Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - Il y a le temps des crises ; il y a aussi celui du rebond.
De la division naît le débat, du débat naît le compromis. Ce temps est indispensable, car la France a besoin de stabilité. Et il n'y a pas de compromis sans bicamérisme. Le Sénat représente les collectivités territoriales, au sein desquelles il faut s'entendre avec ses oppositions, parfois au sein de sa majorité, avec les maires des communes voisines. Tous ne pensent pas comme vous, mais tous veulent servir. De cette contrainte apparente naît une intelligence locale, qui doit nous inspirer nationalement.
Le Gouvernement souhaite porter cette ambition. Il faut sortir de cette crise par le haut, dans le respect des convictions de tous et de la parole de chacun, y compris des oppositions ; nous ne l'avons pas suffisamment fait par le passé, il faut le reconnaître.
M. Jean-François Husson. - Ce n'est rien de le dire !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Il faut doter la France d'un budget utile pour les Français, pour la fin de l'année. Pour cela, il faut redonner du sens à la vie politique et parlementaire, grâce à une nouvelle pratique du pouvoir.
Huit dossiers sont urgents.
Priorité absolue du Gouvernement : le budget de l'État et celui de la sécurité sociale. Les Français n'attendent pas moins de leurs représentants. Au Gouvernement de le proposer, à nous d'en débattre, à vous de le voter.
Le projet de budget est plus que perfectible, vu les circonstances. À l'instar de Michel Barnier, voilà un an, j'ai déposé le texte en respectant les délais constitutionnels, en faisant évoluer la copie à l'aune de mes nombreuses consultations. Mais il reste des points à améliorer. Je sais que le Sénat y prendra toute sa part, en responsabilité.
Le budget repose sur un principe simple : la maîtrise des comptes publics, qui réduira le déficit à 4,7 % du PIB. À la fin de la discussion budgétaire, celui-ci ne devra pas dépasser 5 %, quoi qu'il arrive.
Dès cette année, nous respecterons les 5,4 % de déficit prévus. C'est une priorité pour maintenir le consentement à l'impôt. Le Président de la République a choisi de ne pas transiger avec notre souveraineté et notre sécurité. D'où l'augmentation inédite des crédits en faveur des armées.
M. Loïc Hervé. - Très bien !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - De même, les moyens des ministères de l'intérieur et de la justice seront en progression.
En revanche, les moyens des autres ministères baisseront en euros constants, tout comme ceux des administrations. L'effort ne sera toutefois pas suffisant. C'est pourquoi j'ai installé la mission « État efficace », chargée de formuler des propositions de rationalisation des dépenses publiques, en s'appuyant notamment sur vos travaux.
Il faut un mouvement continu d'amélioration de l'efficacité de l'État et revoir le format de l'État central, malgré les mouvements de déconcentration et de décentralisation. L'État déconcentré s'est trop paupérisé ces vingt dernières années.
Deuxième priorité : lutter contre la fraude fiscale et sociale.
Mme Nathalie Goulet. - Ah !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Nous présenterons le projet de loi le plus ambitieux contre les fraudes depuis plusieurs décennies.
Les interventions et soutiens de l'État ne peuvent donner lieu à des situations de rente. Ainsi du secteur des énergies renouvelables : s'il est hors de question de baisser nos ambitions environnementales, il l'est tout autant que cela pèse anormalement sur le contribuable. Ces secteurs doivent supporter la concurrence. Nous ne devons pas avoir de tabou pour lutter contre les effets de rente, y compris en matière de police des prix.
Le Sénat a voté plusieurs mesures d'économies, certaines consensuelles, d'autres non. Toutes seront débattues. Seul le résultat compte, dès lors que ces mesures sont sincères, documentées et justes.
En matière fiscale, les partis politiques ont des propositions divergentes. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises : il ne faut pas augmenter la masse globale des prélèvements obligatoires.
Mes prédécesseurs qui ont eu la lourde tâche de faire voter le budget pour 2025 ont déjà eu recours à la fiscalité pour augmenter les prélèvements obligatoires. L'effort fiscal doit, par principe, être le plus limité possible. Il sera moins important que l'année dernière. La pression fiscale représentera 36 milliards d'euros de moins qu'en 2017.
Le budget pour 2025 ne prévoyait aucune diminution d'impôt ; nous proposons une baisse de la CVAE au profit des PME. Vous trancherez.
Ce budget demandera un effort aux collectivités territoriales, comme à tous les autres acteurs de la République. J'ai conscience que cet effort est difficile et parfois incompris. Aussi ai-je souhaité que les moyens alloués aux collectivités maintiennent une trajectoire de hausse en 2026, car c'est la base de la confiance pour réussir l'acte de décentralisation.
Comment ne pas voir la situation préoccupante des conseils départementaux ? L'État sera au rendez-vous, avec un fonds de sauvegarde.
Autre conviction animant le Gouvernement : il faut décentraliser, en repartant de l'État. C'est une conviction que partage le Sénat, à commencer par son président. Un projet de loi sera soumis au Parlement avant les élections municipales. Il réformera l'action publique de manière globale, non pour faire plaisir aux élus locaux, comme on peut le lire parfois, mais pour agir dans une logique de responsabilisation et de proximité.
Qu'attend-on de l'État ? Police, sécurité, justice, relations internationales, défense, sont au coeur de son action. D'abord parce qu'il ne peut s'y soustraire, ensuite parce que nos compatriotes attendent plus de lui dans ces domaines.
Les budgets des missions régaliennes de l'État ont augmenté depuis 2017 et continueront à le faire. Il ne faut pour rien au monde renoncer à ce renforcement. Pour le reste, il faudra se réorganiser.
Des missions aujourd'hui assumées par l'État pourront être prises en charge au niveau local, et inversement. La question sera d'identifier une bonne fois pour toutes qui est responsable de quoi. Il faut un seul responsable par politique publique - ministre, préfet ou élu. Il faut décentraliser non seulement des compétences, mais aussi des responsabilités et des libertés, y compris normatives - le tout avec des moyens. Cela répond à un principe de bon sens : celui qui décide est responsable devant les électeurs. Nous nous y engageons.
On m'a beaucoup dit que le Parlement était trop divisé pour s'entendre sur ce sujet, notamment à l'Assemblée nationale. Je pense tout le contraire. C'est précisément parce que cette réforme prendra du temps qu'il faut la lancer tout de suite : nous n'attendrons pas.
D'autres textes, issus du Sénat, avancent. La proposition de loi sur le statut de l'élu se traduira notamment par une amélioration du régime indemnitaire. Le Gouvernement la soutient : c'est une clé pour les prochaines élections municipales.
La troisième priorité, c'est la santé. Pour les comptes de la sécurité sociale, la question des franchises médicales est cruciale. Les femmes enceintes, les mineurs et les plus pauvres, soit 18 millions de Françaises et de Français, seront exclus de cette mesure.
Il y aura un débat aussi sur l'accès aux soins. Nous ne devons pas attendre la prochaine élection présidentielle pour lutter contre les déserts médicaux. L'ouverture de maisons France Santé partout en France s'inscrit dans cette ligne, comme avoir un rendez-vous chez un médecin en moins de quarante-huit heures à moins de trente minutes de son domicile.
L'ouverture d'officines sera facilitée dans les communes de moins de 2 500 habitants. Il n'y aura aucune fermeture d'hôpital en 2026. On peut faire des économies sans tomber dans l'austérité. La santé bénéficiera de 5 milliards d'euros de crédits supplémentaires dans le PLFSS ; 300 millions d'euros seront consacrés à la santé mentale.
Nous devons nous interroger sur l'organisation de notre politique de santé. Trop d'acteurs interviennent sur une même politique, on multiplie les initiatives, donc les dépenses. Le projet de loi sur la décentralisation et la réforme de l'État doit poser sereinement ce débat. Il n'y a pas de réponse magique, mais le surplace et le statu quo ne sont plus possibles. Il faudra être réformateurs, tout en respectant les femmes et les hommes qui rendent ce beau service public.
Il faut aussi lutter contre le réchauffement climatique. (M. Yannick Jadot apprécie.) Nous devons avancer, avec efficacité et sans dogmatisme et avec une approche locale. Car l'écologie, c'est de l'aménagement du territoire. Décentraliser, c'est aussi l'occasion de repenser notre planification énergétique. Nous ferons des propositions précises sur ce sujet, en nous appuyant sur certains travaux du Sénat.
La mobilité est un enjeu majeur : pas de croissance sans transport. Pour éviter le sentiment de relégation, le ministre des transports proposera une loi-cadre pour flécher les recettes des futures concessions autoroutières vers la construction de nouvelles infrastructures, notamment ferroviaires.
Il faut aussi parler du logement.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Enfin !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Si beaucoup a été entrepris depuis 2017, les résultats ne sont pas au rendez-vous. (Murmures à gauche)
M. Jean-François Husson. - C'est le vide sidéral !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Je salue les décisions prises par Valérie Létard. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Loïc Hervé. - Où est Valérie Létard ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - La part des dépenses de logement dans le revenu des ménages est excessive. Le reste à vivre qui se réduit, voilà l'un des principaux problèmes du pouvoir d'achat des Français. Pourtant, des solutions existent, comme réduire le millefeuille des documents de planification ou simplifier les procédures d'urbanisme. La proposition de loi Huwart était un premier pas, il faudra continuer.
La cinquième priorité est confiée à Françoise Gatel et à Michel Fournier. Il y a urgence pour nos campagnes. Pas moins de 80 % de notre territoire est rural. Je vous le dis comme je le pense : ce sont des territoires d'avenir. Quelque 22 millions de Français y vivent, de notre industrie et de notre agriculture, qui garantit notre souveraineté alimentaire. Il est temps de leur faire confiance. (Mme Kristina Pluchet ironise.)
Michel Fournier aura pour mission de développer toutes les formules itinérantes de services publics et de commerces de proximité. Il devra aussi garantir un accompagnement adapté des collectivités rurales les plus fragiles. Pour sauver et développer le commerce de centre-ville, je compte sur le ministre des PME, qui entre au service de l'État avec une solide expérience et des idées.
Sixième priorité : il faut répondre aux attentes de nos concitoyens pour plus de justice et de sécurité. (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains)
La loi de programmation de la justice sera respectée à l'euro près.
La loi Narcotrafic, issue de vos bancs, sera intégralement appliquée, avec, au 5 janvier, l'installation du parquet national anticriminalité organisé, grâce à l'action du garde des sceaux. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)
J'annoncerai de nouvelles mesures de fermeté dans les prochains jours. Le ministre de la justice se tient à la disposition des parlementaires pour coconstruire un projet de loi pénale. Nous le proposerons, nous en débattrons, vous le voterez.
Le ministre de l'intérieur a reçu pour mission d'obtenir des résultats contre la délinquance. Il en aura les moyens, les budgets de l'intérieur étant en augmentation constante.
L'immigration constitue un défi majeur pour l'Europe.
M. Marc-Philippe Daubresse et Mme Agnès Evren. - Ah !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Nous devons l'affronter avec sérieux et responsabilité, en ne cherchant pas la popularité dans nos paroles, mais l'efficacité dans nos actes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Pascal Savoldelli. - C'est lyrique...
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Nous devons mener une politique claire, stable et conforme à nos valeurs. (Mêmes mouvements)
L'intégration est non pas une option, mais une responsabilité partagée. Notre boussole : l'efficacité dans le respect du droit et l'équilibre entre humanité et autorité.
M. Mickaël Vallet. - Très bien !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - La République est forte quand elle est juste. Il faudra continuer, aux niveaux français et européen à améliorer les contrôles aux frontières. L'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est une priorité absolue. Mais le bon sens commande de traiter le problème à la racine avec calme, méthode et discernement.
Mme Laurence Rossignol. - Calme ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Je souhaite qu'on cible durement les réseaux de passeurs et de trafiquants d'êtres humains, qui ne sont pas sans lien avec la grande criminalité, voire avec les réseaux terroristes. (Mme Nathalie Goulet renchérit.) Demain, l'instrumentalisation des flux migratoires figurera parmi leurs stratégies.
Agir pour nos territoires, c'est aussi agir pour nos outre-mer. La lutte contre la vie chère est une urgence absolue parmi toutes les autres. C'est la priorité de la ministre des outre-mer, qui sera aussi celle de la lutte contre les abus. Un projet de loi est prêt. Il y aura beaucoup de sujets à débattre, d'autres à introduire. La copie est imparfaite ; nous la reverrons lors des débats parlementaires.
Il faut faire jouer la concurrence, mettre de la transparence, en particulier dans la grande distribution, et ne refuser aucune discussion, y compris sur les outils fiscaux.
Autre urgence : la reconstruction de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L'État a pris des engagements, ils seront tenus.
Urgence aussi en Nouvelle-Calédonie. La fin de l'accord de Nouméa a créé un vide, comblé ensuite par l'accord de Bougival. Je salue les travaux de votre assemblée qui ont guidé l'État dans la poursuite de cet accord. Je suis convaincu que le Sénat, en particulier son président, est le meilleur acteur pour porter cet accord. Mais je souhaite aller plus loin dans le traitement des inégalités économiques et sociales.
La Nouvelle-Calédonie a besoin d'un choc de confiance. Les Calédoniens ont besoin d'un emploi, pas que l'État leur paie le chômage indéfiniment. La ministre proposera des solutions en concertation avec les acteurs du territoire.
Certains acteurs ultramarins ont formulé des demandes d'évolution institutionnelle. Le 30 septembre dernier, le Président de la République a confié au Gouvernement le soin de constituer des groupes de travail avec les territoires qui ont des projets précis, comme la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Pour ce qui concerne la Corse, un projet de loi a été présenté en conseil des ministres.
M. Mickaël Vallet. - Ce n'est pas l'outre-mer !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - J'en viens à un sujet qui me tient à coeur : le paritarisme.
Le Gouvernement proposera un texte pour suspendre dès maintenant la réforme des retraites. (Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Suspendre la réforme n'a d'intérêt que si c'est pour avancer. J'ai donc proposé une grande conférence sur les retraites et sur le travail avec les organisations syndicales et patronales. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains)
Notre système de retraite doit être réinterrogé : système par points, par capitalisation (exclamations sur les travées du groupe CRCE-K), suppression de toute référence d'âge ne peuvent valoir que si le modèle est pérenne. (Vives protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains) J'ai confiance en la démocratie sociale. C'est une conviction profonde partagée avec le ministre. Pourquoi ne pas développer ce qui fonctionne comme c'est le cas avec l'Agirc-Arrco ? Il faut en débattre et ne pas en avoir peur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Plusieurs voix à droite. - On en a déjà débattu !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Je le répète : suspendre n'est pas renoncer. (Vives exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Max Brisson. - C'est une lâcheté !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Ce n'est pas non plus reculer, si nous savons utiliser ce temps avec intelligence et volonté d'avancer. La cohésion sociale, l'unité du pays et donc sa stabilité sont une force. La droite, dans le passé, a su le montrer. La division, elle, a un coût : l'instabilité aura coûté 12 milliards d'euros.
Je crois en la sagesse du Sénat pour aider le Gouvernement à calmer les tensions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
Il faut trouver des compromis dans l'intérêt du pays. Après des semaines difficiles, il est permis d'espérer. Le Parlement peut fonctionner.
M. Olivier Paccaud. - Voeu pieux...
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Nous pouvons donner un budget à la France, soutenir la croissance et l'emploi dans les territoires, renforcer la défense et redonner confiance. Le Gouvernement y est prêt. Le budget et les projets de loi sont prêts. Le pays est prêt.
La politique s'est parfois éloignée des problèmes de la vie quotidienne. Elle s'est parfois isolée des méthodes prévalant dans les grandes démocraties comme dans nos conseils municipaux.
Le Sénat participera au débat et saura trouver le compromis. Je n'en doute pas : c'est son histoire depuis 150 ans. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP)
M. Mathieu Darnaud . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques travées du groupe UC) L'heure est grave. Partout dans le pays, des voix s'élèvent qui traduisent la colère et l'exaspération des Français. L'heure est grave, car la France s'engloutit dans les abîmes de la dette. Une dette qui fragilise nos services publics et nos collectivités. L'heure est grave, car le monde nous regarde et ne nous comprend plus à un moment où la voix de la France doit être forte. L'heure est grave et il faut agir.
Monsieur le Premier ministre, vous plaidez pour la rupture. Nous pourrions vous suivre sur cette voie si cette rupture était porteuse de souffle et de méthodes nouvelles. Il faudra nous en dire plus pour nous convaincre. Plus que le renoncement à l'article 49.3. Plus que cette formule aux allures d'évidence : « le Gouvernement proposera, nous débattrons et vous voterez ». C'est simplement l'article 34 de la Constitution... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
Plus que du flou des propos que vous avez tenus hier, les esprits chagrins auraient pu parler d'une déclaration partiale tant elle s'adressait à un seul parti. (Vifs applaudissements et « Très bien ! » sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur quelques travées du groupe UC)
Cet après-midi, nous avons droit à une déclaration de politique pléthorique (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC), et nous peinons à entrevoir quel pourrait être le calendrier pour répondre à toutes ces priorités.
J'irai droit au but : la gravité de l'instant exige de la clarté. Nous avons besoin que vous réaffirmiez un cap clair. Si ce cap est à la hauteur des enjeux, vous nous trouverez à vos côtés. A contrario, si vous cultivez le flou et ne cherchez que des voies de passage, avec comme objectif de gagner du temps, je vous le dis clairement : ce sera sans nous.
La gravité de la situation de notre pays ne permet plus les équivoques et les petits calculs. La stabilité institutionnelle de la France est fragilisée et sa crédibilité internationale affaiblie. Notre dette est colossale et notre économie vacille. Lorsque la dépense publique atteint 57,3 % du PIB, il ne reste pas grand-chose pour l'enthousiasme et les initiatives privées.
Les Français, épuisés et agacés, sont inquiets pour leur avenir, leur pouvoir d'achat, leur santé et leur sécurité. Nous ne pouvons accepter ce portrait d'une France bloquée.
Il n'est pas question d'abdiquer dans la tourmente, mais il faut mépriser les agitations, prétentions et surenchères. Les pouvoirs publics ne valent en fait et en droit que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays et avec les citoyens. C'est notre vision de la France, mais est-ce la vôtre, monsieur le Premier ministre ?
Nos convictions s'appuient sur un triple principe de cohérence, de liberté de responsabilité. Telle est la conception du général de Gaulle lors du discours de Bayeux en 1946, qui demeure d'actualité. C'est là où le bât blesse. Entre votre déclaration de politique générale hier à l'Assemblée nationale et celle d'aujourd'hui au Sénat, vous ne nous dites pas grand-chose de la direction à faire prendre au pays. (M. Sébastien Lecornu s'en étonne.)
L'an dernier, j'interpellais votre prédécesseur, François Bayrou, en ces termes : la France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Le monde de demain ne fera pas de cadeaux aux nations les plus fragiles. Nous devons retrouver notre force et quelques ajustements budgétaires n'y suffiront pas. Il nous faut un rétablissement historique, comme en 1958. Aurez-vous l'audace d'agir pour redresser enfin nos finances publiques et desserrer l'étau qui étrangle la France ?
Vous ne proposez pas moins de 14 milliards d'euros de hausses d'impôts. La majorité sénatoriale a toujours fait preuve de responsabilité pour dégager des économies et éviter l'impôt. Nous allons continuer !
Ce n'est pas en refusant les réformes structurelles que l'on améliore durablement la situation. Pourtant, vous annoncez la suspension de la réforme des retraites. Certes, cette dernière est imparfaite et nous avions proposé des améliorations. (On ironise à gauche.)
Nous aurons l'occasion d'en débattre, mais nous n'accepterons pas les renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Une voix à gauche. - Il faudra l'avaler !
M. Mathieu Darnaud. - Votre programme devrait également intégrer la remise à plat des politiques publiques, ainsi que la réduction du périmètre de l'État en supprimant ou fusionnant ces multiples émanations erratiques et désordonnées que sont les agences. La commission d'enquête dont Christine Lavarde était le rapporteur a formulé des propositions à ce sujet.
Il faut arrêter les fausses solutions à coups de hausses d'impôts ou de taxes nouvelles alors que la France excelle dans la créativité fiscale qui étrangle l'initiative. Il faut des mesures claires et compréhensibles en faveur de la sécurité sociale, de la justice, de l'accès aux soins et du soutien aux plus fragiles dans une économie dynamique.
Votre Gouvernement nous proposera des projets de loi ; nous les examinerons avec pragmatisme, car l'heure est trop grave. Nous déposerons des propositions de loi quand cela paraîtra nécessaire. Nous serons très vigilants sur les mesures touchant les collectivités territoriales, car ces dernières sont au service des Français et sont un soutien majeur à l'économie et à l'emploi.
Nous en débattrons et nous voterons : c'est non pas une rupture, mais c'est simplement notre rôle plein et entier.
Nous avons peu entendu un mot pourtant essentiel : celui de liberté. Il manque singulièrement à votre discours, alors qu'il est consubstantiel à l'exercice du pouvoir. Bien sûr, il est absent du discours des démagogues, mais les Français aimeraient l'entendre et le voir concrétisé. Qu'en pensez-vous ?
La France se fatigue. Elle fléchit sous le poids des contraintes et des interdits dont les objectifs sont peu clairs et les effets non mesurés. Elle s'asphyxie dans une surbureaucratisation qui entend se mêler de tout. (M. Olivier Paccaud applaudit.)
L'entrepreneur recule devant les seuils à franchir. La collectivité recule devant les obstacles administratifs, le citoyen s'isole face aux difficultés qu'il doit affronter dans sa vie de tous les jours. Résultat : l'audace et la créativité finissent par s'exprimer ailleurs qu'en France.
Pour Les Républicains, la route à suivre est claire. Chez nous, il n'y a aucune ambivalence, nos priorités ne s'appuient sur aucune posture idéologique. (Protestations et marques d'ironie à gauche)
Nos priorités s'appuient sur la liberté et son corollaire, la responsabilité.
Selon Victor Hugo, « les écrivains ont mis la langue en liberté ». Aux politiques de mettre la France en liberté en faisant confiance aux Français ! Saurez-vous emprunter ce chemin, monsieur le Premier ministre ?
Nos priorités découlent d'une certaine idée de la France.
Au fond, monsieur le Premier ministre, peut-être auriez-vous dû écouter le Sénat qui, chaque année, avec constance, a voté des mesures d'économie tout en protégeant les Français et en préservant les collectivités territoriales. (On ironise sur les travées du GEST.) Cela sera encore le cas cette année.
Écoutez enfin le Sénat : il n'est pas trop tard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, avez-vous conscience du niveau de consternation et de colère des Français ? Le spectacle de quelques happy few qui se nomment et se renomment entre eux, bien au chaud dans leur tour d'ivoire ? Cette déconnexion est délétère. Savez-vous quel est le mot qui revient le plus dans la bouche des citoyens de mon département du Nord ? Le « cirque ». Oui, par l'attitude de votre camp politique et surtout du Président de la République, la politique est devenue un vaste cirque.
Et que dire du cirque joué par les acrobates en chef, Les Républicains (vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé s'exclame), qui participent au Gouvernement, puis n'y participent plus, qui excluent ceux qui ont choisi personnellement d'y participer, tout en soutenant le Gouvernement. Quelle cacophonie ! N'y voyez aucune ironie de ma part...
Plusieurs voix à droite. - Bien sûr !
M. Patrick Kanner. - Je ne me réjouis pas de ce désordre et du spectacle donné par la macronie.
Dans cette confusion générale, nous, socialistes, aurions pu choisir la censure - la tentation était grande. (Marques d'ironie à droite) Nous n'avons pas choisi la censure, ...
M. Max Brisson. - Cela viendra !
M. Patrick Kanner. - ... car nous avons fait le choix des Français. Ils n'espèrent pas le grand soir : ils veulent vivre mieux, maintenant, sans attendre 2027 ou une hypothétique démission du Président de la République.
Voilà pourquoi nous avons répondu à chacune de vos invitations, monsieur le Premier ministre, pour vous faire part de nos demandes. La justice fiscale est incontournable. Les Français n'en peuvent plus de se serrer la ceinture alors que la fortune des 500 familles les plus riches a doublé depuis l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron.
En 2023, le groupe LVMH percevait 275 millions d'euros d'aides publiques tout en engrangeant 15 milliards d'euros de bénéfices, preuve s'il en fallait de votre priorité donnée au confort des ultrariches. Monsieur le Premier ministre, demandez un peu à ceux qui ont tout, plus que tout, pour épargner ceux qui n'ont rien, ou presque rien ; c'est la moindre des choses !
M. Roger Karoutchi. - C'est combien, tout ?
M. Patrick Kanner. - Nous réclamions la taxe Zucman, vous l'avez refusée. Nous déposerons un amendement en ce sens et attendrons une alternative concrète du Gouvernement si ce dernier le rejette.
Le RN, qui prétend défendre les classes populaires, a déjà annoncé qu'il s'opposerait à notre amendement. Les masques tombent aujourd'hui et font apparaître ceux qui ne défendent que les nantis. (M. Aymeric Durox s'exclame.)
M. Jean-François Husson. - Ce n'est pas convenable.
M. Patrick Kanner. - Fallait-il que votre Gouvernement soit en grand péril pour concéder la suspension de la réforme des retraites ? (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette réforme, injuste, est restée une blessure démocratique profonde.
M. Max Brisson. - Démago !
M. Patrick Kanner. - C'est la colère du pays qui vous a arraché cette victoire. C'est une victoire indéniable pour les 3,5 millions de Français qui partiront plus tôt à la retraite. (Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Mickaël Vallet applaudissent.) C'est une reconnaissance tardive, mais bienvenue, du combat des organisations syndicales.
J'entends déjà les cris d'orfraie, parlant de trahison. Oui, nous assumons de ne pas censurer le Gouvernement pour arracher de telles victoires ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
M. Max Brisson. - Et l'addition ?
M. Patrick Kanner. - Notre décision de ne pas censurer n'est toutefois pas un chèque en blanc. Les textes budgétaires présentés hier ne sont pas les nôtres. Nous n'accepterons jamais le doublement du forfait médical, notamment. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains) Nous resterons intraitables sur les sujets qui concernent les plus modestes.
Il est temps de tourner le dos à huit ans d'une économie dérégulée, d'une fiscalité inéquitable et d'une action publique affaiblie. Cette politique a échoué et aggravé les inégalités, l'état des services publics et de la situation des finances publiques.
Monsieur le Premier ministre, vous promettez une rupture : nous vous prenons au mot. Nous n'acceptons pas que 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et que 5 millions de salariés vivent péniblement avec le Smic, que les classes moyennes s'enfoncent dans le déclassement et que les services publics se délitent.
Pendant ce temps, notre pays s'endette de 60 milliards d'euros de recettes fiscales chaque année.
M. Jean-François Husson. - Vous allez y remédier...
M. Patrick Kanner. - En 2026, la charge de la dette atteindra 70 milliards d'euros, soit toute la richesse nouvelle créée la même année.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas grand-chose !
M. Patrick Kanner. - Cette politique, qui creuse les fractures sociales et territoriales, ouvre la voie aux populismes. Vous en portez une lourde part de responsabilité.
Le 7 mai 2017, au pied de la pyramide du Louvre, Emmanuel Macron disait : « Je ferai tout pour que les Français n'aient plus de raison de voter pour l'extrême droite ».
Mme Marie-Arlette Carlotti. - C'est réussi...
M. Patrick Kanner. - En 2017, il y avait 8 députés d'extrême droite ; aujourd'hui, ils sont 140. Voilà le résultat de vos choix !
Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains. - Et LFI ?
M. Patrick Kanner. - Malgré ce contexte, je salue votre décision de ne pas recourir à l'article 49.3. Le Parlement reprend enfin la main, et c'est heureux. Gageons que les débats à venir nous permettront de corriger les mesures que nous jugeons inacceptables.
Notre ligne écarlate : nous refusons que les plus modestes paient le prix des erreurs accumulées depuis 2017.
Il n'y aura pas de stabilité durable sans justice sociale, donc fiscale ; pas de croissance sans relance du pouvoir d'achat ; pas de redressement sans confiance retrouvée avec les collectivités territoriales, qui pallient vos reculs en matière de solidarité en dépit des restrictions budgétaires et de vos critiques injustes.
Vous demandez toujours plus aux territoires en leur donnant toujours moins : la décentralisation providence est devenue décentralisation pénitence. Reprenez à votre compte le principe de subsidiarité, restaurez la confiance avec nos 500 000 élus locaux, inspirez-vous de la créativité de nos collectivités pour améliorer la vie quotidienne.
Et que dire des territoires ultramarins, relégués, une fois encore, au second plan ? Votre budget les soumet à un coup de rabot inacceptable de près de 750 millions d'euros, une véritable claque. Je pense à nos concitoyens mahorais, qui attendent encore des moyens à la hauteur des promesses, mais aussi à la Nouvelle-Calédonie : fruit d'un dialogue patient, l'accord de Bougival doit être appliqué.
D'autres menaces pèsent sur notre démocratie, qui ne se mesurent pas en euros, mais en valeurs. Protéger l'État de droit, sacré et intangible, ne coûte rien. (Marques d'assentiment à gauche) Accorder à chacun une fin de vie digne et librement choisie ne coûte rien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Renoncer à la loi sur l'audiovisuel public ne coûte rien. (Applaudissements sur les mêmes travées ; M. Guy Benarroche applaudit également ; on ironise à droite ; M. Roger Karoutchi s'exclame.)
M. Yannick Jadot. - Il faut renoncer aussi à la loi Duplomb ! (Protestations à droite et sur des travées au centre)
M. Patrick Kanner. - En revanche, soutenir l'extrême droite plutôt que le front républicain, comme dimanche dernier dans le Tarn-et-Garonne, fait payer le prix fort à notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Nous ne serons jamais vos alliés. Si nous ne vous censurerons pas demain, c'est aussi parce que la voix de la France doit être forte, alors que se multiplient conflits armés, crises humanitaires, ingérences et cyberattaques. Mais nous resterons dans une opposition exigeante et n'aurons pas la main tremblante si vous ne tenez pas vos engagements.
Je fais miens ces mots de Léon Blum : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l'existence. » (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Hervé Marseille . - (Vifs applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.) Mes chers collègues, ...
M. Rachid Temal. - Applaudi par toute la droite : quel talent !
M. Hervé Marseille. - ... après avoir écouté les orateurs précédents, je préfère ranger mon texte et vous parler avec mes sentiments.
J'ai une pensée pour Michel Barnier et François Bayrou, qui ont tenté de construire des budgets dans le compromis et ont échoué, faute d'avoir la possibilité de renoncer à la réforme des retraites. (Applaudissements à droite et au centre) J'ai aussi une pensée amicale pour Manuel Valls, qui a beaucoup travaillé sur le dossier calédonien et dont l'expérience était précieuse. (Applaudissements sur certaines travées des groupes UC et INDEP)
Le problème, depuis le début, ce sont la méthode et la confiance. Chacun, dans ce qu'on appelle « le socle », a annoncé son soutien à votre gouvernement. Mais, lors de nos rencontres à Matignon, vous n'avez jamais dévoilé vos intentions. (« Bravo ! » sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
D'aucuns ont parlé de contrat de gouvernement ; on leur a répondu : dites-nous de quoi vous avez besoin, on vous dira comment vous en passer. (Rires et applaudissements sur les mêmes travées) Ceux qui ont souhaité des engagements un peu plus précis ne les ont pas obtenus.
Il fallait bien des orientations, un budget, un gouvernement. Mais nous n'avons rien su des orientations, du budget ni du Gouvernement - censé se limiter à quinze membres pour finir à plus de trente.
Monsieur le Premier ministre, vous n'avez rien voulu dévoiler et vous êtes enfermé dans le dialogue avec nos collègues socialistes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Jaloux !
M. Hervé Marseille. - Ce dialogue était nécessaire, mais vous avez oublié qu'il y avait des forces politiques qui vous soutenaient.
Vous avez théorisé le principe de Chevallier et Laspalès : « c'est vous qui voyez » ! (Rires et applaudissements sur les mêmes travées)
Je suis heureux que vous ayez rappelé cet après-midi que la dette est au coeur des préoccupations. Il est indispensable de faire des économies : il y va de notre crédibilité et de notre souveraineté. Mais comment être crédible dès lors qu'on abandonne une réforme majeure et qu'on avait déclarée urbi et orbi indispensable ? (Marques d'assentiment sur les mêmes travées)
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Hervé Marseille. - La crédibilité est endommagée : il faudra faire beaucoup pour être entendu.
Qui peut croire que nous atteindrons 3 % de déficit en 2029 ?
Nombreuses voix à droite. - Personne !
M. Hervé Marseille. - Personne, en effet : autant le dire ! (Applaudissements sur les mêmes travées)
Merci d'avoir redit que les dépenses militaires sont indispensables. C'est une priorité - qui aggrave aussi notre problème de dette.
Nous avons besoin d'équité fiscale. Les prélèvements supplémentaires se feront sur les plus fortunés. Le Sénat avance des propositions depuis des années, comme sur la lutte contre la fraude fiscale - sujet cher à Mme Goulet.
Prenez aussi en considération le dossier du Mercosur, car les agriculteurs ne doivent pas se sentir abandonnés. Il ne doit pas aboutir à l'insu de notre plein gré, contre l'intérêt de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP et sur certaines travées du GEST)
Dès lors que vous avez fait le choix, que beaucoup ici ne partagent pas, d'abandonner la réforme des retraites, il sera encore plus difficile de soutenir le pouvoir d'achat, puisqu'il faudra compenser les sommes perdues sur les retraites.
MM. Jean-François Husson et Antoine Lefèvre. - Magiciens !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et les recettes ?
M. Hervé Marseille. - Il faudra faire des choix politiques : il faut le mettre sur la place publique, donner les chiffres et dire comment on fait. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Dans cette situation très difficile, nous devons savoir où l'on va, avec qui et comment ; il faut dire comment on finance.
Chers collègues socialistes, dans ce contrat, que faites-vous ?
M. Rachid Temal. - On vous le dira !
M. Hervé Marseille. - Patrick Kanner dit : maintenant qu'on a mangé les retraites, on va vous servir du Zucman ; ensuite, on regardera dans le budget ce qui nous va et ce qui ne nous va pas. (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
M. Mickaël Vallet. - Vous voyez : quand vous voulez, vous comprenez...
M. Hervé Marseille. - Quand on discute, il faut savoir ce que chacun apporte : j'aimerais donc savoir ce que vous apportez.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Soixante-neuf voix...
M. Hervé Marseille. - Cela ne peut pas être une discussion quotidienne.
M. Mickaël Vallet. - Il y a un rapport de force !
M. Hervé Marseille. - Notre groupe est disposé à vous soutenir, monsieur le Premier ministre, mais pas à n'importe quelles conditions.
M. Mickaël Vallet. - Avec nous, camarade !
M. Hervé Marseille. - Agissons de façon claire et transparente. Mettons les chiffres sur la table, disons les choses. C'est ainsi, devant les Français, que nous pourrons avancer. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP ; M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Oscar Wilde, endetté jusqu'au cou, a dit : « Je meurs au-dessus de mes moyens ». (On apprécie la formule.) C'est ce qui est en train de nous arriver. (On renchérit sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Le budget 2026 s'annonce encore plus difficile à bâtir qu'un meuble Ikea... N'importe quel comptable débutant conclurait : la France, c'est Gabegie le magnifique ; il faut faire des économies. Curieusement, ce n'est pas la solution préconisée par de nombreux médias, réseaux sociaux et partis politiques...
Dans le pays champion du monde de la redistribution, on cloue le bec à ceux qui alertent sur la sortie de route d'un mot : « justice fiscale ». Aux deux extrémités de l'Assemblée nationale, vos ennemis, qui sont aussi ceux de la démocratie, se moquent de l'intérêt général. Leur seul but ? Précipiter la crise institutionnelle.
L'extrême gauche guette l'étincelle qui mettra le feu aux poudres. Après avoir bloqué l'Assemblée pendant trois ans, la secte a vu surgir un mouvement dont le nom la comblait : « Bloquons tout ». Mais LFI a eu beau marteler que toute mesure d'économie provoquerait la famine, le déluge et les sauterelles, elle a échoué à transformer l'ébullition en insurrection. Pauvre extrême gauche ! Son bilan se résume à ceci : un siècle à bouffer du curé pour finir par lécher les bottes des mollahs. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains et sur quelques travées du RDPI)
L'extrême droite voit son heure venir, mais l'odeur du pouvoir la rend schizophrène. Marine Le Pen n'est « ni de droite ni de gauche » - elle est devenue très « en même temps »... (Marques d'ironie sur de nombreuses travées) Mais Ciotti appelle à l'union des droites, Bardella fait la danse des sept voiles aux journées du Medef. Faut-il croire la madone des prolétaires ou le champion du CAC 40 ? La première s'accroche à retraite à 60 ans, folle revendication de la CGT qui coûterait des dizaines de milliards d'euros. Il faut le dire à tous les Français qui ont quelques économies : voter pour l'extrême droite, c'est comme une dinde qui voterait pour Noël ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Vous n'aviez pas grand monde avec qui discuter. Restait le PS. Olivier Faure se tortillait depuis des mois comme un lombric, entre son tango avec LFI et le refus de la moitié de ses troupes de baiser les babouches de Mélenchon. Vous l'avez tiré d'affaire, ...
M. Mickaël Vallet. - Et inversement !
M. Claude Malhuret. - ... en le laissant faire monter les enchères : abandon des deux jours fériés travaillés et des 40 milliards d'euros d'économies, suspension de la réforme des retraites, reconduction de la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, fiscalisation des actifs des holdings, taxation des hauts patrimoines. Votre problème n'était pas d'acheter les socialistes, mais de ne pas les payer au prix auquel ils s'estiment. Hélas, vous avez payé très cher.
Oui, pour gouverner dans les conditions actuelles, il faut des compromis. Mais il y a une limite : quand le prix à payer pour sauver les meubles est supérieur au prix des meubles.
Comme le dit Jean Tirole, « nous continuons à déplacer les transats pendant que le Titanic coule ».
Ayons le courage de dire que nos 3 400 milliards d'euros de dette s'expliquent par deux mesures qui ont coulé le pays. D'abord, la retraite à 60 ans sous Mitterrand. (Applaudissements à droite et au centre ; protestations à gauche) Michel Rocard lui-même l'a dit en 1990 ! En Espagne, la retraite est à 67 ans. Monsieur le Premier ministre, invitez un socialiste espagnol à expliquer les finances publiques aux socialistes français ! (Marques d'ironie à droite et au centre)
M. Thierry Cozic. - Et la politique de l'offre ?
M. Claude Malhuret. - Ensuite, les 35 heures sous Jospin, qui ont tué notre compétitivité et ravagé, notamment, l'hôpital public.
M. Didier Marie. - Et Macron ?
M. Claude Malhuret. - Ne manque qu'une troisième mesure pour nous achever : la taxe Zucman, qui fera fuir les start-up de la tech et de l'innovation, carburant de l'économie des prochaines décennies. Cette taxe est à la croissance ce que l'hydroxychloroquine était au Covid... Or, en l'absence de 49.3, elle risque de figurer dans le texte final.
Mme Cécile Cukierman. - Dans ce cas, censurez !
M. Claude Malhuret. - Alors que l'Europe décroche et la France plus encore, la gauche française nous propose de moins travailler, d'abaisser l'âge de la retraite, d'augmenter les impôts et d'aggraver la dette. Nous avons besoin de l'exact contraire : économies urgentes et surcroît d'activité, de croissance et d'emploi. La meilleure des mesures sociales, c'est un travail ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Très bien !
M. Rachid Temal. - C'est vous qui êtes au pouvoir : assumez !
M. Claude Malhuret. - Après que les socialistes vous ont tordu le bras, le budget, aggravé par l'alliance des démagogues à l'Assemblée nationale, ne le permettra pas.
Certes, ce budget n'a d'autre but que de permettre au Gouvernement d'éviter la censure.
M. Rachid Temal. - Parlez-en à Édouard Philippe !
M. Claude Malhuret. - Édouard Philippe, ce sont les trois années où le déficit a été inférieur à 3 %.
Plusieurs voix à gauche. - Non, c'est François Hollande !
M. Claude Malhuret. - Le Sénat va vous aider : non à faire plaisir aux socialistes, mais à leur résister. Si nous n'avons pas le dernier mot, nous pouvons faire beaucoup, comme pour le budget 2025. Nous purgerons les textes des mesures néfastes, en ajouterons d'utiles et poursuivrons le travail en commission mixte paritaire.
M. Rachid Temal. - Une proposition, pour finir ?
M. Hussein Bourgi. - Aucune proposition ! Que des critiques...
Mme Laurence Rossignol. - Pourquoi est-il aigri ?
M. Claude Malhuret. - Les parlementaires raisonnables sont plus nombreux que ceux toujours prêts, même à jeun, à dépenser plus que des marins ivres. Parmi tous les scénarios possibles, celui où la raison l'emporterait n'est donc pas du tout le moins probable. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. François Patriat . - (Mme Patricia Schillinger et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent.) Ma tâche est difficile, après tant de talent...
Tout le monde sait ce qu'il faudrait faire mais bien peu acceptent les efforts nécessaires. L'Himalaya dont parlait votre prédécesseur reste d'actualité, monsieur le Premier ministre, mais avec votre expérience et votre sens du dialogue, nous savons pouvoir affronter ce moment.
La crise institutionnelle paralyse notre pays depuis de longs mois et alimente un immobilisme mortifère. La gravité de la situation économique préoccupe, et le service de la dette devient le premier poste de dépense. Nos entreprises gèlent leurs investissements, nos partenaires européens s'inquiètent, nos concitoyens perdent confiance dans les institutions.
M. Didier Marie. - À qui la faute ?
M. François Patriat. - Vous prenez vos fonctions avec humilité, mais aussi avec fermeté et détermination, car il faudra tenir : la France a besoin de confiance et de stabilité. Elle ne se relèvera pas dans le vacarme, mais dans la lucidité et le courage.
Notre ambition est de donner un budget à la France avant la fin de l'année : un budget qui stoppe l'envolée de la dette et trace un chemin d'avenir ; qui entende le besoin de justice sociale et fiscale sans ignorer les efforts nécessaires à notre crédibilité ; qui permette aux entreprises d'investir et d'embaucher ; qui maintienne le crédit la France à l'étranger. Le RDPI prendra sa part au débat.
Ce budget est notre responsabilité première ; les Français attendent des actes. Le reste - débats idéologiques, positionnements stratégiques, ambitions personnelles - sera tranché lors de la prochaine élection présidentielle. Elle aura lieu en 2027, n'en déplaise à M. Mélenchon et sa horde de révolutionnaires de pacotille et à Mme Le Pen et son armée de poutinistes. Les extrêmes, soudés par la haine, n'ont pour horizon que le chaos. Minéralisés dans leurs postures, ils ne font que désigner des boucs émissaires : les riches pour les uns, l'immigration pour les autres.
Notre horizon ne se borne ni aux six mois qui nous séparent des élections municipales ni aux dix-huit qui précédent la présidentielle. Notre horizon, c'est la France de demain : celle qui se réinvente, se réforme et prépare l'avenir.
La République mérite mieux que la caricature et le chantage permanent à la censure. Pendant des années, une partie de l'opposition a dénoncé l'usage du 49.3 et appelé de ses voeux un Parlement fort. Votre décision de renoncer à cet outil marque un tournant majeur : c'est un acte de confiance inédit envers la représentation nationale, nous devons nous montrer dignes.
La France est debout parce que des responsables, de droite comme de gauche, ont choisi le réel contre les illusions, l'avenir contre le repli et la responsabilité contre la démagogie. C'est la seule voie pour que le pays tienne bon face aux vents contraires.
Dans le désordre parlementaire, le Sénat demeure un pôle de stabilité. Notre expérience et notre ancrage territorial nous donnent un devoir d'agir, avec pour seule boussole l'intérêt général. Agir pour le pouvoir d'achat, pour la justice fiscale, pour une décentralisation plus efficace et moins coûteuse.
Hier, vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites. Nous en prenons acte, l'urgence étant de sortir de la crise politique ; mais nos convictions n'ont pas changé, et nous attendons de la discussion parlementaire des mesures de compensation réalistes.
M. Didier Marie. - La taxe Zucman !
M. François Patriat. - Ceux qui ont obtenu gain de cause ne devront pas s'opposer aux mesures nécessaires à l'équilibre budgétaire.
Nous devons bâtir des solutions qui permettent à chacun de garder la tête haute, sans l'humiliation des uns ou le triomphalisme des autres.
Trouver des compromis ne signifie pas se compromettre. Le Sénat, rompu à cet exercice, jouera un rôle éminent.
Il faudra aussi aborder avec exigence les défis des outre-mer. Ils ne doivent pas devenir une variable d'ajustement budgétaire. Les Ultramarins n'ont pas besoin de promesses illusoires mais d'eau, de regain économique, d'une coopération régionale renforcée. Il faut proscrire tout traitement uniforme et répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire.
Entre le chaos et l'immobilisme, une troisième voie existe : le compromis républicain et la responsabilité collective. C'est celle que nous défendons pour redonner stabilité à la France et efficacité à l'action publique. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Louis Vogel et Mme Amel Gacquerre applaudissent également.)
Mme Cécile Cukierman . - Enfin, nous débattons, monsieur le Premier ministre, après vos valses hésitations ! Nous entendons combien vos amis vous soutiennent... La charge de M. Malhuret a été lourde. Mon cher collègue, si ce gouvernement ne répond pas à vos attentes, soutenez la censure !
Tous les commentateurs expliquent que la gauche « raisonnable » a tourné le dos à la gauche d'opposition claire à Emmanuel Macron et opté pour une forme de soutien sans participation. Finalement, à quoi bon discuter aujourd'hui puisque la censure ne serait pas votée demain ? M. le Premier ministre s'est présenté comme un moine-soldat ; j'utiliserai, moi, une autre métaphore religieuse : celle du péché originel...
Vous avez été battus aux élections législatives anticipées de 2024. Certes, aucune majorité absolue n'en est ressortie. Mais, à quatre reprises, Emmanuel Macron a bafoué le vote des électeurs en nommant un Premier ministre de son camp.
Vous parlez de rupture, de compromis, de coalition, laissant finalement reposer la responsabilité sur les forces de gauche. Or le seul responsable du chaos actuel, c'est le Président de la République.
De vous à moi, vos annonces ne vous permettront pas de durer. Bien sûr, certains, se satisfaisant d'un plat de lentilles, prolongent le jour sans fin de la macronie. Mais quand les lentilles ne sont pas cuites, le plat est indigeste. (M. Olivier Paccaud sourit.)
La Constitution n'a jamais prévu que les gouvernants et les représentants du peuple ne respectent pas le suffrage du peuple. Or vous continuez à vouloir garder le pouvoir contre l'avis des électeurs. Cela ne marche et ne marchera pas.
Alors que nous vivons une crise politique inédite depuis 1958, nous regrettons que vous ne soumettiez pas votre projet au vote de confiance.
Car vos projets budgétaires sont la copie aggravée de ceux de M. Bayrou. Sommes-nous d'accord sur le gel de l'indexation des salaires et des pensions, la diminution de l'APL et des minima sociaux ? Non. La hausse des franchises médicales ? Non. La baisse de 5 milliards d'euros du budget des collectivités ? Non. Un nouvel acte de décentralisation qui ne garantit ni la libre administration ni l'autonomie fiscale des collectivités ? Non.
Pouvons-nous nous satisfaire du renoncement au 49.3 alors que le Gouvernement dispose de dizaines d'autres superpouvoirs ? Pas davantage. Enfumage ! Article 40, vote bloqué, deuxième délibération, ordonnances, l'exécutif gardera la main sur la procédure budgétaire. Vous savez pertinemment que le délai constitutionnel de 70 jours ne suffira pas. Pouvez-vous affirmer que vous n'aurez pas recours aux ordonnances budgétaires ? Ceux qui vous épargnent une censure, vous croyant sincère, ont-ils réfléchi à votre capacité à contraindre le Parlement par ce moyen ? Vous nous annoncez un texte suspendant la réforme des retraites, quelques minutes après avoir annoncé à l'Assemblée nationale un amendement gouvernemental au PLFSS...
La politique dévastatrice menée depuis 2017 et les dénis de démocratie successifs poussent nos concitoyens au dégagisme. Sommes-nous prêts à repenser notre rapport à la politique et aux institutions pour redonner réellement le pouvoir au peuple, seul souverain ? On peut toujours tordre le bras à la démocratie, mais, à trop le lui tordre, c'est elle qui vous broie.
Mesdames, messieurs les ministres, avez-vous réellement cru qu'il n'y avait pas de lignes rouges entre nous, alors que depuis des mois la droite affirme les siennes : réforme des retraites, pas de justice fiscale, pas d'égalité entre les citoyens ? Ces clivages, vous ne les dépasserez pas, car servir les intérêts des nantis est dans l'ADN d'Emmanuel Macron. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du GEST ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
La censure est une exigence pour sanctionner cette politique. Laisser croire que votre gouvernement peut répondre aux aspirations populaires est une tromperie !
Monsieur le Premier ministre, pourquoi ne pas avoir engagé votre responsabilité, comme François Bayrou, si vous êtes si sûr de vous ? Ceux qui voteront la censure demain tiennent compte des aspirations des Français, qui demandent l'abrogation de la réforme des retraites et plus de justice fiscale, et de vos textes budgétaires, truffés de mesures qui broieront les travailleurs.
Ce qui fait démocratie, c'est d'abord le respect du vote populaire. Si la crise de régime guette, c'est que ce pilier fondateur a été bafoué. La censure de cet affront démocratique est inéluctable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Akli Mellouli acquiesce.)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Une nouvelle fois, le Gouvernement va devoir avancer sur un fil d'équilibriste. Vous souhaitez, monsieur le Premier ministre, ouvrir un chemin commun malgré les divergences. Le RDSE, rompu à la recherche du compromis, ne peut que vous encourager. Dans cette crise politique enkystée qui frôle la crise de régime, nous vous souhaitons de franchir les obstacles, mais pas à n'importe quel prix.
Oui, le RDSE veut que notre pays retrouve une stabilité politique. Nous le devons à nos concitoyens, las de voir les ambitions passer avant l'intérêt de la nation. Ils épargnent outre mesure par peur du lendemain - ce qui pourrait nous coûter 0,3 point de PIB. La crédibilité de notre pays en Europe est en jeu : c'est avec inquiétude que Berlin regarde une France devenue ingouvernable.
La dissolution est plus une punition qu'une solution : ceux qui la réclament à gauche risquent de faire le lit de l'extrême droite.
La priorité est un budget qui réponde aux attentes des Français et rassure acteurs économiques et collectivités locales ; qui soit fidèle à notre pacte social et républicain ; qui ne promette pas que du sang et des larmes, car nos concitoyens ont besoin d'espérance. La nécessaire réduction du déficit ne doit pas enfermer toutes nos politiques publiques. Après la récession de 1993 et la crise de 2008, le retour sous la barre des 3 % a pris sept et neuf ans. Ne prenons pas le risque d'une rigueur qui gripperait le peu de croissance qu'il nous reste.
Nos concitoyens demandent équité fiscale et sociale. La taxe Zucman va loin et n'est pas sans écueils, mais qui peut le plus peut le moins. Les débats autour de cette taxe ont eu le mérite de réveiller les consciences.
Vous êtes prêt, monsieur le Premier ministre, à débattre de la fiscalité des grandes fortunes : vous trouverez le RDSE sur ce terrain. Depuis des années, nous posons la question des holdings et de l'optimisation fiscale et celle du niveau de contribution du capital. Christian Bilhac a d'ailleurs fait adopter par le Sénat une hausse du prélèvement forfaitaire unique, annulée en seconde délibération.
Pas de 49.3 à l'Assemblée nationale : mais ici, l'entêtement idéologique conduira-t-il au vote bloqué ou, là encore, à une seconde délibération ?
Nous serons attentifs au sort réservé aux finances locales. Dans le brouillard politique actuel, les collectivités sont un roc et un vecteur de la commande publique. Les élus demandent stabilité et visibilité ; ils veulent une pause dans les réformes institutionnelles, après des changements à marche forcée - lois RCT, Maptam, NOTRe. Je viens de rendre un rapport qui confirme ce besoin de clarté. Nous devons, en revanche, repenser les relations entre l'État et les collectivités pour plus d'accompagnement et de simplification.
Nous vous soutiendrons dans votre volonté d'un État plus efficace, pour flécher la dépense publique sur l'école, la santé, la justice, l'outre-mer, la défense. Je pense aussi à notre modèle social, dont la préservation suppose des marges budgétaires. Sans oublier les attentes de la société : le RDSE souhaite un examen rapide des deux textes sur l'accompagnement de la fin de vie.
Vous avez annoncé la suspension de la réforme des retraites, une rupture très attendue. J'espère que les avancées obtenues pour les femmes et les carrières longues ou hachées, ainsi que la prise en compte de la pénibilité, seront conservées. Cette pause aura un coût : aux partenaires sociaux de trouver les moyens qu'elle ne soit pas financée par la dette publique, ce qui ruinerait la confiance dans notre modèle fondé sur la solidarité.
Monsieur le Premier ministre, comment ne pas souhaiter votre réussite ? Votre double volonté de permettre le débat et de restaurer la stabilité semble sincère. La Ve République a les ressources pour surmonter cette crise, sous réserve de pratiques politiques plus apaisées, expurgées des lignes rouges et tournées vers la recherche du consensus. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mmes Anne-Sophie Patru et Évelyne Perrot et M. Rachid Temal applaudissent également.)
Mme Mireille Jouve. - Bravo !
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Hier, monsieur le Premier ministre, vous déclariez : « Ceux qui ne changent pas, ceux qui s'agrippent aux vieux réflexes, aux postures, disparaîtront. » Cette lucidité contraste avec votre fidélité de samouraï au macronisme en décomposition...
Que de temps perdu pour faire comprendre au Président de la République que, depuis 2022, il n'a plus la majorité absolue ! Et pour tenter de vous marier avec les Républicains, qui vous juraient fidélité tout en ayant les yeux de Chimène pour l'extrême droite...
Que de temps perdu pour faire adopter une réforme des retraites injuste dont vous avez reconnu qu'elle avait heurté le pays et, à demi-mot, qu'elle avait été précédée d'un débat démocratique indigne de ce nom. Vous annoncez sa suspension totale, une nouvelle conférence sociale et une nouvelle loi : nous saluons cette amende honorable, après huit années de bulldozer macronien. C'est une victoire incontestable du mouvement social, de la gauche et des écologistes. Nous nous réjouissons pour les 3,5 millions de nos concitoyens qui gagneront plusieurs mois d'une retraite bien méritée.
Que de temps perdu, aussi, pour la transition écologique, victime de l'absence de vision, du rabot budgétaire et du socle commun - avec en point d'orgue la scélérate loi Duplomb, dont nous exigeons l'abrogation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol et Cathy Apourceau-Poly applaudissent également ; vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Que de temps perdu dans un monde instable, menacé à court terme par la sécession des riches et la nouvelle internationale fasciste, et à moyen terme par la catastrophe climatique et écologique.
Ces quinze mois de crise étaient largement évitables, en acceptant que les législatives avaient acté la prééminence du front républicain contre l'extrême droite, sans les LR dont l'ambiguïté était condamnable - ils en sortiront bientôt, au détriment de la République.
Le socle commun étant dessoudé, la force majoritaire de l'Assemblée nationale, c'est le Nouveau Front populaire. Vous êtes donc le troisième Premier ministre illégitime, et il est logique que nos collègues députés vous censurent.
Vous semblez toutefois avoir compris l'importance de redonner au Parlement sa place centrale. « Le Gouvernement propose, nous débattrons, vous voterez » : ce que vous appelez rupture est en réalité le fonctionnement normal de tout régime parlementaire - on l'a oublié après ces huit années de brutalité jupitérienne.
Vous renoncez, enfin, au 49.3. De fait, il n'y a aucune raison d'avoir peur d'une Assemblée nationale qui ressemble aux Français. Mais cet engagement n'aurait pas de sens si vous ne renonciez pas également à la possibilité de faire passer le budget par ordonnances.
Demain, vous échapperez vraisemblablement à la censure de quelques voix, mais c'est un sursis. Pour durer, vous n'avez d'autre choix que de trouver des compromis avec la gauche et les écologistes.
Votre copie budgétaire est un nouvel exercice de Robin des Bois inversé, qui prend aux pauvres pour donner aux riches. Votre projet de taxation des holdings est une paille et vous ne touchez presque pas aux niches fiscales des plus aisés, recensées par Charles de Courson. Aucun budget ne sera adopté sans la taxe Zucman, que les écologistes ont fait adopter à l'Assemblée en février, ou un dispositif de même ambition. Rien de concret sur le pouvoir d'achat des plus fragiles, alors que la pauvreté explose. Rien pour notre jeunesse précarisée.
Le budget de la sécurité sociale est tout aussi honteux avec, notamment, le doublement des franchises médicales et une augmentation ridicule de l'Ondam. En refusant d'augmenter les recettes pour suspendre la réforme des retraites, vous affaiblirez encore le soutien aux plus précaires et notre hôpital public.
Rien non plus pour la transition écologique, alors que la France ne tient déjà plus ses engagements, dix ans après les accords de Paris. MaPrimeRénov' évite la mort, mais à quel prix ? Cette politique allie pourtant justice sociale, transition et adaptation écologiques, création d'activité et souveraineté. Le fonds vert pour le climat est encore divisé par deux ; avec la baisse de la CVAE, qui ne profitera pas aux PME, les collectivités perdront 2 milliards d'euros. Et vous dites vouloir décentraliser des responsabilités avec des moyens...
Vous souhaitez responsabiliser les collectivités ? Donnez-leur la main avec le fonds climatique territorial que nous proposons ! (Applaudissements sur les travées du GEST) Elles n'ont pas à faire les frais de la doctrine macroniste qui a conduit à laisser filer la dette plutôt que de faire contribuer les plus aisés.
Enfin, doit-on comprendre que vous souhaitez supprimer la clause de compétence générale des communes ?
Nous serons exigeants lors de l'examen du budget, qui est en l'état un motif légitime de censure. Si votre Gouvernement veut passer l'automne, il vous faut entendre l'aspiration du pays à davantage de justice fiscale et écologique. Nous pouvons trouver des compromis en ce sens, y compris ici, avec nos collègues centristes qui ne souhaiteraient pas être aspirés dans la fuite en avant des LR vers l'extrême droite. (M. Olivier Paccaud proteste.)
La survie du Gouvernement ne règle en rien la crise profonde de la Ve République ni la crise démocratique. Le scrutin majoritaire ne dégage plus de majorité et brutalise le débat public : pour assurer une juste répartition des forces politiques et redonner sa place au Parlement, la proportionnelle est un impératif.
M. Vincent Louault. - Ben voyons !
M. Guillaume Gontard. - Il faut également en finir avec le coeur de la crise de régime : l'irresponsabilité du Président de la République. Il faut, enfin, associer beaucoup plus directement nos concitoyennes et nos concitoyens aux décisions publiques.
Le Président de la République doit lancer le chantier de la refondation démocratique et constitutionnelle. C'est essentiel pour éviter que cette crise ne débouche sur l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. (Applaudissements sur les travées du GEST, sur des travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Christopher Szczurek . - Nos compatriotes ont honte du spectacle d'un système politique discrédité, bouffi de ses échecs, pour lequel l'obsession de stabilité est le cache-sexe de ses incapacités ; honte d'un système au bord de l'abîme, d'intérêts prébendiers, de caciques prêts à tout pour conserver leur carte de visite.
Monsieur le Premier ministre, vous voilà la dernière victime du vice présidentiel, sacrifié pour cette mission kamikaze de maintenir en vie un pouvoir sans majorité, sans soutien populaire, sans avenir. Quel malheur qu'un homme qu'on dit digne et loyal soit au service aveugle d'une cause désastreuse ! Premier des macronistes, vous fermerez sans doute la porte quand la supercherie du macronisme sera enfin derrière nous.
Au prix d'une hypothétique suspension de l'injuste réforme des retraites, vous proposez non un budget de rupture, mais la continuité de l'agonie budgétaire, fiscale et sociale. Suspension illusoire, gagée sur le dos des salariés, des entrepreneurs, des retraités, des étudiants, de nos collectivités et même de nos agriculteurs.
Le programme présidentiel de Marine Le Pen, ce sont 100 milliards d'euros d'économies à notre portée, à condition de toucher aux totems de l'immigration et de notre contribution au budget de l'Union européenne, à notre bureaucratie stalinienne.
M. Rachid Temal. - Eh bien...
M. Christopher Szczurek. - Avec cela, vous financerez l'abrogation de la réforme des retraites et bien d'autres politiques pour nos compatriotes.
Vous pouvez tenir en suspens ce qu'il reste des partis traditionnels par la peur du retour aux urnes, vous pouvez les baratiner, mais pas nous. Vous pouvez vous draper dans le respect du Parlement, tout cela finira dans la moulinette des ordonnances. La seule voie du redressement, c'est le retour au peuple pour une alternance réelle.
Encore un an et demi, monsieur le bourreau, avant que la tempête électorale ne balaye le macronisme et n'amène le marinisme ! (Mme Émilienne Poumirol proteste.) C'est bien long pour nos compatriotes. Il est encore possible de changer de voie. Et même si vous n'êtes pas censuré à l'Assemblée, vous aurez Marine à l'Élysée !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre . - Merci pour vos prises de parole. Sur la feuille de route territoriale et les politiques publiques, je n'ai pas entendu de lignes rouges.
M. Jean-François Husson. - Elle est écarlate !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Et pour cause : nous nous sommes inspirés des propositions du Sénat, des associations d'élus, des partenaires sociaux. Si l'action du Gouvernement se poursuit, il se rapprochera des parlementaires pour avancer sur ces sujets.
Madame Cukierman, on ne peut faire comme si le débat n'aura pas lieu - sauf censure demain. C'est la discussion budgétaire qui traduit des politiques en actes, pas l'interruption des débats.
Monsieur Patriat, la ministre des outre-mer a déjà reçu des parlementaires ultramarins sur les outils Lodéom. La copie initiale prévoit des mesures d'économies sans doute trop importantes ; des amendements sont en train d'être rédigés avec les élus pour les rendre soutenables, comme nous l'avons toujours fait.
Certains me demandaient de faire ma déclaration de politique générale dans un document entre partis politiques ; d'autres, d'y détailler le PLF et le PLFSS. Cette resynchronisation démocratique est le corollaire de ce que François Bayrou a fait, avec courage, en demandant un vote de confiance sur la base de deux conférences de presse sur les finances publiques. Les oppositions ont réclamé des textes à examiner. J'ai essayé d'y répondre depuis un mois, y compris avec les partenaires sociaux - merci au président Malhuret de l'avoir dit.
J'ai été nommé le soir où Fitch dégradait la note de la France. Le lendemain, c'était le mouvement « Bloquons tout », visant à organiser le désordre et à s'en prendre aux forces de l'ordre. (Mme Laurence Rossignol proteste ; M. Yannick Jadot secoue la tête.) L'intersyndicale - légitime, elle - organisait manifestations et grèves. Voilà ce qui s'est passé depuis début septembre.
Monsieur Marseille, je n'ai pas été nommé Premier ministre il y a un an, ni en janvier. Être le troisième Premier ministre à gérer cette crise me conduit à prendre des risques, y compris en décalage avec mes propres convictions. Je le dis avec humilité, la stabilité du pays impose de ne pas faire comme avant. Ai-je tout fait bien ? Non. Si j'ai heurté, y compris les miens, je m'en excuse. Mais nous sommes dans un moment de responsabilité - il ne s'agit pas de faire la morale aux parlementaires, mais il est temps que les débats démarrent.
Je ne demande à personne de renier ses convictions. Nombre d'entre vous étaient pour une réforme des retraites, d'autres contre. Soyons précis : il n'y a pas d'abandon de cette réforme. (M. Max Brisson ironise.) Il faut rentrer dans la technicité du débat. C'est pour cela qu'il y aura un amendement du Gouvernement au PLFSS.
M. Yannick Jadot. - Un amendement ou un texte ?
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Un amendement est un texte ! (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Max Brisson. - On prend date !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Si vous souhaitez un effet au 1er janvier 2026, cela doit être dans le PLFSS. Soyez de bonne foi ! (Exclamations amusées à droite) Sinon, vous pouvez avoir un texte ad hoc - mais arrêtez de reporter cela sur le Gouvernement. (M. François Patriat applaudit ; exclamations à gauche) Cette affaire doit être traitée avec précision. Je n'opposerai pas pouvoir d'achat et retraites. Le dialogue social est grippé depuis la fin du conclave, vous le savez, monsieur le président Marseille.
M. Jean-François Husson. - C'était bien avant !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Vous connaissez bien les partenaires sociaux, les syndicats dits réformateurs - tout comme le président du Sénat. Fallait-il continuer ce blocage ? Le débat est ouvert et la responsabilité, partagée. La Haute Assemblée croit au paritarisme ; il s'agit de le faire redémarrer. Nul ne trahira ses convictions, chacun votera. C'est l'engagement que j'ai pris, merci au président Kanner de l'avoir rappelé.
Mais, encore une fois, je n'ai pas été nommé il y a un an. Je suis tenu de trouver des solutions de déblocage. On ne m'en a guère proposé pendant ce mois de septembre... Les partis ne voulaient parler qu'au Gouvernement, pas se parler entre eux. Or il faut que tout le monde se parle, comme on le fait dans nos conseils municipaux, dans nos intercommunalités. Sans se trahir, sans se renier.
Ce temps de la clarté nous conduira à rentrer techniquement dans certains dossiers. Monsieur Gontard, vous ne pouvez pas dire que la baisse de la CVAE ne profite pas aux PME !
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. - À 300 000 entreprises !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Ni qu'elle n'est pas compensée pour les collectivités. (M. Guillaume Gontard proteste énergiquement.)
M. Jean-François Husson. - La TVA, c'est l'État !
Mme Annie Le Houerou. - Cela coûte aux collectivités !
M. Roland Lescure, ministre. - C'est déjà compensé.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Ayons le débat.
Contrairement à la copie précédente, celle du Gouvernement propose des diminutions d'impôts. (M. Jean-François Husson s'exclame.) Monsieur le rapporteur général, vous avez du pouvoir !
M. Jean-François Husson. - On verra !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. - Je suis à votre disposition, avec les ministres, pour travailler en commun. Il faut que le débat démarre.
Illégitimité ? Attention aux mots employés. On peut ne pas être d'accord avec la Ve République, mais le Gouvernement tient sa légitimité de sa nomination par le Président de la République et de sa responsabilité devant le Parlement : si l'Assemblée nationale le décide, nous serons renversés. Le qualifier d'illégitime, c'est nourrir ceux qui mettent en cause la démocratie représentative.
« Qui sont ces sénateurs, ces députés, ces maires qui décident en notre nom ? », demandaient les gilets jaunes. Vous avez toute légitimité à représenter ici ceux qui vous ont élus, comme ceux qui n'ont pas voté pour vous. La défense de la démocratie représentative, voilà qui peut nous réunir. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
La séance, suspendue à 17 h 15, reprend à 17 h 30.