SÉANCE
du mercredi 18 juin 2025
104e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Guy Benarroche, M. François Bonhomme.
La séance est ouverte à 14 heures.
Allocution de M. Ruslan Stefantchuk, Président de la Verkhovna Rada, Parlement de l'Ukraine
M. Gérard Larcher, président du Sénat . - Monsieur le président de la Rada suprême d'Ukraine, monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères en charge de la francophonie et des partenariats internationaux, monsieur l'ambassadeur d'Ukraine en France, mes chers collègues, juin 1940, mémoire douloureuse pour les Français : la France envahie et en partie occupée. Sur les routes, c'est l'exode. La supériorité de l'armée allemande est sans appel. Si l'on compare les forces en présence, la guerre est perdue.
Et pourtant, en ce 18 juin 1940, la voix du général de Gaulle retentit depuis Londres. Elle demande aux Français de poursuivre le combat. Elle insuffle l'esprit de résistance. Elle refuse un armistice qui dissimule une capitulation et annonce de nouvelles conquêtes.
S'il faut se garder de lire le présent à l'aune du passé, l'appel du 18 juin 1940 résonne singulièrement dans le contexte de l'agression de l'Ukraine par la Russie.
Hier comme aujourd'hui, les conquêtes territoriales, l'occupation, les exactions et des crimes qui ne devront pas rester impunis ! Mais en face, une volonté ukrainienne de résister et de refuser les conditions d'une paix au coût exorbitant, qui signerait la disparition d'une Ukraine indépendante et libre.
Du sommet de l'État au simple citoyen, l'Ukraine résiste.
Je propose que nous nous levions pour rendre hommage, par nos applaudissements, au courage et à la détermination du peuple ukrainien. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le président de la Rada, se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés ; M. le président de la Rada remercie.)
Le général de Gaulle, dans son appel du 18 juin, l'a répété : « La France n'est pas seule. » Aujourd'hui, l'Ukraine n'est pas seule, monsieur le président de la Rada. Et, à vos côtés, notre responsabilité est grande.
Face à des autorités russes qui font le pari de la force, de la résignation ou de la lassitude, nous vous démontrons que notre détermination à vous aider n'est en rien entamée.
Continuer à vous fournir des armes, en particulier des missiles et des moyens de défense aériens, et aider votre industrie d'armement, qui accomplit des prouesses d'innovation : le chemin est tracé. Ce n'est pas choisir l'escalade militaire, c'est donner une possibilité d'en finir plus vite avec le fracas des armes.
De toute évidence, hésiter serait prolonger la guerre et éloigner la paix. Notre devoir est de soutenir l'Ukraine par conviction et par principe.
L'Ukraine continue de vivre en démocratie en temps de guerre, et le travail législatif de la Rada en est l'illustration éclatante. Ceux d'entre nous qui se sont rendus à Kiev savent dans quelles conditions travaillent nos collègues ukrainiens : des sessions maintenues secrètes, des sacs de sable pour protéger le Parlement, des fenêtres partout obstruées. Imaginons de telles conditions ici et nous en éprouverons tout l'effroi.
Alors que nous célébrons cette année le 150e anniversaire du Sénat de la République française, vous offrez, monsieur le président de la Rada, un bel exemple de la vitalité du parlementarisme et de la force des démocraties, face à des régimes autoritaires qui ne reculent devant rien, ni la terreur ni l'enlèvement des enfants.
Mais si nous imaginons qu'agir en vertu de nos principes serait faire preuve d'idéalisme et que l'idéalisme n'a pas sa place dans le choix des États, alors soyons collectivement convaincus au moins d'agir par intérêt ! L'Ukraine est notre rempart. Elle se bat pour notre sécurité et notre liberté. Il n'est pas d'empires qui aient mis un frein à leur appétit de conquêtes. Peut-on rassasier le Léviathan ?
La sécurité de l'Europe, aujourd'hui et non seulement demain, est intrinsèquement liée à la victoire de l'Ukraine.
Monsieur le président de la Rada, l'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule parce qu'elle est accompagnée par la France, le Royaume-Uni et les États de l'Union européenne et, nous en formons l'espoir encore, par les États-Unis d'Amérique.
Ce 4 juin, j'étais à Varsovie, avec la présidente du Bundesrat et la présidente du Sénat polonais. Vous étiez avec nous, monsieur le président, par visioconférence.
Nous sommes convenus d'adresser la déclaration que nous avons adoptée aux sénateurs américains, républicains et démocrates, qui se sont prononcés pour un renforcement des sanctions américaines à l'encontre de la Russie. N'en déplaise aux Cassandre, plus les sanctions sont coordonnées, plus elles sont efficaces. Nous avons, mes chers collègues, un rôle de persuasion à accomplir auprès des sénateurs américains pour préserver, autant que faire se peut, l'engagement des États-Unis en Ukraine.
L'Ukraine n'est pas seule. Elle n'est pas seule parce qu'elle est accompagnée par les États membres de l'Union européenne, et que les portes de l'Union européenne lui sont ouvertes. Voilà aussi une garantie de sécurité pour l'Ukraine de demain !
Le chemin de l'adhésion sera nécessairement progressif. Au nom de cette progressivité, nous invitons instamment le dernier État membre récalcitrant à vaincre ses réticences ; nous lui demandons d'accepter l'ouverture du premier bloc des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne.
La Russie a fait le choix de tourner le dos à son horizon européen. La laisserons-nous dicter par oukase quels États doivent rejoindre ou non l'Union européenne ? « L'Europe de l'Atlantique à l'Oural » s'est rapprochée de nous. Elle s'interrompt désormais aux frontières internationalement reconnues de l'Ukraine !
Mes chers collègues, dans le message du 18 juin, qui fut ensuite placardé sur un certain nombre de murs de villes et de villages, le général de Gaulle écrivait : « La France a perdu une bataille, mais elle n'a pas perdu la guerre. » Les Ukrainiens ont gagné des batailles, ils en ont aussi perdu. Nous sommes avec eux. La guerre reste à gagner pour que demain s'établisse une paix durable.
À travers vous, monsieur le président de la Rada, je voudrais dire au peuple ukrainien, aujourd'hui en deuil après les terribles attaques qu'il a vécues, que nous partageons ses souffrances et son deuil. Nous vous accueillons avec espérance et dans la solidarité avec le peuple ukrainien. Oui, c'est dans le souffle d'espérance que porte l'appel du 18 juin que nous vous accueillons, parce que, aujourd'hui, ce sont les Ukrainiens et l'Ukraine qui l'incarnent le mieux.
Vive l'Ukraine, vive la République et vive la France ! (Vifs applaudissements)
M. Ruslan Stefantchuk, président de la Verkhovna Rada de l'Ukraine . - (Applaudissements) Monsieur le président du Sénat, cher Gérard, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je suis particulièrement honoré de m'adresser à vous aujourd'hui, dans le berceau de la démocratie française, là où bat le coeur institutionnel de la République.
Permettez-moi de vous féliciter sincèrement à l'occasion du 150e anniversaire du Sénat de la République.
L'histoire de votre glorieuse institution fait non seulement partie intégrante de l'histoire de France, mais elle est aussi l'un des fondements puissants de la démocratie française et des principes républicains inviolables. On sent ici, dans ces murs, la continuité politique, préservée par de nombreuses générations de Français, qui incarne la sagesse, la cohérence et la dignité nationale de la France.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous. J'y vois la manifestation d'un respect profond et sincère pour le peuple ukrainien.
J'ai le privilège d'être ici pour la deuxième fois. J'ai pris la parole pour la première fois devant le Sénat de la République française au tout début du mois de février 2023. À l'époque, l'Ukraine traversait l'un des hivers les plus difficiles de son histoire moderne.
Ici même, je vous ai demandé d'entendre la voix du peuple ukrainien qui se levait pour défendre sa terre et qui avait besoin d'aide. Et vous l'avez entendue, dès le premier jour de cette guerre insensée et cruelle que la Russie a engagée contre l'Ukraine, contre mon peuple. Vous avez entendu cette voix, à des milliers de kilomètres. Vous l'avez comprise, même sans connaître notre langue. Et vous êtes venus à la rescousse.
Aujourd'hui, la France joue - je le dis sans exagération - un rôle historique dans la vie de l'Ukraine. Votre leadership politique a donné un élan puissant à tous les autres partenaires pour soutenir l'Ukraine.
Vous préservez soigneusement l'unité européenne et euro-atlantique. Vous démontrez la cohérence des actions de tout le gouvernement français, en prenant des décisions responsables. Vous avez fait partie des premiers à comprendre et à convaincre les autres partenaires qu'il ne devait pas y avoir de limite à la défense et à la protection de notre patrie, ni dans les armes, ni dans son volume, ni dans sa portée.
Merci d'avoir protégé notre ciel. Merci pour ces ailes qui le protègent. Merci aussi d'avoir formé nos soldats.
Je remercie le grand peuple français, qui a abrité nos citoyens ukrainiens, pour sa solidarité et son empathie, pour ses fantastiques actes d'humanisme, que nous, Ukrainiens, n'oublierons jamais.
Au nom de la Verkhovna Rada d'Ukraine et de l'ensemble du peuple ukrainien, permettez-moi de remercier sincèrement le Sénat, chacun d'entre vous et la France tout entière pour votre soutien inestimable, qui nous permet de continuer à nous battre.
Cher Sénat, il y a quelques heures, avec un grand ami de l'Ukraine, le président Gérard Larcher, nous avons rendu hommage à la mémoire du célèbre général de Gaulle, en déposant des fleurs au pied de son monument.
Je m'adresse à vous en ce jour où la France se souvient de lui comme d'un grand fils du peuple français, comme d'une des plus grandes figures de son histoire et de celle du monde.
Dans son appel radiophonique à la nation, « À tous les Français », il a lancé le mouvement de la Résistance française, mais il a aussi donné de l'espoir à l'Europe, occupée par les Nazis. Cet espoir deviendra par la suite la foi, qui se transformera elle-même en victoire, après de nombreuses années de guerre.
Lorsque je parle du général de Gaulle, je comprends que son appel du 18 juin aux Français et aux Alliés soit toujours d'actualité, quatre-vingt-cinq ans plus tard. Aujourd'hui, ce serait un appel à la résilience, à l'unité et à la détermination. Je parle de Charles de Gaulle et je pense à l'Ukraine.
Depuis près de trois ans et demi, ma patrie résiste à une agression brutale et non provoquée. Elle résiste à ce nouveau fléau du XXIe siècle qui vient de l'Est pour tuer, conquérir et piller.
Nous avons relevé ce défi avec dignité, face à un ennemi beaucoup plus grand et puissant que nous. Parce qu'il n'y a pas de valeur supérieure à la liberté. Parce qu'il n'y a de rien de plus cher que sa propre terre et son propre peuple. Parce que nous voulons faire partie d'une grande famille européenne et non d'une dictature russo-soviétique impitoyable, à laquelle le régime de Poutine a cyniquement arraché les derniers vestiges de la démocratie.
Alors que l'Ukraine traverse aujourd'hui la phase peut-être la plus dramatique de la guerre, l'aide et le soutien de la communauté internationale sont essentiels à la résolution du conflit.
Votre histoire et la nôtre nous enseignent que la capitulation n'est jamais une option. L'agresseur doit être arrêté par la force des armes, par le pouvoir de l'unité européenne et euro-atlantique, par le biais de sanctions impitoyables qui devraient enfin répondre à l'impitoyabilité de la Russie. Sinon l'agresseur ira plus loin encore, comme il y a quatre-vingt-cinq ans.
« Cette guerre n'est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. » Ces mots du sage et invincible Charles de Gaulle nous parviennent comme s'ils étaient prononcés aujourd'hui.
Seule une pression conjointe sur l'agresseur conduira à une paix juste et durable, à laquelle les Ukrainiens aspirent plus que quiconque. Cette pression empêchera la Russie de poursuivre son agression, d'accumuler des ressources humaines et des armes, de retarder le processus de négociation, de mentir et de manipuler.
La Russie doit être châtiée pour tous ses crimes. En tant qu'agresseur, elle doit payer intégralement le prix de cette guerre via les avoirs russes gelés. Cela ne serait que justice.
Je suis venu vous demander votre aide et votre soutien sur des questions d'une importance vitale pour l'Ukraine : il s'agit de notre défense contre l'agression, mais aussi notre chemin vers l'Union européenne et le système de sécurité collective euro-atlantique.
Ce choix, comme celui de défendre notre patrie, est un choix conscient et civilisationnel du peuple ukrainien. Un choix pour la paix, le développement et la sécurité, que je vous demande de continuer à soutenir. Nous avons clairement fait ce choix civilisationnel, comme tous les membres de l'Union européenne et de l'Otan.
Permettez-moi de vous assurer que le président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, le Parlement et le gouvernement de l'Ukraine, ont été et restent des garants fiables de notre orientation inébranlable vers l'intégration européenne et euro-atlantique.
Hier, en venant ici, j'ai appris le brutal bombardement nocturne sur Kiev : vingt-huit morts - des civils innocents - et 150 blessés, en une seule nuit, dans une seule ville. Je me suis alors demandé quelle était la chose la plus importante que je devais vous dire, quand tout a déjà été dit et que tout est clair depuis longtemps.
Il faut juste prendre une décision, peut-être la plus difficile, mais aussi la plus importante : nos partenaires doivent défendre l'Ukraine avec autant d'acharnement que la Russie veut détruire l'Ukraine. C'est sans demi-teintes, sans demi-actions, sans demi-décisions, tous les jours, jusqu'au bout.
Si la démocratie mondiale l'emporte, la paix et la prospérité attendent l'Ukraine et l'Europe. Mais si c'est la tyrannie russe - que Dieu nous en préserve - , c'est la ruine et la mort.
C'est pour cela que je suis ici. C'est pourquoi je vous demande davantage d'aide. C'est pourquoi je crois fermement à la force de l'esprit français et de ce que Napoléon avait formulé : rien n'est impossible. La détermination de la France nous aide aujourd'hui à survivre ; demain, j'en suis sûr, elle nous aidera à gagner.
Le Sénat est le haut lieu de la démocratie, là où réside la force vive de la nation. La France est attachée à la liberté, fidèle à la démocratie et aux idéaux européens.
Comme le disait le général de Gaulle, la grandeur d'une nation n'est pas dans son territoire, mais dans son idée. La France a cette grandiose idée. L'Ukraine a cette grandiose détermination. Et cette grande synergie peut rendre l'Europe plus forte, plus solidaire et plus sûre.
Ensemble, nous atteindrons certainement cet objectif commun. J'y crois sincèrement.
Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent ; applaudissements nourris et prolongés)
M. Gérard Larcher, président. - Merci, monsieur le président de la Rada.
Je vais maintenant raccompagner notre hôte et lui dis : « à bientôt ». (Les applaudissements reprennent.)
La séance, suspendue à 14 h 30, reprend à 15 heures.