A. UNE ÉVOLUTION INQUIÉTANTE DE LA POLITIQUE AMÉRICAINE VIS-À-VIS DE L'IRAK

Afin de pouvoir clairement présenter l'évolution actuelle de la situation vis-à-vis de l'Irak, il convient de rappeler brièvement les principales étapes qui ont jalonné l'histoire des 10 dernières années.


Chronologie résumée 1990-2002

2 août 1990: Les forces iraquiennes envahissent le Koweït. Le même jour, le Conseil de sécurité adopte la résolution 660 (1990) condamnant cette invasion.

6 août 1990: La résolution 661 (1990) est adoptée par le Conseil de sécurité qui impose des sanctions contre l'Iraq et le Koweït occupé et crée un comité chargé de l'application de ladite résolution.

3 avril 1991: Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 687 (1991) , établit les termes d'un cessez-le-feu - désarmement et suppression de la capacité de l'Iraq de fabriquer des armes de destruction massive.

15 août 1991: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 706 (1991) donnant à l'Iraq la possibilité de vendre son pétrole et d'utiliser le produit de la vente pour acheter des fournitures humanitaires essentielles. Cette résolution est rejetée par le Gouvernement iraquien.

14 avril 1995: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 986 (1995) , dont l'Iraq rejettera ultérieurement les dispositions.

20 mai 1996: À l'issue d'intenses négociations, un mémorandum d'accord est signé entre le Gouvernement iraquien et le Secrétariat de l'Organisation des Nations Unies concernant l'application de la résolution 986 (1995).

19 juin 1998: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1175 (1998) autorisant l'Iraq à importer jusqu'à concurrence d'une valeur de 300 millions de dollars de pièces de rechange et de matériel pour son industrie pétrolière afin d'accroître sa production destinée à l'exportation.

11 novembre 1998: retrait de la CSNU.

16 décembre 1998: Début de l'action militaire des États-Unis et du Royaume-Uni contre l'Iraq.

17 décembre 1999: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1284 (1999) , créant, en remplacement de la Commission spéciale, la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies (COCOVINU), en tant qu'organe subsidiaire du Conseil.

5 décembre 2000: Le conseil de sécurité adopte la résolution 1330 (2000) , dans laquelle il prolonge le programme pour une nouvelle période de 180 jours (phase IX); donne pour instructions au Comité des sanctions de soumettre des listes de fournitures pour l'électricité et le logement à la procédure « d'approbation accélérée » et d'élargir les listes existantes dans d'autres secteurs; ramène de 30 à 25 % les fonds versés au Fonds d'indemnisation et transfère les fonds supplémentaires au compte ESB (53 %) destiné aux projets humanitaires dans le centre et le sud de l'Iraq afin de répondre aux besoins des groupes les plus vulnérables; et prie le Secrétaire général de prendre les arrangements nécessaires pour permettre que les fonds, d'un montant maximum de 600 millions d'euros, soient utilisés pour couvrir le coût de l'installation et de l'entretien du matériel destiné à l'industrie pétrolière.

1er juin 2001: Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1352 (2001) , prorogeant les dispositions de la résolution 1330 (2000), soit la phase IX, pour une durée supplémentaire de 30 jours.

4 juin-10 juillet 2001: L'Iraq suspend ses exportations de pétrole au titre du programme après avoir rejeté la résolution 1352 (2001).

3 juillet 2001: Le conseil de sécurité adopte la résolution 1360 (2001) , dans laquelle il prolonge le programme pour une nouvelle période de 150 jours (phase X).

29 novembre 2001 : Le Conseil de sécurité adopte la résolution 1382 , prorogeant le programme pour une nouvelle période de 180 jours (phase XI). La phase XI commencera le 1er décembre 2001 et durera jusqu'au 29 mai 2002. Au paragraphe 2 de la résolution, le Conseil décide d'adopter la liste d'articles sujets à examen et les procédures relatives à son application, sous réserve des éventuelles précisions qui pourraient leur être apportées avec l'assentiment du Conseil, un commencement de mise en oeuvre étant fixé au 30 mai 2002. Au paragraphe 6 de la résolution, le Conseil réaffirme son attachement à un règlement global de la question de l'Iraq sur la base de ses résolutions pertinentes.

Dès avant les élections présidentielles américaines, la question du maintien des sanctions imposées à l'Irak était au centre du débat politique. Après plus de 10 ans de sanctions internationales qui ont abouti à un véritable génocide sur la population et à un renforcement du régime dirigé par M. Saddam Hussein, la résolution 1284 du 17 décembre 1999 a constitué une tentative de résolution des contradictions.

En dépit de mises en garde concordantes et répétées les autorités et l'opinion publique américaine s'orientent clairement vers une intervention militaire contre l'Irak.

Dès après les attentats du 11 septembre la position politique des Etats-Unis sur le dossier irakiens s'est considérablement durcie. Le 18 septembre l'Irak était mise en garde fermement contre toute tentative de profiter de la situation créée par les attentats. Comme le déclarait publiquement le Secrétaire d'Etat américain le « seuil de patience » des Etats-Unis avait singulièrement baissé.

Par ailleurs, les attaques à l'anthrax subies en octobre 2001 ont déclenché une dénonciation, notamment par la presse, des programmes biologiques supposés de l'Irak. C'est ainsi que certains journaux comme le Wall street journal mettent en relief une « convergence au moins tactique d'intérêts » entre l'Irak et ses capacités supposées de production d'armes biologiques et bactériologiques et Al Quaida. Ces allégations, qui ne reposent que sur des suppositions non étayées, rencontrent bien évidemment les efforts de l'aile « dure » du département de la défense, conduite par M. Wolfowitz, de convaincre l'administration américaine de préparer une intervention militaire en Irak pour « finir le travail » commencé en 1991.

Dans un contexte où les interventions qui avaient dénoncé dans le passé les effets d'un embargo meurtrier sont de plus en plus estompées par le choc des attentats de New York et de Washington, les pressions de l'aile dure du département de la Défense, de la presse et du Congrès s'intensifient sur le président Bush dont les messages rappellent que l'Irak doit se soumettre aux résolutions des Nations Unies et accepter la nouvelle commission de contrôle instituée par la résolution 1284.

Il est certain que la détermination de l'administration américaine à « en finir avec le régime de Bagdad » est une ligne forte de la politique des Etats-Unis qui s'est renforcée depuis le 11 septembre.

Les partisans d'une intervention militaire, qui ne peuvent s'appuyer sur une quelconque implication de l'Irak dans les attentats du 11 septembre et d'un lien avec Al-Quaida, font valoir deux arguments qui légitimeraient selon eux une action :

q la persistance de programmes de fabrication d'armes de destruction massive,

q le faible coût supposé d'une intervention après les succès connus en Afghanistan

Votre groupe d'amitié ne peut être que frappé par l'évolution de la position américaine en faveur d'une intervention militaire contre l'Irak. Il convient de répéter avec vigueur - comme l'a fait le Secrétaire général des Nations Unies, que « toute tentative de ce type ne peut qu'exacerber la situation et augmenter les tensions dans une région déjà en ébullition à cause du conflit israélo-palestinien ».

Les déclarations du Président Georges W. BUSH lors du discours de l'Union, le 29 janvier 2002, paraissent annoncer clairement une intervention en Irak. Elles évoquent un lien entre la possession supposées d'armes de destruction massive par certains Etats qui forment un « axe maléfique » et la possibilité pour ceux-ci d'en armer des réseaux terroristes.


Discours sur l'état de l'Union, 29 janvier 2002

« Notre second objectif consiste à empêcher les gouvernements qui parrainent le terrorisme de menacer les États-Unis et leurs amis au moyen d'armes de destruction massive.

Certains de ces gouvernements se tiennent tranquilles depuis le 11 septembre. Mais nous connaissons leur véritable caractère. La Corée du Nord a un gouvernement qui s'équipe de missiles et d'armes de destruction massive tout en affamant sa population.

L'Iran s'emploie activement à fabriquer de telles armes et exporte le terrorisme tandis qu'une minorité non élue étouffe l'espoir de liberté du peuple iranien.

L'Irak continue à afficher son hostilité envers les États-Unis et à soutenir le terrorisme. Le gouvernement irakien complote depuis plus de dix ans pour mettre au point le bacille du charbon, des gaz neurotoxiques et des armes nucléaires. C'est un gouvernement qui a déjà utilisé les gaz asphyxiants pour tuer des milliers de ses propres citoyens, laissant les cadavres des mères blottis sur ceux de leurs enfants. C'est un gouvernement qui, après avoir accepté des inspections internationales, a chassé les inspecteurs. C'est un gouvernement qui a des choses à cacher au monde civilisé.

De tels États constituent, avec leurs alliés terroristes, un axe maléfique et s'arment pour menacer la paix mondiale. En cherchant à acquérir des armes de destruction massive, ils posent un danger dont la gravité ne fait que croître. Ils pourraient fournir ces armes aux terroristes, leur donnant ainsi des moyens à la hauteur de leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou tenter de faire du chantage auprès des États-Unis. Dans l'un quelconque de ces cas, le coût de l'indifférence serait catastrophique.

Nous coopérerons étroitement avec les membres de notre coalition pour refuser aux terroristes et aux États qui les parrainent le matériel, la technologie et le savoir-faire qui leur permettraient de fabriquer et de lancer des armes de destruction massive. Nous mettrons au point et déploierons une défense antimissile pour protéger les États-Unis et leurs alliés d'une attaque surprise. Et tous les pays devraient savoir que les États-Unis prendront toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de notre nation.

Nous agirons sans hésitation mais le temps n'est pas notre allié . Nous n'attendrons pas que des incidents surviennent alors que le danger s'accroît. Nous ne resterons pas inactifs face à un danger qui se rapproche de plus en plus. Les États-Unis d'Amérique ne permettront pas aux gouvernements les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes les plus destructives du monde. »

Ces propos ont été dénoncés clairement par notre diplomatie. M. Hubert VEDRINE devait déclarer en réaction que « ce n'est pas avec ce type de formule qu'on peut trouver des solutions ». De son coté, le ministre français de la défense, M. Alain RICHARD, a déclaré que la France est opposée à des frappes américaines contre l'Iraq et qu'elle peut se retirer de l'alliance contre le terrorisme si les Américains pensent à frapper l'Iraq.

Certes, votre groupe ne peut que prendre au sérieux l'assertion selon laquelle des armes de destructions massives pourraient être utilisées contre les démocraties. Cette menace doit effectivement être prise au sérieux. C'est la raison pour laquelle votre groupe a toujours indiqué clairement que le retour des inspecteurs en Irak permettrait de faire toute la lumière sur cette question. En l'état actuel des choses il serait éminemment souhaitable que les accusations américaines soient étayées sur des faits précis. Le premier ministre russe M. Mikhail KASSIANOV a estimé, le 2 février 2002, à la suite d'entretiens avec le vice président Dick CHENEY que le président américain avait lancé des affirmations sans preuves.

L'analyse américaine paraît reposer sur une vision optimiste de l'isolement de l'Irak dans le monde arabe. On imagine mal, compte tenu de la puissance du sentiment anti-américain, que la « rue arabe » et donc les gouvernements des pays de la zone, puissent demeurer indifférents.

Il serait par ailleurs une illusion de croire qu'une telle opération pourrait se faire à un moindre coût militaire. Au contraire, nous croyons qu'une fois de plus la population civile serait durement frappée et qu'elle se rassemblerait, dans un réflexe nationaliste, autour de ses dirigeants.

Enfin, il convient de rappeler qu'en 1991 c'était bien le risque d'éclatement de l'Irak (entre chiites et sunnites, entre kurdes et arabes, entre nord et sud) qui avait conduit la coalition menée par les Etats-Unis à ne pas poursuivre son offensive.

De ce point de vue, les choses n'ont pas changé. Il ne paraît pas y avoir aujourd'hui d'alternative crédible au parti Baath. C'est, nous semble t-il, le point de vue constant de la politique française. Or il serait minimale qu'une action militaire prévoie une alternative au régime actuellement en place qui soit susceptible de maintenir l'intégrité de l'Irak. Il ne semble pas que ce soit le cas.

En dépit de ces arguments multiples et concordants il semble aujourd'hui que la politique américaine s'oriente vers une intervention militaire unilatérale en Irak dont les dangers pour l'ensemble de la communauté internationale doivent être clairement indiqués.

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