B. LES PROPOSITIONS DU DALAÏ LAMA

Les autorités chinoises feignent parfois de croire que la question tibétaine se réduit au statut personnel du Dalaï-Lama, à qui il suffirait d'offrir certaines garanties pour obtenir son retour au Tibet et signifier ainsi au monde entier qu'une solution a été trouvée. Mais le Dalaï-Lama a dès l'origine placé la question sur le terrain de la politique et revendiqué la liberté d'autodétermination pour le peuple tibétain.

1. Le programme de Strasbourg

Le Dalaï-Lama a précisé en 1988 devant le Parlement européen les propositions officielles pour un plan de paix en cinq points qu'il avait déjà évoquées un an auparavant devant le Congrès américain :

- la transformation du Tibet en une zone de paix démilitarisée ;

- l'abandon par la Chine de sa politique de transfert de populations chinoises au Tibet ;

- le respect des droits de l'homme et des libertés au Tibet, le peuple tibétain devant être libre de déterminer lui-même son avenir dans un esprit d'ouverture et de réconciliation ;

- la restauration et la protection de l'environnement naturel du Tibet et l'abandon par la Chine de son programme de stockage de déchets nucléaires au Tibet ;

- l'ouverture de négociations franches sur le statut futur du Tibet et les relations entre les peuples tibétain et chinois.

2. Les lignes directrices pour un futur Tibet

Dans la perspective de la conclusion d'un accord, le Dalaï-Lama a rendu publiques dès 1992 des « lignes directrices de la politique du futur Tibet », où il expose les traits fondamentaux de la Constitution d'un Tibet qui serait enfin redevenu maître de son destin.

Premièrement, comme il le rappelle avec constance depuis plusieurs années déjà, le Dalaï-Lama souligne qu'il n'acceptera personnellement aucun statut politique dans le gouvernement du futur Tibet, pour ne conserver qu'un magistère moral et religieux. Cette décision, mal comprise de la part des Tibétains, rompt avec une tradition séculaire. Le Dalaï-Lama estime en effet que, si le Tibet veut devenir un membre à part entière de la communauté des nations, il ne faut plus qu'il dépende d'une seule personne.

Deuxièmement, il n'y aura aucun privilège pour les Tibétains revenus d'exil, qui pour les plus jeunes n'auront jamais vécu dans leur mère patrie, par rapport à leurs compatriotes demeurés au Tibet. L'administration tibétaine en exil sera réputée automatiquement dissoute et toute « chasse aux sorcières » sera exclue : les cadres formés sous le régime d'occupation chinoise seront maintenus en place et leurs compétences utilisées au mieux.

Pendant une période transitoire, un président sera nommé comme chef d'État intérimaire, investi des pouvoirs politiques qui sont actuellement ceux du Dalaï-Lama. La principale responsabilité du gouvernement intérimaire sera de réunir une Assemblée constituante de 250 membres chargée d'élaborer une nouvelle Constitution pour le Tibet, sur la base du projet préparé en exil, et de préparer l'élection de l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne les droits fondamentaux, tous les Tibétains auront droit à la vie, à la liberté et à la propriété, notamment à la liberté d'expression, à la liberté de former des associations, à la liberté de la presse, ainsi que le droit à l'emploi dans l'administration gouvernementale et ses organismes. En ce qui concerne les principes économiques, le gouvernement se verra attribuer le contrôle de toutes les terres n'appartenant pas à des propriétaires privés et la faculté de les distribuer aux citoyens, « afin d'éviter la concentration des richesses entre des mains trop peu nombreuses ». Le Tibet devra forger son propre système économique, « sans tomber dans les extrêmes du capitalisme et du socialisme ». Le système de l'impôt devra se fonder sur le revenu.

Enfin, l'équilibre institutionnel sera fondé sur la balance des trois pouvoirs :

- l'Assemblée nationale, détentrice du pouvoir législatif, sera composée d'une chambre basse de représentants élus directement par les citoyens, et d'une chambre haute de membres élus par les assemblées provinciales ;

- le pouvoir exécutif sera partagé entre un président élu par les deux chambres de l'Assemblée nationale, et un Premier ministre issu de la majorité à la chambre basse.

- le pouvoir judiciaire sera confié à une Cour suprême, plus haute juridiction d'appel chargée de l'interprétation des dispositions de la Constitution.

Territorialement, le Tibet sera organisé en provinces, disposant chacune d'un gouvernement local et d'une assemblée provinciale élue, investie du pouvoir législatif ordinaire.

On voit bien ce que cette réforme institutionnelle du Tibet aurait de proprement révolutionnaire. Ce serait un véritable ferment démocratique introduit dans le système politique chinois. En effet, le fait d'organiser au Tibet autonome des élections libres mettrait vraisemblablement fin au monopole du parti communiste.

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