6. La montée des tensions sociales

Peu préparé, parfois tenté par un discours idéologique, le gouvernement d'Evo MORALES affronte des tensions sociales croissantes, qu'il n'a pas su ou voulu voir venir.

Après son élection, en décembre 2005, Evo MORALES a bénéficié d'un long état de grâce. Mis à mal depuis plusieurs mois, celui-ci est à présent totalement fini (les sondages ont fait passer sa cote de popularité de 74 % à 59 % en un an).

Les tensions sociales que le pays avaient connues depuis 2003 sont réapparues, selon les mêmes modalités, parfois violentes (grèves, blocage des rues de la capitale ou des routes principales, punition immédiate des récalcitrants). Alors que plusieurs conflits se sont déclenchés en réaction à des prises de positions politiques (grève de Santa Cruz le 8 septembre 2006, blocage de la ville par les mouvements paysans le 20), la Bolivie assiste à la résurgence de conflits sociaux anciens, exacerbés par l'attente née de l'arrivée d'Evo MORALES au pouvoir.

Ainsi, fin septembre 2006, les mineurs ont bloqué les routes reliant La Paz, Oruro et Potosi, principales voies pour les exportations de marchandises. Quelques semaines auparavant, le gouvernement avait dû céder devant une grève des transports publics réclamant une régulation du prix des carburants. Il avait également dû affronter la grève des enseignants du secteur public, opposés au ministre de l'Education, et le mécontentement des parents d'élèves.

Les faits les plus graves sont intervenus le 5 octobre 2006 avec les affrontements de la mine de Posokoni, près d'Oruro. Les combats entre mineurs, qui ont causé la mort de 16 personnes, ont rappelé aux Boliviens l'épisode de la guerre du gaz de 2003 et révélé les lenteurs de l'administration MORALES. Le conflit minier couvait, en effet, depuis plusieurs mois et le gouvernement, qui apportait un appui tacite au secteur coopérativiste, avait préféré s'en désintéresser pour mettre en place -très lentement- une réforme globale du secteur minier.

Par ailleurs, les projets communautaires du gouvernement et son rapprochement avec le Venezuela d'Hugo CHAVEZ ont conduit à une relative inquiétude des classes moyennes à La Paz et à une franche hostilité dans les milieux aisés de Santa Cruz.

Ainsi des rumeurs de guerre civile ont couru début octobre. L'ancien chef d'État-Major des armées, mis à la retraite par Evo MORALES, a même affirmé la disponibilité de l'armée à servir le pays au cas où la Constitution serait violée. Les déclarations du Vice-Président GARCIA LINERA, invitant les Indiens de l'Altiplano à défendre les réformes « avec des pierres ou avec des mausers », n'ont pas contribué à détendre cette atmosphère.

Force est donc de constater que le gouvernement s'est coupé de plusieurs secteurs sociaux essentiels. Mais, à la différence de ce qu'était parvenu à faire Evo MORALES dans les années 2002-2005, aucun leader syndical ou politique n'a su, pour le moment, cristalliser l'ensemble des mécontentements pour mettre en place un instrument d'action politique.

Plusieurs facteurs sont ainsi à l'origine de la situation dans laquelle se trouve le Président Evo MORALES :

- la population, en particulier les secteurs les plus modestes, est frustrée de ne pas voir venir de résultats concrets en termes de bien-être ;

- la base électorale sur laquelle il a compté pour appuyer ses réformes n'est pas homogène et se délite. Ainsi, beaucoup de Boliviens ont voté pour lui dans le but de voir s'interrompre les conflits sociaux ou afin de donner sa chance au MAS. Mais ce vote ne reflétait pas une volonté de réforme radicale et le Président en paie aujourd'hui le prix ;

- la crise sociale actuelle est le résultat d'une gestion maladroite du pays. Appliquant le traditionnel spoil system , Evo MORALES s'est entouré d'une équipe renouvelée mais peu professionnelle 5 ( * ) . Peu au fait des procédures, les nouveaux responsables étaient d'ailleurs loin, fin octobre, d'avoir exécuté le budget de État alors que les nécessités sont criantes.

A ces dysfonctionnements, s'ajoute le fait que le Président MORALES a souhaité traiter tous les problèmes à la fois (hydrocarbures, Constituante, réforme agraire...) sans prendre la peine de s'appuyer sur des relais sociaux solides. Des confédérations syndicales importantes se sont ainsi trouvées mises sur la touche alors même qu'elles auraient pu expliquer à leurs bases les causes des lenteurs gouvernementales.

Confronté à ces difficultés, le Président MORALES a cherché à regagner les secteurs qui s'éloignent de lui.

Il a ainsi profité, le 12 octobre 2006, de la clôture de la rencontre internationale des peuples indigènes pour convoquer ses partisans sur la place des Héros, à La Paz, et réaffirmer ses engagements. Il a défendu son bilan (augmentation de 7 % des salaires les plus bas et nationalisation des hydrocarbures) et rappelé ses objectifs : « la révolution démocratique et culturelle va continuer, avec ou sans Evo MORALES. Personne ne va arrêter le changement en Bolivie. Personne ne va arrêter l'Assemblée Constituante et la nationalisation de nos ressources naturelles ».

Parallèlement, il a voulu montrer qu'il comprend les doutes des secteurs sociaux et des classes moyennes. Il a rappelé qu'il respecterait les droits de chacun, dans la partie andine comme dans la partie amazonienne du pays. Il a aussi promis de respecter la propriété privée et de ne pas taxer indûment les entreprises. Il a ainsi significativement terminé son discours de clôture aux cris de « vive la classe moyenne, vive les entrepreneurs, vive les forces armées et la police nationale ».

Le Gouvernement bolivien doit en définitive faire oeuvre de pédagogie politique et faire comprendre à la population que ses projets de réforme des structures économiques et des institutions impliquent nécessairement du temps et des concessions.

* 5 Le 23 janvier 2007, le Président Morales a remplaçé 7 des 16 ministres de son gouvernement. Cet imporatnt remaniement, qui élargit sa base sociale et professionnalise le gouvernement, devrait l'aider à mener à bien les réformes économiques et sociales, en privilégiant la technicité et non l'idéologie.

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