Programmation et simplification dans le secteur économique de l'énergie (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, rejetée par l'Assemblée nationale, portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.

Discussion générale

M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie .  - Je salue à mon tour la délégation suisse, en tant qu'ancien député représentant les Français établis en Suisse.

Certaines lois façonnent l'avenir et creusent des sillons durables. Nous parlons de la capacité de la France à produire son énergie, à maîtriser son destin, à tenir sa place dans le monde ; d'un choix de société qui nous engage pour les décennies à venir.

L'énergie n'est pas un luxe. C'est la condition pour que nos usines tournent, pour que nos territoires innovent, pour que nos concitoyens puissent vivre, se déplacer, travailler. C'est un levier stratégique, un socle industriel, un choix d'avenir.

Cette loi répond aux attentes de ceux qui ont besoin d'une énergie abondante, décarbonée, compétitive, pour produire en France. Nous leur devons une loi solide, qui assume de planifier, de produire et d'investir.

Les ambitions du Gouvernement sont simples. Sortir de notre dépendance aux énergies fossiles importées. Faire de l'électricité décarbonée un levier au service de l'industrie. Voilà notre cap.

Depuis octobre, nous avançons ensemble. Je salue l'engagement du sénateur Gremillet, le sérieux des rapporteurs Cadec et Chauvet, l'investissement de ma prédécesseure, Olga Givernet.

Le Sénat a su dépasser les clivages et préserver l'essentiel. D'abord, la relance historique du nucléaire, grâce au rétablissement de l'article 3, supprimé par l'Assemblée nationale en commission. La loi énonce des objectifs ambitieux : 27 gigawatts de capacités supplémentaires d'ici 2050, six EPR2 d'ici à 2026, huit supplémentaires d'ici à 2030, et la fermeture du cycle de combustible. C'est un choix stratégique, une boussole, une promesse pour les 200 000 travailleurs de la filière. Cette relance concrète est déjà engagée. Le Conseil de politique nucléaire du 17 mars a posé les bases de son financement. L'État et EDF ont finalisé un projet d'accord, validé à l'unanimité par le conseil d'administration d'EDF. Le Grand Chantier EPR2 Gravelines est lancé. Nous avançons, pour le climat, pour l'industrie, pour la nation.

Mais le nucléaire ne pourra pas tout. D'où le deuxième pilier de notre stratégie : un mix énergétique équilibré, garant de notre souveraineté et de notre compétitivité. Notre dépendance aux énergies fossiles nous coûte cher. Économiquement : 70 milliards d'euros par an. Diplomatiquement, en nous rendant dépendants de pays étrangers, et par conséquent vulnérables.

Nous ne voulons plus subir, mais agir. Pour cela, il faut moins de fossile, plus d'électricité, plus vite. Il faut donc combiner la puissance du nucléaire et le potentiel des énergies renouvelables. Ces énergies propres, complémentaires, nous rendront autonomes. Cette force, vous l'avez renforcée avec l'article 5 : 200 TWh d'électricité renouvelable d'ici à 2030, 360 TWh de nucléaire, 297 TWh de chaleur, 44 TWh de gaz renouvelable injecté. Un mix équilibré et responsable.

Ces dernières semaines, le débat s'est enflammé. L'idée d'un moratoire sur les projets solaires et éoliens a agité les esprits, avant d'être rejetée par l'Assemblée nationale. Elle a inquiété les territoires, menacé des milliers d'emplois. Ces crispations ont ressurgi avec une récente tribune, dont je déplore les constats et les recommandations.

Nul ne saurait ignorer la réalité économique. Certaines énergies renouvelables sont très compétitives, à l'instar du projet photovoltaïque Horizeo. Sans aucune subvention publique, il produira une énergie compétitive à 70 euros le mégawattheure. Ce n'est pas un cas isolé : de nombreux autres projets n'attendent qu'un cap clair, et stable.

Nul ne saurait ignorer les limites de la production d'énergie nucléaire. C'est un pilier, que je n'ai cessé de défendre, mais qui ne peut être le seul. Notamment, car en période de fortes chaleurs, les centrales doivent réduire leur production - on l'a vu à Golfech et au Bugey la semaine dernière. Le tout nucléaire ne suffit pas. L'hydroélectricité présente aussi des limites en cas de fortes chaleurs ou de sécheresse.

Les énergies renouvelables viennent donc compléter ces productions. Elles ont leurs contraintes -  ne peuvent être déclenchées sur demande, supposent des adaptations, sur les signaux tarifaires, les flexibilités du réseau. Le tout renouvelable ne suffit pas non plus.

Je respecte les convictions et le débat d'idées, mais la guerre fratricide du nucléaire et des renouvelables n'a que trop duré. Le vrai combat, c'est la sortie des fossiles.

La responsabilité dont a fait preuve le Sénat me rassure : nous avançons ensemble. Le Gouvernement présentera quelques amendements. À l'article 5, nous veillerons ainsi à mieux intégrer le froid renouvelable pour rafraîchir les bâtiments.

Notre ambition est de publier la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) avant la fin de l'été ; c'est indispensable pour donner de la visibilité, pour lancer les appels d'offres pour l'éolien en mer, pour que nos industriels investissent, que nos jeunes se projettent. Sans visibilité, pas de confiance ; sans confiance, pas d'investissement ; sans investissement, ni réindustrialisation ni souveraineté énergétique.

À Yeu-Noirmoutier, les acteurs de l'éolien en mer nous regardent ; au Creusot, les jeunes qui se forment aux métiers du nucléaire aussi. Cette proposition de loi apportera clarté et visibilité. Nous avons besoin d'une feuille de route pour produire plus et mieux. L'urgence est aussi industrielle. Des usines dépendent de ces énergies. Le grand carénage et le nouveau nucléaire nécessiteront près de 100 000 recrutements ; dans les renouvelables, nous cherchons à faire émerger des chaînes industrielles. C'est déjà le cas pour l'éolien en mer et les projets sont en route pour le photovoltaïque. La PPE pérennisera ces emplois.

Cette programmation sera aménagée pour tenir compte des débats parlementaires. La cible de production nucléaire pourra être rehaussée. La cible de puissance pour les énergies renouvelables sera adaptée, sans renier la complémentarité entre nucléaire et renouvelable mais en cherchant le bon équilibre.

Ce texte essentiel doit tracer une voie, fixer un cap, envoyer un signal de cohérence, de lucidité et d'ambition. Je sais pouvoir compter sur votre responsabilité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Alain Cadec, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP) Je suis chargé du titre I sur la programmation énergétique.

En première lecture et avant de rejeter le texte, l'Assemblée nationale avait supprimé neuf articles, en avait modifié neuf et ajouté quinze. Il y avait des modifications intéressantes, mais aussi nombre d'ajouts inopportuns. Nous nous rallions à la réécriture par l'Assemblée nationale de l'article 3, qui consacre la construction de 27 gigawatts de nouveau nucléaire d'ici 2050, avec six EPR2 d'ici 2026 et huit EPR2 d'ici 2030. Cela garantit un mix nucléaire aux deux tiers d'ici 2030.

Nous acceptons également la réécriture de l'article 5. Les objectifs sénatoriaux sont maintenus : 560 TWh d'électricité décarbonée, 297 TWh de chaleur renouvelable et 44 TWh de biogaz injecté d'ici 2030.

En revanche, nous regrettons l'abaissement à 4,5 gigawatts de l'objectif en matière d'hydrogène, à 330 000 logements de l'objectif en matière de rénovation énergétique, et la suppression de tout objectif d'efficacité énergétique via les certificats d'économies d'énergie (C2E).

Nous déplorons l'ajout d'objectifs inapplicables : la sortie du marché européen de l'énergie, le changement de statut d'EDF, l'extension des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) et de gaz (TRVG), l'obligation de rouvrir Fessenheim ou les centrales à charbon, l'instauration d'un moratoire sur les projets d'éolien et de solaire.

Parce qu'il est urgent de légiférer sur la PPE, notre commission a opté pour une position responsable.

Nous avons repris plusieurs apports utiles de l'Assemblée nationale. Aux articles 3 et 5, nous avons intégré les objectifs de production nucléaire et renouvelable. Un sous-amendement de MM. Mandelli et Longeot encadre les projets éoliens en privilégiant le renouvellement des parcs. Nous avons inclus les objectifs de stabilité des prix, de flexibilité et d'effacement, de rénovation et d'efficacité énergétiques, de sortie des centrales à charbon, de décarbonation des outre-mer.

En revanche, nous avons écarté les propositions contraires au cadre juridique et à la réalité économique. Le droit européen n'autorise pas les évolutions proposées sur le statut d'EDF, l'extension des TRVE ou la réintroduction des TRVG ; le législateur n'a pas à imposer des réouvertes de centrales ou à interdire des projets éoliens ou solaires.

Cette proposition de loi n'épuise pas les autres chantiers. Il faudra évaluer le coût des projets d'énergies renouvelables pour faire évoluer certains dispositifs de soutien public, dans un souci de maîtrise des coûts. Cela relève de la prochaine loi de finances.

Je vous invite à adopter cette proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur quelques travées du groupe INDEP)

M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques . (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Je suis pour ma part chargé du titre II. En première lecture et avant de rejeter le texte, l'Assemblée nationale l'a recentré sur son volet programmatique, face au nombre d'amendements déposés. Les députés ont eu la main lourde, supprimant vingt-trois articles, dont ceux sur la simplification de normes, la protection des consommateurs ainsi que des demandes de rapport.

Toutefois, à l'article 16 ter, le Gouvernement a fait adopter une mesure sur la gestion des déchets radioactifs ; à l'article 25 F, le rapporteur Antoine Armand a fait adopter une demande de rapport sur l'application des objectifs et le décret sur la PPE. Ce type de disposition n'est donc pas si inutile...

Les articles non programmatiques n'ont rien d'accessoire. Ils sont issus des travaux de notre commission des affaires économiques, menés par Daniel Gremillet pour le suivi de la loi Nouveau nucléaire et par moi-même pour la loi Aper. Les filières du nucléaire, des renouvelables et de l'hydrogène ont plébiscité les mesures de simplification qui les concernent. La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) a soutenu celles en faveur des collectivités territoriales. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) et le Médiateur national de l'énergie (MNE) ont salué les mesures de régulation et de protection.

Nous avons pris acte d'un nécessaire recentrage du texte sur le volet programmatique, pour faciliter son examen en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Aussi, nous avons proposé de supprimer une partie du titre II sur la simplification des normes. Nous veillerons à ce que les articles ainsi supprimés prospèrent dans d'autres véhicules.

Ont été maintenus les articles 14 à 16 bis, sur la simplification des projets nucléaires, ainsi que les articles 23 à 24, sur la protection des consommateurs. Un amendement a été adopté, à la demande de la CRE, pour actualiser l'article 24. Enfin, nous avons reconduit les demandes de rapport d'information.

Ce texte fixe un cap bien au-delà des cinq prochaines années. Je vous invite à l'examiner par-delà l'écume de l'actualité. Nos concitoyens attendent du Sénat qu'il soit un pôle de constance et de stabilité, qu'il tienne la barre par temps agité, qu'il trouve des équilibres et des compromis. Soyons à la hauteur de l'enjeu, fidèles aux choix que nous avons exprimés en octobre 2024 ! Je vous invite à adopter la proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°40 de M. Jadot et alii.

M. Yannick Jadot .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Fabien Gay et Mme Gisèle Jourda applaudissent également.) Comment une proposition de loi qui ne visait qu'à rappeler ses responsabilités au Gouvernement peut-elle devenir la loi ? Depuis 2022, tous les gouvernements ont failli à présenter le projet de loi de programmation de l'énergie exigé par la loi du 8 novembre 2019. Une loi de programmation est nécessaire - mais assortie d'une étude d'impact, d'un avis du Conseil d'État, d'une trajectoire financière !

Il s'agit de nous adapter au défi du dérèglement climatique ; de tirer les leçons de la guerre en Ukraine, de nos dépendances aux énergies fossiles et de nos complaisances envers des régimes totalitaires ; d'investir pour bâtir les infrastructures des décennies à venir. Mais que savons-nous de l'effet de cette loi sur le prix de l'électricité, sur les investissements publics, sur l'équilibre offre-demande, sur notre souveraineté ? Rien. Zéro, nada, walou. C'est irresponsable.

Merci, monsieur le ministre, de votre mise au point concernant les propos de votre collègue Retailleau sur les renouvelables (exclamations à droite), mais la représentation nationale ne comprend plus la parole gouvernementale. Lors du débat au titre de l'article 50-1, vous disiez que les décrets seraient publiés avant l'été ; lors des questions d'actualité au Gouvernement, dès la fin de l'examen de cette proposition de loi. Désormais, vous nous dites : avant la fin de l'été.

Nous assistons, sidérés, à la démission de fait du Gouvernement. Les acteurs des énergies renouvelables tremblent devant tant d'indécision et d'incertitude - on est loin des grands plans solaire et éolien, loin de tenir nos obligations européennes. Nos entreprises risquent le dépôt de bilan, des milliers d'emplois sont menacés, dans un secteur pourtant clé pour notre résilience et notre souveraineté !

Ce texte supprime les objectifs exprimés en part d'énergie renouvelable dans la consommation et la production, pour les remplacer par un objectif de 58 % d'énergie décarbonée dans la consommation finale brute en 2030. Cela revient à environ 33 % de renouvelable... Nous proposons de revenir à un objectif de 44 % dans la consommation finale et de 45 % dans la production d'électricité.

Le reste du monde prend de l'avance : 93 % des nouvelles capacités de production électrique installées dans le monde en 2024 sont en renouvelable ! Ce sont seize millions d'emplois, dont sept millions dans le solaire.

Les filières du renouvelable résistent, soutenues par l'opinion publique, mais jusqu'à quand ? Chers parlementaires de droite...

M. Alain Cadec, rapporteur.  - Et du centre !

M. Yannick Jadot.  - ... elles sont pétrifiées par votre discours anti-économique, teinté d'antiscience. C'est cinquante nuances de climatoscepticisme ! Vos derniers alliés antirenouvelables s'appellent Trump, Meloni, Orban, Poutine... (Mme Monique de Marco applaudit ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Piednoir.  - Tout dans la nuance !

M. Yannick Jadot.  - Est-ce là le camp du progrès ?

En 2010, François Fillon avait décrété un moratoire sur les projets photovoltaïques. Résultat : quinze mille emplois détruits. Tout ça pour finir payé par les pétrogaziers russes... Qu'il se rassure : le coût des importations d'énergies fossiles dépasse les 60 milliards d'euros par an.

La France sort de l'accord de Paris par la petite porte. En 2024, nos émissions de gaz à effet de serre n'ont baissé que de 1,8 %, quand il aurait fallu faire deux fois plus. En 2025, la baisse n'est que de 0,8 %... Et cet effondrement devrait tourner à la débâcle, au vu des coupes budgétaires massives dans les transports ou le logement.

Il est urgent d'agir - or cette proposition de loi nous fait perdre dix ans en misant tout sur le nouveau nucléaire. Les nouveaux réacteurs verront le jour en 2040 au mieux. Et d'ici là ? On sacrifie la rénovation thermique des logements, l'électromobilité et les renouvelables ?

Coût des six premiers EPR2 : 51 milliards d'euros en 2020, 67 milliards en 2024, et on parle de 100 milliards... Soit 16 milliards d'euros l'unité, pour un MWh à 130 euros. C'est trop tard, trop cher !

Il y a bien une énergie intermittente, celle de l'EPR de Flamanville, qui tourne et fuit, tourne et fuit (rires sur les travées du GEST), dont le coût est passé de 3 à 23 milliards d'euros, avec une décennie de retard.

Sans surprise, la Cour des comptes demande d'attendre la sécurisation du financement et l'avancement des études de conception. Car à ce stade, ce programme n'est ni finançable ni rentable. L'urgence climatique et la raison économique exigent de rééquilibrer le mix énergétique avec des politiques de sobriété et d'efficacité, et le déploiement massif d'énergies renouvelables. Par respect pour le travail parlementaire et l'intelligence collective, je vous invite à voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Fabien Gay applaudit également.)

M. Alain Cadec, rapporteur.  - Cette motion est caricaturale et incompréhensible. L'article 2 de la loi Énergie-climat nous impose de légiférer sur la PPE. La quasi-totalité des parlementaires a demandé que le Gouvernement ne prenne pas de décret sur la PPE sans débat législatif préalable. C'est aussi une nécessité économique, car la filière nucléaire a besoin d'une assise législative pour mettre sa relance à l'abri des contentieux et des soubresauts. Avis défavorable.

M. Marc Ferracci, ministre.  - Sans surprise, avis défavorable. Nous avons besoin d'une assise pour donner de la visibilité aux industriels. Les débats ici et à l'Assemblée nationale ont éclairé l'opinion sur les enjeux de notre politique énergétique. J'attends beaucoup de nos échanges.

La motion n°40 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Fabien Gay .  - Cette proposition de loi trace un sillon pour les décennies à venir, a dit le ministre. En effet. Mais nous sommes dans une impasse démocratique. Cela fait quatre ans qu'on nous promet une PPE ! Daniel Gremillet, à raison, a pris cette initiative pour forcer la main du Gouvernement.

En première lecture, nos échanges ont été sérieux. Entre-temps, la donne a changé : la droite sénatoriale a rejoint la minorité présidentielle. À l'Assemblée nationale, la droite s'est entendue avec le RN pour détricoter le travail de la majorité sénatoriale, si bien que personne ne reconnaît ses petits. On a voté des choses ahurissantes, comme la réouverture de Fessenheim ou le moratoire sur les énergies renouvelables. Vous avez raison de dire que ce n'est pas tenable. Nous avons tous été alertés des menaces sur l'emploi.

Dans Le Figaro, le chef de la droite, Bruno Retailleau, indique être favorable au moratoire. (On le conteste vigoureusement sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Nous n'avons pas de réponse sérieuse. Nous sommes favorables à la relance du nucléaire, mais il manque 20 milliards d'euros. À la fin de l'année, l'Arenh s'arrêtera. Comment fonctionnera le nouveau système ? Quid de la fin des tarifs réglementés, qui concernent 21 millions de ménages ? Comment sera calculé le tarif de l'électricité ? Nous nous opposons à ce que la TVA sur l'abonnement passe de 5,5 % à 20 %. La facture des ménages va-t-elle augmenter au 1er août ? Quand pourra-t-on débattre ? Quand une chose est mal engagée, il faut arrêter !

Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et proposer un projet de loi de programmation pluriannuelle. Ainsi, nous pourrons en débattre de façon démocratique. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER ; M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. Daniel Salmon .  - L'énergie est un bien commun, au coeur de notre souveraineté. Sur un tel sujet, passer par une proposition de loi est inquiétant... Nous regrettons les conditions du débat et le flou qui l'entoure. Or il est urgent de fixer un cap pour les filières industrielles, notamment l'éolien en mer.

Le GEST dénonce la relance à l'aveugle du nucléaire, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. Manque également un plan de financement, alors que la construction de six nouveaux EPR coûtera 80 milliards d'euros, selon la Cour des comptes - pour une technologie qui n'a toujours pas fait la preuve de sa robustesse.

Malgré votre foi en l'atome, le premier EPR2 ne produira pas son premier MWh avant 2040, même en brûlant des cierges. Or la demande en électricité va s'envoler en 2030-2035.

Nous sommes bien devant un choix de société. Le vôtre est clair : abandonner la souveraineté et la sobriété et tout miser sur le nucléaire, avec les énergies renouvelables en supplétifs. Vous maintenez la France dans une dépendance suicidaire aux énergies fossiles et à l'uranium pour les décennies à venir. Quelle crédibilité la France aura-t-elle en tournant ainsi le dos à l'accord de Paris ?

Nous déplorons l'abandon des objectifs chiffrés de rénovation globale des logements. C'est un signal désastreux pour la filière et pour les Français qui souffrent du froid l'hiver et de la chaleur l'été. Cette politique devrait pourtant faire l'unanimité, mais vous préférez le déni. Votre foi aveugle dans le technosolutionnisme atomique retarde toute action pour une vraie transition énergétique. Mirage que de croire qu'on va décarboner l'aérien grâce aux agrocarburants !

Il y a urgence à prendre le chemin de l'intérêt général, de la bifurcation énergétique, de la maîtrise publique de l'énergie. La seule trajectoire possible est la maîtrise de la consommation, la flexibilité de la demande, l'efficacité et le développement massif des renouvelables. Il nous faut un projet de loi de programmation digne de ce nom. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Franck Montaugé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis plus d'un an, le groupe SER attend un projet de loi de programmation - or nous examinons une proposition de loi. La motion déposée par le GEST l'a dénoncé à raison -, mais il nous faut avancer, dans l'intérêt de la nation.

La méthode nous interpelle d'autant plus que les différentes possibilités de mix énergétique doivent prendre en compte l'efficacité escomptée des politiques de sobriété. Rien sur les niveaux de production visés, ou les échéances - question pourtant centrale. Le premier comité de suivi « Futurs énergétiques 2050 » se tiendra après-demain.

Il manque à cette proposition de loi une solide étude d'impact pour mesurer les conséquences du mix proposé sur les coûts de production, les réseaux, la flexibilité, et le prix payé par les consommateurs.

Nous trouvons des réponses dans l'étude de RTE. La politique française doit permettre d'atteindre les objectifs fixés au niveau international et européen. Quel scénario retenir en fonction des coûts de production moyens et actualisés, de l'acceptation des installations sur le terrain, des objectifs de souveraineté, des considérations géopolitiques ?

Cela dit, compte tenu de l'indécision gouvernementale et du flou préjudiciable qui en résulte, cette proposition de loi est bienvenue, et j'en salue les auteurs.

Il faut être clairs sur les hypothèses de consommation nationale à moyen et long terme. L'actualité d'ArcelorMittal, avec son cortège de suppressions d'emplois, fait obligation au Gouvernement de nous donner ses projections en matière industrielle.

Les décisions concernant le mix énergétique se prennent pour cinquante ans ou plus. Les filières ont besoin de stabilité et de visibilité. Les dépenses de l'État doivent aussi être optimisées dans un contexte budgétaire dégradé. Sur quel scénario travailler dès lors ?

Nous privilégions un scénario équilibré, avec au moins 50 % de nucléaire, le reste étant constitué d'énergies renouvelables non pilotables. Ce scénario optimise les coûts de production, de réseaux et de flexibilité. Un moratoire sur le développement des énergies renouvelables non pilotables n'a aucun sens. Nous rejetons l'idée d'un nucléaire de transition ; il faut développer les énergies renouvelables non pilotables en fonction des progrès de stockage de l'électricité.

Notre vote final sera fonction du sort réservé à notre amendement n°67 à l'article 3, qui propose un scénario équilibré et réaliste. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) D'une occasion historique, nous avons fait une polémique politicienne et caricaturale, faute d'écoute et de volonté politique. Depuis quand passe-t-on par une proposition de loi pour un sujet si important ? Pas d'étude d'impact, pas de vision, cette programmation méritait mieux. Le Gouvernement s'est désengagé au profit de ce qui aurait dû être un texte d'appel. À la fin, on dira que les parlementaires ne savent pas décider - et l'on prendra le décret dans l'ombre, sans débat. (Mme Corinne Imbert renchérit.)

Le dernier vrai plan national de l'énergie remonte au plan Messmer...

À l'heure où le monde s'embrase et où les finances de la France chancellent, notre souveraineté énergétique s'effrite, les industriels hésitent à investir, notamment dans la décarbonation, et les Français paient des prix instables, opaques et incompréhensibles.

Pendant ce temps, nous débattons d'une trajectoire nationale sans cap, sans cohérence, sans vision.

Tout en la regardant avec bienveillance, sans espoir de reprise par le Gouvernement, je déplorais une proposition de loi de plus pour caler nos armoires déjà surchargées. Toutefois, après un débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution et l'examen du texte à l'Assemblée nationale, nous avons voulu relever le défi. Je remercie le député Henri Alfandari.

Nous avons voulu croire à un État stratège pour nos entreprises et nos habitants. Nous voulions une vision à soixante ans qui prenne toutes les technologies en compte, pour donner une visibilité. C'est le bon sens attendu par les investisseurs, industriels et professionnels du secteur : redonnons-leur confiance ! Hélas, c'est trop compliqué, apparemment.

Nous regardons par le petit bout de la lorgnette, et légiférons au rythme des mandats électoraux. Le rejet de l'Assemblée nationale et la règle de l'entonnoir limitent considérablement notre action législative.

Ce texte évite la fermeture comme la reconstruction des centrales. En revanche, il n'y a aucune garantie d'équilibre entre le nucléaire et les énergies intermittentes. On risque d'avoir la peau du nucléaire ! C'est pourtant simple. Si le taux de charge du nucléaire baisse, les prix de l'électricité augmentent.

Ce sera mon combat : mix équilibré et tempérance ; soyons prudents. Ce n'est pas le sens de vos décrets de PPE, monsieur le ministre, qui risquent de nous inonder de gigawatts d'installation. (M. Marc Ferracci le conteste.) Réseaux affaiblis, prix perturbés, filière nucléaire en difficulté : voilà qui nous coûtera quand même un peu cher.

Nous devons avoir des énergies renouvelables, mais aussi anticiper leur injection dans le réseau pour équilibrer les productions. Pourquoi saboter les énergies renouvelables pilotables ? Ce qui est valable en Allemagne et en Espagne en remplacement du gaz et du charbon n'est pas adapté à notre production nucléaire, décarbonée à 95 %.

Nous ne voulons pas de moratoire sur les énergies renouvelables, qui détruirait nombre d'emplois. Il faut simplement modérer les énergies intermittentes, pour ne pas produire trop.

Nous souhaitons un cap clair et une vraie stratégie d'électrification des usages, de décarbonation, et de mix énergétique équilibré.

Nous sommes déçus par ce texte, par la méthode employée. Un texte de programmation demande plus d'engagement de l'État.

Le groupe Les Indépendants restera très attentif au débat à venir. Monsieur le ministre, j'apprécie votre engagement d'adapter les décrets de la PPE à la suite de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)

M. Daniel Gremillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) Largement adoptée par le Sénat en octobre dernier, cosignée par la présidente de la commission des affaires économiques, par Bruno Retailleau, Mathieu Darnaud, Stéphane Piednoir et plus de 110 sénateurs des groupes Les Républicains et UC, cette proposition de loi, importante et attendue, replace la programmation énergétique au coeur de l'agenda politique.

Dans sa déclaration de politique générale du 1er octobre 2024, Michel Barnier avait annoncé la reprise des travaux sur l'énergie, annonce confirmée le 14 janvier 2025 par François Bayrou lors de sa propre déclaration. Lors des débats sur l'énergie tenus à l'Assemblée nationale et au Sénat les 28 avril et 6 mai derniers, ce dernier a indiqué le report d'ici à la fin de l'année de la publication du décret sur la PPE, afin de laisser au présent texte le temps d'être examiné. C'est la mission qui nous a été confiée avec Antoine Armand.

Le Gouvernement a clairement choisi la voie parlementaire pour actualiser notre programmation énergétique. Pour le Sénat, c'est la seule voie possible pour assurer la sécurité juridique et la légitimité démocratique de notre stratégie énergétique. C'est notre responsabilité en tant que législateur de fixer un cap à l'issue d'une délibération parlementaire garante de l'intérêt général.

Un important travail de coconstruction a déjà été engagé. En première lecture au Sénat, la ministre Olga Givernet a amendé la proposition de loi et a levé le gage. En première lecture à l'Assemblée nationale, le ministre Ferracci et le rapporteur Armand se sont montrés à l'écoute des positions du Sénat.

Le Sénat, qui plaide avec constance pour une législation sur notre programmation énergétique, a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie dans la loi Énergie-climat de 2019. Légiférer tous les cinq ans est une obligation légale selon l'article L. 100-1 A du code de l'énergie. Nos objectifs énergétiques ne sont pas à jour par rapport au paquet européen « Ajustement à l'objectif 55 ».

C'est aussi une nécessité économique. Il faut une assise législative et une légitimité politique pour mettre la relance du nucléaire à l'abri des contentieux et des soubresauts. Or, trois ans après Belfort, la construction des quatorze EPR reste de l'ordre du discours. Il faut inscrire cette relance dans la loi.

Les débats à l'Assemblée nationale, bien qu'animés, ont fait apparaître une voie de passage. On pourra converger sur l'article 3 qui ancre notre objectif d'engagement des 27 gigawatts de nouveau nucléaire d'ici à 2050, dont six EPR2 d'ici à 2026 et huit d'ici à 2030. Et l'article 5 tel que voté à l'Assemblée nationale est tout à fait acceptable pour le Sénat, car il maintient nos objectifs : 560 TWh de production d'énergie décarbonée, 287 TWh de chaleur renouvelable et 44 TWh de biogaz injecté d'ici à 2030.

Seul un texte raccourci peut aboutir à la publication du décret sur la PPE. D'où le recentrage du texte sur sa partie programmatique, admissible pour le Sénat à l'exception des mesures sur la simplification des projets nucléaires et la protection des consommateurs. J'approuve pleinement le travail de rapprochement de la commission des affaires économiques.

Cette proposition de loi est une base solide pour actualiser la PPE. Je me réjouis de l'annonce par le Premier ministre de sa réinscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale en septembre, pour une commission mixte paritaire (CMP) début octobre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Solanges Nadille .  - Ce texte est essentiel pour notre avenir énergétique, notre souveraineté industrielle, mais aussi l'avenir de notre planète. Si la France veut réussir sa transition énergétique, redevenir une nation industrielle et sortir des énergies fossiles, elle doit se doter d'une vision énergétique de long terme.

La véritable loi de programmation énergétique, objectif fixé par la loi Énergie-climat de 2019, que nous avons longtemps attendue, a connu bien des rebondissements : loi présentée fin 2023, finalement renvoyée à un décret attendu, nous l'espérons, pour la fin de l'été. Mais nous ne pouvons plus attendre, au regard des investissements nécessaires pour assurer notre avenir. Face aux records de chaleur des dernières années, il faut accomplir en six ans ce que nous avons mis trente ans à faire si nous souhaitons atteindre nos objectifs climatiques.

Laisser notre pays sans boussole n'est plus envisageable. C'est pourquoi le Sénat s'est engagé dès l'an dernier, et je salue le travail sérieux de la commission des affaires économiques.

Le parcours de ce texte à l'Assemblée nationale a été chaotique. Sorti de commission vidé de ses objectifs, le texte a été malmené en séance. Plusieurs mesures insensées y ont été adoptées, dont un moratoire sur les énergies renouvelables et la réouverture de Fessenheim. Ces mesures démagogiques et idéologiques ont conduit au rejet du texte.

Heureusement le Sénat a su faire preuve de raison. Deux évolutions majeures ont été adoptées en commission par rapport au texte adopté à l'automne. Les articles 3 et 5 ont été réécrits selon la version adoptée en séance publique à l'Assemblée nationale : nous avançons ainsi, grâce à un compromis réaliste, dans l'attente du décret sur la PPE. Et la commission a supprimé 14 articles du titre II du texte pour ne conserver que la dimension programmatique, ce qui est cohérent.

Le Gouvernement pourra s'appuyer sur ce socle législatif pour offrir aux acteurs de l'énergie, métropolitains comme ultramarins, une feuille de route stable.

À l'Assemblée nationale, les débats ont été guidés par les postures plutôt que la raison. J'espère qu'au Sénat nous ne serons guidés que par le renforcement de la souveraineté énergétique de la France.

Le groupe RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Henri Cabanel .  - Absurde, incohérent, déséquilibré ! Les mots ne manquent pas pour qualifier l'examen de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale : ce concours Lépine de l'amendement le plus insensé a donné raison au Gouvernement qui n'a pas souhaité soumettre sa PPE au Parlement.

Pendant ce temps, la trajectoire de décarbonation de la France a décroché, la rendant incompatible avec nos engagements.

Il faut un sursaut collectif pour concilier ambition climatique, attractivité économique et justice sociale : nous ne pouvons continuer ce stop and go insupportable, alors que les acteurs de l'énergie demandent un signal politique clair. Et qu'est-il proposé ? Un moratoire sur les énergies renouvelables terrestres ! C'est inquiétant, voire irresponsable.

Comment en est-on arrivé là ? Bruno Retailleau, pourtant coauteur du texte, a même appelé à cesser de subventionner les énergies intermittentes. (M. Stéphane Piednoir s'exclame.)

Pendant combien de temps certains continueront-ils à nier le nécessaire déploiement des énergies renouvelables pour des raisons électorales ? Même dans le scénario de Réseau de transport d'électricité (RTE) le plus nucléarisé, l'énergie nucléaire n'assure que 50 % du mix.

Cependant -  et je me tourne à présent vers l'autre côté de l'hémicycle  - , se passer du nouveau nucléaire compromettrait l'atteinte de la neutralité carbone. Les scénarios 100 % énergies renouvelables poseraient un défi financier, industriel et d'acceptabilité. Faire coïncider démocratie et écologie risque d'être compliqué, vu les oppositions citoyennes aux projets de réouverture de mines de métaux rares nécessaires à la production des énergies renouvelables.

Il faudra plus d'efficacité et de sobriété. La complémentarité entre énergies renouvelables et nucléaire est nécessaire. Se priver de l'une de ces filières ajoute de la pression sur les autres et nous rend plus vulnérables aux aléas.

Mon groupe attendra avant de se positionner. Je terminerai par les mots de la ministre Agnès Pannier-Runacher (M. Stéphane Piednoir s'exclame) : espérons que ce court-termisme électoral déguisé en soi-disant bon sens qui protégerait les classes populaires et la ruralité ne triomphera pas dans nos débats, mais qu'au contraire nous parviendrons à établir une trajectoire énergétique ambitieuse et cohérente qui protégera les Français des dangers du changement climatique.

M. Franck Menonville .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Avec ce texte, le Sénat joue pleinement son rôle. Depuis des années, les gouvernements successifs ont choisi de ne pas légiférer sur notre programmation énergétique. Dont acte, le Sénat propose son propre texte : je salue le travail remarquable de Daniel Gremillet et des rapporteurs, dans ce contexte particulièrement difficile.

Le Gouvernement, menacé par la censure à la veille de la publication de la PPE, a trouvé une porte de sortie avec cette proposition de loi. Mais l'Assemblée nationale l'a dénaturée avant de la rejeter. Or la programmation énergétique mérite un débat sérieux et de qualité.

Notre mix énergétique doit être plus compétitif et efficace, ce qui implique de raisonner en coûts complets, en comparant les énergies, et d'optimiser davantage, car le nombre de réacteurs faisant de la modulation en une journée a doublé entre 2012 et 2024.

Ce texte traduit la relance indispensable du nucléaire. Nous devons retrouver notre avantage concurrentiel, après tant d'années de destruction méthodique de cette filière d'excellence, guidée par des combinaisons politiques de court terme. La relance du nucléaire doit rendre sa compétitivité à notre économie.

Nous devons anticiper la gestion et la sécurisation des déchets radioactifs. C'est tout le sens du projet Cigéo développé dans nos départements de Meuse et de Haute-Marne.

Le nucléaire ne doit pas servir de variable d'ajustement aux énergies renouvelables. Notre rôle est de défendre une vision d'ensemble cohérente, déclinée dans une PPE régulièrement actualisée. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Solanges Nadille applaudit également.) L'examen de ce texte en seconde lecture présente plusieurs vertus. D'abord, c'est l'occasion de faire connaissance, monsieur le ministre, et de vous livrer mes analyses en tant que président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)... C'est aussi l'occasion de vous entendre. Il y a quatre mois, 160 sénateurs ont alerté le Gouvernement sur le contournement du Parlement, sans aucune réponse.

M. Michel Savin.  - Bravo !

M. Stéphane Piednoir.  - C'est enfin l'occasion d'apporter de la rationalité dans un débat largement hystérisé, sur une politique publique stratégique qui requiert calme et lucidité. Programmer sa production d'énergie, c'est d'abord s'interroger sur ses besoins réels, pour livrer aux particuliers, collectivités et entreprises une énergie à prix abordable, si possible décarbonée. Je veux croire qu'il y a consensus : l'énergie n'est ni un luxe ni une idéologie, mais le maillon indispensable du développement économique et social d'une civilisation.

Il faut considérer objectivement nos forces et faiblesses en cessant de nous comparer à des pays aux stratégies différentes. Mettre au rebut l'outil industriel que sont les 57 réacteurs nucléaires en état de marche n'a aucun sens, pas plus que démonter les 8 000 éoliennes existantes. Le concours Lépine démago-électoraliste des extrêmes est un festival.

Je m'associe au souhait de relancer le nucléaire. Je présenterai d'ailleurs un amendement pour que notre mix électrique conserve au minimum 60 % de nucléaire.

La France a toujours produit de l'énergie renouvelable, notamment par les barrages hydroélectriques. Il y a toutefois eu des dérives regrettables, dont des méthaniseurs XXL créant un intense trafic routier, ou des éoliennes implantées sans concertation. L'exigence aiguë que l'on porte au nucléaire n'a pas son pareil dans d'autres domaines, dont les énergies renouvelables.

La défossilisation de notre société suppose une électrification de nos usages, en particulier dans l'industrie ; or ce n'est pas le cas. L'instabilité politique en est en partie responsable, car l'investissement exige de la confiance en l'avenir. Figer des quotas de production n'est pas pertinent. Il faut trouver le chemin d'une cohérence énergétique. La politique consiste à prendre des décisions dans l'intérêt général, ce qui semble tellement facile à ceux qui ne doutent de rien... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Solanges Nadille applaudit également.)

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Tout nous impose de légiférer en matière d'énergie. Chaque année, les effets du changement climatique se font plus sentir. Or encore 45 % de notre consommation est satisfaite par les énergies fossiles.

De plus, une loi quinquennale sur l'énergie devait intervenir en 2023 : nous avons deux ans de retard. Le monde économique presse le Parlement de finaliser ce texte, pour avoir de la visibilité sur les investissements requis par la transition énergétique.

Ce débat est enfin une exigence démocratique. Comment accepter que nos objectifs énergétiques ne soient pas débattus par les représentants du peuple ? Réjouissons-nous donc de ce texte volontariste.

Le nucléaire, clé de voûte de notre mix, doit être conforté, mais les énergies renouvelables sont essentielles pour répondre à son électrification croissante. Nos futurs EPR ne vont pas fonctionner de sitôt... Il faut réaffirmer le soutien de la Chambre haute à ce secteur injustement critiqué : les énergies renouvelables offrent une transition énergétique au plus près des territoires, avec des emplois non délocalisables et une électricité de plus en plus compétitive. Certes, elles sont limitées et doivent améliorer leur acceptabilité, mais cela ne justifie en rien les propositions aberrantes qui ont jailli à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

La proposition du Sénat de se concentrer sur l'éolien offshore et le photovoltaïque est plus satisfaisante. Nous voterons donc pour ce texte, qui trace un chemin ambitieux et réaliste, tout en maintenant un équilibre, grâce auquel la France affiche l'un des mix énergétiques les plus décarbonés d'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions ; Mme Solanges Nadille et M. Vincent Louault applaudissent également.)

Discussion des articles

Article 1er

Mme la présidente.  - Amendement n°68 de M. Devinaz et du groupe SER.

Mme Karine Daniel.  - Donnons un signal aux ménages les plus pauvres grâce à une tarification sociale et progressive selon le niveau de consommation des ménages et leur composition, pour inciter à la réduction et au bon usage de l'électricité et de l'énergie dans notre pays.

M. Alain Cadec, rapporteur.  - L'amendement est satisfait ; l'article L. 100-2 du code de l'énergie prévoit de « garantir aux personnes les plus démunies l'accès à l'énergie, bien de première nécessité, ainsi qu'aux services énergétiques ». De plus, l'article 1er de la proposition de loi confère une base légale à plusieurs mécanismes de tarification. Aller plus loin déstabiliserait la construction des TRVE ; par ailleurs, une décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 7 septembre 2016 et un arrêt du Conseil d'État du 19 juillet 2017 ont mis fin au TRVG. Avis défavorable.

M. Marc Ferracci, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°68 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°31 rectifié de Mme Saint-Pé et alii.

Mme Denise Saint-Pé.  - Favoriser le stockage de l'électricité sur les sites de production d'énergies renouvelables réduit l'obligation d'injecter à chaque instant autant d'électricité que l'on en soutire, offre la possibilité de mieux gérer les variations de consommation et de production, et réduit la volatilité des prix de l'électricité. L'abondance d'électricité bon marché aux heures de forte production devient l'occasion de réduire la facture des consommateurs. Ce stockage doit donc être un objectif de toute politique énergétique.

M. Alain Cadec, rapporteur.  - L'amendement est en partie satisfait par l'alinéa 4 bis de l'article L. 100-4 du code de l'énergie qui prévoit déjà de « favoriser le stockage de l'électricité ». De plus, il complexifie la rédaction de la proposition de loi, dont l'article premier est consacré aux grands principes du système électrique et gazier, quand l'article 4 porte sur les flexibilités. Avis défavorable.

M. Marc Ferracci, ministre.  - Même avis pour les mêmes raisons.

L'amendement n°31 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°174 de M. Gay et du groupe CRCE-K.

M. Fabien Gay.  - Comment construire les prochains TRVE ? À l'approche de la fin de l'Arenh, revenons à un principe simple : prendre en compte les coûts de production, de transport, de distribution et de commercialisation. Il doit s'agir d'un tarif et non d'un prix. Nous sommes à votre disposition pour en débattre, monsieur le ministre.

M. Alain Cadec, rapporteur.  - Toujours pertinent, notre collègue Fabien Gay ! Mais l'amendement déstabiliserait la construction des TRVE et serait en contradiction avec la directive européenne de 2019, qui encadre la fixation des prix, et avec l'article L. 337-4 du code de l'énergie, qui confie aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie le soin de fixer les TRVE, sur proposition de la CRE. Il complexifierait la rédaction de la proposition de loi, dont le titre I est programmatique, contrairement à l'objet de l'amendement. Avis défavorable.

M. Marc Ferracci, ministre.  - Avis défavorable. Nous défendons le principe des TRVE - ce que j'ai fait devant la Commission européenne. Il s'agit de refléter le coût des fournisseurs actifs, qui intègrent plusieurs briques dont les frais d'accès au marché d'énergie, l'espérance des risques quantifiables, les coûts commerciaux, etc.

Le versement nucléaire universel prendra la suite de l'Arenh. Les modalités de calcul sont en cours d'élaboration. (M. Fabien Gay s'esclaffe.)

M. Fabien Gay.  - Je remercie le rapporteur pour ses mots sympathiques. (M. Alain Cadec s'en amuse.) Nous avons une position cohérente : sortir l'énergie du secteur marchand, y compris les acteurs alternatifs, requins qui se goinfrent sur EDF et les usagers. C'est un débat politique, sur lequel nous pouvons être en désaccord.

Lors du budget, je vous avais alertés : personne ne sait comment fonctionnera le versement nucléaire universel, même à EDF, même à la CRE... Et sept mois plus tard, le ministre nous informe que le principe est encore en discussion ! Alors que le prix de l'énergie nucléaire était de 42 euros, on va aller vers un système libéralisé avec un coût de 70 à 110 euros - je parie que les prix vont augmenter de 10 %.

À cinq mois de la fin de l'Arenh, nous ne savons toujours pas comment cela va fonctionner. C'est un problème. Les TRVE concernent 21 millions de ménages. Il est temps que vos services nous expliquent comment cela fonctionnera, car la note sera salée pour le plus grand nombre.

L'amendement n°174 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°12 rectifié bis de M. Piednoir et alii.

M. Stéphane Piednoir.  - La distribution de l'électricité est basée sur les injections d'électricité par nos centrales nucléaires. Or la prolifération des énergies renouvelables nécessite des créations de sous-réseaux ou des extensions de réseaux. Il faut donc intégrer le coût du transport dans la définition du coût complet de cette électricité.

Mme la présidente.  - Amendement n°66 de M. Montaugé et du groupe SER.

M. Franck Montaugé.  - Plus nous nous décarbonons, plus nous restons dépendants du prix des énergies fossiles. Il faut instaurer une stabilité des prix, en intégrant les coûts complets actualisés. Cette refonte doit bien sûr tenir compte des règles nationales et européennes, mais il faut arrêter de dépendre du prix du gaz que l'on importe, notamment de Russie ! Cela se fait aux dépens des Français les plus modestes.

M. Alain Cadec, rapporteur.  - Avis défavorable à ces amendements, qui reviennent sur les travaux de notre commission. Aller plus loin que l'objectif de recherche de prix stables et abordables, pour l'électricité comme pour le gaz, serait un irritant fort dans la suite de la navette. De plus, les amendements sont satisfaits par le code de l'énergie, qui prévoit de « maintenir un prix de l'énergie compétitif et attractif ». L'article 1er de la proposition de loi donne en outre une base légale à plusieurs mécanismes de tarification.

M. Marc Ferracci, ministre.  - Avis défavorable. Les coûts sont composés de nombreuses briques, je les ai évoquées. Il n'est pas opportun de préciser la référence aux coûts complets.

M. Daniel Salmon.  - L'Opecst a publié une note sur le coût des réseaux électriques - 100 milliards d'euros pour les réseaux de transport, idem pour le réseau de distribution. Or on entend une petite musique qui explique que ces coûts sont dus aux énergies renouvelables. C'est faux ! C'est dû à l'électrification de nos usages. Il faut en outre renforcer nos réseaux de transport, vétustes, et prendre en compte le réchauffement climatique : les vagues de chaleur détendent notamment les fils électriques. Enfin, si l'on construit de nouveaux EPR2, il faudra aussi les relier.

M. Stéphane Piednoir.  - Merci de me rappeler les travaux de l'Opecst...

Le coût de production stricto sensu ne peut suffire s'agissant du mix énergétique. Pour le nucléaire, il faut inclure le coût du démantèlement. Je n'ai jamais dit que la distribution d'énergies renouvelables était responsable des coûts. En revanche, il y a une partie de coût de transport à prendre en compte.

Monsieur le rapporteur, tant pis si cela crée un irritant avec l'Assemblée nationale. Je crois qu'elle n'a pas eu tant d'égards avec le Sénat lorsqu'elle a voté un certain nombre d'amendements totalement hors contexte, que nous dénonçons sur ces bancs. Le coût complet doit intégrer celui de l'extension des réseaux pour les énergies renouvelables.

M. Franck Montaugé.  - Les coûts complets sont déjà pris en compte dans la partie distribution. Ils sont répercutés sur le consommateur. Cette méthode doit aussi être prise en compte pour la production de l'électricité elle-même.

M. Vincent Delahaye.  - Une étude d'impact aurait éclairé nos débats sur les coûts complets de chaque source d'électricité. Je n'ai pas compris les arguments du rapporteur. Pourquoi ne pas intégrer le coût du transport dans les coûts complets ? J'entends que cela peut être un irritant pour l'Assemblée nationale, mais cela reste important.

Sur les 100 milliards d'euros du rapport, 40 milliards sont dus aux énergies renouvelables, pas la totalité. Je voterai l'amendement de Stéphane Piednoir.

M. Vincent Louault.  - Nous n'avons pas suivi les mêmes débats à l'Assemblée nationale : certains ont défendu des amendements en faveur du coût complet et un accord a été trouvé sur ce point avec le bloc central. Nous voterons cet amendement : nous devons parler des coûts complets de l'énergie pour prendre des décisions correctes.

L'amendement n°12 rectifié bis est adopté.

L'amendement n°66 n'a plus d'objet.