4. Les distorsions éditoriales et l'influence de la publicité officielle au Brésil

Outre les interférences politiques sur les lignes éditoriales, il existe des influences financières. L'information diffusée par la presse traditionnelle est de plus en plus guidée par le paramètre mercantile. Le journaliste de l'ère postmoderne - décrit MARSHALL - annihile son sens critique et sa capacité de réflexion et se permet l'acte de soumettre le lead et la pyramide inversée à la logique du marché. [...] Il se soumet à l'invisible censure du marché et établit sa propre autocensure 330 ( * ) . La presse brésilienne, qui propage une image d'indépendance et diffuse le discours libéral en faveur de l'état minimum - mais qui, de façon incohérente, ne veut pas perdre les émoluments publics - est fortement dépendante des enveloppes publicitaires gouvernementales. Cette dépendance est structurelle. La moitié des journaux, radios et TV dans le pays entreraient en faillite immédiatement s'il leur était interdit d'accepter la propagande de l'État - qu'elle soit fédérale, des états ou municipale, juge RODRIGUES 331 ( * ) .

La propagande, associée à la dépendance économique des médias, constitue un élément important de pression externe et de filtrage informatif. Ce qui se voit dans l'histoire de la grande presse est davantage la défense d'intérêts de forces sociales spécifiques - en dernière analyse, son marché sponsor - rapporte RIBEIRO 332 ( * ) . Les médias privés visent le profit et la nécessité d'être lucratif oriente la ligne éditoriale, qui influence la sélection de l'information faite par les gatekeepers. Les détenteurs des fonds publicitaires ne subventionnent pas les supports qui s'opposent éditorialement à eux, sauf si c'est pour les coopter. La publicité sélectionne les programmes en accord avec ses principes et ses valeurs qui, sauf de rares exceptions, sont culturellement et politiquement conservateurs. De grandes compagnies de publicité iront rarement sponsoriser des programmes avec des contenus critiques et idéologiques - affirme GUARESCHI 333 ( * ) .

L'enveloppe publicitaire distribuée aux moyens de communication au Brésil est de l'ordre 13,7 milliards de R$ (4,8 milliards de $EU) 334 ( * ) . Ce total représente le sixième volume mondial, selon le classement du magazine américain Advertising Age 335 ( * ) . Les investissements réalisés en publicité dépassent les chiffres d'économies plus fortes comme l'Italie et le Canada 336 ( * ) . Dans le segment privé, la chaîne de grands magasins Casas Bahia, avec une enveloppe de 713 millions de R$ (254 millions de $EU), et le géant mondial des produits d'entretien domestique et d'hygiène personnelle, Unilever, avec 305 millions de R$ (109 millions de $EU), sont les plus gros annonceurs 337 ( * ) . Parmi les quinze principaux annonceurs du pays, dix sont des entreprises multinationales de la taille d'Unilever (Gessy Lever), anglo-hollandaise ; de Volkswagen, allemande ; de General Motors, Ford et Coca Cola, nord-américaines ; et de la suisse Nestlé 338 ( * ) . Les entreprises bancaires, celles de téléphonie et les institutions gouvernementales complètent la liste.

Les dépenses gouvernementales en publicité dans les médias privés ont représenté, en 2002, 7,13 % de l'ensemble de l'investissement publicitaire du pays. Cette même année, les dépenses des pouvoirs publics - municipaux, des états et fédéraux -, de l'ordre de 3 milliards de R$ - soit environ 1 milliard de $EU - ont été plus importantes que celles des gouvernements des États-Unis d'Amérique et de l'Allemagne 339 ( * ) . Les statistiques officielles relatives à la période 1988-2004 (voir tableau 1.4) indiquent qu'à lui seul, le gouvernement fédéral a dépensé en moyenne 796 millions de R$ (284 millions de $EU) par an. En 2005, ce montant s'est élevé à un milliard de R$ (357 millions de $EU) 340 ( * ) . Pour établir un parallèle, le gouvernement fédéral représente à lui seul l'enveloppe des deux plus gros annonceurs privés regroupés.

TABLEAU 1.4

INVESTISSEMENT DANS LES MÉDIAS - GOUVERNEMENT FÉDÉRAL (POUVOIR EXÉCUTIF)

Total Général - Administration Directe (Tous les organes) + Indirecte (Toutes les entreprises) Valeurs en Réaux

Supports

Années

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004*

Téléphone

421.584.731,37

367.224.323,37

394.466.792,94

466.199.755,98

386.600.057,81

343.148.496,73

547.262.283,65

Jornal

107.125.772,26

109.349.596,47

153.146.586,84

119.534.688,94

94.380.398,10

58.047.552,37

120.079.172,80

Revista

58.193.134,79

72.822.022,45

66.091.697,79

71.434.264,32

64.963.824,17

64.507.813,26

94.373.649,63

Radio

59.313.364,23

63.571.055,94

71.828.607,89

92.983.978,31

57.185.905,91

53.548.776,07

96.056.845,03

Outdoor

9.899.253,25

6.666.600,84

11.609.858,14

12.915.765,43

6.952.276,09

5.784.913,73

17.367.914,41

Internet

224.177,56

3.665.333,76

9.655.287,23

11.556.950,51

9.704.017,90

8.108.146,82

12.493.462,62

Autres

15.692.479,31

8.213.106,32

18.387.306,16

31.388.636,23

23.586.119,56

30.284.045,81

52.338.923,34

Total

672.032.912,77

631.512.039,15

725.186.136,99

806.014.039,72

643.372.599,54

563.429.744,79

939.972.215,48

Source : Notes : Valeurs courantes indexées sur l'indice IGPM-FGV. Base de données actualisée le 17.02.2006. Les valeurs n'incluent pas les dépenses de publicité légale, de production et de parrainage.

La télévision est le média qui profite le plus. Elle absorbe 58 % de l'enveloppe publique, suivie par la presse écrite - journaux (13 %) et magazines (10 %) 341 ( * ) . La presse sur Internet semble suivre la même tendance de dépendance vis-à-vis des enveloppes publiques, comme le révèlent les données du gouvernement fédéral brésilien. Entre 1988 et 2004, les recettes issues de la publicité de l'État ont augmenté d'environ 5 400 %. En 2005, les dépenses concernant le web, d'une valeur de 14,370 millions de R$ (5,1 millions de $EU), dépassaient déjà les dépenses en publicité sur les télévisions par abonnement et en outdoors.

La publicité transite dans une zone très complexe, dans laquelle la frontière entre la nécessaire transparence publique, la propagande dissimulatrice et l'utilisation politique de l'argent pour l'obtention d'une ligne éditoriale favorable n'est pas claire. Dans la presse locale et régionale, les annonces des gouvernements et des mairies exercent une grande force de pression sur la presse. Ainsi, le pouvoir économique local qui, très souvent, avance main dans la main avec l'élite politique, exerce une influence significative sur le contenu de ces périodiques. En temps de crise, il n'est pas exagéré de supposer que cette dépendance se renforce, diminuant ainsi encore plus les chances d'investissement dans des reportages qui décrivent la réalité de façon critique et analytique. - rapportent ANDRADE et ANTUNES, spécialistes de l'analyse des informations sociales brésiliennes 342 ( * ) .

Dans de nombreux cas, les faveurs des autorités publiques sont vues comme un moyen de modérer ou même d'annihiler l'esprit critique et l'indépendance éditoriale. Une façon de créer un esprit maison qui convienne à l'annonceur. Dans d'autres cas, c'est une manière de stimuler et de récompenser l'existence d'un journalisme de convenance. Ce tableau, typique de la presse brésilienne, est baptisé de clientélisme.

Clientelism refers to a pattern of social organization in which access to social resources is controlled by patrons and delivered to clients in exchange for deference and various kinds of support. It is a particularistic and asymmetrical form of social organization, and is typically contrasted with forms of citizenship in which access to resources is based on universalistic criteria and formal equality before the law. [...] Clientelism tends to break down the autonomy of social institutions, and journalism is no exception. It forces the logic of journalism to merge with other social logics - of party politics and family privilege, for instance. And it breaks down the horizontal solidarity of journalists as it does of other social groups - expliquent HALLIN et PAPATHANASSOPOULOS 343 ( * ) .

Il s'agit d'un héritage du début du XIXe siècle et qui perdure jusqu'à nos jours. Le clientélisme a de nombreuses compensations financières et politiques. Fin 2002, par exemple, le gouvernement fédéral et les élites parlementaires ont accordé la concession de prêts aux entreprises médiatiques en situations favorables et le refinancement de leurs dettes. Elles ont même modifié la Constitution brésilienne pour autoriser la vente au capital international d'entreprises de communication. La modification a été effectuée à quelques semaines des élections générales brésiliennes. La quasi-totalité des partis - sauf le Parti Démocratique Travailliste - a appuyé la réforme constitutionnelle qui a abrogé à tambour battant l'interdiction de participation de capital étranger aux entreprises journalistiques et de communication au Brésil. Comme tous les médias souhaitaient se capitaliser, voter contre une telle revendication des entreprises, même si elle pouvait éventuellement être contraire aux intérêts nationaux ou aux principes idéologiques, aurait été d'une grande témérité. L'opposant se serait retrouvé à la merci de l'humeur du chef d'entreprise et d'une couverture portant préjudice à sa réélection.

a) La publicité déguisée en journalisme

En plus d'influer sur les critères éditoriaux, les enveloppes publicitaires peuvent aussi être utilisées pour une action plus efficace de détournement de la fonction journalistique. L'emploi des faveurs publiques ne garantit pas toujours des textes avec la tournure souhaitée. L'enveloppe publicitaire ne peut pas non plus toujours être utilisée ouvertement, principalement lorsqu'elle provient des pouvoirs publics. La diffusion massive de publicité de l'État sous son format traditionnel peut faire planer des doutes et provoquer des critiques dans les forces d'opposition, et entraîner la suspicion et susciter l'envie de la concurrence. Pour éviter de tels inconvénients, on pratique au Brésil un produit médiatique appelé dans le jargon professionnel matéria-paga (publi-reportage ou publi-rédactionnel).

Il s'agit d'une manière camouflée de rendre effective la politique de bonnes relations avec les grands annonceurs, sans pour autant donner une visibilité excessive aux dépenses. Il se présente sous la forme d'un article, d'une interview ou d'un reportage à visée clairement publicitaire ou propagandiste, mais déguisé sous un format journalistique. La pratique se révèle très courante dans le radiojournalisme, en particulier sur les stations qui vendent des espaces de leur programmation. Pour faire face aux dépenses, les radiojournalistes se voient obligés de trouver de source de financement pour leurs programmes. Fréquemment, les radialistas (professionnels de la radio) forment des alliances avec des hommes politiques, ce qui leur assure un revenu et une protection. [...] Comme les sources de publicité commerciales sont insuffisantes, les radialistas ont l'habitude de signer des contrats avec des administrations municipales pour faire de la divulgation et promouvoir leurs activités. Ils incluent parfois des paiements «au noir» pour garantir la fidélité du radialista - rapporte Nonato Lima, professeur à la Faculté de Communication de l'Université Fédérale du Ceará 344 ( * ) . Le public, qui n'est pas au courant, consomme un mélange hybride de publicité pure et de technique rédactionnelle journalistique. En d'autres termes, une publicité dissimulée sous les traits du journalisme 345 ( * ) .

La majorité de ces publi-reportages n'est signalisée par aucun repère graphique ou sonore qui les identifie en tant qu'Information Publicitaire. Pas même par de simples indices graphiques, tels que l'encadrement du texte ou le changement de police ou de corps des lettres.

Le `publi' s'épanouit aux marges de la déontologie de la presse. Pour que l'effet rédactionnel soit assuré - le lecteur doit avoir l'impression de lire un `vrai' papier - le `public' est, en effet, très fréquemment écrit par des journalistes professionnels souvent collaborateurs du titre dans lequel il passera - soulignent CHAISE et TIXIER-GUICHARD 346 ( * ) .

Paradoxalement, ce produit rédactionnel peut hériter des valeurs symboliques d'indépendance et d'objectivité traditionnelles dans le journalisme. Pour les annonceurs, l'utilisation de cet hybride permet d'apposer la crédibilité journalistique à un message publicitaire ou propagandiste - généralement sur des faits publics ou des entreprises - et en même temps de faciliter le transfert camouflé d'enveloppes publicitaires vers les moyens de communication.

Au Brésil, l'un des facteurs stimulants de ce que DINES classe comme un phénomène éditorial en Amérique Latine a été le programme l'Alliance pour le Progrès, idéalisé par John Kennedy. Ce qu'on appelle le Plan Marshal pour le Tiers Monde exigeait de manière contractuelle la divulgation publique de ses résultats dans des textes journalistiques et prévoyait à cet effet, dans les budgets, les fonds pour couvrir une telle divulgation. L'Alliance a servi à stimuler un journalisme boiteux et une source de revenu pernicieuse 347 ( * ) . L'exigence nord-américaine satisfaisait les hommes d'affaires brésiliens de l'information, qui vendaient des espaces dans leurs publications, ainsi que de nombreux professionnels de la presse qui étaient rémunérés en extra pour écrire les informations publicitaires. Il en était de même du côté du gouvernement. Pour obtenir des reportages élogieux, les militaires payaient les supports imprimés, tels que la Revista Manchete, qui se présentait comme le Paris-Match brésilien, et des programmes de radio et de télévision, comme en particulier le programme Amaral Neto, o repórter, diffusé pendant des années par le Réseau Globo de Télévision.

Le Code Éthique de l'Association Nationale des Journaux (ANJ) condamne l'utilisation de publi-reportages ou publi-rédactionnels, mais le phénomène éditorial parait s'être enraciné et continue à être pratiqué, notamment dans la presse régionale. Selon RODRIGUES, en 2002, le gouvernement de l'État du Paraná, qui représente le sixième État du Brésil en termes de richesses, a dépensé à lui seul environ 6,5 millions de R$ (2,3 millions de $EU) pour le paiement de la diffusion de 187 publi-reportages et publi-rédactionnels. À l'époque, le montant équivalait à 7,5 % des dépenses totales en publicité officielle du Paraná 348 ( * ) .

Aucune tentative de camouflage de cette pratique n'a eu lieu au niveau comptable ; tous les reportages payés ont été dûment notés dans des factures présentées par les entreprises journalistiques pour recevoir les paiements. Dans certains cas, la facture détaillait même le traitement éditorial demandé. Un texte court, mais avec droit à un gros titre de première page et impression en couleurs dans le Jornal Regional de Loanda coûtait 3 200,00 R$ (1 150,00 $EU). Comme toute marchandise, si l'achat concernait un volume plus important, le prix unitaire était réduit. Ainsi, un lot de 22 articles publiés en mars 2002 dans le Jornal do Oeste, de Toledo, a coûté 30 000,00 R$ (10 714,00 $EU). Le prix unitaire représentait presque la moitié de celui du journal concurrent 349 ( * ) .

Les textes des reportages vendus étaient produits par les supports ou par le gouvernement lui-même, mais ils présentaient toujours un ton élogieux en faveur du gouverneur de l'époque, Jaime Lerner. Ces textes ont été publiés en période pré-électorale et la pratique visait aussi à contourner l'interdiction imposée par la Justice Électorale de diffusion de publicité gouvernementale. L'interdiction avait pour but d'éviter l'utilisation de fonds publics pour influencer indûment l'électorat. Les supports n'ont pas indiqué à leurs lecteurs que le matériel publié était de la publicité d'État.

Pour DINES, l'utilisation de publi-reportage ou publi-rédactionnel sévit au Brésil comme une plaie 350 ( * ) . L'emploi indiscriminé de ce type de matériel rédactionnel a contribué à mélanger les territoires professionnels, les styles et les genres communicationnels. Ainsi, publicité et journalisme occupent parfois le même espace et sont présentés à l'opinion publique sans identités distinctes. Sous l'aspect du territoire professionnel, beaucoup de membre des rédactions ont déjà été désignés par leurs supérieurs immédiats pour produire des textes favorables aux sources, certains étant choisis et rémunérés par le département commercial. La production, par la rédaction, de suppléments créés par le département commercial des supports est une pratique courante pour accroître les recettes des entreprises journalistiques, ainsi que les revenus des journalistes. La rémunération de ces derniers est d'habitude au noir, dans ce qu'on appelle la caixa 2 (caisse deux), une routine qui a été corporativement baptisée jabá. L'utilisation de journalistes pour cette tâche découle de la nécessité que ce dernier gère, mieux que quiconque, les techniques discursives propres au journalisme.

b) Le marketing comme critère de notiziabilità

Le facteur intérêt public, en tant que critère de notiziabilità, ne constitue pas le seul élément de sélection des faits, encore moins l'élément prépondérant. Dans l'analyse de ce qui possède une valeur nouvelle, outre les influences politiques et le poids économique des enveloppes publicitaires - citées plus haut -, deux autres aspects doivent être considérés : l'intérêt mercantile, c'est-à-dire celui de vendre plus, de capter plus d'audience, et celui d'attirer de nouveaux annonceurs, notamment de l'initiative privée. L'application de lignes et de comportements éditoriaux suivant ce profil - normalement décidés par les propriétaires des moyens informatifs - est pointée comme l'origine de l'abandon, par la presse, des thèmes socialement importants. Ce qu'on appelle le journalisme de marché contribue à diminuer la crédibilité de la presse auprès de l'audience et entraîne un climat de méfiance entre l'émetteur et le récepteur, principalement en ce qui concerne l'indépendance de la pratique professionnelle 351 ( * ) . Le journalisme a - selon MARSHALL - subi des changements radicaux, dictés par l'éthique de la liberté capitaliste postmoderne.

L'éthique du capital pénètre et s'immisce dans la presse avec le pouvoir d'un `deux ex machina' de la post modernité. Le langage de l'intérêt public, auparavant immaculé, en vient à devenir préférentiellement une sphère de manipulations et de dérèglements. La presse en vient, par conséquent, à parler le langage du capital. [...] Le journalisme postmoderne se transforme en un journalisme à l'eau de rose, `marketisé', esthétisé et essentiellement light, un amalgame esthétique et capitaliste, un instrument-moyen des objectifs directs ou indirects du système et de la logique ultralibérale 352 ( * ) .

Une lecture similaire est proposée par le journaliste Mino Carta, rédacteur en chef de le magazine Carta Capital, selon lequel les supports brésiliens prêchent l'idée que ce qui est intéressant dans l'information, c'est le marketing. Vous devez stimuler la polémique pour vendre plus. [...] C'est pour cela que nous avalons tant de bêtises 353 ( * ) . Les paradigmes des entreprises journalistiques déjà structurées en unités de production et de traitement capitaliste les soumettent à l'ultra logique du marché, de l'audience et du profit et les encourage à pratiquer la méta production, le méta traitement et la méta distribution des signes de la publicité, en modifiant les principes de construction et de sélection de l'information 354 ( * ) . Il ne reste pas beaucoup d'alternatives au professionnel, en tant que salarié. Le journaliste de presse de marché - comme le souligne KUPFER - doit avoir à l'esprit qu'il travaille dans une entreprise - un type d'organisation orientée vers l'obtention du profit maximum 355 ( * ) . RIBEIRO rappelle pour sa part que dans la presse nationale, les convictions personnelles ou les objections de conscience des journalistes résonnent comme des insubordinations, qui peuvent entraîner la perte de l'emploi 356 ( * ) . Pour SEGISMUNDO, dans la presse brésilienne prévaut ce qu'il appelle la théorie du porte-manteau. Les convictions et idéologies personnels des journalistes son comme un manteau qu'ils doivent pendre sur le porte-manteau à la porte d'entrée des rédactions. À l'intérieur de la rédaction, les convictions patronales prévalent 357 ( * ) .

Même lors de périodes sensibles pour une nation, les critères éditoriaux peuvent être assujettis à la force de la politique ou du marketing. La campagne des Diretas Já en 1984 - l'une des principales mobilisations sociales contre la dictature militaire, qui visait la réalisation immédiate d'élections libres et démocratiques pour la présidence de la République - en est un bon exemple. Dans certains supports, comme ceux des Organisations Globo de Communication, elle a été autocensurée ou dénaturée par des questions idéologico-éditoriales 358 ( * ) . Dans d'autres, comme le journal Folha de São Paulo - un support sympathisant de la première heure de la dictature militaire - elle a été accompagnée de façon exemplaire. Le motif : de simples raisons de marché. Tout a été une option de marketing - rapporte RIBEIRO 359 ( * ) - dans le cadre d'une stratégie réussie de construction d'une nouvelle image pour le journal. Une image d'indépendance éditoriale visant à augmenter les ventes, qui à l'époque ne figuraient pas parmi les trois plus importantes. Aujourd'hui, elle détient le plus grand tirage quotidien du pays, avec 440 000 exemplaires en moyenne le dimanche et 330 000 les jours ouvrables.

Pour MARSHALL, le concept classique de journalisme a été contaminé. L'objectivité, l'impartialité et la neutralité informative ont été mises de côté et remplacées par la logique mercantile des entreprises. Le nouveau journalisme est lié au marketing et l'on constate, selon lui, une promiscuité entre information et propagande. Les nouvelles perdent leur mission première d'informer et en viennent à propager des idées, des personnages et des produits d'autres acteurs, dans une inversion radicale des valeurs, sous une forme métisse de communication. Une publicité qui n'est plus implicite, comme c'est naturel dans tous les processus linguistiques qui véhiculent principalement des idéologies, mais une propagande explicite, qui passe avant le rôle prioritaire d'informer 360 ( * ) .

c) Le spectacle comme critère de notiziabilità

La quête incessante d'audience et de profit a fait apparaître ce qu'on appelle le journalisme de divertissement, l'info-entreteniment. Inspiré des techniques de marketing, il implique l'abandon de la couverture d'informations plus sérieuses - ce qu'on appelle les hard news - pour l'adoption du divertissement. Celui-ci attirerait de plus fortes audiences, il serait moins cher à produire et plus facile à vendre 361 ( * ) . Selon les termes de MATHIEN :

la dérive de ce journalisme rejoint une conception de l'offre propre aux théories du marketing qui construisent, en leur sein, des concepts de communication adaptés aux finalités du commerce et de la vente et qui trouvent place dans l'activité productrice des médias 362 ( * ) .

L'info-entreteniment - défini par DE BONVILLE comme un cas d'hybridation inter-médiatique fondée sur l'opposition des pôles réalité/fiction et information/diversion 363 ( * ) - est considéré comme un journalisme de spectacle, reposant sur des bases stéréotypées de la réalité. Selon les termes de MARCONDES FILHO, il contribue à la dépolitisation du public et conspire contre les intérêts d'émancipation et d'autodétermination du citoyen 364 ( * ) . Si, d'un côté, il offre au public un moyen de fuir les préoccupations du quotidien 365 ( * ) , de l'autre, en s'alimentant de la logique capitaliste du marketing et de la publicité, il place au second plan la mission d'informer. Le professionnel perd ainsi son référentiel ; dans les médias, les genres journalistiques traditionnels se transforment avec l'introduction d'éléments communs au spectacle.

L'information cesse de signifier la représentation symbolique des faits pour se présenter comme un produit hybride qui associe tantôt la publicité, tantôt le divertissement, tantôt la persuasion, tantôt la consommation. [...] l'information devient un support de transport pour des intentions diverses et subjectives, en cessant souvent de remplir sa mission immanente d'informer - souligne MARSHALL 366 ( * ) .

En vue de capter une plus grande audience, les journaux télévisés utilisent la dramatisation des faits rapportés, en mêlant aux reportages des recours traditionnels du cinéma ou du théâtre - comme la construction de personnages et la reconstitution de crimes en faisant appel à des artistes - ; ils emploient des trucages et des images d'archives non identifiées comme telles, parmi tant d'autres outils.

Le binôme information-spectacle facilite la commercialisation des contenus médiatiques 367 ( * ) . Certains thèmes et certaines personnes interviewées en viennent à être définis en fonction de la capacité de vente du produit et de l'épaisseur du portefeuille de sponsors offert. Pour avoir accès à des programmes/publications donnés, certaines entreprises en viennent à financer une part substantielle de leur réalisation 368 ( * ) . Dans les TV, elles en viennent à choisir et à influencer les sujets traités dans presque tous les programmes - souligne la journaliste Diléa Frate, de la TV Globo 369 ( * ) .

La réalité démontre que la porte d'accès au monde de l'information est davantage ouverte aux modalités liées à l'info-entreteniment. En Argentine, un relevé effectué par un organisme public, l'Agence Nationale de Communication (ANC), et divulgué par l'Union de Travailleurs dans la Presse de Buenos-Aires (Utpba) 370 ( * ) indique que près de 70 % de la grille de programmation de deux grandes chaînes de télévision, CableVisión Noticias (CVN) et Multicanal, sont consacrés à l'info-entreteniment. Outre le fait qu'ils consacrent peu d'espace à l'information, les journaux se focalisent sur le spectre thématique qui contribue le mieux à la spectacularisation de la nouvelle. Selon ce même relevé, 40 % du contenu des informations traitent de thèmes liés à la violence, à l'insécurité, aux tragédies et aux catastrophes. C'est la transformation du téléjournalisme en show. En septembre 2002, deux nouvelles sur trois avaient trait à ces contenus. Este gran porcentaje de violencia demuestra cómo los medios de comunicación masivos buscan la instalación de determinados temas, de acuerdo a los intereses políticos y editoriales de sus propietarios, y en donde los trabajadores de prensa tienen limitaciones para incidir en la edición de los contenidos - commente l'Utpba dans une note distribuée à la presse.

* 330 O jornalista da era pós-moderna anula o senso crítico e a capacidade de reflexão e permite-se o ato de submeter o lead e a pirâmide invertida à lógica do mercado. [...] Ele se rende à invisível censura do mercado e estabelece a própria autocensura. MARSHALL, op.cit. p. 32.

* 331 Metade dos jornais, rádios e TVs no país iria à falência no dia seguinte se fosse proibido aceitar propaganda estatal - seja federal, estadual ou municipal. RODRIGUES, Fernado, 2006.

* 332 O que se vê na história da grande imprensa é mais a defesa de interesses de forças sociais especificas - em última análise, o seu mercado patrocinador. RIBEIRO, op. cit. p.106.

* 333 A publicidade seleciona programas de acordo com seus princípios e valores que, com raras exceções, são cultural e politicamente conservadores. Grandes companhias de publicidade raramente irão patrocinar programas com conteúdos críticos e ideológicos. GUARESCHI, op. cit. p. 107.

* 334 Cf. Anatel, 2004, p. 22.

* 335 Cf. www. adage.com.

* 336 QUADROS, JUNIOR, Itanel Bastos de, 2001.

* 337 VOLTOLINI, Luiz, 2005.

* 338 ANJ, 2000, p. 37-39.

* 339 LIMA, Venício A. 2006.

* 340 Ces valeurs n'incluent pas: la publicité légale - avis, etc. - ni les coûts de production des pièces publicitaires et des campagnes. Les dépenses pour le parrainage d'événements ont également été exclues. Les dépenses du gouvernement fédéral brésilien en publicité peuvent être consultées sur le portail du Secrétariat de Communication Sociale de la Présidence de la République.Cf.http://www.presidencia.gov.br/estrutura_presidencia/Subsecretaria/.arquivos/totalgeral060821.pdf

* 341 Le segment télévision absorbe 57 % de la somme globale des enveloppes publicitaires (public et privé), les journaux 21 %, les magazines 10 %, la radio 5 %, Internet et les Outdoors 2 % chacun, et la TV payante, 1 %. 2 % sont investis dans les médias étrangers. Cf. anatel, op.cit.

* 342 Na imprensa local e regional, os anúncios dos governos e das prefeituras exercem uma grande força de barganha sobre a imprensa. Assim, o poder econômico local que, muitas vezes, anda de braços dados com a elite política, detém significativa influência no conteúdo desses periódicos. Em tempos de crise, não é um exagero supor que essa dependência se fortalece, diminuindo ainda mais as chances de investimento em reportagens que retratem a realidade de forma crítica e analítica. ANDRADE, Patrícia et ANTUNES, Patu, 2003, p. 11.

* 343 HALLIN, Daniel C. et PAPATHANASSOPOULOS, Stylianos, 2002, p. 185-189.

* 344 Freqüentemente os radialistas formam alianças com políticos, o que lhes proporciona renda e proteção. [...] Como as fontes de publicidade comercial são escassas, os radialistas costumam assinar contratos com administrações municipais para fazer divulgação e promover suas atividades. Algumas vezes incluem pagamentos «por fora» para garantir a fidelidade do radialista. LIMA, Nonato, apud LAURIA, Carlos et RODRIGUES, Sauro G., 2006.

* 345 CHAISE, Daniel et TIXIER-GUICHARD, Robert, 1993, p. 176.

* 346 Idem

* 347 A Aliança serviu para estimular um jornalismo aleijão e uma fonte de renda perniciosa. DINES, Alberto, 1974, p. 127.

* 348 RODRIGUES, Fernando, 2003.

* 349 Idem.

* 350 Viceja como uma praga. DINES, Alberto, 1974, p. 127.

* 351 TIXIER--GUICHARD et CHAIZE, 1993, p. 141/211.

* 352 A ética do capital penetra e se imiscui na imprensa com o poder de um deux ex machina da pós modernidade. A antes imaculada linguagem do interesse público acaba tornando-se preferencialmente uma esfera de manipulações e licenciosidades. A imprensa passa, conseqüentemente, a falar a linguagem do capital. [...] O jornalismo pós-moderno transforma-se em um jornalismo cor-de-rosa, marketizado, estetizado e essencialmente light, um amálgama estético e capitalista, um instrumento-meio dos objetivos diretos ou indiretos do sistema e da lógica ultra liberal. MARSHALL, op. cit. p.17.

* 353 Você tem que estimular a polêmica para vender mais. [...] É por isso que engolimos tantas bobagens. Mino Carta, apud VIEIRA, Geraldo, 1991, p. 57.

* 354 MARSHALL, op cit, p. 16.

* 355 O jornalista de imprensa de mercado precisa ter em mente que trabalha numa empresa - um tipo de organização orientada para a obtenção do máximo lucro. KUPFER, José Paulo, 1998, p. 167.

* 356 as convicções pessoais ou objeções de consciência dos jornalistas soam como insubordinações. RIBEIRO, idem, p. 209.

* 357 Fernando Segismundo, president de l'ABI, en temoigne donnée a cet auteur le 22/07/2002.

* 358 Pour plus de détails sur l'action éditoriale de la Rede Globo voir SAMPAIO, Ivanildo, 1994.

* 359 La décision de couvrir les Diretas já, qui a différencié le journal du reste de la presse, a été proposée par le reporter Ricardo Kotscho. Il rapporte qu'en 1983, il a été voir le chef de reportage pour lui proposer de couvrir les manifestations populaires. En raison du caractère politiquement délicat du thème, celui-ci ne s'est pas senti autorisé à décider, malgré le poste qu'il occupait. Le sujet a été directement transmis au propriétaire du journal. Il a été accepté. Il faut souligner que peu de temps après l'échec des Diretas Já et la réalisation d'un nouveau processus électoral indirect et considéré comme biaisé, la Folha a adopté une posture éditoriale classée comme un soutien au candidat qui représentait le régime militaire, Paulo Maluf, contre celui qui incarnait les forces en faveur de la démocratie. RIBEIRO, op.cit. p. 106.

* 360 Uma publicidade que não é mais implícita, como é natural em todos os processos lingüísticos que transportam principalmente ideologias, mas uma propaganda explicita, que se antepõe ao papel prioritário de informar. MARSHALL, op. cit, p. 39-41.

* 361 Idem, .p. 27.

* 362 MATHIEN, Michel, 2001, p. 119.

* 363 DE BONVILLE, Jean de, 2001, p. 20.

* 364 MARCONDES FILHO, Ciro, 1989, p. 36.

* 365 BELTRO, op. cit. p. 13.

* 366 A informação deixa de significar a representação simbólica dos fatos para se apresentar como um produto híbrido que associa ora a publicidade, ora entretenimento, ora persuasão, ora consumo. [...] A informação vira um veículo de transporte para várias e subjetivas intenções, deixando muitas vezes de cumprir sua missão imanente de informar. MARSHALL, op. cit. p. 36.

* 367 GALÁN, Gamero, 2005, p. 76-77.

* 368 CHAISE, Daniel et TIXIER-GUICHARD, Robert, 1993, p. 141/211.

* 369 Frate, Diléa, 1997, p. 37.

* 370 Cf. bulletin d'information divulgué sur Internet, le 31/10/2002, par l'UTPBa.

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