Conseil européen des 26 et 27 juin 2025
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2025, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je me réjouis de ce débat, à la veille du prochain Conseil européen. Vous connaissez mon attachement à la diplomatie parlementaire et au rôle des commissions des affaires européennes. Cet exercice est utile, à un moment de bascule géopolitique où l'Union européenne doit réaffirmer son indépendance.
Demain, nous redirons notre soutien à l'Ukraine, qui continue de subir les bombardements de la Russie et de lutter pour sa souveraineté, mais aussi pour notre sécurité à tous.
Nous débattrons aussi du dix-huitième paquet de sanctions contre le régime de Vladimir Poutine, qui refuse toute négociation sincère et sérieuse, qui refuse un cessez-le-feu préalable à une solution diplomatique, qui poursuit l'escalade avec des objectifs maximalistes.
Ce nouveau paquet de sanctions portera notamment sur l'énergie, en abaissant le price cap, le prix plafond du pétrole. Il vise la vente de pétrole russe raffiné à des pays tiers, alors que les énergies fossiles sont la principale ressource de la Russie pour financer son effort de guerre.
Nous évoquerons aussi le prêt ERA (Extraordinary Revenue Acceleration Loans for Ukraine), financé grâce aux avoirs de la Russie gelés en Europe : le Président de la République veut en accélérer le décaissement. Pour l'heure, 7 milliards d'euros ont déjà été décaissés par la Commission européenne, pour les besoins militaires et macroéconomiques de l'Ukraine.
Concernant les garanties de sécurité, nous continuerons à mobiliser nos partenaires de la coalition des volontaires, pour préparer le jour d'après. Un cessez-le-feu ne saurait être une occasion offerte à la Russie de réarmer en vue d'une agression future ; nous visons une paix solide, durable et juste.
Nous parlerons beaucoup du Moyen-Orient. La position de la France est claire et cohérente. D'abord, dénoncer les activités déstabilisatrices du régime des ayatollahs en Iran. Ce régime ne peut pas, ne doit pas acquérir la bombe nucléaire. Il continue de violer le traité de non-prolifération, développe un programme de missiles balistiques qui menace non seulement Israël mais aussi l'Europe, soutient le terrorisme - le Hamas, le Hezbollah, les Houthis au Yémen - fournit des drones et des armes à la Russie et emprisonne de façon indigne nos compatriotes Jacques Paris et Cécile Kohler depuis trois ans.
C'est la ligne que nous avons toujours tenue. La diplomatie, le multilatéralisme et la négociation sont la seule voie durable pour mettre un terme au conflit. Le fragile cessez-le-feu doit être l'occasion de remettre toutes les parties autour de la table et de créer un cadre de sécurité durable, seule à même de mettre fin durablement au programme nucléaire iranien. C'était déjà la voie défendue par la France lors de la négociation du JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) en 2015. Les États-Unis de Trump s'étaient retirés de l'accord, pourtant efficace. Il s'agit maintenant de recréer les conditions de la diplomatie et du dialogue régional.
Dans ce contexte d'insécurité et de conflictualité, nous devons investir massivement dans notre défense collective et notre autonomie stratégique. C'est le sens des conclusions du Conseil européen du 6 mars. Nous venons d'achever les négociations sur l'instrument Safe : un prêt de 150 milliards d'euros qui financera des projets industriels de défense en commun, avec pour priorité la préférence européenne. Un euro du contribuable européen ne doit pas subventionner les industries de défense étrangères. Le trilogue va bientôt s'engager sur le programme Edip (European Defence Industry Programme).
En plus de l'effort national - la France a doublé son budget défense depuis 2017 -, nous devrons investir en commun, et aller plus loin.
Nous évoquerons aussi les négociations commerciales en cours avec les États-Unis, en réponse aux droits de douane injustifiés et arbitraires imposés par l'administration américaine. Nous défendrons une réponse ferme et unie pour aboutir à une désescalade, car la guerre commerciale n'est dans l'intérêt de personne. Nous assumons le rapport de la force, afin de sortir de la naïveté commerciale.
Idem sur le plan économique : nous voulons affirmer la compétitivité et la souveraineté de notre continent, en approfondissant le marché unique avec l'union des marchés des capitaux (UMC), alors que chaque année, 300 milliards d'euros d'épargne européenne financent l'économie américaine. Alignons nos régimes, approfondissons notre marché unique, donnons l'opportunité à nos entreprises, à nos start-up de se développer pour innover et faire jeu égal avec nos concurrents.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous pourrions évoquer aussi l'innovation et la simplification. Je le ferai dans la suite du débat.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Les crises du moment conduisent à interroger notre capacité d'action collective.
Le 30 mai dernier, le Président Macron proposait une conférence pour la reconnaissance de l'État palestinien et appelait à durcir la position collective contre Israël, au vu de la situation humanitaire à Gaza.
Mais quinze jours plus tard, le Premier ministre israélien ouvrait un septième front en attaquant l'Iran. Le Président Macron reportait sa conférence et réaffirmait le droit d'Israël à se défendre. Les ministres français, allemand, britannique et la haute représentante Kallas appelaient à la désescalade et saluaient « les efforts déployés par les États-Unis pour trouver une solution négociée ». Le lendemain, 36 tonnes « d'efforts » étaient larguées sur l'Iran. Un communiqué appelait à la désescalade, en vain. Les Européens eux aussi semblent largués.
Israël avait prévenu le chancelier allemand de ses frappes. Les États-Unis avaient informé les Britanniques. Personne n'a prévenu la France...
Nos positions sur l'Iran sont-elles compréhensibles ? Sommes-nous crédibles ou même influents ? Les communiqués européens sont intarissables sur la menace iranienne, mais notre inconséquence fragilise notre diplomatie. Après avoir condamné l'agression russe, l'Europe prétend choisir qui peut bénéficier du droit international. Quelle preuve de la fiabilité des occidentaux ! L'Iran ne doit pas obtenir la bombe, c'est entendu, mais ne vient-on pas de l'y inciter, et d'autres à sa suite ?
L'ancien ambassadeur Gérard Araud, qui n'est pas un Che Guevara, n'a pas tort de questionner les objectifs stratégiques de ces attaques et de rappeler les conséquences des guerres de changement de régime dans la région. Ce « sale boulot » est-il vraiment nécessaire ? Quelle est la position française ?
L'Union européenne prépare un dix-huitième paquet de sanctions contre la Russie. Les projets de réarmement de l'Europe soulèvent encore de nombreuses questions.
Une question de fond : l'institut Bruegel et le Kiehl Institute ont précisé que les 800 milliards d'euros ne suffiront pas pour rattraper notre retard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La position de la France sur l'Iran est en phase avec la défense du droit international : l'Iran ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. La France a toujours défendu la voie de la diplomatie pour négocier un cadre de sécurité durable ; elle a joué un rôle moteur dès le début des négociations en 2004-2005. Nous appelons à un cessez-le-feu.
Vous évoquez les 800 milliards d'euros : je suis d'accord, ce n'est qu'une première étape. Utilisons les outils Safe et Edip.
La France avait promu l'idée d'un endettement commun, à l'instar de ce que nous avions réussi à faire durant le covid. Le cadre financier pluriannuel (CFP) est aussi une piste. Mais nous devrons aller plus loin.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - Monsieur le ministre, vous ne nous facilitez pas la tâche dans la préparation du prochain budget : le prélèvement sur recettes (PSR) de l'Union européenne augmenterait de 7 milliards d'euros, et passerait à 30,4 milliards d'euros en 2026.
Nous devons aussi préparer le prochain cadre financier pluriannuel ; la Commission européenne proposera ses premières recommandations mi-juillet. L'Allemagne a déjà précisé les choses : il n'existe aucune base pour augmenter le CFP. La contribution de la France au CFP a fortement augmenté ces dernières années : elle est passée de 20 à 26 milliards d'euros. Quelle ligne la France défendra-t-elle ?
Si vous suivez la position allemande, comment équilibrer la prochaine équation budgétaire ? Le commissaire au budget Piotr Serafin a dit que l'Union européenne aurait du mal à faire face à toutes ses priorités. Or le réchauffement climatique, la défense européenne ou la PAC en sont bien. Quels sont les arbitrages de la France pour résoudre cette quadrature du cercle ? L'Allemagne préconise de conditionner les aides de la politique de cohésion à des réformes structurelles. Partagez-vous cette position ?
M. Serafin est venu en France le mois dernier pour présenter aux parlementaires les orientations de la Commission européenne pour le prochain CFP ; il a évoqué la question cruciale des nouvelles ressources propres.
Les États membres se sont engagés à les mettre en oeuvre d'ici à 2028 afin de rembourser les sommes empruntées pour financer le plan de relance. Sans accord, le surcoût pour la France serait de 2,5 milliards d'euros par an sur trente ans. Or les négociations semblent au point mort depuis 2023.
M. Serafin a laissé entendre que certaines ressources comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ne seraient pas à la hauteur du défi. La présidence polonaise a proposé d'instaurer une taxe sur les cryptoactifs ou les transactions financières. Quelles sont les solutions défendues par le Gouvernement ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Le prochain CFP doit être l'occasion d'affirmer nos priorités : innovation, défense, spatial, sans oublier l'agriculture et nos territoires.
Le CFP actuel est insuffisant : nous devons doubler la capacité financière, en renforçant les outils qui permettent de faire levier, comme la Banque européenne d'investissement (BEI).
Bien sûr, les ressources propres sont la condition sine qua non. Le commissaire Serafin a formulé des propositions que nous soutenons : taxe sur les petits colis, ou création d'un Esta européen, par exemple. Un touriste européen doit payer 21 dollars quand il se rend aux États-Unis : or il n'existe aucune réciprocité dans ce domaine.
Nous suivons la trajectoire prévue pour le PSR : l'augmentation sera de 6 à 7 milliards d'euros, selon les estimations de la Commission. Nous devrons mobiliser au maximum ces fonds pour nos régions.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Dans un mode brutal et incertain, le Conseil européen de demain met l'accent sur les enjeux économiques et géopolitiques. Il s'agira de mieux lier les dimensions internes et externes de nos politiques européennes, dont le principal atout est le marché unique. Nous avons trop souvent dénoncé le découplage entre politique commerciale et politique de concurrence ou de compétitivité pour ne pas nous satisfaire de ce changement de position.
Le premier Omnibus sur les directives CRSD et CS3D vient de faire l'objet d'un accord entre le Parlement et le Conseil. D'autres Omnibus ont été présentés sur les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et l'agriculture et nous espérons qu'un Omnibus RUP (régions ultrapériphériques) pourra voir le jour.
Toutefois, nous voyons poindre les tensions croissantes entre la Commission et le Parlement européen depuis que le Parlement a été écarté des discussions sur l'instrument Safe. Le Parlement semble se diriger vers un recours : quel est votre point de vue ?
Il est difficile de concilier ambitions environnementales et volonté de simplification. La question du juste équilibre devient essentielle. (M. Benjamin Haddad acquiesce.) Quid de la réduction des gaz à effet de serre à horizon 2040 ? Cet effort devra être économiquement soutenable et prendre en compte les exigences de compétitivité.
Autre sujet sensible : la révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, dont nous avons pointé les insuffisances, sans oublier le Mercosur. Quelle est la position du Gouvernement ?
Le président du Conseil européen, Antonio Costa, veut faire de l'Union européenne un acteur mondial efficace, prévisible et fiable. L'Union européenne sera facilement plus prévisible que les États-Unis depuis le retour de Trump. En revanche, faire de l'Union européenne un acteur mondial dépendra de sa cohésion interne, aujourd'hui mise à mal. (M. Benjamin Haddad acquiesce.) Nous n'aurons vraisemblablement pas d'accord à 27 sur l'Ukraine, alors que M. Zelensky se trouve à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, pour créer le tribunal spécial sur le crime d'agression contre l'Ukraine.
Les discussions sur le dix-huitième paquet de sanctions sont difficiles.
Les divergences sont fortes sur le Moyen-Orient. Résultat : la position de l'Union européenne est inaudible. Quelle est la position du Gouvernement sur le réexamen de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous connaissez notre ambition en matière de simplification. Nous ne pouvons opposer décarbonation et compétitivité. N'ajoutons pas des normes qui renforceraient les concurrences chinoise et américaine. Telle est l'ambition de la révision des directives CSRD et CS3D et de la réduction des indicateurs de reporting.
Avant de fixer un nouvel objectif de décarbonation, précisons les conditions d'accompagnement des acteurs : neutralité technologique, ouverture du marché carbone à des acteurs extérieurs à l'Union européenne, définition d'une politique d'investissement.
Notre position n'a pas varié sur le Mercosur : nous sommes opposés à l'accord en l'état. Si la France n'est pas opposée, sur le principe, aux accords de libre-échange, comme le montre l'accord avec la Nouvelle-Zélande, il faut protéger les agriculteurs.
La Commission européenne a lancé un examen du respect de l'article 2 de l'accord d'association par Israël. Les conclusions sont attendues en juillet.
Mme Gisèle Jourda . - Le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) présenté en mars 2024 n'a toujours pas été adopté. Où en sont les discussions ? La vision de la France peut-elle s'imposer ? Jusqu'où doit-on aller dans la préférence européenne ?
Les États membres qui, comme la France, souhaitent des critères stricts ne sont pas nombreux. Quelque 80 % des investissements des États membres sont réalisés auprès de fournisseurs extérieurs à l'Union européenne - 63 % sont américains. Chaque euro doit être dépensé au service de la sécurité des Européens. Soyons ambitieux : le taux de composants produits en Europe ou dans des pays associés ne saurait être inférieur à 65 %, voire 80 %.
Nous avions alerté sur l'insuffisance des financements du programme jusqu'à fin 2027. Le Parlement propose d'utiliser le programme Safe pour financer 20 milliards d'euros supplémentaires. Comment envisager une articulation pratique entre ces deux programmes ?
Le plan ReArm Europe contient une autorisation d'endettement. Alors que 16 pays sur 27 ont officiellement demandé l'activation de la clause dérogatoire nationale du pacte de stabilité et de croissance, ce n'est pas le cas de la France. Pourquoi passer à côté de ce dispositif ? Comment l'objectif de 650 milliards d'euros annoncé par la Commission peut-il être atteint ?
L'argent étant le nerf de la guerre, la proposition de CFP de la Commission, prévue pour juillet, est très attendue. Quelle est la position de la France sur la place accordée à la défense dans ce cadre financier ? Faut-il un emprunt européen ? La France y est favorable ... Peut-elle convaincre l'Allemagne et les pays frugaux ?
Sur le plan diplomatique, face au conflit entre Israël et l'Iran, au vu de son manque de leviers militaires dans cette région, la prudence stratégique affichée par l'Union européenne est un beau discours qui occulte le manque d'unité entre les États membres, la faiblesse institutionnelle de la diplomatie européenne et son manque d'influence. L'échec de sa médiation le montre. La diplomatie européenne n'oeuvre qu'en réaction aux événements.
Les conclusions du Service européen pour l'action extérieure transmises le 20 juin aux États membres sont claires : Israël violerait ses obligations en matière de droits de l'homme - blocage de l'aide humanitaire, attaques contre des civils, des hôpitaux, des journalistes, déplacements forcés... Quelle est la position de la France sur le réexamen ou la suspension de l'accord d'association entre l'Union et Israël ? Allez-vous encore nous dire qu'il est urgent d'attendre ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sur Edip, la ligne est claire : il faut renforcer l'investissement et l'acquisition d'armement européen. Le texte prévoit 65 % de composants européens minimum et de conserver l'autorité de conception. Le travail de François-Xavier Bellamy et Raphaël Glucksmann a permis de faire des propositions. Nous verrons le résultat du trilogue.
Sur le transfert de 20 milliards d'euros de Safe à Edip, j'ignore comment cela fonctionnerait. Mais je suis d'accord avec la nécessité d'abonder Edip au-delà des 1,5 milliard d'euros prévus pour 2027.
Concernant le CFP, il faut une ambition plus forte sur la défense et le spatial, notamment pour le déploiement d'Iris². Nous devrons aller plus loin dans la mobilisation d'instruments innovants, comme l'emprunt commun - les lignes bougent au Parlement.
Enfin, oui, la France utilisera de nouveaux instruments comme Safe. Nous sommes moteurs sur ces sujets. Je rappelle aussi le doublement du budget de la défense sous les deux mandats du Président de la République.
M. Louis Vogel . - Le soutien à l'industrie européenne de la défense est un axe majeur de l'action de l'Union. Le Livre blanc sur la défense européenne vise à mieux préparer l'Europe aux scénarios les plus pessimistes, en constituant des stocks et en renforçant nos frontières extérieures. Il est temps de construire la fameuse Europe puissance dont on parle tant, mais que l'on ne voit pas venir.
Le programme ReArm Europe, renommé « Readiness 2030 » vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros. Dans le cadre de notre loi de programmation militaire (LPM), la France consacre 1,7 % du PIB aux dépenses militaires ; elles doivent atteindre 2 % en 2027 et croître encore ensuite. La dérogation prévue au niveau européen exclut-elle l'ensemble des dépenses militaires, dans la limite de 1,5 % prévue par le programme européen ?
La Commission européenne propose une facilité de prêt pour les dépenses de défense, garantie par le budget européen jusqu'à 150 milliards d'euros. C'est l'instrument Safe. Pouvez-vous nous en préciser les contours ? Les propositions d'émissions d'eurobonds semblent avoir été écartées.
Le moment n'est-il pas venu d'aborder la question des fonds non consommés ? Je pense au plan NextGenerationEU, de 800 milliards d'euros.
Nous devrions mobiliser les capitaux privés, en approfondissant l'union bancaire et financière et en sollicitant la BEI. Nous n'y arriverons pas seulement avec des fonds publics.
Un tel engagement pourrait bénéficier à l'effort militaire, au réarmement scientifique, à la recherche européenne également.
Les rapports Draghi et Letta ont souligné des écueils structurels de l'économie européenne, asphyxiée par trop de règles, trop complexes. Le marché unique reste encore inachevé.
Sur les cinquante leaders mondiaux en matière de technologies, quatre seulement sont européens : ce n'est pas en rapport avec la puissance économique du continent.
La Commission européenne a présenté sa Boussole de compétitivité en 2025. La simplification des normes en est un axe prioritaire - c'est le sens des paquets Omnibus. Nous saluons le cinquième paquet, qui fait la jonction entre Boussole de compétitivité et Livre blanc sur la défense.
Reste que cela fait beaucoup de strates et que nous n'y voyons pas très clair : quelles perspectives sont-elles envisagées pour le déploiement de ces mesures et quelle est la position de la France ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La facilité de financement prévue par la Commission européenne permet aux États d'investir dans la défense sans que ces dépenses soient prises en compte dans la procédure pour déficit excessif.
Dans le cadre du programme Safe, c'est la première fois que des critères de préférence européenne sont appliqués : c'est une avancée majeure. Il s'agit de financer des projets avec au moins 65 % de composants européens et issus de deux États ou plus, afin de réduire nos dépendances. L'Ukraine est prise en compte spécifiquement.
Je suis en phase avec vous sur la simplification, et il faudra autant de paquets Omnibus que nécessaire. Réduisons la charge réglementaire qui pèse sur les acteurs économiques pour supprimer les barrières et tarifs que nous nous sommes imposés à nous-mêmes.
Enfin, nous devons réaliser l'union de l'épargne et de l'investissement pour faire se rejoindre nos capacités et nos besoins de financement.
M. André Reichardt . - Qu'ils soient économiques, stratégiques, environnementaux ou migratoires, tous les défis du moment nécessitent une action coordonnée à l'échelle du continent. Mais cette action européenne suppose-t-elle une extension continue des compétences de l'Union européenne et du champ d'action de la Commission et un empilement continuel de normes et de budgets ?
Depuis quelques années, l'exécutif européen fait preuve d'une tendance excessive à la centralisation et aux empiètements sur la souveraineté des États, y compris en matière de défense. La commission des affaires européennes du Sénat s'en est d'ailleurs inquiétée. (M. Jean-François Rapin le confirme.) Je fais mienne cette alerte sur un dossier essentiel : la révision de la directive Retour.
Certes, je me réjouis que la Commission ait remis l'ouvrage sur le métier, accédant ainsi à la demande de la France et d'autres États membres. Et, bien qu'il reste perfectible, je me réjouis des avancées que comporte le nouveau texte, notamment pour faciliter les éloignements et imposer des obligations de coopération aux étrangers en situation irrégulière.
Mais la Commission propose, une nouvelle fois, de remplacer une directive, instrument d'harmonisation, par un règlement, instrument d'uniformisation. Elle affirme que l'inefficacité de la politique de retour résulte des divergences des politiques nationales, sans que ce lien de causalité ne soit jamais établi.
Elle pousse ainsi à la reconnaissance mutuelle obligatoire des décisions de retour, qui, par effet de cliquet, conduirait à des harmonisations non souhaitées. (M. Benjamin Haddad en convient.) Or la révision de la directive a un objectif avant tout opérationnel : il ne s'agit pas de standardiser par principe ou par réflexe, mais de rendre notre politique plus efficace, ce qui suppose une souplesse d'adaptation laissée aux États membres.
Élaborer le cadre financier pluriannuel est toujours la quadrature du cercle. La nouvelle mouture, qui sera présentée dans trois semaines, ne fait pas exception à cette règle, loin s'en faut. L'Europe s'est créé des charges supplémentaires avec le plan de relance, sans recettes pour y faire face. Le débat sur les ressources propres est dans l'impasse. Dès lors, le recours à un nouvel emprunt commun est plus qu'illusoire. L'Europe est en peine de dégager une stratégie budgétaire claire et réaliste. Entre priorités traditionnelles et nouvelles, elle veut tout financer et tout piloter - je dirai même : tout régimenter.
Les évaluations des besoins de chaque secteur se chiffrent toujours en centaines de milliards d'euros. La vérité est qu'il faudra faire des choix, sur la base d'une revue des dépenses et des priorités.
Dans les années 2010, la participation française moyenne au budget de l'Union européenne était de 20 milliards d'euros par an. Dans les années 2020, de 28 milliards d'euros par an. Même si la France bénéficie du marché unique, ses finances publiques ne pourront pas absorber une hausse comparable sur la période 2028-2034.
La Commission envisage vingt-sept plans nationaux soumis à des jalons et à la mise en oeuvre de réformes. Une approche similaire avait été adoptée pour la PAC : nous l'avions contestée dans son principe. Puis pour la facilité de reprise et de résilience : la Cour des comptes européenne en a remis en cause la pertinence.
Je considère que cette méthode est à proscrire. Il nous faut une politique à l'échelle du continent et des objectifs politiques. Autant il est normal de contrôler a posteriori l'exécution budgétaire des États membres, autant conditionner a priori le déblocage des fonds et enserrer cette conditionnalité dans un tête-à-tête avec la Commission me paraît intrusif. Ne faisons pas de la défiance à l'égard des États le cadre normal des négociations budgétaires.
Dans la guerre entre Israël et l'Iran, l'Europe a été absente, effacée. C'est la négation même de l'idée que nous nous en faisons. Hélas, la répression semble avoir commencé contre celles et ceux qui pensaient que les frappes entraîneraient un changement de régime. Les Iraniens retrouvent la dureté de ce régime, que les femmes du mouvement « Femmes, vie, liberté » connaissent trop bien. Pourquoi ne pas inscrire les Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes ? La crainte des mollahs ne nous rendra pas nos otages Cécile Kohler et Jacques Paris, ce que je regrette particulièrement en tant qu'Alsacien.
Enfin, où en est-on du contrôle des financements européens accordés à des ONG ou associations proches des Frères musulmans ? Le dernier avatar de ces dérives est un « Coran européen » à 10 millions d'euros... Au total, la Cour des comptes européenne parle de 7,4 milliards d'euros dont la trace a été perdue.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous soutenons l'effort de révision de la directive Retour, qui doit s'accompagner d'un renforcement des instruments externes de l'Union européenne. Nous devons assumer un rapport de force avec les pays de départ et de transit. Nous défendons la nécessité de conditionner l'aide au développement au respect du droit international.
Nous partageons la vigilance que vous avez soulignée à propos de la reconnaissance mutuelle obligatoire. Avec Bruno Retailleau, je l'ai dit à plusieurs reprises au commissaire Brunner et aux services de la Commission.
Sur la réforme de l'architecture du cadre financier pluriannuel, la prudence est de mise. Je l'ai dit au commissaire Serafin : la PAC ne doit pas être diluée dans un grand ensemble avec, par exemple, les fonds de cohésion. Il n'est pas possible de renforcer sans débat la conditionnalité et le pouvoir de la Commission vis-à-vis des États. Nous y serons particulièrement vigilants.
Enfin, j'ai déposé avec mon homologue autrichienne une proposition pour renforcer les contrôles a priori et a posteriori des financements européens. La Commission européenne a souligné le manque de transparence de fonds qui vont parfois vers des associations proches des Frères musulmans. Pas un euro du contribuable européen ne doit aller à des ennemis de l'Europe.
M. Teva Rohfritsch . - Nous sommes à un moment charnière de notre histoire collective. La multiplication des tensions et même des conflits ouverts nous rappelle que la stabilité et la paix sont devenues des biens rares. L'Europe doit les défendre avec force.
Pour cela, l'Union européenne doit démontrer qu'elle est plus qu'une addition d'États : une entité assumée, qui défend ses intérêts et affirme ses valeurs. Il faut réaffirmer un cap : bâtir une Europe démocratique, protégeant les libertés fondamentales et l'État de droit, souveraine et prospère. C'est dans l'unité que l'Europe trouvera la force d'agir.
La guerre en Ukraine est un rappel brutal de la vulnérabilité européenne. Les attaques récentes de la Russie montrent qu'elle n'a renoncé à rien. Le soutien à l'Ukraine est une nécessité et doit se structurer dans la durée. Il ne peut plus reposer sur des contributions fragmentées : il faut mutualiser massivement les instruments budgétaires. La France est-elle prête à défendre cette approche ?
L'escalade militaire entre Israël et l'Iran a conduit à des frappes sur des cibles stratégiques, à des représailles et à des pertes humaines importantes des deux côtés. La situation à Gaza ne doit pas en être occultée : un dispositif humanitaire solide et respecté reste à construire. L'Union européenne doit promouvoir les principes qui fondent son identité : primauté du dialogue, protection des populations, respect du droit. Nous devons éviter l'embrasement régional, maintenir des canaux de communication et garantir l'accès à l'aide humanitaire. Les conséquences d'une extension du conflit seraient considérables ; je pense au blocage du détroit d'Ormuz. Quelles mesures la France prévoit-elle pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques ?
Nous devons mener une réflexion de fond sur notre souveraineté économique. Les tensions commerciales avec les États-Unis imposent à l'Union européenne une réponse ferme et constructive. Le dialogue transatlantique ne peut s'accommoder d'un déséquilibre préjudiciable à nos intérêts. Il nous faut une politique commerciale autonome, lisible et offensive quand il le faut. Face à la montée des tensions commerciales, la France est-elle prête à défendre des contre-mesures crédibles ?
La mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile est une avancée notable, mais les équilibres sont fragiles et les pressions aux frontières perdurent. Ce pacte ne convaincra que s'il résiste à l'épreuve des faits. Quelles sanctions et quels leviers d'action sont-ils prévus en cas de manquement d'un État à ses obligations ?
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Nous devons renforcer l'interconnexion entre nos industries de défense - je pense au drone européen. L'instrument ERA, financé à partir des avoirs russes gelés, doit être décaissé plus rapidement. Il faut aussi renforcer les sanctions à l'égard du secteur énergétique russe pour entraver l'effort de guerre.
La situation à Gaza sera bien sûr évoquée. La ligne de la France est claire : cessez-le-feu immédiat, libération de tous les otages, accès à l'aide humanitaire pour tous les habitants de Gaza, relance du dialogue politique en vue d'une solution à deux États. C'est le sens de notre initiative avec l'Arabie saoudite ; la conférence qui devait se tenir à New York n'est que reportée.
S'agissant des droits de douane américains, nous appelons à la désescalade, que l'on n'obtiendra qu'en étant capable d'assumer un rapport de force. Nous examinons un deuxième paquet de 90 milliards d'euros présenté par la Commission européenne. L'Union européenne est dotée d'un instrument anti-coercition qui permet d'élargir les contre-mesures à la taxation des services numériques. Nous avons les moyens de nous faire respecter.
Mme Sophie Briante Guillemont . - L'ordre du jour initial du Conseil européen était fort vaste, incluant par exemple la lutte contre la criminalité organisée. J'attire votre attention sur le rapport de la commission d'enquête sénatoriale qui souligne la nécessité d'une montée en puissance d'Europol en matière de renseignement financier.
Mais le Conseil se concentrera finalement sur les conflits internationaux. Nous peinons à faire entendre une voix européenne forte et crédible, pourtant plus nécessaire que jamais, à l'heure où la diplomatie semble supplantée par les rapports de force. La diplomatie ne peut abdiquer, ni l'Union européenne oublier sa raison d'être : la paix.
La semaine dernière, nous avons reçu au Sénat le président de la Rada d'Ukraine. Il nous a dit que son pays traversait la phase la plus dramatique de la guerre. Ces derniers jours, des frappes russes massives ont visé des cibles militaires mais aussi des écoles et des hôpitaux. Nous devons sanctionner les entreprises européennes qui continuent à fournir les usines d'armement russes. Il est essentiel également de soutenir le processus d'adhésion de la Moldavie, qui est un rempart et où l'influence russe est très forte.
Lors du récent G7, hélas, aucune déclaration commune n'a été signée ; l'Union européenne et les États-Unis ne voguent plus dans la même direction.
La France doit tirer les conséquences de la situation internationale, notamment au Moyen-Orient, pour la sécurité de ses ressortissants à l'étranger. Elle doit insister auprès de ses partenaires pour le respect du droit international et la primauté de la diplomatie.
Les interventions militaires en Iran ont terrifié la population, mais ne provoquent pas de soulèvement susceptible de conduire à un changement de régime. N'oublions pas les tragiques précédents irakiens, libyen et afghan, qui ont débouché sur le chaos.
Quarante-neuf otages sont encore retenus par le Hamas à Gaza, après que l'armée israélienne a rapatrié les corps sans vie de trois personnes. Nous déplorons qu'aucun accord de cessez-le-feu ne soit en vue. La situation alimentaire s'est fortement dégradée : une personne sur cinq est menacée de famine au sein de l'enclave, selon l'ONU. Le Programme alimentaire mondial et l'Unicef ont alerté sur la situation de 71 000 enfants et 17 000 mères, qui ont besoin d'un traitement d'urgence pour malnutrition.
Les conflits se multiplient, gagnent en intensité. Les civils sont toujours les premiers à souffrir. L'Union européenne ne peut rester spectatrice de ces affrontements. Nous espérons que le Conseil européen réaffirmera le caractère cardinal du droit international.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Oui, la défense du droit international, du multilatéralisme, de la diplomatie est la boussole de la France.
Nous mobilisons déjà l'aide au développement pour l'Ukraine. Vous avez mentionné la visite au Sénat du président de la Rada ; le Premier ministre ukrainien a été reçu par François Bayrou à Paris. Nous avons réabondé de 200 millions d'euros l'instrument destiné à accompagner la reconstruction de l'Ukraine. Une conférence internationale se tiendra à Rome sur ce sujet dans les prochains jours.
Nous menons ce travail au niveau européen, mais aussi en partenariat avec nos alliés américains. Un nouveau paquet de sanctions pourrait frapper les pays qui aident la Russie à contourner les sanctions énergétiques, sur l'initiative du sénateur américain Lindsey Graham.
J'ai eu l'occasion de me rendre récemment en Moldavie, un pays en première ligne des démocraties. Nous avons signé un accord entre le Gouvernement et Viginum pour renforcer notre coopération sur les ingérences numériques. Il s'agit d'aider les Moldaves à préparer les prochaines élections législatives, lors desquelles le gouvernement proeuropéen fera de nouveau l'objet de cyberattaques.
M. Olivier Henno . - Difficile de débuter cette intervention sans aborder la situation iranienne. Les États-Unis ont détruit des installations nucléaires iraniennes, qui sont l'une des principales menaces mondiales. Nous inclinons à saluer cette initiative, tout en reconnaissant qu'elle ne s'inscrit pas dans le cadre du droit international. Cette opération ciblée porte un coup majeur au régime des mollahs, mais nous regrettons que l'Union européenne n'ait été ni consultée ni même informée.
Invasion de l'Ukraine, tensions au Moyen-Orient, menaces cyber et hybrides : les défis sont nombreux. Mark Rutte a appelé les pays européens à dépenser 5 % de leur PIB pour leur défense d'ici à 2035 ; c'est considérable. Quelles en seront les conséquences ?
La paix sans défense est une illusion. Nous restons trop dépendants des matériels américains, ce qui limite notre autonomie et affaiblit notre capacité d'action en temps de crise.
La Commission européenne a présenté le plan ReArm Europe. Près de 150 milliards d'euros sont prévus pour des achats conjoints, ainsi qu'un soutien renforcé de la BEI. Nous devons dépenser plus, mais surtout mieux et ensemble : c'est ainsi que nous construirons un véritable marché unique de la défense.
Nous devons déployer rapidement des projets concrets : drones, mobilité militaire. Les coopérations se multiplient, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de défense. Nous devons aller plus loin, mais ce point de vue est-il partagé par nos partenaires ?
J'en viens à l'enjeu de la compétitivité. L'Europe doit bâtir ses propres gigabases de données : cela exige une production électrique fiable, abondante et décarbonée. L'Union européenne a lancé l'initiative Invest AI pour 200 milliards d'euros, dont 20 milliards pour les gigafactories. À l'occasion du dernier VivaTech, Nvidia a annoncé l'ouverture de nouveaux sites en Europe et révélé son futur partenariat avec Mistral AI. Ces gigafactories nécessitent une augmentation de 15 % de la production électrique. C'est un immense défi que nous mesurons bien dans le Nord, particulièrement à Maubeuge. Des centres IA souverains relanceront notre industrie et créeront plusieurs milliers d'emplois directs et indirects.
Nous devons nous emparer du rapport Draghi, alors que l'Europe est en perte de vitesse économique et risque le déclassement, prélude à la marginalisation. Pas moins de 176 mesures concrètes sont proposées dans le rapport, feuille de route pour la Commission européenne pour la période 2024-2029. L'Europe doit notamment investir 4 à 5 % de son PIB dans l'innovation et les infrastructures décarbonées : où en sommes-nous ?
En janvier, un plan opérationnel inspiré du rapport Draghi a été présenté : la Boussole pour la compétitivité. Un régime simplifié pour les start-up est notamment prévu. Ces mesures vont dans le bon sens, mais il faut accélérer la mise en oeuvre du rapport Draghi.
Les droits de douane entre l'Europe et les États-Unis seront certainement abordés par le Conseil. L'Union semble avoir reconnu son impuissance face aux 10 % américains. J'ai peur que son ambition ne se borne désormais à éviter une nouvelle augmentation.
L'Europe ne peut plus se comporter en spectatrice, même engagée. Prenons en main notre destin. Une Europe forte et cohérente est notre assurance vie dans un monde de plus en plus dangereux. Osons faire ce choix stratégique pour nos enfants, pour l'Europe et pour la France.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Vous avez raison : l'effort de réarmement et de défense est lié à l'effort de compétitivité - l'exemple du quantique l'illustre bien.
Il faut le dire, nous sommes loin de la mise en oeuvre du rapport Draghi. Il est temps de « délivrer », pour le dire en mauvais français. Nous en sommes encore à simplifier des textes : il faut accélérer. Pas moins de 300 milliards d'euros d'épargne européenne franchissent l'océan tous les ans pour financer des projets américains. Sur le régime simplifié pour les start-up, pourquoi attendre 2026 ? Et ne nous limitons pas aux start-up : étendons cette approche à toutes les entreprises qui souhaitent se développer plus facilement.
La BEI doit investir davantage dans des projets européens en matière de défense : son mandat a été changé en ce sens.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Au lendemain des frappes illégales d'Israël et des États-Unis, la déclaration de l'E3 affirme son soutien à la sécurité d'Israël. Les autres peuples du Moyen-Orient n'auraient-ils pas droit à la sécurité ? « L'Iran ne pourra jamais posséder l'arme nucléaire », bêle-t-on - en approuvant donc les frappes.
Pourtant, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et les services de renseignement américains, l'Iran n'est pas en train de produire une bombe.
En 2003, contre la guerre d'Irak, la France se levait pour défendre le droit. Monsieur le ministre, condamnez-vous l'attaque américaine et israélienne comme une violation flagrante du droit international ?
Le Livre blanc de la défense, présenté par la Commission européenne le 19 mars dernier, assume ce cap stratégique. On y parle d'unité, de souveraineté stratégique, d'autonomie européenne, alors que priment le tropisme atlantiste et un capitalisme de prédation, où rivalités économiques et militaires se nourrissent l'une l'autre.
En 2024, les membres européens de l'Otan dépensent trois fois plus que la Russie pour leur défense ; l'Europe a quatre fois plus de navires, trois fois plus de chars, deux fois plus d'avions de chasse que la Russie.
Ce Livre blanc prévoit un investissement de 800 milliards d'euros pour la défense, pour des raisons avant tout idéologiques et industrielles. Composé d'un prêt de 150 milliards d'euros pour acheter du matériel militaire, à 65 % fabriqué en Europe, et de 650 milliards débloqués grâce à une clause d'exception du pacte de stabilité, c'est un piège budgétaire. La Commission en a décidé seule, via un 49.3 européen.
La France est sous procédure pour déficit excessif, et vous déclariez récemment qu'il n'y avait pas d'argent magique. Et voilà que l'Union européenne autorise les États à creuser leur déficit jusqu'à 1,5 % du PIB, pendant quatre ans. Pour la défense, l'argent coule à flots - mais pour la santé, l'éducation ou les transports, on brade. Qui paiera quand la clause dérogatoire prendra fin ? Nos services publics, bien sûr !
Alors que l'industrie automobile s'effondre, que l'Allemagne sombre dans la récession, la solution miracle serait le réarmement ? Le secteur de la défense est peu créateur d'emplois. Investissons plutôt dans la consommation, la santé, l'éducation et les infrastructures !
On ne construit pas la paix avec des missiles. On ne soigne pas les fractures sociales avec des budgets militaires. Ces décisions prises loin des intérêts populaires se paieront cher.
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - La position de la France est claire et constante : l'Iran ne peut pas, ne doit pas se doter de l'arme nucléaire. Vous dites que l'Iran ne cherche pas à construire une bombe, mais l'AIEA confirme qu'il viole le traité de non-prolifération. Quand l'Iran enrichit de l'uranium à 60 % - alors que 3,5 % suffit pour du nucléaire civil ; quand il enfouit ses centrales, on peut légitimement s'interroger.
Lors de son premier mandat, Trump a choisi de sortir du JCPoA. La France, elle, plaide pour la voie de la diplomatie, du droit international, pour construire un cadre de sécurité durable.
Ne soyons pas naïfs sur les intentions du régime iranien, qui soutient le terrorisme, le Hamas, le Hezbollah, les Houthis, qui ont tué nos compatriotes, notamment le 7 octobre, qui livre drones et missiles à la Russie, qui emprisonne Cécile Kohler et Jacques Paris dans des conditions indignes.
Notre position est claire. Pas d'alignement, mais une ligne : celle de la défense du droit international, de nos intérêts, de notre sécurité.
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) À l'issue de ces douze jours qui ébranlèrent le monde, le Conseil européen doit répondre à des questions existentielles. Netanyahu et Trump ont unilatéralement lancé une guerre préventive, à contre-pied des initiatives diplomatiques et au mépris du droit international. L'Europe est-elle marginalisée, impuissante, condamnée à subir les choix de l'imprévisible président américain ?
Ce Conseil européen sera-t-il un moment de fermeté ? De détermination collective ? Ou affichera-t-il nos faiblesses, nos fissures ? L'un se réjouit qu'Israël fasse « le sale boulot » et salue les frappes américaines en Iran ; notre Président, lui, les juge « illégales » et prône la voie diplomatique... C'est en effet illégal - mais nos dirigeants ne condamnent pas, tétanisés à l'idée que Trump réduise son soutien à l'Ukraine. Nous savons pourtant d'expérience que la force brutale, l'humiliation ne construiront pas un ordre juste et durable au Moyen-Orient. La seule perspective qu'ouvrent ces frappes est celle du chaos.
Si l'Europe n'affirme pas le primat du droit sur la force, qui le fera ? Il faut savoir nous désolidariser lorsque les États-Unis abandonnent une cause juste - l'Ukraine, la Palestine - ou soutiennent une cause injuste - les frappes préventives israéliennes. Nous désolidariser - sans pour autant céder au récit de la Russie ou de la Chine.
La Russie profite de ce glissement de priorités. Ainsi, 20 000 missiles antidrones, initialement destinés à l'Ukraine, ont été réaffectés par les États-Unis au Moyen-Orient, face à la menace iranienne. Pour l'Ukraine, l'Europe et la France ne peuvent se montrer faibles et incohérentes. Céder au marchandage du Premier ministre hongrois, qui veut continuer à s'approvisionner en énergie russe, serait indigne.
Les Palestiniens, aussi, ont plus que jamais besoin d'une Europe claire et déterminée. Pourquoi l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël n'est-il pas d'ores et déjà suspendu ? Actionnons sans attendre ce levier contre un Premier ministre israélien fauteur de crimes de guerre, qui détruit des villes, organise la famine, assassine aux abords des distributions alimentaires.
En 2013, le renoncement à intervenir en Syrie a prolongé les souffrances des victimes et convaincu Poutine d'annexer la Crimée. Douze ans plus tard, l'Europe n'ose même pas suspendre l'accord d'association, dont Israël a violé la clause sur les droits humains ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - J'ai déjà évoqué ces sujets ; inutile de me répéter. (M. Thomas Dossus proteste.)
M. Michaël Weber . - Quelle sera la position de la France à l'égard de la décision unilatérale d'Israël et des États-Unis d'attaquer l'Iran en toute illégalité ? Quels sont les moyens de l'Union européenne pour garantir le respect du droit international par les parties et permettre une résolution diplomatique durable du conflit ?
Où en est le projet de parapluie nucléaire pour l'Europe ? Une possible extension de la dissuasion française à d'autres pays européens sera-t-elle discutée lors du Conseil ?
La décision de bombarder l'Iran n'était pas fondée sur des preuves tangibles d'une menace imminente, le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas été consulté ; l'attaque israélienne n'est pas de la légitime défense, mais bien une guerre préventive, illégale. Les efforts de négociation européens ont été balayés.
La fragile trêve obtenue n'efface pas nos inquiétudes sur un éventuel renversement du régime iranien par la force. En Irak et en Libye, les interventions militaires des puissances occidentales, sans aval de l'ONU, ont conduit à des décennies de chaos.
Comment qualifier ces démocraties belliqueuses, complices d'exactions contre des populations civiles ? Comment croire en la bonne foi du régime israélien qui invoque le droit à la légitime défense, alors que son armée cible des infrastructures civiles et affame la population ?
Notre opposition au régime iranien est totale, mais ne justifie pas qu'on piétine le droit international et humanitaire.
Quelles sanctions l'Union européenne est-elle prête à envisager pour mettre fin à cette brutale loi du talion ? Quelle position la France défendra-t-elle vis-à-vis d'une possible tentative de renversement du régime iranien par la force ? (Mme Audrey Linkenheld applaudit.)
M. Benjamin Haddad, ministre délégué. - Sur l'Iran, notre position est claire : nous nous opposons à un changement de régime par la force. Nous en avons vu les effets déstabilisateurs en Libye et en Irak... Le changement doit venir de l'intérieur.
La France a soutenu le réexamen par Kaja Kallas de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. La Commission européenne rendra ses conclusions au mois de juillet, notamment eu égard au respect de l'article 2 ; nous débattrons alors de la suite.
La France soutient les efforts de réforme engagés par l'Ukraine en vue d'une adhésion à l'Union ; il est regrettable que ce processus soit pris en otage par un seul État membre, qui bloque l'ouverture des prochains chapitres de négociations.
À quelques jours de la Gay pride de Budapest, je rappelle que l'Union européenne est une union de valeurs. État de droit, protection des minorités, indépendance de la justice, liberté des médias : quand celles-ci ne sont pas respectées, nous devons être intraitables. C'est pourquoi certains financements du plan de relance de la Commission européenne n'ont pas été versés à la Hongrie.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à tous les groupes.
L'ordre du jour du Conseil sera dense. Nous avons beaucoup évoqué la géopolitique. On oublie que la force de l'Union européenne, c'est aussi son marché intérieur, un marché envié et attractif.
Les touristes qui se rendent au Royaume-Uni s'acquittent d'une taxe de 20 livres sterling, pour deux ans. Pourquoi ne pas faire de même ? Ce serait une nouvelle ressource complémentaire.
La question de la compétitivité est essentielle pour notre marché intérieur et notre autonomie stratégique.
La semaine dernière, nous avons adressé un avis politique à la Commission européenne sur le futur cadre financier pluriannuel, qui évoquait plus spécifiquement deux thèmes chers au Sénat : la pêche et l'agriculture.
Oui à la transition écologique, mais il faut rééquilibrer les choses, nous l'avons dit maintes et maintes fois. Désormais, le navire européen semble emprunter un cap plus réaliste et plus intelligible.
La France reste un grand pays fondateur de l'Union. Elle est quand même écoutée - je l'ai constaté lors de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) en Pologne il y a quelques semaines. Cela doit perdurer.