TABLE RONDE 2 - CARAÏBES : CUBA, HAÏTI, RÉPUBLIQUE DOMINICAINE ET TRINITÉ-ET-TOBAGO

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Nasser EL MAMOUNE, directeur pays Ubifrance Mexique et Amérique centrale - Caraïbes
Mme Perrine BUHLER, conseillère du commerce extérieur de la France, directrice générale, Devexport
M. Pierre-Georges HERVÉ, directeur, Industrie Bois SAS
Mme Julie SALTEL, chargée de projet GIE Access, Gefyra SAS
M. Gilbert SALVY, président de la section Trinité-et-Tobago des conseillers du commerce extérieur de la France, directeur régional, Bouygues TP
Mme Francette ROSAMONT, présidente de la section Martinique des conseillers du commerce extérieur de la France, gérante, Interentreprises
M. Éric TAINSH, direction de l'international, BPI France

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M. Arnaud FLEURY . - Quelles sont les opportunités dans les Caraïbes ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - M. Patrick Hervé a situé le cadre macroéconomique et en a précisé les tendances. Tous les pays présentent des opportunités dans plusieurs secteurs, mais chacun de façon spécifique.

Les responsables et acteurs économiques cubains et les entreprises françaises qui sont présentes à Cuba font preuve d'une approche similaire à celle employée au Vietnam, dont les marchés s'ouvrent progressivement. Cuba se dirige également vers une économie mixte. Tous les secteurs comptent, de l'agroalimentaire aux produits électriques. En outre, Cuba se distingue par l'innovation qui se développe dans les domaines de la santé et des biotechnologies. Le tourisme y a crû de façon exponentielle. Ce secteur est donc intéressant pour les PME françaises.

En République dominicaine, le modèle économique est différent, puisqu'il est tourné vers les zones franches. Cuba a aussi un grand projet de zone franche, la zone Mariel. La République dominicaine a initialement développé ce système en mettant en place des workshops dans le domaine textile, dont la production est destinée à l'export vers les États-Unis.

Par ailleurs, le secteur des énergies renouvelables constitue un potentiel considérable pour les entreprises françaises.

M. Arnaud FLEURY . - La République dominicaine connaît un fort développement touristique et économique. Le pays est fortement tourné vers les États-Unis, mais l'expertise et les produits français peuvent-ils y trouver une place ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - Nos concurrents européens, notamment espagnols, s'y engagent. La dépendance à l'égard des États-Unis existe dans tous les pays de la zone, sauf à Cuba. Nos exportations sont pour le moment liées au projet de métro de Saint-Domingue. Toutefois, elles incluent autant des biens de consommation que des produits agroalimentaires, du matériel électrique et des technologies de l'information. Le marché dominicain est donc intéressant pour les PME offrant des services dans le domaine des télécommunications. L'environnement des affaires est facile d'accès.

Les entreprises des DFA ont d'ailleurs particulièrement ciblé la République dominicaine. Auparavant, elles visaient les pays européens ; une réflexion a donc été menée par Ubifrance et le ministère sur ce sujet : il a été décidé d'inciter les entreprises françaises présentes dans les DFA et exerçant dans les domaines des technologies de l'information et de la communication (TIC), des énergies renouvelables et des biens agroalimentaires à cibler les marchés de proximité, à savoir l'Amérique latine et les Caraïbes. Des stratégies en la matière sont en cours d'élaboration. De grands contrats peuvent être conclus sur le marché dominicain, ainsi que des affaires autour des services au consommateur.

M. Arnaud FLEURY . - Le niveau de vie a beaucoup progressé en République dominicaine.

M. Nasser EL MAMOUNE . - Oui, mais il n'atteint pas encore celui de Trinité-et-Tobago en termes de PIB par habitant.

M. Arnaud FLEURY . - L'offre française est-elle perçue positivement en République dominicaine ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - Oui, lorsqu'elle est pertinente. Le marché dominicain est un marché de niches. La spécialisation dans des produits intermédiaires peut permettre d'y trouver une place. Les PME que nous avons aidées à intégrer ce marché sont relativement compétitives. Le marché ne souffre pas d'un frein psychologique en faveur des entreprises états-uniennes.

Par ailleurs, de nombreux acteurs économiques français vont organiseront en République dominicaine une semaine française au mois de juin 2014. Cet événement intéressera les entreprises installées au Mexique ou dans les DFA.

M. Arnaud FLEURY . - Que dire de Trinité-et-Tobago ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - Trinité-et-Tobago est une île intéressante, notamment du fait du fort pouvoir d'achat de ses habitants. L'accent doit donc être mis sur les biens de consommation. Toutefois, l'île souffre de fortes inégalités et d'une situation parfois préoccupante en termes de sécurité. Certains Trinidadiens peuvent acheter des produits à forte valeur ajoutée, voire des biens de luxe.

M. Arnaud FLEURY . - Trinité-et-Tobago est un producteur important de pétrole et de gaz.

M. Nasser EL MAMOUNE . - Nos entreprises proposant des produits parapétroliers et para-gaziers, de la robinetterie industrielle par exemple, sont déjà présents sur le marché.

M. Arnaud FLEURY . - En Haïti, les financements sont essentiellement fournis par les bailleurs de fond. Quelles opportunités existent pour les PME ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - La situation de Haïti est particulière, puisqu'il est le pays le moins riche de la région. Cependant, compte tenu des financements multilatéraux, des opportunités existent dans les domaines des infrastructures, de l'habitat, de l'eau et des déchets.

M. Arnaud FLEURY . - Devexport est l'une des rares sociétés de commerce française installées à Cuba. Elle y réalise une partie substantielle de son chiffre d'affaires. La présence française reste faible à Cuba. Quels conseils donner aux entreprises intéressées par ce marché ?

Mme Perrine BUHLER . - Devexport est une société de commerce internationale de biens d'équipement industriel. Or, l'aspect industriel est essentiel pour s'enraciner dans un pays, puisque la technologie et l'origine des équipements impliquent la livraison de nouveaux équipements et de pièces de remplacement.

Le problème le plus prégnant à Cuba réside dans l'embargo américain qui contraint les relations commerciales depuis plus de cinquante ans.

M. Arnaud FLEURY . - Est-il possible de vendre directement à Cuba sans subir de représailles américaines ?

Mme Perrine BUHLER . - Théoriquement, l'embargo américain ne s'applique pas extra-territorialement ; néanmoins, les Américains tentent de l'appliquer à des sociétés possédant des intérêts aux États-Unis. Par conséquent, de nombreux grands groupes préfèrent travailler aux États-Unis qu'à Cuba, leur marché étant plus grand.

L'embargo est discuté depuis longtemps. Toutefois, il est difficile de vendre à Cuba certains équipements fabriqués presque exclusivement aux États-Unis, les intermédiaires en profitant pour en augmenter le prix. En outre, l'embargo financier se renforce, puisque de nombreuses banques détenant des filiales aux États-Unis se retirent de Cuba suite aux pressions exercées par les Américains. Cuba ne bénéficie pas non plus de financements internationaux, la Banque mondiale et le FMI y étant absents.

M. Arnaud FLEURY . - Comment, alors, commercer avec Cuba ?

Mme Perrine BUHLER . - Pour travailler à Cuba en tant que société étrangère, il convient de s'adresser à des sociétés cubaines de centrale d'achat, spécialisées dans un secteur et desservant des sociétés publiques cubaines. De plus, travailler à Cuba exige une présence permanente, notamment du fait de sa situation insulaire : il nous est possible de répondre aux interrogations techniques et commerciales. La relation humaine et l'échange sont essentiels pour avancer avec les Cubains.

Lorsqu'une entreprise souhaite s'installer localement, elle peut demander une licence délivrée par le commerce extérieur cubain et octroyée selon plusieurs critères : la taille de l'entreprise, l'antériorité des ventes, la nature des produits, le volume pouvant être vendu et un nombre minimal de trois clients. Seule une dizaine de sociétés françaises possèdent cette licence, dont Total et Air France.

Les entreprises françaises ne possédant pas la licence peuvent conclure un contrat commercial avec une consultoria cubaine. Un employeur et un employé cubains travaillent alors exclusivement ou de façon partagée avec l'entreprise française. Une liste d'attente conséquente existe également pour les sociétés étrangères souhaitant disposer d'agents cubains travaillant exclusivement pour elles.

M. Arnaud FLEURY . - Les mesures de libéralisation annoncées ont-elles stimulé l'attention des entreprises étrangères ? Les sociétés françaises se positionnent-elles de façon satisfaisante ?

Mme Perrine BUHLER . - L'Europe est insuffisamment active à Cuba et les industriels attendent passivement. Les Latino-américains se montrent plus dynamiques. Odebrecht, par exemple, apporte des financements et propose ses services dans le domaine des travaux publics et de l'ingénierie. De même, les Vénézuéliens et les Chinois sont très présents. La France s'efforce de se positionner : elle discute et met en place des lignes de financement garanties par la COFACE, particulièrement des lignes court terme. Or, aucune banque n'est actuellement en mesure de les prendre en charge. Nous sommes donc contraints de nous adresser à des banques espagnoles.

M. Arnaud FLEURY . - Pensez-vous que le marché cubain est prometteur du fait de la qualité de ses infrastructures et du niveau d'éducation des Cubains ?

Mme Perrine BUHLER . - Les secteurs porteurs à Cuba sont nombreux, en particulier des secteurs dans lesquels la France est bien positionnée technologiquement : l'énergie (Alstom et Schneider Electric étant déjà présents) ; la pharmacie ; l'hydraulique ; les transports, secteur dans lequel Cuba a d'importants besoins ; l'agroalimentaire, domaine phare puisque l'agriculture cubaine s'est récemment développée.

Par ailleurs, la relation de Cuba avec les États-Unis pose question : il est difficile pour les Français et les Européens de se projeter. Elle s'améliorera certainement progressivement.

M. Arnaud FLEURY . - La TPE Industrie Bois SAS réalise la majeure partie de ses affaires à Cuba.

M. Pierre-Georges HERVÉ . - Cuba est un pays très exigeant mais qui respecte le savoir-faire. C'est pourquoi, les PME françaises disposant de savoir-faire ont un avenir prometteur à Cuba. Nous ne sommes pas affectés par des problèmes de financement, puisque nous sommes situés sur un petit marché sur lequel nous ne rencontrons pas de problème de paiement. En outre, nous sommes rémunérés en euros. Le marché cubain est respectueux des entreprises qui produisent et connaissent leur technologie.

M. Arnaud FLEURY . - La question du paiement n'est donc pas problématique pour une PME qui réussit à s'intégrer sur le marché cubain.

M. Pierre-Georges HERVÉ . - Non, particulièrement dans le secteur touristique qui génère des flux d'argent, Cuba paie correctement ses fournisseurs. L'industrie touristique est un secteur très porteur, notamment dans le domaine du bâtiment : Cuba a élaboré un programme prévoyant la construction de plus de 100 000 chambres dans les années à venir. Bouygues n'arrive d'ailleurs pas à faire face à la demande.

Pour une entreprise, il est essentiel d'intégrer le marché cubain avec un produit qu'elle maîtrise complètement. En effet, l'État cubain privilégie les entreprises qui vendent leurs propres produits. Il nous a fallu du temps pour prouver notre compétence, mais désormais nous vendons nos produits de façon satisfaisante. De plus, les Cubains respectent la parole donnée.

M. Arnaud FLEURY . - Comment commercer sans être enregistré, l'enregistrement prenant de nombreuses années et étant fortement conditionné ?

M. Pierre-Georges HERVÉ . - Il n'est pas nécessaire d'être enregistré pour faire du commerce à Cuba, si vous connaissez bien votre produit. Les sociétés peuvent s'appuyer sur les entreprises françaises déjà présentes et qui connaissent les circuits à emprunter. Leur stabilité financière et les certifications techniques des produits seront vérifiées. Comme dans tout marché export, aucune vente ne peut être réalisée avant deux ans.

Pour notre part, nous disposerons de notre propre représentation à partir de l'année prochaine. Nous pouvons facilement aider d'autres entreprises à pénétrer le marché.

M. Arnaud FLEURY . - La notion de première vente permet à une entreprise d'effectuer une vente sans être installée à Cuba ?

M. Pierre-Georges HERVÉ . - En effet, les acheteurs cubains acceptent de conclure un contrat avec une entreprise qui ne dispose pas encore de certification technique. L'entreprise peut alors tester le marché. Si le produit correspond aux besoins du marché, l'entreprise vivra quelques mois de latence après sa première vente pour obtenir sa certification. La démarche est exigeante, mais rend les entreprises meilleures.

M. Arnaud FLEURY . - Les TPE françaises partagent-elles votre enthousiasme à l'égard de Cuba ?

M. Pierre-Georges HERVÉ . - En Normandie, de nombreuses personnes sont intéressées. Selon moi, la situation cubaine s'apparente à celle des « Trente glorieuses » : il convient de ne pas laisser passer la chance que représente l'embargo américain pour les PME françaises. En effet, les PME américaines ne peuvent s'installer à Cuba, alors que le marché y est considérable, très stable et progressera continuellement. Sans l'embargo américain, nous ne pourrions intégrer ce marché. Notre entreprise croîtra grâce à Cuba : elle est reconnue au Venezuela et dans 22 autres pays autour de Cuba qui connaissent le niveau d'exigence de Cuba et ont pu y vérifier notre compétence.

M. Arnaud FLEURY . - Vous affirmez que la libéralisation ne concerne pas votre secteur ; pourtant, votre entreprise aura des opportunités ?

M. Pierre-Georges HERVÉ . - Dans mon métier, la libéralisation ne m'affecte pas : la construction ne s'arrête jamais. Pour autant, il est certain qu'il sera nécessaire d'être déjà installé sur le marché lorsqu'il sera libéralisé. À ce moment-là, les Américains investiront le marché cubain, d'autant plus qu'ils ont des affinités avec Cuba. Il nous sera alors possible de travailler pour les Américains.

Le marché cubain se privatise : les particuliers peuvent désormais créer leurs propres entreprises. Ils représentent une concurrence dans notre secteur, d'autant plus qu'ils apprennent vite.

M. Arnaud FLEURY . - Les Brésiliens sont très actifs dans le projet de zone franche de Mariel qui permettra aux entreprises étrangères de s'installer à Cuba. Ce projet est-il intéressant ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - Oui, même si l'expansion de Mariel dépendra de l'évolution des relations entre Cuba et les États-Unis. Les grands groupes brésiliens et mexicains s'intéressent à Cuba. Il est donc nécessaire que les groupes français s'y intéressent également.

Par ailleurs, il existe trois types de client à Cuba : des sociétés ayant le monopole d'importation ; des entreprises ayant le monopole d'importation, mais dépendant des forces armées, notamment dans le tourisme, qui sont des clientes précieuses puisqu'elles paient encore mieux que les autres ; et des clients du secteur privé émergent, mais dépendant des sociétés d'importation.

M. Pierre-Georges HERVÉ . - Le projet de Mariel est très intéressant pour les PME françaises. En effet, elles pourront transformer des produits sur place, la qualité de l'infrastructure étant exceptionnelle. Le patron de Bouygues la considère d'un très haut niveau mondial.

M. Arnaud FLEURY . - Quelles sont les spécificités de Haïti ?

Mme Julie SALTEL . - Je reviens d'une mission Ubifrance en Haïti, qui est un pays particulier : il est le plus pauvre des Caraïbes et de la zone Amérique. 80 % de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté, est analphabète et a moins de 40 ans. De plus, le tremblement de terre du mois de janvier 2010 a occasionné des conséquences humaines et économiques dramatiques : les pertes ont été estimées à neuf milliards de dollars. Des promesses de dons de l'ordre de dix milliards de dollars ont été effectuées, afin de réaliser un plan de reconstruction s'étalant sur dix ans.

L'État haïtien se trouve sous perfusion de l'aide internationale. En 2012, sept milliards de dollars avaient déjà été décaissés. Parallèlement, la croissance économique s'élevait à 5 %, soit le plus fort des Caraïbes.

Il faut savoir que Haïti est formé de divers réseaux d'influence. Par conséquent, il est nécessaire de s'y rendre pour comprendre la façon dont s'articule l'activité économique. J'y suis retournée au mois de novembre afin de me familiariser avec le terrain. Les opportunités d'affaires à Haïti se trouvent dans les marchés publics internationaux. Différents bailleurs y sont présents : des banques de développement, des agences de coopération, des ONG et les Nations unies depuis 2004. Ils émettent les marchés de façon variée : directement, via des agences étatiques ou des ONG. De plus, le groupement est réparti sur quatre pôles : la construction, la protection, l'eau et l'environnement, et l'éducation. Cependant, nous sommes particulièrement intéressés par les infrastructures, le pays ayant toujours besoin d'être reconstruit. En effet, plusieurs quartiers contiennent encore de nombreux gravats.

M. Arnaud FLEURY . - Les PME françaises peuvent-elles prétendre aux financements internationaux ?

Mme Julie SALTEL . - Les Français sont relativement peu présents en Haïti par rapport aux Américains, Espagnols, Dominicains ou Canadiens. Toutefois, la communauté de langue constitue un atout pour les Français. Les PME françaises souhaitant investir le marché haïtien doivent en comprendre le fonctionnement, ainsi que la manière dont s'articulent les différents bailleurs et leurs procédures. Par ailleurs, le montant moyen d'un contrat offert par les Nations unies s'élève à 10 000 dollars ; ces contrats sont donc accessibles à tous. Le GIE Access a été créé en 2009 pour aider nos membres à se positionner sur ces marchés publics internationaux.

Il est fortement conseillé aux entreprises de travailler directement avec les bailleurs de fonds internationaux. En effet, l'État haïtien est faible et n'est pas capable d'absorber les fonds : les dons représentent la moitié du budget de l'État et 10 % du PIB haïtien. C'est pourquoi, la capacité des autorités locales à s'approprier les projets doit être renforcée. En outre, les entreprises doivent se renseigner sur les procédures d'obtention d'un marché. Afin de détecter les marchés, le GIE Access a mis en place un partenariat deux ans auparavant avec une entreprise de construction à Port-au-Prince. Il nous a fallu du temps pour trouver un partenaire fiable et solvable ; ce dernier nous apporte sa connaissance du pays, ses relations avec les différents bailleurs, ses clients, tandis que les entreprises françaises contribuent sur les plans logistique, financier et technologique. Ce schéma reposant sur la complémentarité des acteurs fonctionne très bien.

M. Arnaud FLEURY . - Des acteurs haïtiens sont-ils en capacité de nouer des partenariats avec les entreprises désireuses de s'implanter en Haïti ?

Mme Julie SALTEL . - Nous travaillons uniquement sur les marchés publics internationaux, dans lesquels se trouvent des secteurs de « niches » pour les Français, comme la construction.

M. Arnaud FLEURY . - Dans le secteur privé, des relations d'affaires peuvent-elles être nouées ?

Mme Julie SALTEL . - Probablement, mais elles ne constituent pas notre priorité. Cependant, lors de la mission Ubifrance, des rencontres ont eu lieu avec des bailleurs et des entreprises privées lors desquelles la question de la sécurité a été évoquée. Des entreprises privées et étrangères peuvent prétendre conclure des contrats sur le marché de la sécurité.

Par ailleurs, le besoin de se déplacer en Haïti est prégnant : plus de trois ans après le tremblement de terre, des besoins considérables en termes de construction d'infrastructures, d'écoles, de routes et d'hôpitaux se font encore sentir. Les Haïtiens cherchent d'ailleurs à renforcer leurs compétences en la matière et à se former professionnellement. Il convient de donner les clés à la population locale, afin de développer une croissance inclusive.

M. Nasser EL MAMOUNE . - Haïti importe des produits manufacturés (machines, matériel de transport, produits alimentaires). Son premier partenaire en la matière est la République dominicaine. Je conseille donc aux entreprises françaises, déjà présentes en République dominicaine, de passer par cette dernière pour investir le marché haïtien.

M. Arnaud FLEURY . - Bouygues a eu de grandes ambitions à Trinité-et-Tobago qui ne se sont pas concrétisées.

M. Gilbert SALVY . - Je suis installé à Trinité-et-Tobago depuis 2008, suite à l'obtention d'un appel d'offres à travers un marché public concernant la construction d'une voie ferroviaire totalement intégrée. Sa valeur était alors estimée à 3,5 milliards de dollars. Le contrat a été attribué à un consortium français, constitué par Bouygues TP, Alstom Transport et RATP Développement. Je me suis installé à Trinité-et-Tobago en tant que directeur du projet.

Le contrat était divisé en trois sections. Une première phase consistait à développer le projet, c'est-à-dire à structurer le territoire grâce à un réseau de transports qui n'existe toujours pas aujourd'hui, et à produire une étude locale, environnementale et sociétale. Cette première phase a duré deux ans. Elle valait 150 millions de dollars et a mobilisé 80 experts ingénieurs locaux et internationaux. Suite à des raisons politiques indépendantes du projet, le gouvernement en place à l'époque a provoqué des élections anticipées au mois de mai 2010 qu'il a perdues. L'opposition avait prévenu qu'elle arrêterait le projet en cas de victoire. Le projet a donc été suspendu juste avant la phase de construction.

Nous nous trouvons actuellement dans une période transitoire, dans laquelle le gouvernement actuel est contesté pour avoir mis en place une politique peu favorable au développement. Par conséquent, il est probable que les élections de 2015 occasionnent un revirement politique.

M. Arnaud FLEURY . - Ce revirement est-il typique de Trinité-et-Tobago ou constitue-t-il un incident de parcours ?

M. Gilbert SALVY . - Le gouvernement précédent avait une vision de long terme qui reconnaissait la nécessité pour Trinité-et-Tobago, comme pour tout pays en voie de développement, de disposer d'un réseau d'infrastructures accompagnant le développement économique. L'initiative prise par ce gouvernement était pertinente, puisqu'elle visait à développer un réseau autoroutier, ferroviaire, de transports urbains, aérien et portuaire.

Le gouvernement actuel est confronté à une crise économique et politique. Il lui reste deux ans de mandat et ses marges de manoeuvre sont très limitées. Les prochaines élections devraient initier une dynamique davantage propice au projet. Le pays semble sortir de la crise, plus aiguë en 2010 et 2011, puisque la croissance économique atteint désormais 1,5 %.

M. Arnaud FLEURY . - Trinité-et-Tobago est un pays gazier et pétrolier ; c'est dans ce domaine que se trouvent de nombreuses opportunités pour les entreprises françaises.

M. Gilbert SALVY . - Elles en ont conscience. 60 % du PIB du pays reposent sur le secteur pétrolier. Une des velléités des gouvernements précédent et actuel était de diversifier les sources de revenu du pays. Malheureusement, la crise financière a empêché cette diversification nécessaire ; en effet, les ressources énergétiques sont limitées dans le temps.

Les réserves de pétrole et de gaz sont confrontées à plusieurs problématiques. D'une part, les réserves de pétrole posent un problème de frontière, puisqu'elles se situent sur la même base d'exploration que celles du Venezuela. Elles commenceront à diminuer d'ici dix ans. D'autre part, les exportations de Trinité-et-Tobago vers leur principal client, les États-Unis, sont appelées à diminuer, ces derniers développant l'énergie basée sur le gaz de schiste.

M. Arnaud FLEURY . - Dans quels secteurs l'offre française peut-elle trouver preneur à Trinité-et-Tobago ?

M. Gilbert SALVY . - Dans le secteur énergétique, les entreprises françaises se sont retirées de Trinité-et-Tobago ; GDF-Suez et Total ont ainsi quitté leur domaine pétrolier. De même, Alstom n'y est plus active, tandis que Bouygues a maintenu une activité uniquement grâce à sa filiale Bouygues TP. Cette dernière a développé le front de mer via la construction de l'hôtel Hyatt et construit actuellement des commissariats de police. Vinci est également présente à travers la construction d'un échangeur. Je présidais une section CCE regroupant huit sociétés et qui n'en inclut plus que deux.

M. Arnaud FLEURY . - Des PME françaises prospectent-elles à Trinité-et-Tobago ?

M. Gilbert SALVY . - Quatre à cinq PME franco-trinidadiennes y sont présentes dans les secteurs du plastique, de la pétrochimie, du papier ou du retraitement des pneus usés. La diversification créera des opportunités pour les entreprises françaises souhaitant s'y investir et trouver des partenaires trinidadiens, ces derniers ayant besoin de l'expertise dont ils ne disposent pas, notamment dans le domaine du développement durable.

M. Arnaud FLEURY . - Trinité-et-Tobago est-elle active dans la Communauté des Caraïbes (Caricom) ?

M. Gilbert SALVY . - Elle y a eu un rôle important. Toutefois, du fait de la crise financière qu'elle subit, elle est moins encline à supporter l'ensemble de la zone ; c'est pourquoi, elle souhaite que les autres îles s'impliquent davantage. Pour autant, la Caricom représente environ 20 % des exportations trinidadiennes dans la région.

Enfin, les relations entre Trinité-et-Tobago et les États-Unis sont essentielles. Les Antilles françaises peuvent constituer un intermédiaire intéressant pour les entreprises françaises. Trinité-et-Tobago tente davantage de développer ses relations avec l'Amérique latine.

M. Arnaud FLEURY . - Quel est le point de vue d'Ubifrance sur Trinité-et-Tobago ?

M. Nasser EL MAMOUNE . - Ubifrance surveille le programme trinidadien intitulé « Vision 2020 » concernant sept secteurs stratégiques, parmi lesquels les énergies renouvelables, l'emballage, la plasturgie et l'industrie agroalimentaire. Dans ces secteurs, des offres françaises pourraient satisfaire les besoins trinidadiens. Actuellement, la situation est complexe, mais le développement de la filière pétrochimique ne doit pas être négligé.

M. Arnaud FLEURY . - Vous portez un dispositif facilitant le commerce avec les pays précédemment évoqués : l'Union caribéenne de l'exécution, visant à faire exécuter les décisions de justice, afin de sécuriser les transactions.

Mme Francette ROSAMONT . - Pour compléter les propos de Mme Julie Saltel, il existe des opportunités dans le secteur privé en Haïti. Les grandes familles haïtiennes ont conscience qu'elles ne peuvent plus continuer à tenir seules les rênes du pays. Par exemple, l'entreprise martiniquaise Biométal a installé une industrie de fabrication de tôle qui, jusqu'à maintenant, provenait essentiellement de la République dominicaine. Elle a peiné à trouver un partenaire satisfaisant, mais elle a commencé à produire il y a un an. Elle ne rencontre aucun problème d'encaissement. De même, une entreprise de blanchisserie a été mise en place par une société guadeloupéenne. L'offre est destinée aux hôtels et se développe de façon satisfaisante.

En outre, en matière d'eau et d'assainissement, la Société martiniquaise des eaux a développé une technologie avec la Dinepa (Direction nationale de l'eau potable et de l'assainissement). D'ailleurs, après le séisme, nous avons réussi à faire passer le flux de transfert de technologies venant de France par la Martinique.

Une société martiniquaise effectuant du contrôle de bâtiment a réussi à élaborer un référentiel pour la construction de petits bâtiments repris in extenso par le gouvernement haïtien. Enfin, la société guyanaise, Altoa, spécialisée dans la topographie laser est en cours de prospection en Haïti.

Par ailleurs, s'agissant de l'expérimentation permettant de sécuriser les contrats, elle est partie, d'une part, de la volonté du gouvernement français de voir les DFA commercer avec leurs voisins et, d'autre part, de l'absence d'outils pour se faire. En effet, les systèmes juridiques de la zone ne communiquent pas entre eux. Pour sécuriser les contrats à droit constant, il convient de pouvoir les exécuter. Au mois d'août 2012, nous nous sommes rendus à Sainte-Lucie, où les acteurs ont manifesté un intérêt pour notre projet. Il a été décidé d'expérimenter la sécurisation uniquement en République dominicaine et à Sainte-Lucie, tout en visant son extension aux pays de « the Organisation of Eastern Carribbean States » (OECS), puis à la Caricom.

En effet, la sécurisation des contrats est problématique à trois niveaux : civil, commercial et pénal. Par exemple, dans le cas d'un achat de terrain en République dominicaine se révélant mal borné, un jugement français est actuellement inutile. Il est possible de transférer le jugement définitif par valise diplomatique au ministère des affaires étrangères français, qui le transmet à son homologue dominicain, mais cette procédure dure deux ans.

Au mois de juin 2013, nous sommes parvenus à mettre en relation les parquets et les ministères de la justice français, dominicain et saint-lucien. La République dominicaine et Sainte-Lucie ont alors accepté de reconnaître les jugements français : un jugement définitif français peut être traduit en anglais, être envoyé au justiciable dominicain et saint-lucien, et être exécutable.

Cette première étape est fondamentale, puisqu'elle nous a permis de régler un problème pénal. Les neuf pays de l'OECS ont un tribunal itinérant commun, Eastern Caribbean Supreme Court, ce qui n'existe pas en France. Le chef honoraire de ce tribunal est venu nous présenter sa juridiction le 5 décembre. L'étape suivante consiste en une reconnaissance réciproque des jugements de cette dernière et des jugements français.

En outre, la Guadeloupe et la Martinique adhéreront au mois de juillet 2014 à l'OECS. À ce titre, nous souhaitons que nos travaux soient fortifiés et pérennisés par un accord inter-étatique. Si nous démontrons que la démarche fonctionne, nous pourrons l'étendre à l'ensemble des autres pays. D'ores et déjà, des compagnies de la zone rencontrant des problèmes de paiement s'intéressent à nos travaux, en particulier les CHU, qui présentent des dettes de l'ordre de 50 millions d'euros pour avoir soigné des ressortissants étrangers sans être rémunérés.

De plus, nous souffrons d'un réel problème de connectivité. Celle-ci doit être améliorée à trois niveaux : juridique, aérien et maritime. Le ciel caribéen est l'un des derniers à ne pas être libéralisé. Les juridictions qui le régissent se trouvent aux États-Unis et à Bruxelles. Les élus et les entreprises doivent agir pour modifier ces règles. La mer n'est pas non plus libéralisée dans la zone ; par exemple, les bateaux venant des Caraïbes ne peuvent pas accoster dans les ports français. Des travaux sont en cours pour faire accepter les normes caribéennes dans ces ports ; ils devraient aboutir en juillet 2014. De même, nous négocions depuis cinq ans avec l'UE pour que des financements non européens soutiennent l'amorçage de lignes de cabotage qui permettraient d'intensifier le trafic.

Enfin, des espaces de rencontre doivent être créés, puisque nous ne nous rencontrons pas assez.

M. Arnaud FLEURY . - Quels sont les outils de financement du développement international des entreprises françaises ?

M. Éric TAINSH . - BPI France a été lancée il y a quelques mois et répond déjà aux demandes des entreprises. Cette nouvelle banque a beaucoup d'ambition, puisqu'elle vise à transformer le plus grand nombre de TPE en PME, de PME en ETI et d'ETI en grandes entreprises. Nous disposons de tous les atouts pour y parvenir : nous disposons d'une palette extraordinaire de métiers, couvrant l'innovation des entreprises, le capital-risque pour les start-up innovantes, le financement, en particulier de l'immatériel et la garantie permettant d'aider les banques à financer les investissements des entreprises. Nous développons également une activité de capital-risque, notamment du capital-développement pour les PME et les ETI. Toutes ces activités sont hautement synergiques.

Notre organisation favorise cette synergie. En effet, dans chaque direction régionale, le responsable a ses différents chargés d'affaires sous sa responsabilité. BPI France est forte de 2 200 salariés, dont 1 000 sur le terrain et 500 chargés d'affaires.

En France et à l'international, les clients paient plus lentement qu'à Cuba, alors que les fournisseurs exigent d'être payés plus rapidement. C'est pourquoi, il est malaisé pour une entreprise de vendre à l'international et d'accepter les délais de règlement lorsque sa trésorerie est tendue. Pour travailler à l'international, il est nécessaire de disposer de trésorerie. Pour cela, les entrepreneurs peuvent avoir recours à la monétisation de créances et au pré-financement du crédit d'impôt-recherche ou compétitivité-emploi.

Au sein de BPI France, nous pensons qu'une entreprise tirant son épingle du jeu en France a toutes les chances pour réussir à l'international, le marché français étant l'un des plus exigeants du monde. Cependant, il est nécessaire d'être correctement accompagné, financé et assuré.

En termes d'accompagnement et de financement, BPI France et Ubifrance constituent l'association gagnante pouvant convaincre les entreprises talentueuses d'investir à l'international. Dans chacune des directions régionales de BPI France se trouve un collaborateur d'Ubifrance au service des entreprises pour bâtir des business plans . De plus, nous disposons d'une capacité considérable d'intervention en fonds propres. Nous sommes à la recherche des futurs champions de l'export. Conséquemment, nous voulons convaincre des entrepreneurs ambitieux d'ouvrir leur capital ; nous saurons être des actionnaires minoritaires et patients. En effet, l'entreprise Neolane a mis treize ans pour connaître une réussite internationale : les investisseurs rentrés au capital de Neolane ne regrettent certainement pas d'avoir attendu treize ans. Nous saurons également être raisonnables en termes de rentabilité : BPI France n'a pas vocation à gagner de l'argent, mais à restituer celui qui lui est confié.

Toutefois, nous sommes conscients que tous les entrepreneurs ne souhaitent pas ou ne peuvent pas ouvrir leur capital. C'est pourquoi, nous avons développé des financements alternatifs longs dotés des avantages des fonds propres. En effet, il importe d'accorder du temps à un entrepreneur souhaitant exercer à l'international. Nous avons mis en place avec succès un financement sur sept ans, le prêt export, sans garantie et remboursable à partir de la troisième année. Il s'obtient facilement, dès lors que l'entreprise dispose de la rentabilité nécessaire à son remboursement. Nous ne nous intéressons pas à l'usage des fonds ni à la démarche suivie par l'entreprise : nous lui faisons confiance.

Par ailleurs, afin d'obtenir un appel d'offres, il convient de présenter différentes garanties : de soumission, de restitution d'acompte, de performance et de bonne fin. Dans le cadre de BPI France export, un développeur Coface présent dans chaque direction régionale peut apporter une solution aux entreprises en termes de garantie. Des solutions de garantie de préfinancement, d'assurance-crédit et d'assurance prospection existent également. Ce dernier produit permet de faire prendre en charge jusqu'à 80 % du coût d'une prospection.

J'ignore dans quelle mesure des entreprises sont déjà installées aux Caraïbes, mais je souhaite que de nombreuses entreprises françaises souhaitent y investir à l'avenir. Dans l'hypothèse d'un rachat ou d'une création d'entreprise sur place ou de la réalisation d'une joint-venture , les capitaux propres investis par la société française peuvent être garantis par BPI France à hauteur de 50 %.

Les 37 implantations de BPI France dans l'hexagone proposent la totalité de l'offre publique en matière d'accompagnement et de financement à l'international.

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