3. L'origine de la demande d'habilitation
Bien qu'il existe plusieurs précédents de mesures d'habilitation d'initiative parlementaire 65 ( * ) , le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision précitée n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005 sur la loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, qu'il résultait des termes mêmes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution 66 ( * ) que « seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre [ des ] ordonnances » en application de cet article. Il a à cette occasion censuré une mesure d'habilitation qui figurait dans le texte initial de la proposition de loi à l'origine de la loi soumise à son examen.
Le Conseil constitutionnel a cependant précisé par la suite, dans sa décision précitée n° 2006-534 DC du 16 mars 2006 sur la loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, que si le Gouvernement pouvait seul avoir l'initiative d'une demande d'habilitation, il avait la faculté de faire cette demande en déposant « soit un projet de loi, soit un amendement à un texte en cours d'examen ». Après avoir rappelé, conformément à sa jurisprudence habituelle, que le droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets ou propositions de loi par chacune des deux assemblées et qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie (ce qui était le cas en l'espèce), le Conseil constitutionnel en a déduit dans cette même décision qu'« il ne résulte ni de l'article 38 de la Constitution ni d'aucune autre de ces dispositions qu'un amendement autorisant le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ne puisse être déposé devant la seconde assemblée saisie, fût-ce immédiatement avant la réunion de la commission mixte paritaire ».
Si l'habilitation peut donc provenir d'un amendement du Gouvernement, encore faut-il que cet amendement respecte les conditions de recevabilité de droit commun et qu'il ne soit pas dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie .
Le Conseil constitutionnel a ainsi été amené, dans une décision du 25 janvier 2007 (n° 2007-546 DC), à censurer une mesure d'habilitation qu'il a jugée dépourvue de tout lien avec l'objet initial du texte. Il s'agissait d'une habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, qui avait été introduite par amendement du Gouvernement dans le projet de loi de ratification de l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions. Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel a rappelé à cette occasion que le complément ajouté à l'intitulé initial du projet de loi afin de faire référence à l'habilitation ainsi insérée était sans effet sur la régularité de l'adoption de ce « cavalier ». En conséquence, il a d'ailleurs lui-même rectifié l'intitulé du texte pour supprimer la référence à la mesure d'habilitation annulée.
De même, dans sa décision n° 2007-552 DC du 1er mars 2007 , le Conseil constitutionnel a de nouveau censuré une mesure d'habilitation, qui tendait à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relatives au recours à l'arbitrage par les personnes morales de droit public. En effet, il a considéré cette habilitation comme dépourvue de tout lien avec l'objet du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, au sein duquel elle avait été insérée par un amendement du Gouvernement.
Par ailleurs, un arrêt du Conseil d'État en date du 5 mai 2006 67 ( * ) , à propos d'une ordonnance n° 2005-647 du 6 juin 2005 modifiant le code des juridictions financières prise sur le fondement de l'article 64 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, a permis de préciser le caractère impersonnel des lois d'habilitation . S'agissant d'une ordonnance prise par le Gouvernement de M. Dominique de Villepin sur le fondement d'une habilitation demandée et obtenue par le Gouvernement précédent, dirigé par M. Jean-Pierre Raffarin 68 ( * ) , la question posée était de savoir si l'article 38 de la Constitution de 1958 réservait au seul Gouvernement en fonction au moment du vote de la loi d'habilitation le pouvoir de prendre des ordonnances. Après avoir rappelé les termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution, le Conseil d'État a affirmé, dans un considérant de principe, que « sous réserve de précisions contraires apportées par la loi d'habilitation prise sur le fondement de ces dispositions, l'autorisation donnée par le Parlement produit effet jusqu'au terme prévu par cette loi , sauf si une loi ultérieure en dispose autrement, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le Gouvernement en fonction à la date de l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation diffère de celui en fonction à la date de signature d'une ordonnance » .
Constatant en l'espèce, d'une part, que le délai d'habilitation n'était pas expiré et, d'autre part, qu'il ne ressortait pas des termes de la loi d'habilitation que le législateur ait habilité le seul Gouvernement en fonction à la date de son entrée en vigueur, le Conseil d'État a conclu à la légalité de l'ordonnance contestée.
En statuant par cet arrêt de principe sur une question non tranchée jusque là par la jurisprudence, le Conseil d'État a consacré un usage constant sous la V e République, la pratique montrant que de nombreuses lois d'habilitation ont été utilisées par un autre Gouvernement que celui investi initialement de l'autorisation de prendre des ordonnances.
* 65 Cf. supra I - A - 1.
* 66 « Le gouvernement peut [...] demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances » [...]
* 67 Arrêt de Section du Conseil d'État du 5 mai 2006, Schmitt.
* 68 Comme d'ailleurs de nombreuses ordonnances prises sur le fondement de la loi du 9 décembre 2004.