2. L'apparition de la structure syndicale et de la carte de presse

Les syndicats de journalistes n'ont vu le jour qu'à la fin des années 1930 (ceux de Rio de Janeiro et de São Paulo ont été fondés en 1935 et 1937, respectivement) 384 ( * ) . Jusqu'alors, c'était l'Association Brésilienne de la Presse, créée le 7 avril 1908, qui représentait les intérêts des employés tout comme des employeurs. La création tardive de syndicats de travailleurs est peut-être due à la propre ambiguïté de la personnalité professionnelle des journalistes, tantôt combinaison d'employé et d'employeur, tantôt associé à d'autres activités, comme nous l'avons déjà décrit.

L'ABI a l'habitude de se présenter elle-même comme l'embryon des syndicats de journalistes professionnels du Brésil 385 ( * ) . Peut-être en raison des idéaux de son mentor, Gustavo de Lacerda, qui était loin de représenter le standard sociopolitique prépondérant des journalistes d'alors. C'était un ex-militaire, noir 386 ( * ) , classé idéologiquement comme un républicain socialiste et qui gagnait sa vie exclusivement de son travail au journal 387 ( * ) . Son rêve, créer la résistance des journalistes comme élément d'organisation des prolétaires travailleurs intellectuels 388 ( * ) , a été substitué par une entité qui représentait les intérêts des professionnels et des propriétaires de la presse.

L'ambition des pionniers de l'ABI était l'assistance et prévoyait de gérer une caisse de pensions et d'aides de prévoyance, d'établir un service médico-pharmaceutique, et de construire une maison de repos pour les journalistes âgés et un hôpital. Ils prévoyaient aussi de créer une société de protection des enfants journaliers. Tous seraient couverts, depuis le chef d'entreprise de l'information jusqu'au vendeur au détail, en passant par le travailleur de l'information. Tous sous le même parapluie. Cette ambitieuse mesure n'a pas abouti. Et la proposition de Lacerda de construire une association qui fonctionne comme un instrument de lutte social des journalistes n'a pas eu d'écho, pas même dans les premiers statuts de l'ABI 389 ( * ) .

Depuis la fondation des syndicats au Brésil, les moments de friction avec l'association ont été nombreux et les actions conjointes en faveurs des journalistes ont été rares. Le mouvement syndical brésilien a pris de l'importance dans les Années Vargas - 1930-45 et 1950-54 390 ( * ) . L'anarchisme a alors cédé la place au communisme et l'ABI, dont il faut rappeler qu'elle réunissait également le patronat, ne nourrissait aucune sympathie pour l'idéologie marxiste. L'habileté de l'insertion politique de l'entité au sein de la corporation a été de se rapprocher de l'État pour obtenir des avantages publics en faveur des journalistes, comme il le faisait déjà vis-à-vis des entreprises. Dans une relation contraire au principe d'éloignement entre la presse et le pouvoir, l'entité a conquis, pour ceux qu'elle représentait, une série de privilèges fiscaux et matériels, obtenus pour la plupart au nom de la liberté d'expression et qui sont aujourd'hui vus comme les fruits d'une conduite corporative des journalistes et des hommes d'affaires de la communication. (Voir détails dans l'item 1-A-2 - Les rapports de symbiose entre l'État et les journalistes).

La double personnalité de l'ABI - représentant à la fois les entreprises de communication et les travailleurs - provoquait une sorte d'ambiguïté institutionnelle qui empêchait la construction d'une identité professionnelle spécifique du journaliste en tant qu'employé et salarié. Une ambiguïté qui se reflétait dans le profil du corps dirigeant de l'association. Hebert Moses, qui l'a présidé comme un véritable caudillo pendant 35 ans - entre 1931 et 1966 -, a accumulé les fonctions de directeur trésorier du journal O Globo avec celle de journaliste institutionnel dans l'entreprise de tabac Souza Cruz. Ainsi, le principal dirigeant de la principale entité de presse du pays avait non seulement un double emploi, mais aussi de multiples personnalités : dirigeant d'entreprise, employé et également pratiquant du journalisme institutionnel.

Fernando Segismundo, qui a intégré sa direction à partir de 1949, considère qu'elle montrait une certaine partialité envers les salariés et en faveur du patronat 391 ( * ) . Le délai mis pour obtenir un cadre légal établissant un statut pour les journalistes est lui-même attribué au désintérêt des représentants des entreprises journalistiques présents à la direction de l'ABI. Indépendamment de la nature exacte de son action, il est sûr que dans l'histoire nationale, l'association se distingue en tant que pionnière parmi celles qui ont cherché à résoudre les problèmes journalistiques, en particulier l'introduction de l'enseignement du journalisme, du registre professionnel et la mise en place de normes déontologiques pour la profession.

* 384 Actuellement (2007), il existe 32 syndicats au Brésil, cela représente presque un syndicat par État.

* 385 Dans les années 1920, d'autres entités représentatives des journalistes et/ou des entreprises journalistiques ont été créées, telles que le Circulo de Imprensa, en 1922, et l'Associação de Imprensa Brasileira, en 1926. En 1931, sous la direction de Barbosa Lima Sobrinho, l'ABI a incorporé les deux entités au sein de sa structure.

* 386 Cette information sur l'ethnie d'appartenance de monsieur Lacerda est importante du fait que l'esclavage a n'été définitivement aboli au Brésil qu'en 1888, donc seulement vingt ans avant la création par un journaliste noir de l'ABI.

* 387 MOREL, Edmar, 1985, p. 23-45.

* 388 SEGISMUNDO, op. cit. p. 85.

* 389 Idem, p. 85 et 93.

* 390 La proposition du Varguismo visait à la construction d'un leadership fort dans le milieu syndical. À cet effet, des mesures politiques publiques ont été adoptées, en particulier les réformes économiques et sociales auxquelles aspiraient les salariés. Afin d'éviter qu'un secteur important de la classe ouvrière adhère au Parti Communiste du Brésil - PCB, Vargas a autorisé son ministre du Travail, Alexandre Marcondes Filho, à organiser le Parti Travailliste Brésilien - PTB, en le fondant sur le prolétariat. L'appareil syndical, monté à partir de 1930, lui a servi d'ossature, faisant ainsi du Ministère du Travail, en l'absence d'une centrale ouvrière, sa source de pouvoir. (MONIZ BANDEIRA, 2001: 54.)

* 391 SEGISMUNDO, op.cit. p. 70.

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