C. LES VALEURS DÉONTOLOGIQUES ET LES ROUTINES PROFESSIONNELLES

Les valeurs morales et les principes qui nous aident à définir ce qui est juste et erroné forment ce que nous pouvons appeler les valeurs éthiques 1094 ( * ) . Dans notre recherche sur le terrain, nous avons tenté d'identifier les valeurs éthiques qui guident les journalistes des médias du Sénat et qui interfèrent dans leurs routines professionnelles. Celles-ci ont été évaluées selon deux points de vue : a) les paramètres établis par l'employeur et b) ceux que le professionnel utiliserait de sa propre volonté. Les personnes interrogées ont démontré posséder des conduites plus rigides que leurs collègues de la presse traditionnelle qui formaient le groupe contrôle. Sur une échelle de trois points, les journalistes du groupe test ont obtenu une moyenne de 2,70, tandis que le groupe contrôle a enregistré 2,43.

Pour arriver à ce résultat, des balises éthiques ont été placées en association avec huit situations courantes dans le quotidien journalistique. Les personnes interrogées avaient trois options de réponses:

(a) J'adopterais facilement une telle posture, je ne vois aucun mal à cela, elle est journalistiquement valide et ne va pas à l'encontre de mes principes éthiques.

(b) Je n'adopterais une telle posture que si je me trouvais dans une situation importante et, ainsi, je ferais une entorse à mes paramètres éthiques.

(c) Je n'adopterais jamais une telle posture.

Dans la compilation des réponses, les lettres indicatives A, B et C ont été traduites en notes de 1 à 3, où 3 représente une posture plus rigide, dans laquelle le professionnel n'adopterait jamais un tel procédé et 1 équivaut à l'utilisation de ce dernier sans aucune restriction d'ordre éthique. La note 2 représente une position intermédiaire, dans laquelle la flexibilité des valeurs éthiques peut avoir lieu dans des cas exceptionnels.

D'une manière générale, les membres du groupe test ne sont ouverts à aucun subterfuge ou stratagème pour obtenir une information (voir détails dans le tableau 3.6) L'incitation au déroulement d'un fait socialement condamnable dans le seul objectif de le transformer en nouvelle est la pratique qui a provoqué le plus grand rejet de la part de ces professionnels du Sénat. L'item a obtenu une note de 2,98, ce qui signifie qu'il est condamné par la quasi-totalité des personnes interrogées 1095 ( * ) . Le rejet est plus intense que celui observé vis-à-vis de l'un des dogmes de la profession, qui est le secret de la source. La possibilité de rompre un accord et révéler le nom d'une source anonyme d'information a enregistré une moyenne de 2,88, ce qui signifie qu'un journaliste du groupe test sur dix admet, dans certaines conditions, ne pas respecter le off the records de ses sources 1096 ( * ) . Il faut noter que la Constitution Fédérale Brésilienne assure aux journalistes le droit au secret professionnel.

Dans deux situations, les deux groupes présentent des standards éthiques de même intensité. Payer des sources pour l'obtention d'informations est une attitude rejetée à raison de 2,8 points et la dissimulation de l'identité professionnelle à 2,49. Quant à la possibilité de se faire employer dans une entreprise ou dans un service gouvernemental pour obtenir clandestinement des informations, ces méthodes sont condamnées au sein du groupe test (2,75) avec une intensité supérieure de 12 % à celle constatée chez les correspondants 1097 ( * ) .

TABLEAU 3.6

LE COMPORTEMENT ETHIQUE

Situations

Journalistes MSSF

Correspondants parlementaires

La stimulation à l'événement d'un fait socialement condamnable seulement dans l'objectif de le transformer en actualité

2,98 (1°)

2,88 (1°)

Révéler le nom de la source anonyme

2,88 (2°)

2,58 (3°)

Le paiement de sources pour l'obtention d'informations

2,80 (3°)

2,80 (2°)

Travailler dans une entreprise, ou dans une entité gouvernementale pour clandestinement obtenir des informations

2,75 (4°)

2,47 (4°)

La dissimulation de l'identité professionnelle

2,49 (5°)

2,49 (5°)

Source : Élaboration personnelle à partir des données recueillies dans l'enquête de terrain - Brésil 2005

L'utilisation sans autorisation de documents ou de photographies de personnes ou d'institutions gouvernementales et privées déplait aussi aux professionnels du Sénat. Sur ces points, les différences entre les groupes s'accentuent et révèlent que la presse traditionnelle est plus ouverte à toutes les méthodes d'obtention d'informations que les professionnels du Sénat, qui travaillent préférentiellement sur la base de documents et d'images dont la divulgation a été autorisée.

L'utilisation non autorisée de documents par les professionnels a été mesurée pour trois origines : documents personnels et photographies intimes ; documents et photographies officiels ; et documents confidentiels gouvernementaux ou de l'initiative privée. Selon THOMPSON, une fois acceptée l'idée que les rideaux qui couvraient les régions supérieures du pouvoir pourraient être retirés, il devint difficile de maintenir une distinction stricte entre les secrets portant sur l'exercice du pouvoir et les secrets concernant la conduite de la vie privée 1098 ( * ) .

TABLEAU 3.7

L'UTILISATION NON-AUTORISÉE DE DOCUMENTS ET/OU PHOTOS

Situations

Journalistes MSSF

Correspondants parlementaires

L'utilisation indue de documents personnels et photos intimes

2,85 (1°)

2,62 (1°)

L'utilisation de documents confidentiels, publics ou privés,

2,53 (2°)

2,00 (2°)

L'utilisation sans autorisation de la source de documents ou photos officielles qui n'ont pas été classés comme confidentiels

2,29 (3°)

1,88 (3°)

Source : Élaboration personnelle à partir des données recueillies dans l'enquête de terrain - Brésil 2005

Ce dilemme est plus délibérément présent chez les journalistes des MSSF que chez leurs collègues de la presse traditionnelle. L'utilisation indue de documents personnels et de photographies intimes est celle qui provoque le plus grand rejet, avec 2,85 points, soit une évaluation équivalente à celle de la possibilité de rompre le secret de la source. Vient ensuite l'utilisation de documents confidentiels, publics ou privés, pour laquelle les journalistes du Sénat, avec 2,53 points, se positionnent entre le rejet total de ce procédé et la possibilité de l'adopter dans des situations déterminées. Un tiers de ces professionnels admet l'éventuelle utilisation sans autorisation de documents de cette nature. Le plus faible niveau de rejet a été constaté pour l'utilisation sans autorisation de la source de documents ou de photographies officiels qui n'ont pas été classés comme confidentiels. La moyenne du groupe a été la plus faible observée parmi toutes les questions évaluées : 2,29 points 1099 ( * ) (voir tableau 3.7).

Le groupe contrôle a présenté, pour ces items, un comportement bien plus flexible, avec respectivement 2,62, 2,00 et 1,88 points. Ceci signifie que l'utilisation sans autorisation de documents gouvernementaux ou privés, confidentiels ou non, est une routine plus faisable chez les journalistes accrédités pour la couverture du Parlement Brésilien. L'utilisation de documents personnels et de photographies intimes se place en position intermédiaire, entre le rejet total et l'utilisation éventuelle, selon la situation.

Bien que les valeurs déontologiques soient en priorité de nature personnelle, la différence de valeurs entre les deux groupes de journalistes peut être la conséquence directe des standards des supports pour lesquels ils travaillent. Dans la presse de profil privé principalement, le journaliste voit à certains moments ses principes personnels en opposition avec les standards de nature éthique de ses employeurs. La production journalistique de la presse traditionnelle subit une interférence d'inspiration mercantile, dans la quête de plus grandes audiences, et, pour cette raison, n'adopte pas toujours des limites socialement acceptables. Un point de polémique constant est par exemple l'utilisation de caméras ou de microphones cachés.

L'existence d'un standard éthique moins rigide dans la presse traditionnelle, par rapport à celui pratiqué par les journalistes du Sénat, peut de même être attribuée au modèle de journalisme plus investigateur et spéculatif réalisé par les professionnels de ce secteur. Cette modalité implique normalement la nécessité de dépasser certaines limites de comportement. Les médias du Sénat tendent, eux, à travailler sur des faits visibles, en évitant les investigations et les spéculations.

Comme les MSSF sont plus intéressées par le Parlement, en tant que sujet journalistique, ces dernières tendent à placer à un niveau d'importance secondaire les faits étrangers à leur cible principale, mais qui tendent à être des éléments clés selon les critères de notiziabilità de certains supports. Comme par exemple les thèmes relatifs à la vie personnelle des acteurs du Sénat. Excepté dans les cas où les thèmes de cette nature en viennent à créer des interférences sur le processus politique parlementaire, les MSSF n'auront aucune raison de fouiner dans la vie personnelle de quiconque. D'où la claire démonstration, chez les journalistes du groupe test, qu'ils sont davantage préoccupés par la préservation de la vie privée des personnages des actualités.

1. Paramètres personnels versus patronaux

Au quotidien, tout journaliste doit administrer le conflit entre ses valeurs personnelles et les critères éditoriaux établis par les employeurs, par l'esprit maison. L'information qu'il diffuse est construite par l'interaction de forces situées aux niveaux personnel, social, ainsi que du milieu physique et technologique et, évidemment, de l'entreprise (du détenteur du moyen de communication, soit étatique, soit d'initiative privée). C'est une tâche ardue et qui comporte des risques, car dans certaines situations, au delà de la dignité journalistique, ce qui est en jeu, c'est la crédibilité professionnelle, la stabilité de l'emploi et l'avenir lui-même, la carrière du journaliste.

Dans les médias du Sénat, les balises éditoriales implantées par ce dernier ne sont pas perçues de façon fort claires dans l'esprit de ses professionnels. Et il existe de fait un conflit entre les valeurs éditoriales personnelles et celles établies par l'institution.

À partir de questions sur les deux principaux paramètres qui seraient établis par le Sénat pour la couverture des faits, on perçoit que l'exigence éditoriale est une combinaison de rapidité et de précision. En raison de la compétition entre les moyens de communication, le facteur temps s'est imprégné dans la culture journalistique et dans les valeurs du newsmaking, en supplantant, selon SCHELESINGER, le caractère d'acutualité des faits 1100 ( * ) . ADGHIRNI identifie également en cette époque de webjournalisme une inversion dans les valeurs journalistiques :

L'obsession de la vitesse dans la production et la distribution des nouvelles a modifié les critères de notiziabilità dans la production journalistique contemporaine. L'abondance de l'offre de matière première difforme et incomplète, en flux continu, sus les sites de nouvelles, a inversé le sens traditionnel de la production industrielle [...] La vitesse à l'époque du webjournalisme est devenue une obsession et une fin en elle-même. L'important est de divulguer en temps réel, ou en flux continu, tous les faits à mesure que ceux-ci ont lieu. [...] Autrement dit, la valeur de la nouvelle réside davantage dans son instantanéité que dans sa crédibilité 1101 ( * ) .

Cette vitesse dans la divulgation crée un choc conceptuel, car dans la culture journalistique, la divulgation rapide a toujours été l'ennemie de la précision. Même dans la culture populaire, les deux ne vont pas ensemble. Le proverbe a pressa é a inimiga da perfeição (la hâte est l'ennemi de la perfection, dont l'équivalent français serait la hâte est la mère de l'échec) illustre l'imaginaire social Brésilien. Les journalistes des supports traditionnels, tout comme ceux de source, estiment que la nécessité de vérifier les informations et de les écrire rapidement porte tort à leurs fonctions, comme l'illustrent les témoignages ci-dessous :

La hâte et la surcharge de travail ont une interférence directe sur la qualité du matériel publié. La relation entre qualité de l'information et temps de vérification est totale. Les exceptions sont rares. Un bon reportage demande beaucoup de temps d'investigation et de vérification. Nous ne disposons pas toujours du temps nécessaire. Quand nous l'avons, la qualité de la nouvelle augmente et le lecteur a alors accès à une information plus qualifiée. - Explique le reporter Eumano Silva, du Correio Braziliense 1102 ( * ) .

La production quotidienne conditionne et limite les vérifications et la profondeur du matériel. Le manque de temps et d'espace empêche très souvent la production d'un matériel plus complet. - affirme José Carlos Sigmaringa, de la Rádio Senado.

Le texte n'est pas aussi bien tourné que je l'aimerais. Quand je suis pleine de sujets, mon éditeur a toujours davantage de travail pour éditer mon article. Les sujets, aussi, ne sont pas bien travaillés car une chose est d'avoir un sujet sur lequel travailler durant toute la journée, avec soin, attention. Une autre est d'avoir plusieurs sujets, tous divers, ou même sur le même sujet, mais avec des leads différents. L'adrénaline monte en flèche. Alors vient la faim, la pression des chefs, la fatigue, le stress, etc. - souligne Valéria Castanho, de l'Agência Senado de Notícias 1103 ( * ) .

Selon VAIA, les professionnels et les supports travaillent toujours sur un front très risqué, où la compétence du professionnel et la crédibilité du moyen d'information sont constamment mis à l'épreuve. Une déclaration mal entendue, ou mal transcrite, ou citée hors d'un contexte, ou une information mal vérifiée, sur un marché comme celui-ci, peut signifier l'envol de millions, une affaire ruinée, une opération désastreuse. Pour cette raison, à l'angoisse de la rapidité, s'ajoute la préoccupation obsessionnelle de l'exactitude 1104 ( * ) .

Ce conflit découle du fait que le journaliste est toujours obligé de prendre des décisions rapides sur la validité, la véracité et la solidité des faits dont il traite. Cette décision est très souvent un processus solitaire, qui s'appuie seulement sur le niveau d'expérience. Et cette situation l'oblige à adopter des attitudes d'autoprotection, comme le souligne TUCHMAN : Processing news leaves no time for reflexive epistemological examination. Nonetheless, the newsmen need some working of objectivity to minimize the risks imposed by deadlines, libel suits, and superiors' reprimands 1105 ( * ) .

Interrogés sur les référentiels journalistiques patronaux, 37 % des journalistes ont répondu que la divulgation rapide est la principale exigence dans la routine des travaux journalistiques. Cette caractéristique peut s'expliquer par le fait que le Sénat possède deux agences de presse en temps réel sur l'Internet (version texte et version audio) et qu'il diffuse ses informations à la radio et à la TV, des supports qui ont pour profil l'instantanéité de l'information. La précision de l'information apparaît en deuxième position avec 33 % des réponses, suivie par le paramètre de mettre l'accent sur la vision officielle des faits (31 %).

Dans la perception de ces professionnels, la logique du temps réel mise en oeuvre par leur employeur se superpose aux autres référentiels et aux autres façons de faire du journalisme. C'est une logique qui implique une fluidité quasi instantanée 1106 ( * ) et qui entre en conflit avec la question de la vérité de la nouvelle, traduite ici dans le concept de précision de l'information. Comme le souligne Moretzsohn :

La vérité, au contraire de ce qu'affirme la devise, est d'habitude soumise à la nécessité de la diffusion de nouvelles de première main (étant donné les impositions de la concurrence), en ayant fréquemment pour résultat la divulgation d'informations fausses ou seulement partiellement vraies, avec des conséquences parfois catastrophiques 1107 ( * ) .

Ce conflit tend à s'accentuer lorsque les valeurs personnelles du professionnel sont examinées. Des valeurs qui seraient volontairement appliquées, s'il ne travaillait pas sous la contrainte de normes supérieures. Dans ces conditions, la question de la divulgation rapide, considérée comme la principale exigence de l'employeur, apparaît en quatrième position de priorité, aux côtés de la précision des citations (27 % chacune, voir tableau 3.8). Le résultat indique l'existence d'une inversion claire des priorités entre patrons et employés.

Néanmoins, les journalistes du Sénat se montrent tranquilles en ce qui concerne le niveau de précision et de justesse des informations qu'ils produisent et divulguent. Cette conviction est perceptible lorsqu'on observe la réponse moyenne à la question sur la nécessité, pour la presse traditionnelle, d'examiner et de vérifier la validité des informations distribuées par les MSSF avant de les utiliser. Dans la vision de ces professionnels, cette vérification de la véracité et de la justesse des informations serait presque non nécessaire. Le degré d'importance attribué à cette tâche a été relatif, équivalent à 4,08 points.

Le degré de perception au sein du groupe contrôle, avec 6,68 points, n'est pas exactement le même. Si, d'un côté, avec cette note il réaffirme l'un des principes de base que doit suivre tout journaliste, celui de vérifier la justesse des informations, de l'autre, elle révèle l'existence d'un bon niveau de confiance de la presse traditionnelle par rapport aux médias du Sénat.

Dans les manuels de rédaction des supports du Sénat, la question de la rapidité ne figure pas parmi les exigences vis-à-vis des journalistes. La question de la précision est, elle, mentionnée avec insistance.

Les articles écrits par les reporters de l'Agence doivent être soigneusement élaborés, pour qu'ils soient clairs, objectifs et fidèles aux faits. Ils ne doivent pas laisser de doutes relatifs aux pensées exprimées, dans le cas de discours, ou à la décision adoptée, dans le cas de votes 1108 ( * ) .

La radio, en plus d'être catégorique en ce qui concerne la question de la précision (il ne peut y avoir aucun doute sur l'information qui est diffusée) insiste sur la nécessité que les reportages soient produits à partir de sources multiples.

Le fait que nous soyons une radio du Senado Federal, du Parlement, nous donne le confort de montrer les différentes positions, de rapporter fidèlement ce qui a lieu, sans l'inhibition d'une station liée à l'Exécutif, par exemple. Notre tâche est de montrer le législatif en tant qu'institution vivante, avec différentes factions politiques et différents courants d'opinion sur tous les thèmes 1109 ( * ) .

L'utilisation de plusieurs sources et de citations entre guillemets est une technique qui peut, selon TUCHMAN, éviter au journaliste de commettre des imprécisions et qui se présente comme une alternative à l'exposition de sa propre opinion sur les faits traités 1110 ( * ) . La méthode, si elle est bien appliquée, permet qu'une analyse d'opinion soit diffusée sans que le professionnel ne s'expose personnellement (voir détail dans l'item II-C-2 - L'analyse et l'information). Toutefois, dans l'imaginaire des professionnels de ces médias, écouter les divers côtés de l'histoire ne paraît pas figurer dans les priorités patronales. D'autres questions, telles que l'objectivité/impartialité (27 %) et l'analyse et l'interprétation des thèmes pour le public (25 %) forment un second niveau de paramètres professionnels que les journalistes pensent être obligés de suivre. C'est seulement ensuite qu'apparaît celle de la pluralité de source, avec 23 %. Le référentiel transparence des faits publics, avec 17 %, et accent sur la vision non officielle des faits, qui n'a bénéficié d'aucune citation, constituaient les autres options de choix (voir tableau 3.8).

TABLEAU 3.8

LES VALEURS JOURNALISTIQUES

Les priorités éditoriales

Selon la valeur personnelle du Journaliste du Sénat

Selon la valeur que le journaliste du Sénat pense être de la direction des MSSF

L'analyse et l'interprétation des thèmes pour le public

47 % (1°)

25 % (5°)

L'objectivité et l'impartialité éditoriales

37 % (2°)

27 % (4°)

Inciter la transparence de faits publics

31 % (3°)

17 % (7°)

Divulgation rapide

27 % (4°)

37 % (1°)

Précision informative

27 % (4°)

33 % (2°)

Pluralité de source

23 % (5°)

23 % (6°)

Mettre en évidence la vision officielle des faits

3,9 % (6°)

31 % (3°)

Mettre en évidence la vision non officielle des faits

0 % (7°)

0 % (8°)

Obs. : Les personnes interrogées pouvaient indiquer deux valeurs journalistiques. Source : Élaboration personnelle à partir des données collectées lors de la recherche sur le terrain - Brésil 2005

Parmi les référentiels que les journalistes du Sénat ont indiqué être leurs paramètres personnels, les principales valeurs citées ont été, dans l'ordre, l'analyse et l'interprétation des thèmes pour le public, avec 47 % des citations, suivi de l'objectivité/Impartialité, avec 37 % et de la transparence, avec 31 % 1111 ( * ) . Le principal paramètre journalistique personnel des professionnels qui exercent pour les médias du Sénat, analyse et interprétation des thèmes pour le public, est le même que celui des professionnels du groupe contrôle 1112 ( * ) . Ces indicateurs démontrent une préservation de ce que BOURDIEU 1113 ( * ) a nommé l'habitus - dans ce cas un habitus journalistique - chez les professionnels des médias du Sénat. Cet habitus, selon l'auteur, est le résultat du conditionnement aux pratiques individuelles et collectives, qui interfèrent historiquement sur les façons de penser et d'agir. C'est un référentiel plus fort que d'éventuelles règles et normes internes formelles et qui permet d'articuler conjointement les pratiques et les représentations professionnelles. La différence entre les deux groupes est que le premier ne se sent pas autorisé à le pratiquer, tandis que le second pense que telle est la préférence de ses employeurs.

L'importance du référentiel transparence devient presque un dogme pour ces journalistes. Il est même exprimé dans les statuts de la Comsefe, une entité créée pour défendre en interne les intérêts du groupe professionnel. Le texte qui régit l'organisation indique que la finalité de l'association est de défendre et promouvoir la transparence des faits publics et l'accès démocratique et universel aux informations intéressant la société 1114 ( * ) .

Il est important de souligner que la question de la transparence en tant que référentiel éditorial est à l'origine de la création de toute cette structure informative. Les manuels de rédaction des supports du Sénat, qui ont force normative, sont très clairs sur le fait que le citoyen a droit à l'accès à la totalité des travaux législatifs, avec indépendance et transparence 1115 ( * ) . Il y avait l'intention de garantir la transparence de l'intervention du Sénat et de promouvoir la démocratisation de l'information - note le manuel de rédaction de l'Agência Senado et du Jornal do Senado 1116 ( * ) . Notre tâche - poursuit le manuel de rédaction de la Rádio Senado 1117 ( * ) - est de montrer le législatif en tant qu'institution vivante, avec différentes factions politiques et différents courants d'opinion sur tous les thèmes. Cependant, un peu plus d'une décennie après la création des MSSF, dans la perception des professionnels, ce paramètre ne paraît pas être saillant parmi les balises éditoriales les plus importantes définies par la politique éditoriale du Parlement.

Le reste du tableau des référentiels journalistiques observés est composé de : Pluralité de source, 12 (23 %), Accent sur la vision officielle des faits, 02, (3,9 %) et Accent sur la vision non officielle des faits, aucune citation (voir tableau 3.8).

Les paramètres identifiés dans la recherche nous révèlent des caractéristiques importantes. En premier lieu, il y a, au moins dans l'esprit des personnes étudiées, un conflit de référentiels entre les journalistes du Sénat et leurs employeurs. Alors que l'un accorde la priorité à l'analyse et à l'interprétation, le second préfère la rapidité dans la divulgation des faits. En résumé, nous pourrions dire que la nouvelle parfaite pour le journaliste du Sénat est celle qui interprète et analyse les faits publics avec impartialité et qui donne de la transparence aux événements. Il se voit néanmoins acculé à produire une information de divulgation rapide, précise, impartiale et objective. La ligne éditoriale de son concurrent direct est, sur le plan personnel et de l'entreprise, orientée vers la production d'une information qui analyse également les faits publics et qui se veut plurielle et précise.

Interrogé sur ce qui pèse le plus au moment de rédiger un article, les critères de notiziabilità personnels ou patronaux, le journaliste David Emerich, chef de reportage de l'Agência de Noticias Senado, révèle qu'il n'existe pas de règle monolithique :

Cela dépend de chaque fait en lui-même, de chaque nouvelle. À la rigueur, dans n'importe quel cadre professionnel, le critère de notiziabilità personnel ne doit jamais prévaloir. Il existe le concept d'actualité, qui naît, croit, a son importance sociale, parle plus fort que les critères personnels ou du propre support. Tout support a une ligne éditoriale implicite et nous ne pouvons pas beaucoup y échapper. Cette ligne conditionne beaucoup, elle oriente la sélection vers le critère personnel. Je trouve que le critère de notiziabilità est plus grand dans les supports corporatifs que dans ceux dits de marché, les entreprises privées de communication. Par exemple, au Sénat, nous avons pratiquement l'obligation de transformer en nouvelle certains faits qui, dans la presse traditionnelle, mériteraient la poubelle. Il est vrai aussi que certaines actualités importantes du Sénat, et qui seraient utiles à la société, terminent à la poubelle dans ces entreprises, qui voient de plus en plus l'information uniquement comme un spectacle 1118 ( * ) .

* 1094 ALTSCHULL, J. H., 1984.

* 1095 Dans le groupe contrôle, la pratique d'inciter un fait socialement condamnable dans le seul but de transformer l'épisode en nouvelle a obtenu 2,88 points.

* 1096 Chez les journalistes de la presse traditionnelle, la flexibilité est encore plus grande, la question obtenant 2,58 points, soit une valeur très proche de l'option B, qui admet, dans des situations déterminées, la rupture d'un accord et la révélation de la source d'information. Sur 50 professionnels consultés, 11 admettent cette possibilité.

* 1097 Dans le groupe contrôle, les résultats obtenus sont les suivants : dissimuler l'identité professionnelle (2,49), se faire employer au sein d'une entreprise ou d'un service gouvernemental pour obtenir clandestinement des informations (2,47).

* 1098 THOMPSON, John B., 2005, p. 81.

* 1099 David Weaver et Cleveland Wilhoit ont évalué le comportement des journalistes nord-américains, britanniques et allemands face aux mêmes situations. Les journalistes n'avaient cependant que deux options de réponses : la pratique « peut se justifier» et « je ne l'approuverais jamais ». L'option de réponse «J'adopterais facilement une telle posture, je ne vois aucun mal à cela, est elle journalistiquement valide et ne va pas à l'encontre de mes principes éthiques» n'a pas été proposée. En résumé, le résultat trouvé indique une quasi unanimité - plus de 90 % - vis-à-vis du respect du off the record et du principe qu'une source anonyme ne doit jamais être révélée. Les journalistes de ces trois pays ont plus de réserve quant à l'utilisation non autorisée de documents confidentiels gouvernementaux ou d'entreprise que pour ceux de nature personnelle et intime. L'utilisation de document personnel et la pratique de rémunérer les sources sont largement acceptées en Grande-Bretagne. Les Allemands sont pour leur part opposés à se faire employer dans une entreprise ou un organe pour obtenir clandestinement des informations. Dans les quatre pays, la dissimulation de l'identité professionnelle a été rejetée par la majorité des personnes consultées. (McMANE 1992: 73).

* 1100 SCHLESINGER, Philip, 1983.

* 1101 ADGHIRNI, Zélia Leal, 2004, p. 1.

* 1102 Entretien réalisé par courrier électronique le 28/06/2006.

* 1103 Les entretiens avec Sigmaringa et Castanho ont été effectués par courrier électronique le 30/06/2006.

* 1104 VAIA, Sandro. 1997, p. 97.

* 1105 TUCHMAN, Gaye, 1972, p. 662.

* 1106 Pour plus de détails sur la logique du «temps réel», consulter DANTAS, Marcos, 1996 et RAMONET, Ignacio, 2000.

* 1107 MORETZOHN, Sylvia, 2000.

* 1108 AGENCIA SENADO et JORNAL DO SENADO, 2003, p. 9.

* 1109 RÁDIO SENADO, in : http://www.senado.gov.br/radio/senadoFM.asp.

* 1110 TUCHMAN, Gaye, 1972, p. 660.

* 1111 Ce référentiel personnel révèle aussi une inégalité de valeurs entre les journalistes des deux groupes examinés.

* 1112 Dans l'enquête réalisée auprès du groupe contrôle, l'item analyse et interprétation des thèmes pour le public a été le plus cité (60 %), tant en ce qui concerne les balises d'entreprises que pour le référentiel personnel (54 %). La nécessité de disposer d'une pluralité des sources est la deuxième balise principale des setoristas, que ce soit du point de vue éditorial des entreprises (36 %), ou dans la vision personnelle des journalistes (40 %). En troisième place, on constate un conflit de valeurs entre ce que les journalistes du groupe contrôle désirent - la précision (32 %) -, et ce que leurs employeurs exigent - la divulgation rapide (28 %). L'Objectivité et l'Impartialité apparaissent ensuite en tant que quatrième paramètre personnel (28 %) et d'entreprise (24 %). La Transparence, qui a un poids important pour le groupe test, n'a obtenu que 10 % des citations des collègues setoristas.

* 1113 BOURDIEU, Pierre, 1980, p.91.

* 1114 Comsefe, 2003, alinéa IX, article 2nd.

* 1115 Cf. TV SENADO, in: http://www.senado.gov.br/tv/conheca/manual/intro.htm

* 1116 AGENCIA SENADO et JORNAL DO SENADO, 2003, p. 7.

* 1117 RADIO SENADO, in: http://www.senado.gov.br/radio/

* 1118 Entretien réalisé par courrier électronique le 30/06/2006.

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