SÉANCE

du jeudi 19 juin 2025

105e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Alexandra Borchio Fontimp.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans l'enseignement supérieur.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - Il y a un peu moins d'un an, la commission de la culture adoptait les conclusions de la mission d'information sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, qui révélait la banalisation de l'antisémitisme dans nos universités, l'insuffisance des dispositifs de prévention et le sentiment d'abandon ressenti par de nombreux étudiants juifs.

Le 10 octobre dernier, Bernard Fialaire et moi-même déposions une proposition de loi, adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale, puis par la CMP à l'unanimité moins une voix le 27 mai. Je suis heureux que ce texte arrive à son terme, à rebours d'un débat public dans lequel beaucoup se sont fourvoyés.

Cette unanimité parlementaire est un signal fort et nécessaire. Cette version de la proposition de loi comprend des enrichissements. L'article 1er généralise l'obligation pour tous les établissements d'assurer une formation à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine. L'article 2 renforce les obligations de prévention et de signalement ; les présidents d'université devront aussi rendre compte des actions menées.

L'article 3 modernise le régime disciplinaire.

Cette rédaction reflète l'équilibre défendu par le Sénat. Le texte ne cherche pas à hiérarchiser les haines, ce qui serait contreproductif : il bénéficiera à la lutte contre l'ensemble de ces dérives. Il reconnaît une place singulière à l'antisémitisme, haine spécifique par son ancienneté, son ancrage, ses formes. Si les données précises restent difficiles à établir, les témoignages révèlent une réalité alarmante : de nombreux étudiants juifs ont envisagé de dissimuler leur identité.

C'est inacceptable dans la République française. C'est l'essence même de l'université qui est menacée.

Je remercie le président Laurent Lafon, Bernard Fialaire, Constance Le Grip et Pierre Henriet, ainsi que monsieur le ministre. Je salue l'esprit de concorde qui a régné dans notre assemblée. C'est l'honneur du Parlement.

Ce texte ne réglera pas toutes les difficultés, mais c'est un jalon pour que le poison de l'antisémitisme ne s'insinue pas dans les universités, qui doivent redevenir le lieu du débat et de l'ouverture humaniste.

Je vous engage donc à voter pour l'adoption de ces conclusions pour une application dès la prochaine rentrée. Avec ce texte, nous envoyons un message : la République ne transige pas avec l'antisémitisme et l'université restera un espace de liberté et de dignité pour tous ses enfants. (Applaudissements)

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Il y a un mois à l'Assemblée nationale, quatre mois au Sénat, j'apportai mon soutien à cette proposition de loi. Revenir ici pour l'adoption des conclusions de la CMP est l'un des plus grands plaisirs que j'ai vécus ces derniers mois. Merci aux rapporteurs Levi et Fialaire, à Constance Le Grip et à Pierre Henriet.

Le vote à l'unanimité au Sénat était déjà un message très fort ; l'accord en CMP marque une nouvelle étape. Ce texte donnera des outils supplémentaires au ministère et aux présidents d'université.

Nous vivons dans un moment de hausse préoccupante des actes antisémites, qui n'ont pas épargné le monde universitaire.

J'ai agi résolument contre.

Sur le plan disciplinaire, mon discours n'a pas varié. Aucune tolérance n'est permise. Je m'appuie sur les recteurs pour des remontées rapides et précises, et nous coopérons pleinement avec les ministres de la justice et de l'intérieur.

Ces mesures de suivi étaient nécessaires et répondaient aux besoins remontés par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF).

Au-delà, nous devons comprendre comment il est possible d'assister à une telle résurgence de l'antisémitisme : j'ai lancé un programme de recherche avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

Ce texte permet de réelles avancées, avec des référents racisme et antisémitisme dans les établissements et une offre nationale de formation.

Autre avancée : la mise en place de sections disciplinaires interacadémiques, qui figurait dans le rapport de Khaled Bouabdallah et de Pierre-Arnaud Cresson ; cette proposition a été reprise dans un amendement de Stéphane Piednoir. Les procédures disciplinaires seront plus rapides et plus efficaces.

L'antisémitisme n'est pas spécifique à l'université. Nous ne réglerons pas d'un coup ni l'erreur, ni l'ignorance, ni la violence trempée dans la bêtise et dans les préjugés.

Marc Bloch nous avait mis en garde : « l'erreur ne se propage, ne s'amplifie, ne vit enfin qu'à une condition : trouver dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable. En elle, inconsciemment, les hommes expriment leurs préjugés, leurs haines, leurs craintes, toutes leurs émotions fortes. » Nous pouvons contribuer à y répondre, à la prévenir et à la corriger. Le texte nous y invite et vous pouvez compter sur mon engagement et sur celui de tout le ministère. (Applaudissements)

Mme Laure Darcos .  - « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! » Ces propos d'Émile Zola dans sa Lettre à la jeunesse de 1897 résonnent encore aujourd'hui.

Malgré la Shoah, l'antisémitisme est bien vivace. Il s'est fait une place de premier plan dans de nombreuses universités occidentales. Le pogrom du 7 octobre 2023 lui a donné une dimension nouvelle. Neuf étudiants juifs sur dix y ont été confrontés dans les universités.

La réalité est glaçante : agressions physiques, harcèlement, refus de côtoyer les étudiants juifs, bousculades dans les couloirs sont une dure réalité. Or l'université doit demeurer un lieu de débats et d'échanges.

Rien ne doit nous empêcher de critiquer Benyamin Netanyahu, qui a fait de Gaza un champ de ruines et un tombeau à ciel ouvert. Mais La France insoumise emploie sans complexe la pire rhétorique antisémite ; ce texte est une urgence absolue.

Je salue Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire dont le travail a été décisif. Je salue la qualité de nos échanges au sein de la CMP. Malgré les manoeuvres dilatoires de certains, nous sommes parvenus à un accord fidèle au texte du Sénat.

Mais ne soyons pas dupes : l'antisémitisme d'atmosphère ne se réglera pas avec une seule proposition de loi. Une prise de conscience collective s'impose et tout doit être fait pour lutter contre les préjugés. En aucun cas, les étudiants juifs ne doivent être les victimes de la fuite en avant électoraliste de l'extrême gauche.

La France sera toujours plus forte que les tentatives de déstabilisation et de fracturation.

Elle sera toujours plus forte que l'antisémitisme et la division. Je vous invite à voter sans réserve les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.) Notre vieux pays ne fut pas épargné par l'antisémitisme. Mais il fut aussi érigé en modèle pour les juifs du monde entier : « heureux comme Dieu en France », disait-on dans les ghettos du Yiddishland.

Désormais, ce modèle est malmené. Quelque 91 % d'étudiants juifs se disent victimes d'actes antisémites, 7 % ont été agressés physiquement, 91 % vont à l'université la boule au ventre.

Au-delà des actes, se répand un antisémitisme d'atmosphère, fait de blagues répétées et de tags anonymes.

Avec ce texte, nous posons une première pierre. Merci du fond du coeur, chers Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire.

Nous aurions pu croire que le parcours législatif de ce texte serait une formalité ; or, à l'Assemblée nationale, celui-ci fut victime d'une méthode indécente, faite d'une rhétorique finement rodée. Je le réaffirme ce matin : oui, il y a une spécificité intrinsèque de l'antisémitisme ; non, nous ne pouvons mettre sur le même plan la lutte contre les discriminations ou les violences sexuelles, aussi légitimes soient-elles, et la lutte contre l'antisémitisme. Car l'antisémitisme est la pire des alertes : il annonce le triomphe de l'obscurantisme.

Oui, il est lié à la montée de l'islamisme ; oui, il y a un lien entre wokisme, islamisme et antisémitisme. (Mme Monique de Marco s'exclame.) Oui, si la politique d'Israël peut, doit être critiquée, cet État est le seul dont on réclame la disparition.

S'il y a un lieu où l'engrenage de la haine des juifs doit être arrêté, c'est bien à l'université.

C'est tout le rôle de ce texte : sanctionner, créer une section disciplinaire commune au sein d'une même région académique, autant de mesures qui rompront avec l'impuissance de l'institution universitaire, qui se contente trop souvent de renvoyer à la justice, sans sanctions internes.

Cette proposition de loi marque un point de départ d'une action forte que seul le ministère peut diligenter. Monsieur le ministre, il faut combattre ce cancer. Je souhaite ne plus jamais revivre ce que j'ai vécu pendant les auditions : des étudiants juifs, les larmes aux yeux, qui disaient qu'ils se sentaient mal en France.

Les juifs de France ont toute leur place dans notre République. C'est à l'université qu'il faut apprendre que les juifs sont des Français à part entière. Monsieur le ministre, nous ne devons plus revoir ces larmes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur les travées du RDSE)

Mme Samantha Cazebonne .  - Je me réjouis de voir aboutir ce texte important pour une application dès la prochaine rentrée. Notre pays, notamment depuis le 7 octobre, connaît une nouvelle vague d'antisémitisme, particulièrement visible dans l'enseignement supérieur.

Le Sénat a souhaité envoyer un signal clair et sans appel, en reconnaissant la place de l'antisémitisme parmi toutes les formes de haine. Il l'a fait en témoignant de la peur bien réelle de ces étudiants. Il faut prendre conscience de la gravité de la situation : 1 570 plaintes en 2024, contre 436 en 2022.

Or ces actes sont sous-déclarés, puisque neuf étudiants juifs sur dix se déclarent victimes d'actes antisémites.

Les étudiants doivent pouvoir se sentir en sécurité à l'université. Cette proposition de loi fournit des outils dans ce sens. Le RDPI salue les travaux de la CMP.

Merci encore aux auteurs de ce texte, que le RDPI votera. Il faut garantir que l'enseignement supérieur soit un lieu de débat et de lumière, un espace sûr. Ne baissons pas les bras face à l'obscurantisme. (Applaudissements au banc des commissions)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions) Merci à tous pour votre soutien dès la création de la mission d'information sur l'antisémitisme ; merci, monsieur le ministre, pour votre coopération.

La CMP a été conclusive grâce au travail de Constance Le Grip, dont je salue la présence en tribune, et de Pierre Henriet.

Il n'aura manqué qu'une voix en CMP pour parvenir à l'unanimité. Cette voix manquante et les oppositions qui se sont exprimées à l'Assemblée nationale confortent la nécessité de ce texte.

Ce dernier ne réprime pas les étudiants mobilisés pour la Palestine, comme l'ont écrit ceux qui profitent de ce combat légitime pour répandre l'antisémitisme -  un jeu dangereux. C'est bien à la suite des réactions au 7 octobre que nous avons rédigé notre rapport, qui est édifiant.

Si la liberté d'expression et la liberté académique doivent être défendues sans faiblesse, il est des limites à ne pas franchir.

Tous les racismes, toutes les discriminations doivent être combattus. L'antisémitisme ne doit pas être exclu ou oublié parce qu'on le croirait révolu - en particulier à l'université, où nous attendrions des esprits éclairés. Nous n'avons pas à choisir entre la mémoire de la Shoah et celle de l'esclavage ou du colonialisme, par exemple. Rien ne doit nous empêcher de combattre un antisémitisme nouveau, qui, à côté de l'antisémitisme primaire de l'extrême droite, est exploité par une extrême gauche inconséquente. (M. Laurent Lafon renchérit.)

Ce texte est une réponse claire et mesurée à la lutte contre l'antisémitisme. Il vise à prévenir, détecter et signaler les actes antisémites, et adapte la procédure disciplinaire applicable aux actes d'antisémitisme, de racisme, de violence et de discriminations.

L'actualité nous en rappelle hélas l'intolérable gravité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)

M. Laurent Lafon .  - (M. Pierre-Antoine Levi applaudit.) Par un hasard du calendrier, nous sommes appelés à nous exprimer le lendemain de la parution du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), particulièrement sévère : la réponse politique paraît inexistante, dit-il, alors que le racisme et l'antisémitisme n'ont jamais été aussi forts. La présidence de la Dilcrah est restée vacante durant six mois...

Le Sénat et sa commission de la culture ont pris la mesure de la situation en lançant une mission d'information dès 2024, puis en inscrivant à l'ordre du jour la proposition de loi qui en est issue. Je remercie les auteurs et rapporteurs pour leur sérieux et leur détermination.

Nous avons mis en évidence le développement d'un antisémitisme d'atmosphère dans les lieux de transmission du savoir. Nous avons préconisé d'organiser la lutte en trois volets : éducation, prévention et sanction. Lors de la navette, des ajustements ont été proposés sur chacun de ces trois volets. Je remercie Constance Le Grip pour le travail qu'elle a mené dans un contexte plus difficile qu'ici.

Nous avons rénové le cadre disciplinaire, avec des ajouts du Sénat, puis de l'Assemblée. Les victimes verront leurs dossiers instruits avec le professionnalisme nécessaire, sous le contrôle d'un magistrat.

La position du Sénat a prévalu sur le refus d'inscrire dans la loi la définition de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (Ihra). Le rapport des Assises de lutte contre l'antisémitisme souligne la singularité de l'antisémitisme et recommande un usage strictement pédagogique et opérationnel de cette définition.

Les autres préconisations de la mission relèvent du Gouvernement, mais aussi des établissements ; je pense à la création d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire chargée de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, ou à la désignation de vice-présidents chargés de lutter contre ces dérives, qui est une réussite.

Cette proposition de loi aura des effets concrets sur la vie des établissements dès la rentrée. La qualité et la sérénité des débats dans cet hémicycle envoient aux étudiants victimes et à l'ensemble de nos concitoyens un message d'unité et de mobilisation des pouvoirs publics. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, et Les Républicains ; Mme Colombe Brossel applaudit également.)

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre pays fait face à une résurgence des paroles et des actes racistes et antisémites qui n'épargne pas les universités.

L'université, lieu d'apprentissage et d'ouverture, ne saurait être un espace de peur et d'exclusion. Nous sommes conscients du contexte : lutter contre les amalgames, c'est lutter contre le racisme et l'antisémitisme. Nous ne pouvons pas accepter que les juifs de France soient assimilés aux crimes de Benyamin Netanyahu.

Relativiser les crimes commis envers des juifs, des Israéliens, c'est ne pas reconnaître aux juifs le statut de victime. Mettre des mots sur le génocide en cours à Gaza, se battre pour un État palestinien, réclamer des sanctions face aux crimes commis par le gouvernement israélien, tout en reconnaissant le droit à la sécurité et à la souveraineté d'Israël, ce n'est pas être antisémite. Les mots ont un sens.

Comme en première lecture, le GEST soutient les outils de prévention, de détection et de sanction. L'antisémitisme, le racisme, les violences, la haine et les discriminations doivent être abordés de manière conjointe, et non séparée, pour les combattre.

Mais pourquoi refuser de maintenir la référence au racisme dans l'intitulé ? Cela aurait évité une instrumentalisation, d'autant que nous assistons à une résurgence des actes racistes et islamophobes - j'ai une pensée pour Aboubakar Cissé et Hichem Miraoui.

Nous nous opposons fermement à ce que l'on interdise l'accès aux locaux universitaires à des étudiants faisant l'objet d'une simple procédure disciplinaire pour troubles à l'ordre public. Ce glissement est préoccupant : il sanctionnerait des étudiants engagés dans des blocages pacifiques, forme classique de mobilisation. Ce point a été ajouté en CMP, sans avoir été débattu avant.

Nous ne partageons pas la posture adoptée par le Gouvernement sur ce texte. Nous nous étions indignés de propos tenus lors d'une réunion de commission. Dans notre hémicycle, le débat a été constructif ; pas à l'Assemblée nationale, malheureusement.

La définition de l'antisémitisme proposée par l'Ihra et reprise par un amendement de la députée Caroline Yadan n'a pas été retenue : elle est rejetée par de nombreux organismes, dont la CNCDH.

Autant d'éléments qui suscitent une légitime inquiétude sur la mise en oeuvre de la loi. Le GEST s'abstiendra. (M. Patrick Kanner lève les bras au ciel.) La lutte contre l'antisémitisme, le racisme et les discours de haine doit se poursuivre. Partout, le combat continue. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. David Ros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En avril, nous votions à l'unanimité cette proposition de loi, avant un passage à l'Assemblée nationale puis une CMP conclusive, qui est revenue au texte adopté par le Sénat.

Les rapporteurs ont pris le temps, après leur mission flash, pour que nos échanges soient libres et non faussés. Merci pour ce travail exemplaire.

Le monde de l'éducation et de l'enseignement supérieur symbolise la connaissance et la transmission. En 2024, 1 570 actes antisémites ont été recensés, contre 436 en 2022 ; en 2024, on en dénombrait 192 dans le milieu scolaire, et 78 dans l'enseignement supérieur en 2023.

Le plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine (Prado), lancé en janvier 2023, prévoyait des actions préventives en milieu scolaire. Mais les attentats terroristes du Hamas ont révélé un antisémitisme tapi dans l'ombre, nourri par la haine, la jalousie, la bêtise et l'ignorance, alimenté par certains à des fins électoralistes. C'est un risque majeur pour notre République, en témoigne la non-unanimité en CMP.

Comme disait Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous ».

Les objectifs du texte sont multiples : la formation à la lutte contre l'antisémitisme ; la prévention, la détection et le signalement des actes antisémites ; l'encadrement juridique des procédures disciplinaires. Les auditions ont permis de retisser des liens avec des chefs d'établissements et des présidents d'université qui s'étaient sentis injustement accusés de passivité.

L'Assemblée nationale a apporté des modifications louables. Cependant, nous souhaitons restreindre le titre du texte à la seule lutte contre l'antisémitisme, afin d'en montrer la singularité.

Ce texte prévoit la création d'une section disciplinaire commune aux établissements d'une région académique. Il définit la sanction disciplinaire applicable aux faits susceptibles de porter atteinte à l'ordre et au bon fonctionnement de l'établissement, tout en garantissant la continuité pédagogique des étudiants concernés.

Nous serons vigilants à ce que les autres manifestations étudiantes puissent continuer à avoir lieu et continuerons à défendre la liberté académique.

Nous voterons les conclusions de cette CMP et veillerons à ce que des moyens adéquats soient prévus pour son application. (Applaudissements)

M. Pierre Ouzoulias .  - « Être juif en France aujourd'hui, c'est être seul », écrit M. Paul Bernard dans une tribune récente à un grand quotidien - en écho, un siècle plus tard, au constat de Charles Péguy dans Notre jeunesse : « Ce n'est pas facile d'être juif. »

« Quand ils demeurent insensibles aux appels de leurs frères, aux cris des persécutés, aux plaintes, aux lamentations de leurs frères meurtris dans le monde, vous dites : ce sont de mauvais juifs. Et s'ils ouvrent seulement l'oreille aux lamentations qui montent du Danube et du Dniepr, vous dites : ils nous trahissent, ce sont de mauvais Français. » Ces lignes, Péguy les écrit deux ans après avoir été visé par une tentative d'assassinat lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon. Son agresseur, le journaliste antisémite et nationaliste Louis Grégori, reçut le soutien de l'Action française et fut acquitté.

Vinrent ensuite les lois antisémites de Vichy et la Shoah, puis les pogroms du 7 octobre. Aujourd'hui, d'après M. Paul Bernard, la haine antisémite tranquille devient dans notre pays une pensée dominante, y compris dans les amphithéâtres. Il lance cet appel : « il ne dépend que des autres, de tous les Français, que cette solitude soit abolie. »

Cette proposition de loi y répond avec humilité, dans la continuité d'une mission d'information qui a établi de manière incontestable l'accroissement sans précédent des actes antisémites -  manifestes ou latents  - dans nos universités.

En CMP, le Sénat a tenu à conserver le seul terme « antisémitisme » dans l'intitulé du texte : symbolique, ce choix est une marque de respect que nous devons aux étudiants juifs, une distinction à la fois compassionnelle, réparatrice et mobilisatrice.

Dans le texte lui-même, la lutte contre l'antisémitisme est systématiquement associée à celle contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine. J'ai lu avec consternation que ce texte serait une criminalisation des voix de la paix et que son article 3 ouvrirait la voie à des sanctions arbitraires contre les étudiants mobilisés pour la Palestine. Comment peut-on confondre lutte contre l'antisémitisme et engagement pour la Palestine, sinon en supposant que tout étudiant juif est complice des crimes commis par le gouvernement Netanyahu à Gaza ? Déduire les opinions d'un individu de sa confession supposée est une forme de racisme et d'antisémitisme.

Notre droit ne définit pas l'antisémitisme. Seule la loi du 13 juillet 1990, dite Gayssot, comporte une précision indirecte en sanctionnant la négation des crimes contre l'humanité définis à l'article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, en particulier la Shoah et les lois antisémites de Vichy. Le Front national a toujours réclamé l'abrogation de cette loi, et un candidat à la dernière élection présidentielle, Éric Zemmour, a estimé qu'elle portait atteinte à la liberté d'expression.

Cette proposition de loi ne changera pas les mentalités, mais je suis persuadé qu'il est possible de lutter contre les préjugés antisémites par une meilleure connaissance de leurs ressorts et un effort accru en faveur des études juives. Hélas, celles-ci ne sont plus pratiquées que dans trois centres de recherche ; et, en 2023, six thèses seulement ont été soutenues dans ce champ, contre seize en 2010. Nous avons besoin d'une politique nationale ambitieuse en faveur des études juives. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

À la demande des groupes UC et SER, le texte élaboré par la CMP est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°327 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 326
Contre     0

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.