèmes resteront en suspens. Certains pourront être réglés par les ordonnances ou les décrets d'application.
Ce projet de loi est l'aboutissement du protocole de sortie de crise signé à la suite de la longue grève de 2023. Les droits ont été chèrement conquis à Wallis-et-Futuna ! L'État doit aussi prendre ses responsabilités vis-à-vis des personnels non enseignants, afin de ne pas recréer de sous-catégorie. Sans cela, l'ordonnance ne suffira pas à apaiser les tensions. Madame la ministre, vos propos à la tribune sont importants. Nous devrons être vigilants sur cette question.
Autre sujet : les conséquences individuelles et collectives et l'intégration. Les droits doivent être les mêmes pour tous ; or il y a des difficultés, tant sur les indices que sur les primes. Les personnels sur place revendiquent l'application du coefficient 2,05 : il y va de l'égalité de traitement. Mikaele Kulimoetoke rappelait qu'à Wallis-et-Futuna, le congé maternité n'existe pour les enseignants que depuis 1987 !
Ce texte ne répond pas à tout, et il faudra l'assortir de mesures d'ordre réglementaire. Nous demandons un pilotage de proximité par l'éducation nationale, avec la création d'une circonscription scolaire, une gestion équivalente des carrières, des entretiens réguliers.
Le Gouvernement doit aller au bout de la démarche et assumer ses responsabilités. Tout en respectant les particularismes et l'histoire de Wallis-et-Futuna, l'école publique doit y être, comme partout, laïque gratuite et obligatoire. L'État doit donner des moyens, sans compter sur la bonne volonté des parents - pour les bâtiments notamment.
Nous serons vigilants sur le contenu des ordonnances et sur les mesures infralégislatives qui accompagneront cette évolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, Les Républicains et du GEST)
Mme Laure Darcos . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI) Cette réforme est attendue depuis longtemps. Je salue le travail de la rapporteure et l'implication de notre collège Kulimoetoke, mobilisé depuis bien longtemps sur ce sujet. (M. Jean-Baptiste Lemoyne le confirme.)
La loi du 18 juillet 1961 a doté les îles de Wallis et Futuna d'une organisation institutionnelle toute particulière, subtil équilibre entre les trois grandes composantes de l'identité de ce territoire : la République, les chefferies coutumières et l'Église catholique.
Son article 7 dispose que l'État concède l'exercice de la compétence de l'enseignement du premier degré à la mission catholique par le biais d'une convention renouvelable tous les cinq ans.
Or au printemps 2023, lors d'un vaste mouvement de grève, les enseignants du premier degré demandent à être intégrés à la fonction publique de l'État. Cette revendication remonte en réalité au début des années 1980. Le différentiel de rémunération entre maîtres d'école et professeurs du secondaire a accru la contestation : la majoration de traitement est respectivement de 1,7 et de 2,05.
La nécessité d'offrir aux enseignants du premier degré un nouveau statut fait désormais consensus. L'État s'y est engagé dans le protocole d'accord de fin de conflit signé en juillet 2023. D'où ce projet de loi d'habilitation.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte, tout en regrettant qu'une telle réforme se fasse dans l'urgence, à quelques semaines de la fin du contrat de concession.
Les enjeux sont immenses. Les évaluations à l'entrée en 6e ont montré des écarts importants avec la métropole et avec les autres territoires d'outre-mer : 40 % des élèves de Wallis-et-Futuna n'ont pas un niveau de maîtrise satisfaisant en français, 65 % en mathématiques, contre respectivement 11 % et 28 % à l'échelle nationale.
Nos concitoyens de Wallis-et-Futuna font partie intégrante de la République. Nous leur devons d'être mobilisés, dans le respect de leurs spécificités, au service de la communauté éducative de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur les travées sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE-K, du RDSE et du RDPI)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie la rapporteure, qui a abouti à une rédaction équilibrée, consensuelle et respectueuse des spécificités de Wallis-et-Futuna. Le système de concession à la mission catholique est en effet à bout de souffle. Les enseignants concernés, agents de droit privé, ne sont pas éligibles au régime de rémunération des fonctionnaires de l'État en service dans les outre-mer. L'État ne respecte pas l'obligation constitutionnelle d'organiser un enseignement primaire public, gratuit et laïc.
La concession s'achève en juin 2025, un nouveau statut s'impose pour garantir la continuité du service public de l'éducation à la rentrée.
L'urgence est là et ce texte est indispensable. Nous regrettons la procrastination des gouvernements successifs, pourtant conscients de l'échéance. Nous regrettons aussi le recours aux ordonnances et la mise à l'écart du Parlement. Mais il est nécessaire de répondre à l'urgence.
Ce texte prend en considération l'héritage de l'histoire. Un consensus existe aujourd'hui. Les enseignants souhaitent la fin d'une injustice et la sécurisation de leur statut. Le vice-rectorat veut reprendre la main pour mieux piloter l'enseignement primaire, au bénéfice des élèves. La mission catholique prend acte de la difficulté à discuter avec les enseignants. Les parents souhaitent une amélioration de l'enseignement et la fin des conflits sociaux.
Mais il faudra faire preuve de doigté ; la mise en oeuvre devra être progressive, pragmatique et respectueuse de tous.
Parmi les points de vigilance : ce transfert doit concerner l'ensemble des enseignants, dont les dix non-bacheliers ; ils doivent être reclassés en fonction de leur salaire actuel et non de leur indice, au risque de créer une distorsion avec les autres territoires du Pacifique. Si l'objectif de laïcité est partagé, son pilotage doit être assuré en proximité, pour tenir compte du particularisme de Wallis-et-Futuna et de son histoire singulière. Enfin, il faudra régler la question des personnels non enseignants, qui ne peuvent être laissés sur la touche.
Madame la ministre, vous êtes consciente des enjeux. Ce texte devra être déployé rapidement, mais dans le respect de l'histoire et des particularités. Ce sera la responsabilité du préfet et du vice-recteur. Nous sommes heureux de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Mikaele Kulimoetoke . - (Applaudissements) Je remercie chaleureusement Mme Corbière Naminzo et les collègues de la commission de la culture pour leur écoute et leur intérêt.
Notre collectivité de Wallis-et-Futuna ne ressemble à aucune autre, à commencer par l'existence de nos royautés au sein de la République.
Après la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, à mon tour de demander à l'État d'assumer ses responsabilités concernant l'enseignement primaire à Wallis-et-Futuna, comme le prévoient le code de l'éducation nationale et notre loi statutaire de 1961.
Notre assemblée territoriale se borne à voter des délibérations que le préfet rend exécutoires.
M. Pierre Ouzoulias. - Il faut changer cela !
M. Mikaele Kulimoetoke. - Nous sommes classés comme pays du tiers-monde, éligible à l'aide publique au développement, et n'avons pas les mêmes droits que l'ensemble des Français.
Les premiers enseignements ont été dispensés par les missionnaires catholiques arrivés en 1837. Puis c'est avec l'aide de la population que les écoles ont été construites, sur le foncier cédé gracieusement par les chefferies coutumières.
La concession de l'enseignement primaire n'est pas prévue par le code de l'éducation, et le juge a confirmé que la direction de l'enseignement catholique n'avait aucune personnalité juridique.
Il aura fallu attendre le 7 juin 2023 pour que le ministre de l'éducation nationale reconnaisse devant le Sénat, à ma demande, que les personnels du premier degré pouvaient accéder au statut d'agent public. Pendant 62 ans, ils étaient des agents de droit privé, régis par le code du travail de 1952 du temps des colonies.
Ne pas respecter les accords conclus autour de la table des négociations est une atteinte à l'honneur de nos autorités coutumières qui, par leur présence, ont scellé la parole donnée.
D'où mon amendement élargissant le périmètre du texte aux personnels non enseignants - déclaré irrecevable. Madame la ministre, vous avez proposé de leur attribuer le statut d'agent contractuel de l'État, sous le régime de l'arrêté 76. C'est une aberration : l'arrêté 76 régit les agents permanents du territoire sous statut de droit privé ! Évitons une rupture d'égalité entre personnels enseignants et non enseignants.
Le préavis de grève de Force ouvrière déposé le 1er avril dernier a été suspendu dans l'attente de nos travaux.
Madame la ministre, il faut intégrer les agents qui ont un corps d'attache existant dans la fonction publique, et créer des corps spécifiques à Wallis-et-Futuna pour les autres. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles !
Je garde la foi que l'État tiendra parole et s'engagera sur un calendrier. Le RDPI votera le projet de loi. (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Jean-Marc Ruel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Wallis et Futuna ont intégré la République en 1969. Depuis 1961, l'État dispose de la compétence éducative, même si la mission catholique l'exerce via des conventions quinquennales.
En mai 2023, les écoles des deux îles ont été paralysées pendant deux mois et demi par une grève des enseignants. Le protocole de sortie de crise a été signé le 20 juillet 2023 entre l'État, les autorités territoriales, les représentants syndicaux et la mission catholique. Une mission d'inspection a recommandé l'intégration des enseignants dans le corps des professeurs des écoles et préconisé de leur offrir le choix entre le régime de retraite local et celui de leur corps d'accueil.
L'article premier de la Constitution est clair : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Or l'organisation très spécifique à Wallis-et-Futuna questionne la laïcité, qui est l'un des principes centraux de la République. En plus de la maîtrise des langues vernaculaires, les enseignants réclament la conservation de l'enseignement catholique dans les écoles du premier degré. Vous connaissez l'attachement du RDSE et des radicaux à la loi du 9 décembre 1905. J'ai bien conscience de l'importance de la religion catholique à Wallis et Futuna, mais nous sommes invités ici à mettre entre parenthèses une valeur centrale de notre pays.
Le RDSE votera néanmoins le texte. Nous resterons vigilants sur le contenu du projet de loi de ratification et des mesures qui y seront inscrites. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Georges Naturel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Malgré sa brièveté, ce texte revêt une grande portée humaine, historique et symbolique.
Je remercie la rapporteure pour son engagement éclairé et son écoute attentive. (M. Pierre Ouzoulias le confirme.) Je salue nos collègues de la commission de la culture, qui ont su tenir compte des réalités singulières du Pacifique, souvent éloignées du regard parisien, mais jamais de l'esprit républicain.
Ce texte marque une étape importante pour les enseignants de Wallis-et-Futuna. Il consacre un changement de statut attendu, légitime, et désormais consensuel.
La concession à la mission catholique a structuré pendant un demi-siècle l'enseignement primaire dans les îles - un système aujourd'hui obsolète. Mais ce changement ne saurait effacer l'histoire.
Avant la République, ce sont les missionnaires qui ont ouvert écoles et dispensaires, formé, soigné, évangélisé et tissé les premiers liens entre les savoirs venus d'ailleurs et les cultures locales. Cette mémoire vit dans les murs des écoles, les chants des enfants, les récits des familles. Il faut la respecter, sans imposer au forceps une laïcité importée au relent néocolonial.
M. Pierre Ouzoulias. - Là, je ne peux pas vous suivre !
M. Georges Naturel. - La République s'est enracinée dans un terreau déjà ancien, elle ne demande pas aux rois de Wallis de renier leur couronne : pourquoi demanderait-elle à des enseignants d'oublier ce qu'ils sont, d'où ils viennent, ce qu'ils portent ?
L'intégration dans la fonction publique d'État n'est pas qu'un simple changement administratif, mais l'occasion de reconnaître leur engagement, leur insularité et leur culture.
Sénateur de Nouvelle-Calédonie, je mesure ces enjeux, car nombreux sont les enfants de ces îles qui vivent avec nous et qui contribuent à la richesse de notre identité océanienne. Je leur témoigne mon soutien, au nom de la solidarité du Pacifique.
Je voterai ce texte, qui rétablit une égalité de traitement et met fin à une ambiguïté juridique.
Je forme le voeu que les ordonnances ne soient pas rédigées depuis une tour d'ivoire ministérielle, dans un entre-soi métropolitain méconnaissant les lagons, les palabres et les chefs coutumiers. Il faut une concertation avec tous, car on ne gouverne pas Wallis-et-Futuna comme on administre un département de l'Hexagone.
Le dialogue est la clé : que ce projet de loi d'habilitation soit l'occasion d'un nouveau départ ! (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE-K)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°1 de M. Ouzoulias et alii.
M. Pierre Ouzoulias. - Certes, la loi de 1905 ne s'applique pas à Wallis-et-Futuna, mais pas non plus en Guyane ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, cher Jean-Marc Ruel.
Elle aurait dû s'appliquer à l'ensemble des territoires de la République. Mais, en 1905, l'exécutif a décidé de déroger à ce principe fondamental, car la laïcité était alors réservée pour les esprits très éclairés de la métropole... C'est dans ce contexte qu'une délégation de service public sui generis a été accordée à l'Église catholique en 1969. Aujourd'hui, cette exception prend fin : ce n'est que justice pour les enseignants et pour le territoire, qui souhaite rester au sein de la République.
Madame la ministre, j'ai déposé cet amendement pour avoir la certitude que l'ordonnance qui nous sera proposée dans moins de six mois sera conforme à la loi de 1905 et ne créera pas un nouveau régime dérogatoire.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Cet amendement rappelle un des grands principes de la République, auxquels je suis attachée. En d'autres circonstances, j'aurais pu le cosigner.
Toutefois, en intégrant le corps des professeurs des écoles, les maîtres d'école de Wallis-et-Futuna seront soumis aux mêmes droits et obligations que tous les fonctionnaires, notamment en matière de laïcité.
Cet amendement est donc satisfait : avis défavorable.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Les personnels non enseignants seront dans l'immédiat intégrés en tant que contractuels de droit public. Cela dit, nous sommes tous d'accord : un décret doit être pris en application de l'ordonnance de 2013. Je m'engage à ce que celui-ci soit publié rapidement.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. - Sur la laïcité, l'État retrouvera ses compétences pleines et entières. L'amendement est donc satisfait : retrait, sinon avis défavorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Je ne suis pas forcément contre les spécificités locales. À Wallis-et-Futuna, 99 % des terres appartiennent à la communauté. Le communiste que je suis ne peut que regarder ces expériences avec bienveillance ; celles-ci mériteraient d'être développées en métropole. (Sourires)
Madame la ministre, je connais votre engagement en faveur de la laïcité. Je vous fais totalement confiance et retire donc mon amendement.
L'amendement n°1 est retiré.
L'article 1er est adopté.
L'article 2 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Mikaele Kulimoetoke . - Je remercie l'ensemble des sénateurs des différents groupes qui ont soutenu ce texte, ainsi que Mme la ministre, qui a entendu les doléances des enseignants.
Cela dit, je souhaite que le décret relatif aux personnels non enseignants soit publié rapidement. Celui-ci devra leur accorder les mêmes droits que ceux auxquels peuvent prétendre les agents publics à Wallis-et-Futuna. Enfin, des concours doivent être organisés pour permettre à ces personnes d'intégrer la fonction publique d'État. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Pierre Ouzoulias . - Je salue le travail de la rapporteure. Nous avons fait oeuvre de justice pour ces professeurs au statut précaire, notamment pour les dix oubliés, désormais réintégrés. Dorénavant, il y aura un service public de plein exercice à Wallis-et-Futuna.
Monsieur Naturel, la laïcité n'est pas la manifestation d'un néocolonialisme attardé. Au contraire, nous faisons accéder à la laïcité universelle nos frères et soeurs en humanité de Wallis-et-Futuna. C'est un projet politique d'une très grande portée. La laïcité ne s'oppose pas à la religion ; au contraire, elle permet de s'ouvrir au monde.
Les statuts de nombreux territoires de l'océan Pacifique ont évolué ; pas celui de Wallis-et-Futuna, toujours sous l'empire de la loi de 1961, obsolète. C'est aux habitants d'en décider, mais il serait peut-être temps de réfléchir à un nouveau statut, à une nouvelle forme d'alliance entre Wallis-et-Futuna et la République. (MM. François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.)
M. Max Brisson . - Je remercie la rapporteure pour son travail. Je suis heureux de voir un consensus se dégager sur ce texte important pour les habitants de Wallis-et-Futuna.
C'est un message pour les enseignants qui se sont battus ; certains de leurs représentants sont présents en tribune. Je les remercie pour leur combat en vue d'obtenir de meilleures conditions de travail.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Max Brisson. - Reste à régler la question des personnels non enseignants. Entre la commission et la séance, les choses ont déjà évolué. Madame la ministre, il vous appartient d'achever ce mouvement pour apporter des réponses et des garanties. Les représentants de Wallis-et-Futuna pourront ainsi rentrer avec le sentiment du devoir accompli. (Applaudissements)
Mme Lana Tetuanui . - Je me réjouis également du consensus trouvé. Je remercie nos collègues hexagonaux d'être présents cet après-midi pour voter ce texte, après celui sur la Polynésie française la semaine dernière et avant celui sur Mayotte, ce soir. Les outre-mer, c'est la France !
Beaucoup de choses ont évolué depuis l'examen du texte en commission. Avec Mikaele Kulimoetoke, nous veillerons au grain ! Il faudra que l'État respecte ses engagements.
Monsieur Ouzoulias, mon ami, je vous invite à venir dans nos territoires. La laïcité occupe une place prépondérante dans nos écoles, nos conseils municipaux, nos assemblées territoriales. Mais il y aura toujours quelqu'un pour faire quinze minutes de catéchisme aux élèves avant les cours si ce ne sont pas les enseignants qui s'en chargent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
M. François Patriat . - Je salue la haute tenue de nos débats. Je remercie Mikaele Kulimoetoke pour son travail, qui a permis d'avancer. Madame la ministre, merci pour votre réponse positive au sujet des personnels non enseignants. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie la rapporteure, qui a conduit le travail préalable avec beaucoup de doigté. Sans vouloir provoquer M. Ouzoulias, je veux saluer ce baptême réussi, car c'était son premier rapport au nom de la commission. (Applaudissements)
Je remercie Mikaele Kulimoetoke pour ses explications, ainsi que pour son attention constante aux personnels non enseignants. À l'origine, on pouvait penser que ce texte était anodin ; nos débats montrent que c'est loin d'être le cas.
Ce projet de loi est une vraie avancée pour l'éducation à Wallis-et-Futuna. (Applaudissements)
Le projet de loi est adopté.
(Applaudissements ; M. Mikaele Kulimoetoke se lève et salue les représentants des enseignants en tribune.)