Extrait des débats relatifs à la loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire obligatoire : L'obligation tyrannique

Charles Chesnelong plaide ainsi : « Ne comprenez-vous pas quelle sera l'épouvantable douleur d'un père chrétien s'il se voit obligé de livrer l'âme de son enfant, parce que sa situation ne lui permet pas de la défendre. [...] Vous confisquez les droits de la religion, vous usurpez les droits de la famille, vous vous emparez de la conscience de l'enfant : votre obligation est au premier chef révolutionnaire, car d'un côté, elle est tyrannique, et de l'autre côté, elle est antisociale. » (16 mars 1882)

Henry Fournier joue quant à lui sur l'émotion : « Autre cas ; c'est une mère, c'est une aïeule, si vous voulez, une pauvre femme ; elle a tout perdu : son mari, ses enfants, il lui reste une petite fille. C'est sur elle que se reportent toutes ses affections ; c'est son unique joie en ce monde ! Elle veille sur elle avec un soin jaloux ; elle a la sollicitude la plus tendre pour cette enfant. Bien souvent, elle a mouillé de ses larmes ces cheveux blonds tout en les caressant (Exclamations ironiques à gauche)... et l'enfant lui a demandé « Pourquoi ces pleurs » ? La pauvre vieille lui a parlé de ceux qu'elle avait perdus et de Dieu, qui les avait rappelés à lui, car elle en veut faire une fille pieuse pour qu'elle devienne un jour une mère de famille vertueuse et forte ; elle lui apprend de bonne heure à joindre ses petites mains et à prier pour ceux qui ne sont plus. Elle l'emmène à l'église, où les larmes coulent plus douces, parce que quoi qu'on ait dit au banquet [banquet d'instituteurs organisé par Paul Bert], l'âme s'y nourrit toujours d'immortelles espérances !

Eh bien cette pauvre femme, il va falloir qu'elle se sépare de son enfant. La petite fille a six ans, il faut l'envoyer à l'école ; il n'y a qu'une école mixte tenue par un des instituteurs qui reviennent du banquet, qui a souri quand on lui a parlé du prêtre et qui a applaudi quand on lui a dit que l'Eglise était le symbole de la foi des temps obscurs et passés.

Eh bien, cette mère, vous la condamnerez à la prison si elle n'envoie pas son enfant dans cette école ! Cela serait odieux ! » (20 mars 1882)

Le vicomte de Lorgeril, pour sa part, dénonce les menaces et annonce une résistance : « Vous espérez sans doute que vos châtiments, vos prisons, vos amendes, triompheront de tels scrupules et qu'on livrera les âmes des enfants aux expériences d'un scepticisme athée, comme on livre les chiens, les chats et nos frères les singes, dont on est embarrassé, aux vivisections de M. Paul Bert. » (21 mars 1882)