CONCLUSION

Vingt-cinq ans après le renversement de la dictature du DERG, le principal mérite du fédéralisme ethnolinguistique éthiopien a été de mettre fin à 15 ans de guerre civile qui avait ensanglanté le pays et rendu impossible tout développement de l'un des États les plus pauvres du monde 33 ( * ) . Même si le pays est encore classé au rang des PMA, la politique de l'État central a permis d'atteindre une croissance du PIB proche de 10 % par an.

Certes, le pays demeure traversé par certaines tensions : persistance de dissensions irrédentistes (ONLF dans l'Ogaden ; Front de Libération Oromo ; Front Uni Révolutionnaire Démocratique Afar), mécontentement des plus pauvres, notamment en zone rurale, tensions sporadiques avec la communauté musulmane, manque d'ouverture de l'espace politique, mais, globalement parlant, l'unité dans la diversité -après le divorce d'avec l'Érythrée- a réussi à être maintenue.

Le fédéralisme linguistique, s'il n'a pas éliminé les risques de conflits inter-ethniques, a permis de trouver le « liant » permettant à cet ensemble disparate, issu des conquêtes de Ménélik II, de tenir bon et de cheminer, pas à pas, vers la constitution d'un ensemble.

Soupçonné de « diviser pour régner », le régime fédéral a finalement « réuni pour gouverner » 34 ( * ) . L'Éthiopie est l'un des pays majeurs de l'Afrique. Elle est l'un des seuls pays de cette importance qui soit un pôle de stabilité dans un ensemble où les ferments de désagrégation, une instabilité chronique, voire un chaos semblent l'emporter. La France, l'Europe mais aussi l'Afrique et le monde ont de forts intérêts à ce que ce pôle de stabilité perdure. Or, l'expérience fédérale éthiopienne est l'une des clés majeures de cette stabilité d'abord intérieure (vivre ensemble, partager des ressources et un devenir communs), mais aussi extérieure.

Face à certaines crispations, on pourrait souhaiter que la période de transition que traverse l'Éthiopie soit courte. Cette impatience doit vraisemblablement être tempérée par la connaissance des défis considérables, mais aussi des remarquables succès, auxquels est confronté le Gouvernement éthiopien.

« Force est de constater que l'EPRDF s'est bien révélé être le parti de l'unité éthiopienne et non le liquidateur de l'empire [...]. C'est bien une guérilla de culture marxiste qui, après avoir redécouvert les comportements politiques de ses anciens « rois des rois », s'est fixé le devoir de mener l'Éthiopie sur la voie du libéralisme, de la modernité et, peut-être de la démocratie » 35 ( * ) .

La « réussite » de l'ethno-fédéralisme tient aussi à ce qu'il a rétabli des corps intermédiaires, des pouvoirs locaux, qui, traditionnellement, s'interposaient entre le pouvoir central, de droit divin, et les populations. Avec Marc Fontrier, on peut donc affirmer que « l'ethno-fédéralisme est le retour à un état ancien ».

Enfin, les facteurs d'homogénéisation (l'urbanisation, l'éducation, l'ouverture par l'économie, la mobilité professionnelle, les déplacements des populations quelle qu'en soit la cause -volontaire ou involontaire-, l'exode rural, et, aussi, les unions mixtes), « Nations, nationalités et peuples » sont des facteurs qui ont développé et développeront encore « une identité éthiopienne qui surpasse l'ethnicité ».


* 33 Avec un indice de développement humain de 0,396 la classant au 173 e rang sur 187 et un revenu national brut par habitant de 550$ (2014), l'Éthiopie appartient à la catégorie des pays les moins avancés (PMA).

* 34 Alain Gascon, « Éthiopie : la « médecine douce » fédérale ». (p. 190).

* 35 Marc Fontrier, « L'ethno fédéralisme. Retour à un état ancien », 1999 p. 220.

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