Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 149 - 8 juin 2018


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Israël (1 ( * ))

France-Israël : Regards croisés sur l'innovation technologique

Actes du colloque du 16 mai 2018

Sous le haut patronage de M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Palais du Luxembourg

Salons de Boffrand

M. Gérard LARCHER,

Président du Sénat

M. Yuli-Yoel EDELSTEIN,

Président de la Knesset

Les délégations française et israélienne

Les Présidents Gérard LARCHER et Yuli-Yoel EDELSTEIN

OUVERTURE

M. Gérard LARCHER,

Président du Sénat

Monsieur le Président de la Knesset,

Monsieur le Vice-Président de la Knesset,

Monsieur le Président du groupe d'amitié Israël-France, également Président de la commission des affaires sociales de la Knesset,

Madame l'Ambassadrice de l'État d'Israël en France,

Monsieur le Premier Vice-président du Sénat, Président du groupe d'amitié France-Israël,

Mesdames et Messieurs les Présidents de commissions, de délégations et de groupes du Sénat,

Chers collègues parlementaires,

Mesdames et Messieurs les membres de la délégation israélienne,

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat.

Votre visite, Monsieur le Président, constitue l'accomplissement d'un engagement. Entre des pays amis, y compris lorsqu'il existe des décalages de vues, des interrogations, parfois des incompréhensions, les engagements se doivent d'être tenus, et le dialogue en est rendu d'autant plus nécessaire.

Il y a quinze mois, je m'étais rendu en Israël avec une délégation de sénateurs, à votre invitation, puis dans les territoires palestiniens. Nous avions du temps à rattraper : cela faisait alors douze ans qu'aucun Président du Sénat ne s'était déplacé dans votre pays, et cela fait aujourd'hui huit ans qu'aucun Président de la Knesset ne s'était rendu en France. Nous réparons donc les choses.

Nous nous étions engagés mutuellement à rompre ce trop long silence, et je vous avais alors convié à venir dans notre pays. Le Président de l'Assemblée nationale en avait fait de même, ce qui permet cette rencontre.

Le Sénat de la République française est un acteur résolu de la diplomatie parlementaire, même lorsque les choses ne sont pas faciles. Les liens multiples et étroits, entre les citoyens de nos deux pays exigeaient un renforcement, et même, au-delà, une permanence des relations parlementaires. C'est le sujet que nous aborderons demain ensemble.

Votre visite intervient dans un contexte singulier de la relation bilatérale : le colloque que nous tenons aujourd'hui est un prologue à la saison croisée France-Israël qui débutera dans moins de deux semaines.

Israël a, depuis quelques jours, 70 ans. Soixante-dix années pendant lesquelles la France, qui a soutenu fermement la création de votre État, s'est efforcée de vous accompagner, en portant une voix amicale, critique à certains moments, mais toujours franche, libre et sincère.

Cette tribune me permet de rappeler l'attachement indéfectible de la République française au droit à la sécurité d'Israël, qui est la condition sine qua non de son existence, dans une région où les périls sont multiples, les tensions toujours fortes, les violences toujours présentes. C'est une constante de notre pays partagée par toutes ses familles de pensée démocratiques. Je me réjouis de constater ce matin la présence de collègues de presque toutes les sensibilités de notre assemblée.

Pour nous, Français et Européens, il existe une ligne qui ne doit en aucun cas être franchie : celle qui reviendrait à une remise en cause du droit à l'existence de l'État d'Israël, à court, moyen mais aussi long termes, comme on l'entend parfois.

Monsieur le Président, je ne peux débuter mon intervention sans évoquer l'ensemble de la situation au Proche-Orient.

Depuis un an, la situation internationale et régionale s'est singulièrement dégradée. Dans ce contexte, l'État d'Israël exprime plusieurs préoccupations qui nous paraissent légitimes. Aucun pays ne peut accepter, sans réagir, qu'un étau de menaces pouvant compromettre sa sécurité et son existence se resserre autour de lui. Les démocraties - Israël est un cas quasi unique dans sa région - ne sont pas condamnées à la faiblesse face au terrorisme islamiste en particulier, et notre pays, vous le savez, en connaît le prix.

La France est engagée, notamment dans la zone sahélo-saharienne, aux côtés des Africains, dans une lutte sans merci contre Daech, Al Qaïda et Boko Haram. J'étais il y a moins de deux mois au lac Tchad, dans un camp de réfugiés victimes de Boko Haram.

La France est aussi présente au Moyen-Orient. La montée des tensions y avive les revendications les plus extrêmes et éloigne plus encore les espoirs de paix. Les événements tragiques intervenus ces derniers jours témoignent d'un regain de tensions lourd de menaces. Toutes les parties doivent faire preuve de retenue et contribuer à la désescalade, et je partage les propos tenus par le Président de la République hier, tout comme ceux échangés dans cette assemblée lors des questions au Gouvernement, hier après-midi.

Au-delà des mots, il est urgent de recréer les conditions nécessaires à la recherche de solutions politiques, seules à même d'instituer une sécurité et une paix durables.

Il est urgent de relancer le processus de paix qui doit aboutir, selon la position régulièrement rappelée par la France et par toutes les familles politiques, à l'existence de deux États, qui comporte l'instauration d'un État palestinien au terme de ce processus négocié.

Monsieur le Président, mes chers collègues, il existe une singularité, un génie particulier d'Israël et des Israéliens, celui de faire surgir d'une terre, a priori ingrate, des oasis, de créer, avec un crayon, un ordinateur portable, quelques feuilles de papier, mais aussi - rappelons-le - avec un soc de charrue, dans un pays longtemps dépourvu de toute ressource naturelle, de l'innovation, de la richesse, et d'ouvrir les routes qui conduisent au monde de demain.

Vous avez engendré la nation start-up par excellence. Les chiffres sont éloquents : Israël compte le nombre le plus élevé de start-up par habitant au monde, plus de 120 accélérateurs et incubateurs de croissance, une centaine de fonds de capital-risque, et ce dans tous les domaines en développement - cybersécurité, bien sûr, votre champ de prédilection, qui correspond à l'origine à des préoccupations stratégiques : mais aussi services de l'e-commerce ou voiture intelligente qui, bientôt, palliera les défaillances d'un conducteur moyen.

Rien de ce qui se termine en « tech » ne vous est étranger : la biotech, l'agrotech, la greentech , sans parler des applications en matière de santé, aux potentialités extraordinaires comme par exemple des exosquelettes qui décuplent ainsi la force humaine et redonnent mobilité et espoir à ceux qui les ont perdus.

En Israël se prépare l'environnement technologique qui façonnera demain notre vie quotidienne. La science-fiction n'est pas si loin ! C'est une nouvelle révolution technologique, avec des implications considérables en termes de développement de l'emploi et de la croissance.

La France se doit d'être aussi à ce rendez-vous. Lors de notre déplacement en Israël, à l'occasion de la visite de l'incubateur Jerusalem Venture Partners , avec Philippe Dallier, Sophie Primas, Michel Mercier, Gilbert Roger et Catherine Deroche, nous avions été frappés par les recettes de la réussite israélienne. Car bien entendu, il n'y a pas de miracle, mais une stratégie mise en oeuvre de façon déterminée :

- un effort soutenu en faveur de la recherche et de l'innovation, pour financer des universités à la pointe de la recherche. Je pense en particulier au Technion, dont une responsable est parmi nous. Israël y consacre 4 % de son PIB. Par comparaison, la France est à 2 % ;

- un système fiscal attractif et des aides publiques aux start-up naissantes, aides décisives car à la fois économes pour les finances de l'État, rémunératrices en cas de succès et d'accès assez simple. Vous n'avez pas, comme en France, le génie de complexifier les dossiers !

Vous évoquerez ces mesures lors de la première table ronde, animée par Sophie Primas, Présidente de la commission des Affaires économiques, avec la contribution de Philippe Adnot. En 2017, les cessions de start-up israéliennes, je le rappelle, se sont élevées à 19 milliards d'euros. C'est là autant de recettes fiscales pour l'État !

Nous sommes quant à nous en ce moment à la recherche de 26 milliards d'euros - mais c'est un autre sujet que j'aborderai ailleurs en fin de matinée.

En fait, Israël a réadapté au monde contemporain ce qui avait fait le succès technique et industriel de notre pays à l'orée du XX e siècle : la figure de l'ingénieur entrepreneur, issu des écoles créées sous l'Empire, et qui, de Pasteur à Lumière, en passant par Eiffel, Peugeot, Citroën ou Renault, a révolutionné notre mode de vie et a assis notre prospérité. L'Exposition universelle de Paris de 1900 en fut l'expression la plus éclatante.

Mais nous ne sommes ici ni dans l'histoire ni dans la nostalgie. Il faut que notre pays retrouve aussi les clefs de ce succès !

De belles coopérations existent déjà entre Israël et la France, car la French Tech s'est souvent unie, pour accompagner son essor, à la nation start-up israélienne, que ce soit en matière de puces électroniques, de voitures intelligentes, d'expertise data, de plateformes d'échanges de données.

Ces coopérations doivent encore être élargies. C'est, je crois, un des objectifs de nos rencontres. Ce sera, à partir de cas concrets, l'objet de la seconde table ronde, animée par Élisabeth Lamure, Présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises, dont la spécialité est de faire dans le concret et le réel.

Monsieur le Président, mes chers collègues, s'il peut y avoir un destin pour les peuples, il n'existe pas de fatalité. Il n'existe pas de déterminisme qui condamnerait tel ou tel État à l'impuissance. Il n'y a pas de situation hostile qui ne puisse aboutir à un environnement un jour apaisé.

C'est le voeu que je forme aujourd'hui pour Israël, pour votre région et au-delà.

Je souhaite donc des débats féconds au colloque qui réunit la start-up nation et la French Tec h, c'est-à-dire les forces les plus vives - et je voudrais saluer mes compatriotes présents ce matin, engagés dans la recherche et le développement des entreprises. Je ne doute pas que ces échanges seront vivifiants.

Vous êtes ici dans le salon des physiocrates, ces philosophes et savants qui, avec les politiques, ont imaginé la France des Lumières, à travers une révolution dont tous les moments ne furent pas heureux, mais qui bouleversa profondément notre pays. Ils ont également inventé le libéralisme à la française, un peu différent du libéralisme anglo-saxon, avec une dimension humaine.

Je souhaite que ce colloque pose les jalons de nos relations futures. Je témoigne, devant les deux présidents des groupes d'amitié, que celles-ci sont chaleureuses, franches, vivantes, et je souhaite, demain, avec vous, Monsieur le Président, pouvoir leur donner une dimension politique pérenne renforcée, notamment au travers de notre commission des Affaires étrangères.

Même si les temps sont difficiles, même si nous pouvons avoir, sur certains sujets, des points de vue différents, nous appliquons le principe de La Rochefoucauld : « Il n'est nulle difficulté que des hommes et des femmes d'esprit ne puissent transformer en succès. »

Bienvenue au Sénat !

M. Yuli-Yoel EDELSTEIN,

Président de la Knesset

Monsieur le Président du Sénat,

Madame l'Ambassadrice,

Mesdames, Messieurs,

Merci de votre accueil.

En mon nom et au nom du Parlement israélien, la Knesset, je tiens à vous remercier pour votre chaleureuse hospitalité. Israël et la France partagent des liens profonds depuis de nombreuses années.

Nous avons encore beaucoup à apprendre les uns des autres. Je suis sûr qu'ensemble, nous pouvons faire des grandes choses.

La suite de mon propos sera en hébreu...

C'est il y a près de mille ans que l'un des plus grands sages juifs de tous les temps, le rabbin Shlomo Itzhak - ou, comme l'appellent aujourd'hui tous les enfants juifs, Rachi - vit le jour en France.

Rachi avait entrepris une tâche énorme : expliquer la Bible chapitre après chapitre, verset après verset, mot après mot.

Son Commentaire, rédigé à Troyes, à moins de deux heures de Paris, figure parmi les contributions les plus importantes et les plus originales qui aient été écrites sur le sujet.

Ce Commentaire est l'expression de l'esprit d'innovation du peuple juif, qui remonte à des temps immémoriaux. Il est le fruit de la vieille coopération entre notre peuple et le peuple français.

Je suis ici en tant que représentant de l'État d'Israël, qui célèbre aujourd'hui ses 70 ans d'indépendance, ainsi que l'a rappelé le Président du Sénat.

C'est le même esprit d'innovation qui souffle dans les anciennes ruelles de Jérusalem, notre capital historique.

À l'extérieur des murs de l'une des villes les plus glorieuses du monde, un écosystème florissant unit aujourd'hui les fonds d'investissement et les entreprises technologiques qui, chaque jour, vont de l'avant.

Pour Jérusalem, cette semaine est très spéciale. Dimanche, nous avons célébré les 51 ans de l'unification de la ville sous souveraineté israélienne. Lundi, l'ambassade des États-Unis a été transférée à Jérusalem. C'est un acte dont la signification est sans équivoque. Jérusalem, et elle seule, est la capitale éternelle de l'État d'Israël et du peuple juif.

Selon une phrase célèbre, Jérusalem n'est jamais saturée. Il y a toujours de la place pour ceux qui veulent s'y installer. Le drapeau français peut tenir fermement sa place aux côtés du drapeau américain. Ce sera un honneur pour Israël et pour notre amitié. Jérusalem vous attend !

Si notre État joue le rôle d'une locomotive mondiale dans le secteur de l'innovation, celle-ci modifie le quotidien de tous les citoyens du monde.

Si vous avez déjà utilisé une clé USB, irrigué vos champs au goutte-à-goutte, installé une caméra de sécurité pour protéger votre entreprise, vous avez sans doute une technologie israélienne.

Je me dois de souligner que nous n'avons pas accompli cela tout seuls. Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, comme avec Rachi au cours du précédent millénaire, le partenariat entre Israël et France a toujours été d'une grande importance pour nos deux pays.

Pendant des siècles, les juifs ont apporté leur contribution à la République française, qui fut la première au monde à leur accorder la pleine égalité des droits. Aujourd'hui, les milliers de juifs français qui ont immigré en Israël ces dernières années font partie intégrante de l'histoire israélienne, de la culture israélienne, contribuant même à l'innovation israélienne et à la coopération économique entre nos deux pays.

De plus en plus d'entreprises israéliennes commencent à s'intéresser au marché français, et de plus en plus d'entreprises françaises considèrent Israël comme un véritable allié.

Les Journées de l'innovation organisées conjointement par nos deux États, il y a deux ans, auxquelles 300 entreprises de haute technologique ont participé, ont connu un succès retentissant. Je suis sûr que les résultats de la prochaine saison, que nous sommes sur le point d'inaugurer avec les Présidents Macron et Netanyahou, seront encore meilleurs.

Chères collègues sénatrices, chers collègues sénateurs, nous vivons dans un monde où l'audace et l'innovation constituent des paris gagnants. L'histoire juive et l'histoire de France en sont pleines d'exemples. Ce sont les composants de base de notre ADN national !

J'espère que nous continuerons à développer et à créer ensemble dans le futur, comme cela a été le cas depuis un millier d'années.

Vive l'État d'Israël et vive la France !


TABLE RONDE 1 - « FRANCE-ISRAËL : DESSINE-MOI L'INNOVATION DU FUTUR »

Modérateur : Mme Sophie PRIMAS, Présidente de la commission des Affaires économiques, Sénateur des Yvelines

Ont participé à cette table ronde :

M. Philippe ADNOT, Sénateur de l'Aube, membre du groupe d'études sur le numérique

Pr. Jacques LEWINER, Inventeur multibreveté, directeur scientifique honoraire de l'École supérieure de physique et de chimie industrielle (ESPCI)

Pr. Daniel ROUACH, Président de la chambre de commerce et d'industrie Israël-France

Mme Murielle TOUATY, Directrice générale de Technion France

Mme Sophie PRIMAS - Madame l'Ambassadrice, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, en tant que Présidente de la commission des Affaires économique du Sénat, je suis extrêmement honorée d'introduire cette première table ronde sur une thématique essentielle pour l'économie de nos deux pays : l'innovation.

Nous donnons ainsi corps, Madame l'ambassadrice, à un projet que nous avions évoqué ensemble le 30 janvier dernier, lors de notre première rencontre à l'ambassade. Je remercie le Président Larcher d'en avoir accepté le principe, et je me réjouis, Monsieur le Président Edelstein, de pouvoir faire coïncider ce moment de réflexion et de partage avec votre venue devant notre Haute Assemblée.

L'objet de notre table ronde est d'évoquer le cadre institutionnel de l'innovation en Israël et en France, dans une perspective comparative qui nous permettra, je l'espère, d'en tirer des enseignements et d'identifier les bonnes pratiques ainsi que les pistes d'action à mettre en oeuvre dans chacun de nos pays.

Je vous propose d'organiser nos débats en deux temps : le premier sera consacré aux soutiens publics que l'on peut qualifier de directs en matière de recherche et développement et d'innovation. Nous y aborderons le soutien financier de l'État à travers son budget et sa fiscalité, mais aussi le thème de l'écosystème public de recherche, notamment ses liens avec l'entreprise.

Le second temps sera consacré à des aspects plus indirects, notamment la culture entrepreneuriale ou la protection de l'innovation.

Je vous propose de débuter par les aspects financiers, notamment le soutien budgétaire et fiscal, et je me tourne vers Philippe Adnot.

Cher collègue, vous êtes membre de la commission des Finances, rapporteur spécial des crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche, membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure, de la Délégation à la prospective et du récent groupe sur le numérique.

Vous vous êtes intéressé l'année dernière à la question des sociétés d'accélération de transfert de technologie, et vous devriez rendre un rapport cette année sur la performance des établissements d'enseignement supérieur.

Pouvez-vous nous rappeler quels sont les instruments budgétaires et fiscaux mis en oeuvre en France pour développer la recherche et développement ? Nous savons par exemple que le crédit d'impôt recherche constitue un élément extrêmement important dans notre pays...

M. Philippe ADNOT - Je voudrais tout d'abord vous dire le plaisir et l'honneur que je ressens de participer à cette table ronde.

M. le Président de la Knesset a évoqué Rachi. Je tiens à signaler que je suis sénateur de l'Aube et qu'en tant que président du département durant 27 ans, je suis à l'origine de la construction de l'Institut universitaire Rachi, qui jouit d'une belle réputation à Troyes. Si vous ne le connaissez pas, je vous y invite. J'habite à quelques kilomètres de la commune de Ramerupt, où Rachi enseigna et vécut. C'est un lieu très connu en Israël, où j'ai eu l'occasion de me rendre dans le cadre de différents rapports sur l'université et la recherche. J'y ai appris beaucoup. Quand j'ai dit que je venais de Troyes, tout le monde savait où cela se trouvait !

En matière d'innovation, il convient de considérer trois éléments : la capacité à produire de l'innovation, la capacité à faire en sorte que cette innovation soit transférable et les conditions financières et fiscales afin qu'elle puisse aboutir et se développer.

Les gouvernements successifs ont mis en place des conditions exceptionnelles pour ce faire en recourant aux fonds d'investissement et au grand emprunt. Six milliards d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR) sont ainsi destinés aux entreprises pour les aider à faire avancer l'innovation. C'est un outil extrêmement efficace, reconnu internationalement, et très attractif pour les entreprises.

On enregistre cependant encore peu de collaborations entre le secteur privé et le monde universitaire, alors qu'une entreprise peut, par ce biais, voir ses droits doubler.

Depuis la réforme relative à l'autonomie des universités, celles-ci se rapprochent néanmoins plus largement des entreprises. Il est vrai que le secteur de la recherche a longtemps considéré qu'il n'était pas convenable d'entretenir une certaine proximité avec les entreprises. Fort heureusement, les choses changent, même si ce n'est pas encore suffisant.

Lors de ma visite à l'Institut Weizmann, en Israël, les chercheurs de ce prestigieux établissement m'ont dit qu'il faisait de la recherche fondamentale, mais se posait toujours la question de savoir à qui et à quoi celle-ci pouvait servir. En France, il est de bon ton de faire de la recherche fondamentale sans se préoccuper de savoir si cela servira.

Cet état d'esprit est fort heureusement en train de changer. On attend aujourd'hui que la France s'engage en matière d'innovation.

Est-ce suffisant ? Non. Au Canada, certaines innovations ne sont jamais présentées parce qu'on n'a pas fait la démonstration de la maturité de cette recherche.

En France, on a heureusement pu relever ce défi. Il y a dix ans, les universités ne touchaient pas d'argent. Seules quatorze d'entre elles recevaient un très petit fonds de maturation.

Aujourd'hui, alors que 800 millions d'euros ont été accordés au secteur, 400 millions d'euros sont déjà utilisés dans le cadre des sociétés d'accélération de transfert de technologie.

Il nous reste encore beaucoup à faire en la matière. Des expériences comme celle qu'est en train de conduire le professeur Lewiner dans son université, dont il parlera tout à l'heure, sont extrêmement importantes car elles vont permettre de corriger la trajectoire des sociétés d'accélération de transfert de technologie pour les rendre plus rapides, plus souples, plus efficaces et plus réactives.

Une fois la recherche parvenue à maturité, il reste à faire en sorte qu'elle puisse se développer de manière intéressante. Des financements ont été mis en place pour les start-up à travers les fonds d'investissement grâce à un statut fiscal permettant de réduire les charges sociales engagées pour les jeunes chercheurs. Ce système est extrêmement efficace, mais il reste encore beaucoup de progrès à accomplir.

Il convient toutefois de ne pas interrompre la chaîne si l'on veut que tout ceci fonctionne.

Mme Sophie PRIMAS - Je me tourne vers le Professeur Daniel Rouach.

Monsieur le Professeur, vous êtes Président de la chambre de commerce et d'industrie Israël-France, professeur associé à l'ESCP Europe et codirecteur du master spécialisé « Innover et entreprendre ». Vous êtes un expert reconnu au niveau international dans le domaine des transferts de technologie, de l'innovation et de l'intelligence économique. Vous êtes également membre de plusieurs conseils d'administration d'entreprises privées et d'organismes publics.

L'effort de recherche israélien est bien plus important que le nôtre : selon l'OCDE, il dépasse les 4 % du PIB israélien, quand nous stagnons depuis les années 1990 autour de 2,2 %.

Pouvez-vous brièvement revenir sur le modèle israélien en matière d'innovation ?

Pr. Daniel ROUACH - Je tiens tout d'abord à remercier Mme Aliza Bin Noun, ici présente, qui fait un travail extraordinaire, ainsi que M. Elie Elalouf, qui est pour moi un véritable symbole de la relation entre la France et Israël, et MM. Étienne Desmet, de l'ECSP Europe, Alexandre Lederman, Guy Maynart, professeur, avec qui nous avons pour objectif la création d'une chaire de transfert de technologie ECSP-Technion. C'est la dernière aventure en date.

Israël est un « pays de fous » que je découvre tous les jours ! Tous les matins, en me levant, je me demande ce qui s'est passé dans la nuit.

Mais où les Israéliens trouvent-ils l'argent ? C'est très simple : ils demandent de l'argent au privé et disposent pour ce faire d'une expertise exceptionnelle. En matière de recherche et développement, nous sommes les rois du monde !

Par ailleurs, nous avons depuis longtemps tissé des partenariats avec le Massachusetts Institute of Technology, le MIT, et la côte ouest américaine, et avons attiré énormément d'entreprises. Il n'y a donc aucun hasard à ce que nous accueillions en Israël Google, Facebook, Intel, eBay, Orange ou Siemens, à qui la première chose que nous demandons est de l'argent pour financer la recherche et développement.

Il existe depuis 1983 en Israël un accord pour valoriser la science et la technologie. Il ne s'agit pas là de mots, mais d'une véritable réalité : les votes de la Knesset pour allouer des budgets sont là. Le secret des Israéliens est d'utiliser le peu d'argent dont ils disposent de manière maximale. C'est un mode de fonctionnement assez impressionnant.

Le modèle israélien d'innovation est basé sur une très bonne éducation. On se bat comme des lions pour obtenir des professeurs et des étudiants de bon niveau. Le soutien du Gouvernement est constant, quelle que soit son orientation. Dans dix ans, les choses n'auront pas changé.

L'objectif permanent est le développement international. Le pays est tout petit. On est donc obligé de s'orienter depuis toujours vers l'international. Mes deux fils sont dans le domaine du bitcoin et de la blockchain . Dès le premier jour, leur start-up s'est orientée vers l'international et non vers le marché local.

Avec un ami, Édouard Cukierman, nous avons publié un livre intitulé Israël Valley . Nous en sommes très fiers. Il a été traduit en chinois, en italien, et est en train d'être traduit en anglais. Il traite de l'investissement militaire, qui est très important. Il imprègne les mentalités. On a mis sept ans pour l'écrire et arriver au constat que si l'investissement dans le secteur militaire est important, le plus important, c'est le transfert de technologie et de savoir-faire.

L'objet que je tiens entre mes doigts est une caméra endoscopique fabriquée par Given Imaging on l'avale et elle passe dans le corps. Given Imaging est aujourd'hui une magnifique société, mais beaucoup ignorent que cette invention est née dans une entreprise appelée Raphaël, installée dans le nord du pays, qui fabrique des missiles.

En Israël, en matière d'innovation, on fait avec ce que l'on a. Il y a beaucoup d'argent dans le domaine du militaire et du développement technologique. Israël est un pays très dur, mais on y développe en permanence des innovations dans le secteur de l'aéronautique, du spatial, des biotechnologies. Les milieux civils israéliens travaillent avec acharnement dans le secteur médical et recourent au transfert technologique militaire. Des milliers de personnes ont ainsi pu être sauvées. C'est l'un des savoir-faire de ce pays.

Mme Sophie PRIMAS - On doit également évoquer, dans le volet financier, le soutien public apporté au financement des entreprises innovantes, notamment à travers le capital-risque. De nombreux outils ont été développés en France mais je voudrais, professeur Lewiner, que vous nous parliez de votre expérience.

Vous êtes physicien, professeur à l'ESPCI Paris Tech, et sans aucun doute celui qui a déposé le plus de brevets à titre individuel en France. Vous êtes également, depuis récemment, doyen de l'innovation et de l'entrepreneuriat de Paris Sciences et Lettres et chargé par le Gouvernement - avec trois autres personnalités - de publier un rapport sur les aides à l'innovation et la doctrine d'emploi du fonds pour l'innovation de rupture, en cours de structuration.

La France est aujourd'hui le deuxième pays de l'Union européenne en termes de montants et d'opérations en matière de capital selon le baromètre Ernst and Young. Pouvez-vous nous dire s'il s'agit d'une tendance solide et amenée à perdurer ? Quels sont les moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics pour financer cette partie de l'innovation ?

Pr. Jacques LEWINER - On vit en France un certain paradoxe : la recherche scientifique est de grande qualité. Elle est reconnue internationalement dans tous les domaines, mais les retombées économiques de cette recherche sont extrêmement faibles, pour ne pas dire désastreuses comparé à ce qui se fait ailleurs. On serait incapable de citer un mobile français par rapport à un mobile israélien. De combien de sociétés françaises cotées au NASDAQ dispose-t-on ?

Il existe donc une anomalie s'agissant des retombées que l'on peut attendre d'une recherche de grande qualité.

On a évoqué le problème de l'argent. Jeune chercheur, j'avais un patron dont la dernière invention remontait à 1932. Il s'agissait du directeur de l'École de physique et de chimie de Paris.

Mon laboratoire était désuet, antique. Ayant connu quelque succès dans mes travaux, j'allais voir le directeur et je lui demandais un peu d'argent pour acheter un appareil. C'est lui qui en décidait. Généralement, il acceptait. Un jour, il m'a dit qu'un scientifique ne devait pas demander d'argent. Cet homme, extraordinaire sur le plan humain, n'avait pas vu le virage opéré par la recherche scientifique et son évolution. On ne pouvait plus procéder à des recherches dans un cabinet de physique comme au XIX e siècle, parce qu'une famille fortunée payait les travaux d'un scientifique. Ce monde se professionnalisait et l'argent en devenait le moteur.

L'École normale supérieure (ENS), notre voisine, à l'époque dirigée par Yves Rocard, le père de Michel Rocard, en était parfaitement conscient et allait chercher de l'argent aux États-Unis, auprès de la Navy américaine, a connu une croissance très forte par rapport à l'ESPCI, avant que celle-ci ne reparte de l'avant.

L'argent - je partage l'avis qui vient d'être émis - est un des éléments qui permet de mener à bien de bonnes recherches, même si ce n'est pas le seul.

Philippe Adnot fait partie des rares hommes politiques français qui l'ont compris. En France, on est très bons pour faire de grands discours, élaborer des mécanismes complexes, mais on s'occupe relativement peu de la réalité du terrain. Or c'est là que le problème se situe.

Je rends donc hommage à ce que fait Philippe Adnot, qui a compris qu'il faut aller dans le détail. La recherche représente un travail ininterrompu depuis l'amont jusqu'à l'application.

J'ai monté à l'université Paris Sciences et Lettres, PSL Paris, le système que j'avais mis en place à l'ESPCI, qui fonctionnait avec des hauts et des bas liés à l'histoire. Cette petite structure, qui dépend de la ville de Paris, n'avait pas toutes les lourdeurs d'un système national à plusieurs échelons de décision. Je négociais le budget de l'École avec le maire de Paris. On avait une discussion, qui n'était pas toujours facile, mais on ne comptait pas 25 intermédiaires, et on arrivait à un résultat.

On bénéficiait par ailleurs d'une réactivité très grande par rapport à un chercheur. Ceci est extrêmement important.

La France avait encore tendance, il y a quelques années, à considérer les disciplines fondamentales comme nobles. On estimait alors qu'on se salissait les mains dès qu'on s'approchait du monde industriel et économique, même si des professeurs de Stanford, du MIT ou de Harvard détenteurs du prix Nobel faisaient de la recherche appliquée. Chez Technion, un prix Nobel enseigne depuis vingt ans l'entrepreneuriat. Établir cette séparation entre recherche fondamentale et recherche appliquée est absurde : c'est désormais fini !

Pierre-Gilles de Gennes, qui a été mon patron durant quatorze ans, ne se « salissait pas les mains » en étudiant les polymères et le caoutchouc pour une grande entreprise française de pneumatiques. Ce n'était pas dévalorisant : il transférait seulement son savoir théorique, fondamental, pour améliorer l'adhérence des pneus à la route.

C'est donc une étape qu'il fallait franchir. Oublions que la recherche appliquée n'est pas noble ! C'est ce que j'ai mis sur pied à PSL Paris.

Un des secrets de la réussite, c'est la réactivité. Dans le domaine de la high-tech , demander à un chercheur qui a fait une découverte d'attendre un an, voire trois, comme c'est parfois le cas en France aujourd'hui, une réponse de son employeur quant à la brevetabilité de son invention est une aberration.

À PSL Paris, la structure que j'ai mise en place doit répondre en deux semaines. Beaucoup de directeurs d'établissement ont estimé cela impossible, mais il n'y a qu'à faire aujourd'hui ce qu'on fera dans six mois, un an, ou deux ans ! Ce sera encore plus frais dans les esprits ! Différer cette décision ne présente aucun avantage.

J'apporte des solutions qui sont des propositions de bon sens, très terre à terre. Je pense que le système français est maintenant en route et que les idées ont évolué. Il y a sept ans de cela, un membre d'une institution française très réputée, à qui je tenais ce discours, m'a reproché de lui proposer de « vendre mon cerveau au grand capital ». J'ai répondu à cette personne que si sa recherche permettait de créer de l'activité économique et de l'emploi, elle rendrait à la collectivité un peu de ce que celle-ci avait fait pour elle !

Je crois que la France et Israël sont extrêmement complémentaires et que la collaboration accrue entre les deux pays apporte à la France un savoir-faire encore insuffisant mais très développé en Israël, apportant à Israël une vision et une approche de la recherche scientifique de très haut niveau. C'est un deal gagnant-gagnant, et on a tout intérêt à le développer.

Mme Sophie PRIMAS - Je me tourne vers Murielle Touaty.

Vous êtes, Madame, directrice générale de Technion France. Nous connaissons tous l'Institut de technologie d'Israël basé à Haïfa, qui est très réputé. Sa mission est de faciliter les partenariats industriels, académiques, scientifiques de Technion avec l'écosystème français.

À ce titre, vous êtes à la fois une experte de l'écosystème français et de l'écosystème israélien.

Quel est le rôle du capital-risque en Israël ? Quels soutiens l'État apporte-t-il à ce secteur en vue de développer les entreprises innovantes ?

Mme Murielle TOUATY - Je suis ravie et honorée d'être présente à cet événement.

Tout ce qu'on s'est dit ce matin est pour moi basé sur un élément majeur, le facteur humain, qui est lié intrinsèquement à la culture d'Israël par rapport à l'innovation.

Israël constitue un grand écosystème, mais un petit marché. Ce pays a 70 ans, une population de 8 millions d'habitants, et est confronté depuis sa genèse à la notion de risque. Il n'est pas anodin que l'on parle de capital-risque. En Israël, ce mot fait partie de l'identité nationale.

En Israël - cela a été dit par le Président Larcher - il n'y a pas de ressources naturelles, mais il existe un capital humain très fort, d'où le multiculturalisme. Dans les années 1990, l'immigration des populations russes a constitué un apport incroyable pour le pays. La diversité culturelle et le facteur humain créent nécessairement du progrès.

C'est aussi un pays qui se trouve face à l'adversité au quotidien. L'Israélien se lève le matin dans la métaphore et la symbolique. Il ne sait s'il va se coucher le soir. Il doit nécessairement, dans cet espace-temps, générer du concret pour assurer son autosuffisance et celle du pays. L'innovation est donc une cause nationale et un levier de croissance pour le gouvernement.

Il existe en Israël 150 capital-risqueurs internationaux et nationaux. Les chiffres de 2017 montrent que plus de 7 milliards de fonds ont été levés, dont 20 % viennent du capital-risque national, en progression de 9 % par rapport à 2016.

L'innovation ne se décrète pas : elle se produit au quotidien, dans un écosystème interconnecté. Le Technion est la première université en Israël à avoir vu le jour, sous la houlette d'Albert Einstein, dans le but de façonner l'infrastructure du pays, d'en garantir la pérennité et la sécurité, mais aussi la santé.

Les thématiques à la pointe du progrès, comme l'intelligence artificielle, la cybersécurité, l'internet des objets, sont traitées en Israël depuis des années. On est obligé d'être avant-gardiste et d'avoir une vision à long terme. Si la temporalité doit être dans la réactivité, la responsabilité de l'État est aussi de se projeter dans le futur.

Cet écosystème interconnecté est très intéressant : il décloisonne et met en interaction directe le chercheur et l'entrepreneur, ainsi que les grands groupes. Quatre cents centres de recherche et de développement issus de l'industrie mondiale globale et positionnés en Israël, majoritairement à Tel-Aviv et à Haïfa, qui bénéficient des meilleurs ingénieurs, sont également attirés par le fait qu'ils ne paient pas d'impôts sur la plus-value.

Ces écosystèmes interconnectés, avec l'armée au centre, comptent des incubateurs, des capital-risqueurs, des universités, des centres de recherche et développement, tout ceci dans un schéma de décloisonnement totalement décomplexé par rapport à la notion de croissance et d'argent.

Un chercheur doit permettre à son laboratoire d'être autosuffisant. Au Technion, comme dans les autres universités, ce n'est pas le public qui paie. Le public finance le budget de fonctionnement. La recherche et le développement, eux, sont financés par les chercheurs, qui sont donc, malgré eux, des entrepreneurs.

Il n'est pas anodin que les pépites dénichées dans les laboratoires du Technion et des autres universités soient accompagnées afin de valoriser le transfert de technologies.

Tout cela développe la culture du risque et l'entrepreneuriat. Les Israéliens, qu'ils soient chercheurs, ingénieurs ou autres, sont confrontés au quotidien à la culture du management. Ils sont en situation de crise et doivent donc tous s'autogérer, assurer leur autosuffisance, s'inventer au quotidien, voire se réinventer.

Il est intéressant de comprendre en quoi cette culture génère de l'innovation.

Le troisième facteur est celui de l' exit . Israël a en effet très vite compris qu'elle devait sortir de ses frontières, aller se positionner sur des marchés financiers pour générer de la liquidité, faire en sorte que l'argent circule et soit réinjecté dans l'écosystème de l'innovation en Israël, aujourd'hui communément appelé start-up nation .

Israël est parvenu à un certain degré de conscientisation lui permettant de passer de l'étape de la start-up à celle la scale-up pour générer encore plus de « licornes » et - pourquoi pas ? - un tissu industriel.

Nous avons parlé de la notion de risque, du formatage de l'entrepreneur israélien et de l' exit . Israël est le troisième, après les États-Unis et la Chine, en nombre de start-up cotés au Nasdaq.

En Israël, la croissance est génératrice d'emplois. C'est ce qui importe, in fine .

Pr. Daniel ROUACH - Nous sommes en parfaite harmonie avec Murielle Touaty. Elle vient d'organiser une mission en Israël avec 70 leaders français. J'ai une grande admiration pour son travail.

Je voudrais vous raconter une histoire qui se déroule lors du DLD Innovation Forum , en septembre 2015. Une chaleur torride régnait dans la salle. L'air conditionné fonctionnait mal, et on voit alors arriver un homme jeune. C'était Emmanuel Macron. On transpirait tous. Il arrive comme s'il descendait du ciel et commence à parler. Il évoque l'innovation, la volonté de la France d'apprendre un certain nombre de choses et d'en réaliser d'autres. Je m'étais alors dit : « C'est trop beau pour être vrai ! ».

Je l'ai suivi durant trois jours en tant que Président de la chambre de commerce Israël-France. J'ai beaucoup appris. Il est devenu ami avec Yossi Vardi, dont on ne sait plus quel âge il a, mais qui est richissime et qui crée des sociétés sans arrêt.

Pour améliorer les relations entre la France et Israël, il faut repérer ce que j'appelle les « serial entrepreneurs », comme Zohar Zisapel, qui a créé avec son frère 110 start-up et dont la fortune s'élève actuellement à plus de 9 milliards de dollars. Il doit avoir 73 ans, arrive au bureau en short. Derrière lui sont accrochés des tableaux de Chagall, etc.

Quel est le rapport entre Emanuel Macron et Zohar Zisapel ? En fait, je me suis rendu compte que les leaders français qui approchent Israël se connectent à un moment donné. C'est le cas d'Emmanuel Macron et de Yossi Vardi. Mounir Mahjoubi, qui est pour moi un excellent ministre, s'est rapproché de Jérémie Berrebi, un créateur de start-up impressionnant. Bruno Lemaire, qui est venu plusieurs fois en Israël et connaît le pays comme sa poche, a également établi des liens.

Il est extrêmement important de repérer des intermédiaires comme Mme Valérie Hoffenberg, ici au premier rang, ou M. Michel Kaufman, de la chambre de commerce France-Israël qui, dans le domaine de la culture, expliquent aux Français la réalité israélienne, qui est très complexe.

Israël souffre également des fake news . J'ai lu ce matin la première page du journal Le Monde : c'est une horreur absolue. Les journalistes disent ce qu'ils veulent. Quand vous les rencontrez seuls, ils vous racontent vraiment la vie en Israël. Il faut mettre ces fake news de côté. Il ne faut pas ignorer les problèmes mais, en matière d'innovations, de créations, d'entrepreneuriat, les Français et les Israéliens ont mille choses à se dire.

Les Français sont géniaux. Les étudiants du Technion étaient à Paris il y a quelques jours. Ils sont allés à la Station F. Ils ont été « scotchés ». Ils ont découvert des groupes japonais qui investissent ici, comme Futjisu. Ils les ont rencontrés, ainsi que d'autres.

Les deux pays ont quelque chose à se dire, mais il faut passer outre la désinformation qui fait du mal à tout le monde, à la France comme à Israël. C'est mauvais pour tout le monde. Il faut aller vers du positif.

Mme Murielle TOUATY - En 2002, lorsque Technion France a vu le jour, je me suis imposé un objectif : positionner à tout prix le Technion pour ce qu'il est - à l'époque, on ne parlait pas de start-up nation - pour identifier les sujets d'excellence, les centres d'intérêt communs, où deux écosystèmes a priori incompatibles doivent nécessairement trouver un terrain d'entente par le biais du facteur humain, en misant sur les différences culturelles mais aussi sur des programmes de recherche et des sujets industriels.

Après quinze ans de travail acharné, j'ai pu multiplier les accords entre les grands groupes industriels du CAC 40 sur des sujets de recherche et développement majeurs. Ils travaillent depuis 2002 avec le Technion, mais aussi avec les différentes universités et écoles d'ingénieurs françaises. Je crois qu'on ne peut s'improviser ce qu'on n'est pas. On ne peut demander à la France de devenir soudainement une start-up nation . La France a énormément à apporter à Israël en matière de recherche fondamentale et de technicité industrielle, tout comme Israël a énormément à apporter à la France. Il ne s'agit pas de faire du « copier-coller ». Je crois plus à la bilatéralité.

J'ai amené la France à considérer Israël comme un écosystème fertile, où l'acteur français pouvait avoir un retour sur investissement, mais cela n'a été si simple de convaincre Israël. Israël a toujours été extrêmement « american oriented » . Il a fallu tenir compte du barrage linguistique, de la culture. Les Américains et les Israéliens sont façonnés à l'identique. La France, on l'admire, mais on ne l'approche pas de près. On était alors au début des années 2000.

Face aux résultats et aux retours sur investissement des deux côtés, le Technion et la France vivent aujourd'hui une véritable lune de miel, et je suis très fière d'avoir le drapeau bleu, blanc, rouge, hissé sur le campus du Technion, où je vous inviterai l'année prochaine !

Mme Sophie PRIMAS - Professeur Lewiner, je voudrais revenir sur une partie plus technique de l'innovation qui concerne les brevets, dont vous êtes un grand spécialiste.

Que pensez-vous du système de protection de l'innovation en France et, par ailleurs, au niveau européen, les sujets étant en train de bouger ? Où est l'équilibre, la rupture, l'ouverture entre la protection de l'innovation et l'innovation elle-même ?

Pr. Jacques LEWINER - C'est en effet important. L'inventeur, en France, jouissait autrefois d'une image quelque peu sulfureuse - peut-être à cause du concours Lépine et des médias. Il était l'homme qui, marchant dans la rue, était soudain frappé par une illumination qui débouchait sur une grande invention. Soit il se la faisait ensuite voler par un grand groupe, soit il devenait milliardaire. Ce n'est pas du tout la réalité !

L'invention est le résultat d'un travail acharné. L'accouchement peut prendre beaucoup de temps. Pendant très longtemps, les brevets français n'ont pas été assez professionnels. La France avait choisi de ne pas les examiner. Certains pays, comme les États-Unis, l'Allemagne, le Japon, la Chine, pratiquent cet examen et peuvent rejeter les demandes. La France avait décidé que cela n'en valait pas la peine, considérant qu'il n'existait que peu de brevets utiles et qu'il ne servait à rien de dépenser de l'argent inconsidérément. L'idée était qu'en cas de brevet valable, les procès ne manqueraient pas d'avoir lieu et que l'on pourrait pratiquer l'examen à ce moment.

Cela se défendait économiquement, mais c'était très mauvais en termes psychologiques. Il devenait en effet évident dans le monde professionnel que le brevet français ne valait rien, alors que les brevets américains ou allemands avaient de la valeur.

Avec l'Europe, on espère connaître un jour un brevet européen. Ce n'est pas encore le cas. Le brevet est un exemple de l'inexistence de l'Europe, je le dis avec regret.

Aux États-Unis, un brevet est valable dans tous les États américains. En Europe, après le processus d'obtention, il faut valider le brevet État par État, et payer à chaque fois la validation et les annuités ! C'est une aberration.

Il existe cependant un espoir. L'actuel patron de l'Office des brevets européens est l'ancien directeur de l'INPI, qui milite beaucoup pour la reconnaissance d'un véritable brevet européen. Il n'est donc pas exclu qu'on en ait un jour.

Le brevet est-il une bonne ou une mauvaise chose ? Vaut-il mieux avoir un monopole ? Ne serait-il pas préférable d'évoluer dans une société ouverte, où tout le monde peut tout faire ? Ma réponse est catégorique : non !

Le brevet a une justification. Lorsque vous avez fait une découverte scientifique, vous empruntez un long chemin qui va vous mener vers l'innovation technique et peut-être vers un procédé commercialisable. Vous avez travaillé comme une bête, avez dépensé beaucoup d'argent, votre compagnon ou votre compagne vous a quitté, bref, vous avez vécu un trajet complexe et compliqué.

Imaginez, qu'en cas de succès, vos concurrents vous copient : ce serait profondément contraire à l'éthique ! Celui qui aurait pris des risques et tenté une aventure serait pénalisé par ceux qui n'auraient rien dépensé ! Le brevet - ma réponse est catégorique - a une justification morale.

Il existe cependant des cas où le brevet pose problème. On m'a souvent posé la question de savoir si je n'estimais pas scandaleux le fait que des médicaments brevetés ne puissent être achetés par les pays qui n'en ont pas les moyens. C'est bien sûr scandaleux : on ne doit pas laisser une vie disparaître si on peut la sauver grâce à un médicament ! Pour autant, est-ce à celui qui a pris le risque de le développer la molécule de résoudre ce problème ? Il s'agit là d'une question différente. C'est à la collectivité d'agir sur le plan moral, et non au laboratoire qui a mis le médicament au point de l'offrir.

De manière très pratique, lorsque vous créez une start-up , l'investisseur que vous sollicitez va tout de suite regarder si vous détenez un brevet. Sans brevet, lever de l'argent sera extrêmement difficile - sauf dans les activités de services. Dans la high-tech ou les dispositifs, les moyens, les procédés, le brevet est très important.

Mme Sophie PRIMAS - Comment les choses se passent-elles en Israël du point de vue de la protection de l'innovation ?

Pr Daniel ROUACH - Les Israéliens ont un système extrêmement proche du système européen. Israël a le nombre d'avocats par habitant certainement le plus élevé au monde. Celui qui veut déposer un brevet contacte un cabinet d'avocats. Ce sont des professionnels formidables. L'avocat perçoit une partie du profit, mais c'est gagnant-gagnant.

Concernant les grandes universités, à l'instar des facultés américaines, il existe en Israël un institut du transfert de technologies qui comporte de grands talents qui savent se battre. Les Israéliens sont très bons dans ce domaine.

Mme Sophie PRIMAS - Philippe Adnot, on a vu que les convergences s'organisent. Mme Touaty disait qu'elle avait beaucoup travaillé durant quinze ans pour nourrir les réflexions de part et d'autre.

La France, avec les dispositifs qu'elle met en place et le changement des mentalités, est-elle en train de former une génération d'entrepreneurs innovants ou de chercheurs entrepreneurs ? Existe-t-il des raisons d'être optimiste ?

M. Philippe ADNOT - Nous allons dans la bonne direction. On doit se battre pour améliorer et faciliter l'accès à ce qui a été mis en place.

Ce ne sont pas seulement les jeunes entreprises qui doivent s'intéresser à l'innovation, mais toutes les entreprises. Plus l'entreprise est classique, plus elle a besoin d'investir dans la matière grise pour faire en sorte que les innovations lui permettent d'être compétitive.

Toutes les grandes écoles de commerce s'ouvrent aujourd'hui à l'entrepreneuriat. Il n'empêche qu'il faut penser à créer quelque chose de positif autour.

Au Sénat, nous avons réalisé durant quinze ans une opération appelée « Tremplin entreprises » qui a mis en présence des entrepreneurs, des porteurs de projets, des start-up avec la communauté financière. Des start-up israéliennes y ont même participé.

Jacques Lewiner disait que je m'intéresse au concret. J'ai en effet mis en place dans mon département une université qui forme des ingénieurs, une École supérieure de commerce, ainsi qu'une école de design. Nous les avons installées dans un technopôle qui permet que les différentes compétences s'entrecroisent, se fécondent. On fait venir des porteurs de projets de toute la France, et on les accompagne dans la maturation de leur projet.

Toute une jeunesse s'intéresse à présent à l'esprit d'entreprise, mais si l'on ne s'assure pas d'une certaine cohérence, ce sont les autres qui en tireront profit.

Lorsqu'on investit dans la maturation et qu'on divise ensuite par deux le temps d'accompagnement de jeunes entreprises innovantes la quatrième année, moment le plus difficile dans la vie d'une start-up , on ne peut bénéficier du retour sur investissement, et les start-up sont alors obligées de se vendre très peu cher.

Il ne doit pas y avoir de rupture dans la chaîne. Il existe actuellement une inquiétude : je suis très heureux qu'on ait supprimé l'impôt sur la fortune, mais celui-ci finançait auparavant les start-up à hauteur d'environ un milliard d'euros par an à travers le capital-risque. Par quoi va-t-on remplacer ce système ? En cas de creux dans les financements et une absence de relais, les start-up risquent de subir de lourdes pertes.

On va donc devoir se pencher sur le sujet. Il s'agit de faire en sorte que ces développements aboutissent à la création d'entreprises très innovantes.

L'Institut Weizman s'occupe de start-up , mais aussi de transfert aux entreprises existantes, ce qui évite les trois premières années de tâtonnement, les problèmes de trésorerie. Gardons cela présent à l'esprit : il n'y a pas que les start-up , il y a aussi d'autres entreprises. Toutes doivent s'intéresser à la recherche et miser sur une fécondation croisée. C'est le seul moyen de réussir.

Nous sommes sur la bonne voie !

Mme Sophie PRIMAS - L'entrepreneuriat comme l'innovation doivent donc bénéficier de politiques cohérentes et pérennes, quels que soient les gouvernements.

Merci à vous.

TABLE RONDE 2 - LA START-UP NATION ET LA FRENCH TECH EN ACTION

Modérateur : Mme Élisabeth LAMURE, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, sénateur du Rhône

Ont participé à cette table ronde :

M. Stéphane CHOUCHAN, Ambassadeur French Tech Israël, Conseiller du commerce extérieur et directeur pays pour Israël de STMicroelectronics

M. Éric COHEN, fondateur et Président-directeur général du groupe Keyrus

Mme Valérie HOFFENBERG, Présidente du Connecting leaders club

M. Stéphane LASFARGUE, Directeur général du processus d'innovation et du développement durable du groupe Renault

M. Raphaël LAYANI, Directeur des ventes chez Mobileye

M. Jean-David UZAN, Directeur commercial France de Trucknet

Mme Élisabeth LAMURE - Mesdames et Messieurs, après avoir croisé les regards de la France et d'Israël en matière d'innovation, nous allons à présent croiser nos expériences communes.

Je suis entourée de six intervenants qui ont tous des parcours riches et variés. Ils ont en commun d'être engagés sur des projets innovants partagés par les entreprises de nos deux pays.

L'enjeu de cette table ronde est donc de saisir sur le terrain des exemples de partenariats franco-israéliens réussis, et d'imaginer comment nous pouvons encore innover ensemble.

Cette démarche, qui consiste à écouter le terrain pour éclairer l'avenir, est exactement celle de la délégation sénatoriale aux entreprises, que j'ai l'honneur de présider. Cette délégation a été créée en 2014, sous l'impulsion du Président du Sénat. Gérard Larcher a ainsi voulu faire entendre la voix des entreprises au Sénat.

Pour ce faire, nous rencontrons les entreprises là où elles sont, nous les écoutons et nous essayons ensuite d'accompagner leurs souhaits au plan législatif. C'est en quelque sorte la plus-value de cette délégation. Nous écoutons également nos entrepreneurs à l'étranger. Il est en effet instructif de comparer les environnements des affaires.

Je suis ravie de pouvoir accompagner cette table ronde au plus près des entreprises françaises et israéliennes engagées dans des projets communs. Nous avons la chance d'avoir ici des acteurs de cette relation dynamique entre la France et Israël en matière d'innovation.

Je voudrais d'abord donner la parole à ceux qui représentent des entreprises israéliennes qui misent sur la France.

Je me tourne vers M. Layani, qui dirige les ventes chez Mobileye. Mobileye, c'est une success story qui commence en 1999 en Israël. La société est aujourd'hui leader mondial dans le domaine de la vision et de l'intelligence artificielle, de l'analyse des données, ainsi que dans la localisation et le mapping , qui trouvent leur application dans les systèmes d'aide à la conduite de véhicules autonomes. Les produits Mobileye équipent aujourd'hui les véhicules de plus de vingt constructeurs automobiles.

Vous cherchez aujourd'hui à développer des partenariats avec les sociétés françaises dans le secteur de la mobilité, notamment Keolis ou Transdev.

Ma question sera simple : pourquoi la France ? Qu'est-ce qui vous a conduits à chercher des partenariats avec ces deux acteurs français ? Envisagez-vous des partenariats avec d'autres acteurs de la mobilité ?

M. Raphaël LAYANI - Certains d'entre vous connaissent peut-être déjà Mobileye ou ont déjà eu l'occasion de conduire une voiture équipée de notre système d'aide à la conduite, en Israël ou ailleurs.

Mobileye a été créé il y a une vingtaine d'années afin d'aider le conducteur à réduire le risque d'accident. Un capteur positionné sur le pare-brise analyse les dangers de la route et prévient le conducteur. Mobileye équipe aujourd'hui la plupart des véhicules dans le monde.

On peut également installer les systèmes Mobileye sur n'importe quel véhicule en circulation. Il n'est donc pas nécessaire de changer de véhicule pour bénéficier d'une option d'assistance en direct de la conduite.

En Europe, Mobileye compte des équipes en Allemagne et au Royaume-Uni, ces marchés étant historiquement très matures de ce point de vue.

La France apparaît à présent comme l'un des marchés stratégiques pour le développement de Mobileye, pour des raisons très simples : la première, c'est la taille du marché et le nombre très important de véhicules. En outre, les statistiques de sécurité routières révèlent malheureusement un trop grand nombre d'accidents et de victimes. C'est pourquoi nous réalisons aujourd'hui de grands efforts pour aborder le marché français.

Celui-ci se divise en deux. On équipe en premier lieu les flottes de véhicules des entreprises, ainsi que les bus ou les bennes à ordures ménagères avec des systèmes différents de ceux des voitures destinés à détecter les angles morts causés par la taille des véhicules.

Les villes et les opérateurs de transport représentent en second lieu un marché nouveau. La France compte des champions mondiaux dans ce secteur, comme Transdev ou Keolis. Il existe un énorme potentiel sur le territoire.

Mme Élisabeth LAMURE - Avez-vous d'autres partenariats en vue hormis ces deux grandes entreprises ?

M. Raphaël LAYANI - Beaucoup d'autres !

Mme Élisabeth LAMURE - Je me tourne vers M. Uzan, qui va lui aussi nous faire partager son expérience.

Vous êtes directeur commercial pour la France d'une toute jeune société israélienne, Trucknet, plateforme d'échange automatisé entre transporteurs.

L'objet de Trucknet est de mettre en commun les moyens de transport logistiques de marchandises en utilisant le principe du covoiturage. On pourrait presque dire que vous êtes le BlaBlaCar des camions.

La société a été créée en 2013. Pourquoi a-t-elle choisi la France pour commencer son internationalisation ? Est-ce la meilleure porte d'entrée pour accéder au marché européen ? Rencontrez-vous des difficultés pour comprendre ou pénétrer l'écosystème français ?

M. Jean-David UZAN - Nous avons décidé de nous implanter dans un premier temps sur le marché français après avoir été sélectionnés par le gouvernement israélien, par l'intermédiaire de notre président, Hanan Friedman, pour représenter Israël à la COP 21.

Notre solution est en effet bonne pour l'environnement puisqu'elle permet de réduire le nombre de camions sur les routes en optimisant les transports. Afin d'éviter que les camions roulent à vide après avoir livré leur chargement, nous avons développé un système permettant à toutes les sociétés de transport d'entrer en contact avec des clients par le biais de notre plateforme.

M. Manuel Valls nous a apporté tout son soutien, ainsi que M. Mounir Mahjoubi. Ceci nous a permis de rencontrer Business France et d'ouvrir des portes sur le marché français. Grâce à l'engouement de la France pour la technologie et l'environnement, le marché était prêt à accueillir notre solution.

D'autres pays nous ont également contactés pour développer notre solution, mais le feeling que nous avons ressenti nous a donné envie d'avancer dans cette direction, qui est apparue comme la meilleure solution pour nous.

Mme Élisabeth LAMURE - Qu'en est-il par rapport au marché européen ?

M. Jean-David UZAN - La France n'est pas leader en matière de transport en Europe, mais elle fait partie des très grosses structures. Nous travaillons avec 45 000 sociétés de transport, soit 4 millions de camions.

Le marché français est parfait pour développer le marché européen. Israël est en effet la start-up nation, et nous savons que la France a très envie d'être derrière nous. C'est la raison de tous ces partenariats avec Israël. Nous avons estimé possible de percer sur le marché français. Nous n'aurions peut-être pas eu autant de soutien de la part d'autres gouvernements.

Mme Élisabeth LAMURE - Avez-vous rencontré des difficultés liées à la particularité de l'écosystème français ?

M. Jean-David UZAN - Nous en rencontrons tous les jours en tant que jeune société, car nous avons naturellement des points à perfectionner.

Ces difficultés proviennent du fait que la start-up nation va très vite. Les sociétés françaises ne se sont pas encore adaptées à ce rythme.

On attend donc parfois des réponses qui nécessitent plus de temps, ce qui est normal. Nous avons la chance d'avoir beaucoup de soutiens qui nous font progresser tous les jours.

Mme Élisabeth LAMURE - Merci de souligner ces points forts. Il nous faut maintenant améliorer nos points faibles.

M. Jean-David UZAN - J'espère que nous allons réussir et que l'expérience que nous sommes en train de créer avec Trucknet et le Gouvernement français va permettre à d'autres sociétés israéliennes de bénéficier de cet écosystème.

Mme Élisabeth LAMURE - Je me tourne vers la partie française et vers M. Chouchan, qui travaille pour STMicroeletronics en Israël depuis plus de dix ans. Cette société est née en 1987 de la fusion du français Thomson Semiconducteurs et de la société italienne SGS.

Elle développe, fabrique et commercialise des puces électroniques. STMicroelectronics est devenue l'un des tout premiers acteurs mondiaux du secteur économique de la production de semi-conducteurs. Votre groupe est partenaire de plusieurs start-up israéliennes et vous venez de fonder à Tel Aviv, en tout début d'année, un programme d'accélérateur de start-up , ST-up.

Pourquoi avoir misé sur Israël ? Qu'attendez-vous du soutien de STMicroelectronics à l'accélération de start-up dans le hardware avec ce nouveau programme ? Que retirez-vous des partenariats déjà noués avec les start-up israéliennes ?

M. Stéphane CHOUCHAN - STMicroelectronics est un fabricant de semi-conducteurs. Ce n'est pas habituel dans le monde des start-up , qui produisent plutôt des logiciels ou autres.

L'ADN de STMicroeletronics est surtout son orientation stratégique, qui fait que l'on est aujourd'hui en phase avec le monde des start-up dans le semi-conducteur et dans l'électronique en Israël. L'internet des objets et la mobilité intelligente sont en effet en adéquation totale avec le portefeuille de compétences de STMicroelectronics.

STMicroelectronics est un des leaders européens du semi-conducteur, avec un chiffre d'affaires de 8,35 milliards de dollars en 2017 et 120 millions de dollars domestiques en Israël, ce qui fait de STMicroeletronics l'un des plus grands acteurs du semi-conducteur en Israël.

Il fallait cependant ouvrir le partenariat à d'autres projets. C'est pourquoi nous sommes allés vers les start-up et d'autres grands groupes.

Nous menons depuis plus de quinze ans des partenariats avec Mobileye ou Valens, mais nous nous sommes également stratégiquement rapprochés de Cisco, Mellanox ou autres. Nous partageons également des projets avec des centres de design. Nous ne sommes en effet pas toujours facilement identifiables. Or les centres de design constituent parfois une aide précieuse dans ce domaine.

Nous menons aussi des partenariats avec les universités, comme le Technion ou l'université de Tel-Aviv. Pour cela, nous détectons des talents, du savoir-faire, des technologies en avance de phase. Il est aisé de miser sur ces secteurs. Il s'agit d'un rapport d'entrepreneuriat et d'un investissement technologique à long terme.

Comment STMicroelectronics gère-t-elle son implantation en Israël ? Ainsi que vous l'avez rappelé, nous y avons ouvert un accélérateur. Les grands groupes et les PME considèrent encore Israël sous un angle qui n'est pas toujours technologique ni économique.

En ce qui nous concerne, il s'agit d'un partenariat technologique. Après avoir ouvert un centre de ventes en 2002 et un centre de recherche et développement en 2012, il nous est apparu logique d'ouvrir un centre d'innovation en 2018.

Les petites start-up ou les groupes innovants ne bénéficient pas toujours d'une entrée chez STMicroeletronics. Convaincre des départements nécessite énormément de temps. Nous favorisons donc l'accès à la technologie, aux centres de recherche et développement, aux unités commerciales, aux manufactures, qui font défaut à la plupart des sociétés israéliennes. Dans le monde du semi-conducteur, cette expertise est d'une grande valeur.

Nous leur offrons surtout un accès direct à notre partenariat stratégique avec les investisseurs ou les grands groupes automobiles ou industriels, ce qui représente pour eux un gain de temps énorme. Nous jouons en quelque sorte le rôle de « grand frère technologique », qui rend possible des projets parfois assez ambitieux du point de vue industriel.

Mme Élisabeth LAMURE - Monsieur Lasfargue, vous travaillez chez Renault depuis vingt ans.

Votre groupe est allié à Nissan, qui figure parmi les constructeurs automobiles intégrant les produits Mobileye dans leurs véhicules, et vous dirigez depuis 2011 le processus de co-innovation que Renault a engagé avec ses fournisseurs. Vous faites partie de l'équipe qui est à l'origine de la création de l'Open Innovation Lab de Renault en Israël.

Comment votre mission au service de l'innovation dans ce grand groupe automobile français vous a-t-elle conduit à vous tourner vers Israël ? Comment envisagez-vous vos relations avec les start-up israéliennes, d'abord sous forme de co-innovation, et peut-être plus tard sous forme de rachat ?

M. Stéphane LASFARGUE - On a reproché aux grands groupes d'être lents en termes de décisions ou de réactions. Le reproche que l'on peut faire aux start-up israéliennes est d'être trop rapides !

Mon rôle chez Renault est de permettre la liaison entre l'interne et l'externe, et d'aider des start-up , des universités ou des entreprises à promouvoir l'innovation.

Je suis chargé de trouver les relais internes pour profiter de ces innovations. Je suis en fait acheteur à mon compte. J'achète les innovations cinq ans à l'avance. Il s'agit d'établir une relation commerciale dans la durée pour être sûr de ne pas perdre la start-up durant le processus. Ce temps est en effet nécessaire pour qu'une innovation s'impose dans le secteur automobile. Il convient donc de contractualiser, même si ce n'est guère aisé. Dès lors, on parle de propriété intellectuelle, d'exclusivité, de communication, chose difficile avec une jeune start-up qui a envie de développer son produit, de se faire connaître, et va dans tous les sens.

On essaye néanmoins de fixer un cadre de co-innovation et de créer quelque chose ensemble. Nous avons besoin des start-up , mais les start-up ont besoin des grands groupes pour progresser.

Pourquoi Renault est-il implanté en Israël ? C'est une longue histoire. Fin 2014, au moment de la grande vague d'innovation, nous avons décidé de nous ouvrir à l'extérieur et de travailler ensemble.

Nous bénéficions déjà d'une expérience dans la Silicon Valley qui remonte à 2009. Cela a également correspondu au développement des besoins en cybersécurité, qui s'accentuent de plus en plus.

Je ne parle pas ici de Mobileye, ni de STMicroelectronics, qui sont des cas particuliers, avec qui il est difficile de ne pas travailler.

Nous avons la chance de bénéficier d'un importateur très dynamique en Israël, Carasso Motors. C'est lui qui nous a ouvert les portes. Nous avons également rencontré beaucoup de gens très ouverts. L'esprit friendly existe en Israël. Nous avons eu accès aux ministères, ce qui a permis de créer une relation sympathique. Avant d'entrer dans la relation commerciale, il faut en effet déjà s'apprécier.

Peu à peu, nous avons amené des experts. Nous avons répondu à des appels d'offres lancés par l' Israël National Authority dans le secteur des transports et par les open labs , que nous avons remportés. Cela a permis de trouver un financement, car les problèmes d'argent existent. Nous avons créé un fonds d'investissement qui permet à Renault, Nissan et Mitsubishi d'investir dans les start-up .

Renault dispose donc d'un faisceau convergent d'opportunités internes. Encore faut-il trouver des relais, mais la dynamique et les liens existent.

Mme Élisabeth LAMURE - Cette collaboration avec Israël était naturelle et évidente pour un grand groupe comme Renault.

M. Stéphane LASFARGUE - Il ne faut pas oublier que nous représentons aussi Nissan et Mitsubishi. La difficulté est de sortir du caractère français et d'intéresser d'autres pays, comme le Japon, par exemple, qui a d'autres opportunités.

Mme Élisabeth LAMURE - L'horizon est large !

Monsieur Cohen, vous avez fondé le groupe Keyrus en 1996. Depuis, vous dirigez ce groupe d'origine française. Vous accompagnez les entreprises dans leur transformation digitale.

Voici quelques années, vous avez ouvert un bureau en Israël. Aujourd'hui, vous disposez de votre propre accélérateur de start-up , le Keyrus Innovation Factory, qui accompagne les grandes entreprises dans leur recherche de technologies innovantes, et qui offre également aux start-up l'opportunité de proposer leurs offres à de grands groupes.

Comment Israël s'est-il imposé comme partenaire pour votre groupe ? Dans quels secteurs voyez-vous des opportunités de partenariats entre groupes français et start-up israéliennes ?

M. Éric COHEN - Notre venue en Israël s'est imposée naturellement. L'entreprise, qui a été créée en 1996, s'est immédiatement positionnée sur l'expertise dans le domaine de la data. On parlait à l'époque de systèmes d'information décisionnels. Aujourd'hui, les technologies permettent de traiter la data de manière massive et multistructurée. On parle à présent de big data , de data science . C'est le vecteur de développement de l'entreprise. Notre culture de l'innovation très forte nous permet, même si nous sommes une entreprise de conseils et de services, d'offrir les dernières technologies à nos clients. Nous sommes reconnus pour cela aujourd'hui.

Au début des années 2000, on s'est plutôt tourné vers l'Amérique du Nord, qui reste une place très importante en termes de veille technologique et de start-up . La Silicon Valley demeure selon moi le leader pour les prochaines années - même si Israël la talonne.

Nous avons d'abord détecté, aux États-Unis et au Canada, un certain nombre d'éditeurs ou de plateformes qui nous ont permis, avec l'arrivée du cloud , d'offrir de nouvelles solutions sur le marché français.

Au fil des années, nous avons répertorié les innovations technologiques susceptibles d'aider nos clients et les entreprises à se transformer. Israël s'est très vite positionné de ce point de vue dans un environnement bouillonnant.

Nous avons décidé de nous y implanter il y a une dizaine d'années afin d'y installer une veille, identifier des partenaires potentiels, notamment dans le domaine du logiciel et des cloud .

Nous nous sommes très vite rendu compte que les « GAFA » étaient déjà présents, avec des centres de recherche et développement et une vraie capacité à tester ces nouvelles technologies, le bassin d'entreprises en Israël étant un bassin de start-up . Ces clients étaient les premiers consommateurs de nouvelles technologies, notamment de big data .

À partir de 2009-2010, nous nous sommes dit qu'il nous fallait une véritable implantation locale en Israël. Nous avons recherché des cibles en vue d'une fusion-acquisition. Nous avons rencontré un certain nombre d'acteurs spécialisés dans le domaine de la data, et nous avons découvert une société assez jeune, créée par trois ingénieurs de l'université de Beer-Sheva, qui avaient eux-mêmes une expérience dans l'industrie militaire et civile. La société proposait à la fois un conseil aux entreprises en matière de nouvelles technologies, mais aussi de la recherche et développement.

En termes de business model , il était intéressant d'avoir une vision du produit et d'être capables de nous démarquer de la concurrence pour gagner de nouveaux projets.

Nous avons investi fin 2011 dans cette société et avons pris le contrôle du capital. Pour moi, il était très important de conserver les entrepreneurs au capital. Ils y sont d'ailleurs toujours.

Keyrus est un groupe international depuis son origine, présent dans une vingtaine de pays. Il compte 3 000 consultants et représente 300 millions d'euros de chiffre d'affaires. Pour cette entreprise, rejoindre le groupe Keyrus lui permettait d'exporter son savoir-faire. Le marché israélien est tout petit. On se tourne donc très vite vers l'international et les États-Unis - même si on commence à s'intéresser à l'Europe.

J'ai très vite proposé de monter un bureau aux États-Unis. Cette société possédait parmi ses clients beaucoup de start-up cotées au NASDAQ. Cela a été une très bonne opportunité pour Keyrus de s'implanter aux États-Unis.

Nous avons également abordé le marché israélien. C'est un marché très intéressant en termes d'innovations. Nous avons commencé à comprendre l'écosystème, très riche, à la fois académique, gouvernemental, etc.

Nous avons beaucoup appris et nous nous sommes attachés à apporter cette connaissance de l'écosystème israélien à nos clients, notamment français. Je rappelle que le siège de l'entreprise est en France, où nous réalisons 40 % de notre chiffre d'affaires, notamment avec de grandes entreprises.

Nous avons commencé en 2014 avec un programme permettant un co-investissement entre le chief scientist israélien et BPIFrance pour financer des projets de co-développement.

Nous avons financé un programme de recherche et développement pour une start-up spécialisée dans le big data et l'analyse prédictive liée au comportement des internautes, qui était très en avance dans ce domaine. Elle a ensuite été rattrapée par Facebook , mais elle est toujours sur le marché.

Ce qui est important pour les start-up , c'est de cultiver la persévérance, apprendre de l'échec et rebondir. Nous l'avons quant à nous vécu à travers cette entreprise et à travers d'autres qui ont connu pas mal de difficultés, mais qui cherchaient à survivre et changeaient de business model .

Nous avons commencé à constituer notre plateforme et à attirer des start-up dans l'écosystème israélien en leur proposant un go to marke t en Europe - et plutôt en France au départ. Nous avons appelé notre projet Keyrus Innovation Factory - KIF !

Étant présents en France, nous sommes également très à l'aise pour comprendre l'écosystème français, qui s'est bien développé depuis cinq ou six ans. Le Gouvernement a fait beaucoup d'efforts - programmes BPIFrance, CIR.

Contrairement à ce qui se dit, je trouve que la France s'est aujourd'hui considérablement adaptée, même s'il y a encore des choses à faire sur le plan fiscal, les investisseurs et le capital-risque. Certains programmes sont très intéressants et permettent d'aider les entreprises à se développer.

Je le vois tous les jours. Je monte des projets à titre personnel en tant que business angel : les mentalités changent. Un jeune sur deux qui sort des universités ou des écoles a envie de monter sa société. Cela ne veut pas dire qu'il va réussir : on ne sera pas tous entrepreneurs, mais on sent cette dynamique.

Nous sommes un laboratoire d'expériences. Nous essayons également d'amener les entreprises françaises à comprendre l'écosystème israélien, l'idée étant de se nourrir mutuellement.

Le besoin de pragmatisme, l'audace, le mélange des genres, font partie de la mentalité israélienne. C'est ce que l'ancien ambassadeur de France en Israël, Patrick Maisonnave, qualifie de « taroubal », abréviation tirée de trois mots hébreux qui expriment ces différentes notions.

Mme Élisabeth LAMURE - Merci pour cette expression très imagée et pour vos encouragements à l'égard de la France.

Je me tourne vers Mme Valérie Hoffenberg. Nous sommes ravis de la compter parmi nous. Vous présidez le Connecting leaders club. Vous avez créé d'abord et dirigé une société d'import-export, que vous avez cédée en 2000. Vous avez ensuite travaillé plusieurs années dans le domaine politique, vous forgeant ainsi un vaste réseau international que vous avez utilisé pour créer le Connecting leaders club , société de conseils globale pour les dirigeants d'entreprises, les institutions et les États.

Depuis 2015, vous avez étendu vos activités en ouvrant avec Mme Ayelet Gurman la branche israélienne de votre club. Vous êtes donc au coeur des connexions franco-israéliennes, et on sait combien le réseau est déterminant pour faire émerger les projets.

Comment rendre les deux écosystèmes plus ouverts l'un à l'autre ? Dans quelles mesures participez-vous au croisement de ces écosystèmes ? Vos activités vous permettent-elles de nous dire dans quels domaines de nouveaux partenariats franco-israéliens pourraient se nouer autour de l'innovation ? Existe-t-il des domaines plus porteurs que les autres ? La ville intelligente, les biotech, les fintech, les greentech en font-elles partie ?

Mme Valérie HOFFENBERG - Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à votre initiative. Aujourd'hui, énormément d'entreprises travaillent entre la France et Israël, mais ce n'était pas si évident il y a quelques années. Il a fallu l'impulsion politique de différents présidents comme Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron pour inciter les entreprises françaises à travailler avec Israël et les décomplexer. Elles ont hésité à le faire durant de nombreuses années.

Il en allait de même du côté israélien : les entreprises allaient étudier ce qui se passait aux États-Unis, en Asie et dans d'autres pays d'Europe mais ne venaient pas jusqu'alors en France.

Je le dis aux sénateurs présents dans cette salle : tous les voyages que vous pourrez faire sont importants pour resserrer les liens entre la France et Israël. C'est un tremplin pour que les entreprises françaises et israéliennes travaillent ensemble. Je vous encourage à en parler autour de vous.

Oui, le réseau est important. J'ai eu la chance d'être durant quelques années représentante spéciale du processus de paix au Proche-Orient, ce qui m'a permis de lier des contacts tant au niveau gouvernemental qu'au niveau économique. Je dois d'ailleurs dire que le milieu économique israélien a été absolument formidable. Ils ont été pour moi des partenaires précieux lorsqu'il a fallu évoquer les questions de paix avec les Palestiniens.

On ne le sait pas suffisamment, mais beaucoup d'entreprises israéliennes travaillent avec les entreprises palestiniennes pour essayer de créer des conditions favorables à une meilleure économie de part et d'autre de la frontière.

Je fais aujourd'hui beaucoup pour renforcer les relations économiques entre les uns et les autres. Les échanges humains sont fondamentaux. Il est important de bien comprendre les différences de mentalités, de temporalité. Les Israéliens ont peu de temps : à partir du moment où ils vous envoient une offre, ils attendent une réponse dans la semaine et ne comprennent pas s'ils n'en obtiennent pas !

Il faut aussi identifier les bonnes personnes. J'essaye de travailler en amont avec les entreprises pour comprendre leurs besoins et leurs attentes, afin de leur présenter les bonnes personnes.

Comment se reconnaître dans cette multitude d'entrepreneurs et de start-up ? Tous ne sont pas jeunes. Certains ont 70 ans et continuent à innover !

J'encourage les entreprises à venir sur place comprendre les besoins et travailler avec les VC - les V enture Capital - pour comprendre l'écosystème. Le rôle des VC et des incubateurs est essentiel en Israël. Il en existe de très nombreux, qui font un travail remarquable, un peu différent de la Station F que nous connaissons ici. Les VC sont plus petits, mais accompagnent les entreprises depuis le départ jusqu'à l' exit ou la vente à une autre entreprise.

Ils sont là à tous les instants, depuis le départ. Ils savent aussi trouver les investisseurs étrangers, les accompagner à l'international. Israël est un pays minuscule, mais il a créé un nombre de licornes incroyable. La taille ou le marché ne sont donc pas une excuse pour les entrepreneurs français, comme le démontre Israël qui, depuis le premier jour, pense international et scaling .

Le rôle des VC est très important en Israël, comme celui du financement. Certes, en France, beaucoup d'entreprises arrivent à trouver 500 000 euros, 1 million d'euros, voire 2 millions d'euros - le rôle de BPIFrance est crucial de ce point de vue -, mais c'est l'étape d'après qui fait défaut.

Si la French Tech est exceptionnelle, il est absolument anormal de ne pas avoir plus de licornes françaises. C'est sur ce sujet qu'il me semble essentiel qu'il y ait plus de partenariats, d'échanges entre Israéliens et Français.

Je crois qu'Israël a beaucoup à apprendre à la France dans ce domaine. Il faut commencer par établir des partenariats au niveau des universités. Muriel Touaty réalise un travail remarquable avec le Technion. Je pense que toutes les universités doivent essayer de mettre en place des partenariats avec des universités israéliennes pour comprendre comment créer cet écosystème et développer des innovations dès l'université.

J'encourage les sociétés françaises à aller voir ce qui se passe en Israël et à créer des partenariats avec des entreprises israéliennes. C'est souvent ainsi qu'elles auront un accès privilégié aux marchés américain et chinois.

Jack Ma, le dirigeant d'Alibaba, vient de passer trois jours en Israël. Il est resté une journée chez JVP, Jerusalem Venture Partners, et a injecté des milliards dans l'économie israélienne. Nous avons aussi de très bonnes start-up et de très bonnes entreprises françaises, mais elles ne bénéficient pas de la même image d'innovation et de flexibilité que les entreprises israéliennes.

Les partenariats sont aussi un moyen d'obtenir du financement de la part des États-Unis, de la Chine ou de l'Asie. Les fonds d'investissement américains ou asiatiques sont en effet plus attentifs à ce qui se passe en Israël qu'à ce qui se passe en France.

Hutchison Whampoa était venu en France il y a quelques années. BPIFrance avait organisé des rencontres avec des start-up françaises, mais l'entreprise n'avait pas souhaité y investir. Pour elle, ces start-up n'étaient pas assez disruptives et ne possédaient pas la bonne taille pour affronter le monde. Or elle venait d'investir beaucoup d'argent en Israël, où elle avait rencontré beaucoup d'entreprises qui avaient envie de conquérir le monde.

Israël est un pays qui a le rêve pour moteur. Personne ne s'empêche de rêver, et de rêver grand. J'encourage donc les entrepreneurs français à ne se fixer aucune barrière dans leur appétit à conquérir le monde !

Les entreprises israéliennes s'intéressent cependant de plus en plus à la France. Le système israélien incite les entreprises internationales à venir en Israël. Il y a peut-être encore des choses à faire en matière de revenus et d'impôts pour que les entreprises israéliennes aient envie de venir ici.

Les échanges sont importants. J'ai organisé l'an dernier avec BPIFrance et Invest Israël la conférence Innovatech, où l'on a effectué le benchmark entre les entreprises françaises et les entreprises israéliennes dans les secteurs de la mobilité, de la footdtech , l'intelligence artificielle, mais aussi la santé.

Israël investit énormément d'argent dans ce dernier secteur. Dov Moran, fondateur de la clé USB, vient de créer GlucoMe, une start-up israélienne pour les diabétiques, qui fait un travail remarquable. Marius Nacht, fondateur de Check Point, a quant à lui investi près de 100 millions de dollars dans un fonds dédié à la santé.

Israël est très en avance sur toutes les questions de molécules et de santé, et je suis persuadée qu'il y a beaucoup de choses à faire entre la France et Israël à ce sujet.

Enfin, l'intérêt de conférences comme Innovatech est réel : dans quelques mois, Israël sera l'invité d'honneur du Mondial de l'automobile, ce qui est assez incroyable pour un pays qui n'a jamais construit une seule voiture !

Le président du Mondial de l'automobile était présent à Innovatech. Nous avions fait venir une dizaine de start-up de ce secteur. Il a été impressionné et il a décidé qu'Israël serait l'invité d'honneur du Mondial de l'automobile. À cette occasion, le 2 octobre, nous allons faire venir près d'une centaine de start-up israéliennes qui ont déjà répondu présent. Nous avons passé un accord avec Calcalist, principal journal financier israélien, qui couvrira l'événement.

Cela démontre qu'il existe une véritable évolution. Calcalist est très connu en Israël pour ses conférences. Jusqu'à présent, il en couvrait deux à trois par an aux États-Unis. Il en a également couvert une à Londres. Il n'est jamais venu en France. Il a compris que quelque chose est en train de se passer.

Mme Élisabeth LAMURE - Merci pour ce retour d'expérience particulièrement riche. Vous créez à la fois du lien et boostez les entreprises de façon dynamique.

Avant de conclure, je voudrais redonner la parole à M. Chouchan.

En plus de vos activités chez STMicroelectronics, vous êtes conseiller du commerce extérieur français et l'un des ambassadeurs de la French Tech en Israël.

Vous pouvez mettre votre expérience du marché israélien au profit de ces coopérations. Comment contribuez-vous concrètement à la promotion de la French Tech en Israël ?

M. Stéphane CHOUCHAN - La French Tech représente 300 membres actifs et 60 start-up .

J'ajouterai une touche supplémentaire à ce qui a été dit à propos de l'écosystème israélien : ceux qui y évoluent ont un côté rêveur, mais ne redoutent pas l'échec. C'est peut-être un point commun avec les Français.

La French Tech correspond à une initiative de Fleur Pellerin qui remonte à 2013. Emanuel Macron est venu la promouvoir en 2015. Elle a été lancée en mars 2016 en Israël. Il s'agit d'un réseau assez actif d'investisseurs et d'entrepreneurs. Le réseau fonctionne très bien aux États-Unis et en Israël, mais moins en France.

Il ne faut pas avoir peur de pousser les portes, d'échanger les cartes de visite. Démarcher, faire le premier pas, est encore un peu difficile pour un Français. Les Américains n'ont pas peur des réseaux, ils les optimisent, les activent et ne craignent pas de les rendre ensuite monnayables.

L'expérience d'un grand groupe français peut servir à d'autres. J'ai reçu la semaine dernière des délégations de sociétés françaises qui viennent étudier le fonctionnement de STMicroeletronics. À partir du moment où vous avez une valeur ajoutée, un différentiel, on s'approche de vous. On vous identifie comme un maillon fort de cet écosystème.

Nous avons repéré des domaines déjà identifiés, comme la lithographie, la métrologie, l'intelligence artificielle, la data, aujourd'hui considéré comme le nouveau pétrole, la foodtech, la biotech, l'agritech. Le monde des start-up utilise des mots ayant trait au bio : l'écosystème, les jeunes pousses, les incubateurs. Tout tourne autour de la notion du vivant. Il faut conserver ces notions de vivant, d'actif et de productif.

On utilise donc ces réseaux d'acteurs, de professionnels, d'experts, et tout cela fonctionne en écosystème et en village.

Lorsque j'ai créé ST-up, j'ai utilisé l'image d'un village français, avec son boulanger, son charcutier, son fromager. Tous ne cherchent pas à attirer les mêmes clients, mais proposent des solutions complémentaires pour répondre à une demande. Nous sommes quant à nous une des chaînes du maillon innovant. À terme, cet écosystème pourra mettre en réseau des accélérateurs qui seront complémentaires dans le domaine de la technologie et des services pour fournir une solution pérenne à ce que demandent les sociétés.

Le timing d'une start-up est très court. Il faut être très réactif.

Tous ces acteurs - la French Tech , les conseillers du commerce extérieur - qui promeuvent l'image de la France et aident d'autres délégations et d'autres grands groupes français à s'implanter en Israël vont fournir un autre point d'observation à l'écosystème israélien qui, pour nous, est déjà assez bien défini.

Mme Élisabeth LAMURE - Cette table ronde a été l'occasion de faire état d'expériences extrêmement concrètes et dynamiques. C'est ce que nous voulions.

La France doit bousculer sa culture et aller davantage à votre rencontre.

Je voudrais vous remercier pour votre présence et pour tous ces témoignages.

Mme Sophie PRIMAS, Présidente de la commission des Affaires économiques,
anime la table ronde n°1

Mme Élisabeth LAMURE, Présidente de la délégation sénatoriales aux entreprises,

anime la table ronde n° 2

Salons de Boffrand

M. Philippe DALLIER,

Premier Vice-président du Sénat,

Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël

CLÔTURE DES DÉBATS

M. Philippe DALLIER, Premier Vice-président du Sénat, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël

J'ai l'honneur de clôturer ce colloque en tant que Vice-président du Sénat, mais surtout en qualité de Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël, l'un des plus importants du Sénat, qui rassemble plus de 50 parlementaires. Son activité est régulière : nous rentrons d'ailleurs d'un déplacement en Israël, il y a à peine deux semaines de cela.

Le Président du Sénat l'a rappelé : c'est à la suite de son voyage en Israël, en janvier 2017, qu'il a invité Yuli-Yoel Edelstein. Huit années s'étaient écoulées sans que le Président de la Knesset effectue de visite en France.

C'est à cette époque qu'a germé l'idée d'organiser une série d'événements nous permettant d'échanger au sujet de la relation franco-israélienne.

Bien évidemment - et ce fut encore le cas lors de notre dernier déplacement - nous évoquons systématiquement la lutte contre le terrorisme, les problèmes géopolitiques, les problèmes de sécurité, ainsi que ce qui se passe en Syrie et la menace que représente l'Iran, mais on aborde aussi les sujets d'économie, d'innovation, de recherche et de coopération entre la France et Israël. C'est ce que nous avons fait de manière spécifique ce matin.

J'adresse mes remerciements à ceux qui ont organisé ce colloque, ce qui est particulièrement compliqué le mercredi matin, car le règlement du Sénat nous impose de siéger en commission. Je remercie donc les sénateurs présents ici ce matin, ainsi que mes collègues Sophie Primas, qui a animé la première table ronde, et Élisabeth Lamure, qui a animé la seconde.

L'année 2018 est très particulière. La célébration du soixante-dixième anniversaire d'Israël constitue un événement important. Cette année est aussi celle de la « Saison croisée France-Israël », qui s'ouvrira dans quelques semaines. Par ailleurs, le Premier ministre se rendra en Israël fin mai. J'aurai le plaisir de l'accompagner. Emmanuel Macron effectuera vraisemblablement une visite vers le mois d'octobre, et j'y retournerai avec lui. C'est donc une année chargée, mais j'en suis particulièrement heureux.

Il y a quinze jours, nous avions demandé à rencontrer des chercheurs et des entreprises. Nous nous étions donc déjà croisés une première fois. Je remercie toutes les intervenantes et tous les intervenants ici présents, particulièrement ceux qui ont fait le voyage depuis Israël.

À l'Université hébraïque de Jérusalem, nous avons rencontré un chercheur qui cherche à faire « pousser » de la viande. Pour un Français, le sujet peut paraître particulier... Quand on y réfléchit, il est vrai qu'avec 10 milliards d'habitants sur la planète dans quelques années, l'élevage va devenir extrêmement difficile et coûteux en eau et en ressources.

Il nous a expliqué comment il fonctionnait. Pour des Français - cela a été dit ce matin - c'est exceptionnel : les chercheurs prennent un problème, cherchent à le résoudre et passent en parallèle de la recherche fondamentale à la recherche appliquée.

C'est un pari gagnant-gagnant : une partie des bénéfices tirés de la recherche va aux chercheurs et à la start-up qu'il aura développée, une autre au laboratoire de l'université, et la dernière partie à l'université.

Philippe Adnot l'a fort bien dit : il y a encore beaucoup à faire avant de faire évoluer les mentalités françaises et de passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée. Les choses bougent cependant, mais si cela prend du temps. C'est le problème de notre pays.

Nous avons rencontré en Israël beaucoup de start-up et de grosses entreprises, comme Thalès, dont le représentant nous a dit combien il avait été difficile de franchir le pas. STMicroelectronics l'a fait depuis plus longtemps, et on voit bien que les choses ont bougé de ce point de vue.

Nous avons enfin rencontré des Franco-Israéliens qui ont développé leur propre entreprise, et tout ceci a été extrêmement enrichissant.

S'il fallait une image pour conclure ce colloque, ce serait peut-être celle du hors-bord et du paquebot. Israël est plutôt un hors-bord avec un très gros moteur, qui file sur l'eau. La France est un gros paquebot avec un intérieur magnifique, comme au siècle dernier mais, entre le moment où l'on se dit qu'il faudrait changer de cap et le moment où le navire vire de bord, il faut du temps.

Je ne désespère pas que notre pays prenne la bonne direction. Je suis certain que la coopération entre la France et Israël sera bénéfique pour nos deux pays.

Merci d'avoir assisté à cette matinée qui, je l'espère, aura été intéressante pour vous.

Je vous donne rendez-vous tout au long de l'année pour cette belle saison croisée entre la France et Israël.


* ( 1 ) Membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël : M. Philippe DALLIER, Président, M. Jean-Pierre BANSARD, Vice-président, Mme Esther BENBASSA, Vice-président, M. Christophe-André FRASSA, Vice-président, M. Roger KAROUTCHI, Vice-président, M. Bernard LALANDE, Vice-président, M. Olivier LÉONHARDT, Vice-président, M. Hervé MARSEILLE, Vice-président, M. Hervé MAUREY, Vice-président, M. André REICHARDT, Vice-président, Mme Patricia SCHILLINGER, Vice-président, M. Simon SUTOUR, Vice-président, M. Michel AMIEL, M. David ASSOULINE, M. Jean-Marie BOCKEL, M. Max BRISSON, M. Olivier CADIC, M. Vincent DELAHAYE, Mme Catherine DEROCHE, M. Gilbert-Luc DEVINAZ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, M. Bruno GILLES, Mme Nathalie GOULET, M. Jean-Pierre GRAND, M. François GROSDIDIER, M. Jacques GROSPERRIN, M. Loïc HERVÉ, M. Alain HOUPERT, M. Xavier IACOVELLI, Mme Sophie JOISSAINS, M. Patrick KANNER, Mme Claudine KAUFFMANN, M. Laurent LAFON, Mme Élisabeth LAMURE, Mme Christine LAVARDE, M. Ronan LE GLEUT, M. Jean-Yves LECONTE, M. Pierre MÉDEVIELLE, Mme Brigitte MICOULEAU, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, M. Olivier PACCAUD, M. François PATRIAT, M. Claude RAYNAL, Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN, M. Jean-Claude REQUIER, M. Michel SAVIN, M. Jean-Pierre SUEUR, M. Rachid TEMAL et M. Jean-Pierre VIAL

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N° GA 149 - Juin 2018

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