b)...respectant les droits des minorités

Á la différence d'une république comme la Slovénie, la Macédoine n'a pas un peuplement homogène. Si elle s'appuie sur la majorité slavo-macédonienne, elle comporte un grand nombre de minorités. Une des premières graves questions qui se posaient au jeune État était de chiffrer sans discussion possible, alors que les Albanais estimaient leur nombre sous-évalué, l'importance de ces minorités. Le recensement qui s'est déroulé en 1994 a été opéré avec l'aide - et sous le contrôle - du Conseil de l'Europe. La publication des chiffres a été retardée, pour ne pas entraîner de polémiques pendant la période électorale.

RÉSULTATS DU RECENSEMENT 1994

(21 juin-10 juillet)

Macédoniens

1.288.330

66,5 %

Albanais

442.914

22,5 %

Turcs

77.252

4,0 %

Tsiganes

43.732

2,3 %

Serbes

39.260

2,0 %

Valaques

8.467

0,4 %

Autres

36.922

1,9 %

TOTAL

1.936.877

100,0 %

(N.B. ces résultats ont été annoncés le 14 novembre 1994; les précédents chiffres, très contestés, portaient sur un recensement effectué en 1990).

La Constitution de la République de Macédoine respecte les droits des minorités. Le début de son Préambule est particulièrement éclairant : "Partant de l'héritage historique, culturel, spirituel et étatique du peuple macédonien, (...), la Macédoine est constituée comme État national du peuple macédonien qui assure une égalité complète des droits civiques et une cohabitation durable du peuple macédonien avec des Albanais, Turcs, Valaques, Roms et autres nationalités qui habitent dans la République de Macédoine ". L'article 7 prévoit que, si la langue officielle en République de Macédoine est le macédonien et son alphabet le cyrillique, " dans les unités de l'autogestion locale où les membres des nationalités sont en majorité, leurs langues et alphabet sont, aux côtés du macédonien et du cyrillique, également en usage officiel de la manière déterminée par la Loi ". Dans les unités où les membres des nationalités sont en nombre "considérable ", leurs langue et alphabet sont "en usage officiel". L'article 9 affirme l'égalité des citoyens de la République de Macédoine indépendamment de leur sexe, race, couleur de la peau, origine nationale et sociale, convictions politiques et religieuses, situation sociale et fortune. L'article 19, qui proclame la liberté de confession, met à égalité l'Église orthodoxe macédonienne et les autres communautés confessionnelles et groupes religieux, également séparés de l'État. Ces Églises peuvent avoir leurs propres écoles. L'article 49 affirme que les "membres des nationalités ont le droit d'exprimer, de cultiver et de développer leurs identité et particularités nationales". Les membres des nationalités ont droit à l'enseignement en leur langue dans l'éducation primaire et secondaire, à égalité avec le macédonien.

La situation des minorités est très variable. Elles sont d'ailleurs de taille tout à fait différente.

La minorité albanaise est la plus nombreuse et la seule qui peut remettre en cause réellement l'unité du pays. Dans un certain sens, la Macédoine ne survivra que si cette minorité n'est pas tentée par des aventures extérieures (rêve de la "Grande Albanie").

La communauté albanaise en Macédoine

communauté la plus nombreuse : 21 %

regroupée dans la région qui s'étende de Skopje à Struga en longeant la frontière albano-macédonienne et dans quelques communes situées dans la région de Prespa.

Les Albanais sont majoritaires dans six communes :

Tetovo, 180.000 habitants (73 % d'Albanais), Gostivar, Kicevo, Debar, Struga et Kumanovo.

Les Slavo-macédoniens et les Albanais sont dans une situation économique très différente. Les Albanais se sentent défavorisés : les Macédoniens monopolisent les emplois de direction, les emplois administratifs et les professions intellectuelles.

Inversement, dans l'imaginaire slavo-macédonien du XIXème siècle, les Albanais sont représentés comme des "étrangers, des envahisseurs, des sauvages, des prolifiques" 2 ( * ) .

Leur représentation au sein des organes de l'administration d'État est très souvent symbolique. Le taux de chômage les frappe beaucoup plus, même s'ils s'investissent dans le développement d'activités privées. Ils sont soupçonnés également de constituer des formations paramilitaires.

La loi sur la citoyenneté a aggravé le mécontentement des Albanais. Il faut exciper, en effet, sur les quinze dernières années, de dix années de présence sur le territoire macédonien. En 1992, cette citoyenneté a été refusée à quelque 20.000 Albanais de Macédoine qui, pour des raisons économiques, ont passé une bonne part de leur vie dans les autres républiques fédérées.

Après l'épisode du référendum organisé sur l'autonomie en janvier 1992, puis les émeutes du Bit Pazar (quartier albanais de Skopje), le 6 novembre 1992, qui ont fait quatre morts, une certaine détente a pu être observée, par la prise de conscience des Albanais que leur statut était nettement privilégié par rapport aux Albanais d'Albanie et du Kosovo. Le parti albanais le plus important, le PDP, a fait le choix d'entrer dans la coalition gouvernementale, observant ce qui se passait en Bosnie. Au-delà des tentatives de rapprochement et des discours d'apaisement, les Albanais et les Macédoniens vivent dans "deux sociétés parallèles, dans une sorte d'indifférence ; pour certains d'entre eux, dans une crainte mutuelle " 3 ( * ) .

Le Gouvernement macédonien mène une politique d'intégration active, comme l'ont confirmé à la délégation sénatoriale les autorités macédoniennes rencontrées.

En ce qui concerne la police, M. FRCKOVSKI, ministre de l'Intérieur, a expliqué que des quotas ont été pris pour que, dans les écoles de la police, les Albanais soient 22 % (la situation globale de départ est de 1,7 %). Un système de discrimination positive est mis en place pour que ce pourcentage monte à 4,5 % en deux ans. L'objectif est d'arriver à 20 %, mais il faut faire attention à ce que les critères de recrutement restent professionnels, il faut éviter la cooptation politique et les processus de corruption que l'on peut observer dans d'autres polices de pays issus du bloc socialiste. Il faut également observer que tout le cadre idéologique est à changer puisque la situation de départ est celle d'une très grande méfiance de la communauté albanaise envers la police. Depuis l'indépendance, les représentants de la communauté albanaise sont très sensibles au fait qu'il n'y ait pas eu de brutalités policières à son encontre.

En ce qui concerne l'armée, il est à noter que, du temps de la fédération, il n'y avait pas d'officier albanais. En deux ans, le pourcentage d'Albanais dans l'armée macédonienne est passé de 0,5 % à 3,7 %. Le respect des rites religieux (nourriture) est assuré. L'armée macédonienne comprend huit généraux; l'année prochaine, l'un d'entre eux sera Albanais.

Lors des dernières élections, un Albanais a été candidat sous la bannière de l'Alliance pour la Macédoine, dans une circonscription à forte majorité albanaise; il n'a été battu que de quelques voix par un candidat d'un parti albanais.

La délégation sénatoriale a pu rencontrer des députés albanais élus au Parlement de Macédoine. Ils ont affirmé que les Albanais ne veulent pas être des marginaux dans la construction d'un État démocratique. Ils s'investissent pour que la Macédoine réussisse. Mais le problème crucial pour eux est l'enseignement et l'éducation. En quatre ans, il n'y a eu aucune loi dans le domaine de l'enseignement. L'emploi de la langue albanaise en Macédoine est assez restrictif. Quand il n'y pas de loi, on interprète la Constitution et l'interprétation de la Constitution dépend de ceux qui l'ont faite. Les représentants du NDP ont rappelé que le règlement du Parlement prévoyait l'emploi de la langue albanaise, comme d'autres langues minoritaires, maintenant ce n'est plus le cas. Ces représentants ont fait part à la délégation, également, d'une grande dégradation en matière d'enseignement. Il y avait, selon lui, 1500 étudiants albanais dans l'ex-Yougoslavie, il y en aurait 250 actuellement.

Les efforts d'intégration de cette communauté menés par le Gouvernement se heurtent, en effet, au désir légitime des Albanais de garder leur culture propre, ce qui pousse certains d'entre eux à vouloir disposer d'universités autonomes. Le désir du pouvoir central est davantage d'essayer d'intégrer les Albanais dans les institutions de la République de Macédoine, tout en respectant bien sûr les traditions religieuses. Il y a la crainte que ces institutions propres soient contrôlés par des Albanais de l'extérieur, des réfugiés du Kosovo : l'affaire de l'université de Tetovo (février 1995, un mort) montre que cette crainte n'est pas infondée.

Le programme exposé à la délégation sénatoriale par le Parti démocratique des Turcs, montre que la minorité albanaise n'est pas la seule à réclamer des droits :

1°) modification de la loi électorale pour permettre aux minorités ethniques d'être mieux représentés ;

2°) demande d'une législation pour l'enseignement des langues minoritaires ;

3°) élargissement des conditions scientifiques, d'éducation et d'information pour permettre l'expression de l'identité culturelle des minorités ;

4°) participation plus active des minorités dans les administrations d'État et les grandes entreprises.

En ce qui concerne la minorité tzigane, le député la représentant, M. Faïk ABDI, a fait part à la délégation sénatoriale de sa satisfaction sur le traitement des Roms en Macédoine. Ils ont, comme les autres communautés, des festivals, des émissions de radio et de télévision hebdomadaires - et bientôt bihebdomadaires - à la télévision macédonienne. Les Roms ont une grande estime pour le Président GLIGOROV qui a parlé, dans son discours à l'ONU, de la communauté rom comme d'une communauté faisant partie, au même titre que les autres, de la Macédoine.

L'état d'esprit des Serbes de Macédoine, très minoritaires, est néanmoins intéressant à observer.

La communauté serbe en Macédoine

40.000 personnes

(selon les nationalistes serbes, 300.000 personnes.)

85 % d'entre eux, pour le ministre de l'Intérieur, sont intégrés dans les grandes villes et la Serbie n'a pas d'influence sur eux. Mais les 15 % restants sont situés dans des villages du Nord de la Macédoine, à la frontière avec la Serbie. Certains villages ont ainsi déployé le drapeau yougoslave devant la mairie, ainsi que des portraits des différents dirigeants serbes. Des affrontements entre les forces de l'ordre macédonienne et certaines forces extrémistes ont déjà eu lieu.

* 2 M. ROUX, thèse sur Les Albanais en Yougoslavie . Edition de la Maison des Sciences de l'Homme, 1992, p. 425.

* 3 Le Monde, 28 avril 1994.

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