5. Interlocuteurs des journalistes

Nous avons cherché à identifier qui sont les principaux interlocuteurs du journaliste du Sénat et avec quelle fréquence celui-ci échange des idées sur son travail et les nouvelles qu'il divulgue (tableau 3.10). À partir d'une échelle de quatre niveau, où 1 équivaut à l'absence totale de toute communication, 2, rarement, 3, occasionnellement et 4, fréquemment, nous avons constaté que le niveau de communication externe de ces professionnels est faible. Les principaux interlocuteurs sont intra muros : les collègues de travail (3,8 points) et les chefs supérieurs (3,7). Les journalistes des autres entreprises (2,7) et la famille (2,69) forment le second peloton d'interlocuteurs préférés. Le public - lecteurs et spectateurs/auditeurs - (2,43) et les sources (2,2) constituent le groupe avec lequel l'habitude de discuter et d'analyser le travail journalistique est la moins forte. Il n'existe pratiquement pas de feedback de la part des lecteurs et des sources.

TABLEAU 3.10

LES PRINCIPAUX INTERLOCUTEURS DU JOURNALISTE

Les interlocuteurs

Des journalistes du Sénat

Des correspondants parlementaires

Les collègues de travail

3,80 (1°)

3,60 (1°)

Les directions supérieures

3,70 (2°)

3,54 (2°)

Les journalistes d'autres entreprises

2,70 (3°)

2,73 (3°)

La famille et les parents

2,69 (4°)

2,48 (5°)

Le public - lecteurs et spectateurs

2,43 (5°)

2,48 (5°)

Les sources

2,20 (6°)

2,52 (4°)

1 = inexistence totale de quelconque communication ; 2 = rarement ; 3 = occasionnellement et 4 = fréquemment.

Source : Élaboration personnelle à partir des données recueillies dans l'enquête de terrain - Brésil 2005

Un schéma similaire a été identifié dans le groupe contrôle 1162 ( * ) . Dans ce groupe, cependant, les sources sont des interlocuteurs plus importants que la famille et le public. Les discussions intra muros, avec les chefs et les collègues de travail, et intra corporis, avec les professionnels d'autres médias, sont, dans les deux groupes, les plus représentatives. HERSCOVITZ rapporte que les journalistes Brésiliens vivent un isolement professionnel, qu'ils sont confinés, et que la même situation a déjà été observée dans d'autres pays 1163 ( * ) .

La prévalence des communications intra muros dans tous les groupes étudiés renforce l'interprétation que, dans la réalité journalistique nationale, les niveaux hiérarchiques supérieurs ont un grand poids dans le processus de construction de la nouvelle. Principalement pour les professionnels les plus jeunes, ce dialogue avec les chefs et les collègues de la même rédaction peut représenter un processus d'acceptation interne. Il prend la forme d'un rite de passage ou d'initiation 1164 ( * ) , par lequel se fait l'intériorisation des valeurs et des pratiques internes. Le professionnel novice cherche à adopter les modes de comportement et à incorporer les traits identitaires essentiels pour être accepté dans le milieu, ainsi que pour construire un futur professionnel prometteur 1165 ( * ) .

D'un autre côté, le dialogue intra corporis suggère, comme RIEFFEL l'a constaté en France 1166 ( * ) , une recherche de reconnaissance professionnelle. Pour cet auteur, le prestige des journalistes n'est pas lié à son titre académique, mais à la reconnaissance sociale de sa compétence professionnelle, notamment chez les collègues de la profession. C'est ce qui leur apporte le respect et la crédibilité professionnelle. Pour SOUSA, la consultation d'autres professionnels reflète un niveau de sensibilité accentué chez les journalistes. Il y aurait une nécessité constante de confirmer auprès des collègues la façon dont ils perçoivent les faits 1167 ( * ) .

Cette reconnaissance sociale intra corporis se fait encore plus nécessaire dans le cas des professionnels du Sénat. Le segment des journalistes qui travaillent pour ce profil d'employeur est le fruit d'un processus historiquement récent. S'il n'y a pas a priori une reconnaissance par la collectivité journalistique du fait que cette activité s'insère dans le territoire journalistique, la société le verra difficilement comme tel 1168 ( * ) .

Les journalistes forment un groupe professionnel dans lequel la reconnaissance sociale est largement désirée, mais ses bénéfices (prestige, notoriété, crédibilité, accès aux segments importants de la société) sont distribués de façon inégale. Certains sont reconnus comme de grands professionnels et même enviés pour cela, alors que d'autres, les manoeuvres de la profession, ne sont que de simples ouvriers de l'information, simples tâcherons 1169 ( * ) . La reconnaissance par le milieu journalistique permet aussi de créer un référentiel auprès des autres moyens de communication. Ce dialogue corporatif représente un investissement capable de projeter l'individu dans le milieu professionnel et également de l'insérer dans le monde des sources journalistiques importantes, ce qu'on appelle l'establishment - politiques, hommes d'affaires, experts, etc. Un journaliste renommé parvient plus facilement à ouvrir les portes qui donnent accès aux informations les plus importantes.

Le journaliste est référencé en fonction de sa reconnaissance publique 1170 ( * ) . Au Brésil, c'est un processus qui, à l'instar de la signature des travaux divulgués 1171 ( * ) , contribue à l'accumulation d'un capital de prestige, capable de faire monter la valeur du journaliste dans le classement professionnel et donc de lui conférer un plus grand prestige parmi ses pairs et un pouvoir de négociation sur les salaires ou les conditions de travail.

Cette recherche de reconnaissance externe inclut même la participation à des concours nationaux et internationaux de journalisme. La Rádio Senado a ainsi déjà été récompensée par la médaille d'argent du concours UNCA Wards for Excellence in Journalism -2005, organisé par l'Organisation des Nations Unies, grâce à un reportage sur les 60 ans d'existence de l'ONU. La même année, la TV Senado a reçu le Prix Margarida de Prata, conféré par la Conférence Nationale des Évêques du Brésil aux travaux journalistiques tournés vers le thème de l'inclusion sociale, et a vu plusieurs de ses documentaires présélectionnés dans divers concours.

* 1162 Collègues de travail 3,6 ; Chefs et supérieurs 3,54 ; journalistes d'autres entreprises 2,73 ; Sources 2,52 ; Public (lectorat/audience) et Parents 2,48 chacun.

* 1163 Dans la recherche réalisée à São Paulo, les collègues de travail (3,13) et les chefs (3,09) représentent aussi les principaux groupes avec lesquels les journalistes communiquent. HERSCOVITZ, Heloiza, 2000, p.78.

* 1164 ORTEGA, Felix, et HUMANES, Maria Luisa, 2000, p. 170.

* 1165 NEGREIROS, op. cit. p. 100.

* 1166 RIEFFEL, Rémy, idem.

* 1167 SOUSA, op. cit. p. 56.

* 1168 Pour plus d'informations sur la reconnaissance du territoire professionnel consulter RUELLAN, 1993: 47.

* 1169 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean 2004, p.283.

* 1170 RIBEIRO, Jorge Cláudio, op. cit. p. 103.

* 1171 Dans la presse écrite brésilienne, signer un texte est une démonstration de statut professionnel, une garantie dont disposent normalement les grands professionnels, et/ou de reconnaissance de l'importance d'une nouvelle. Normalement, les reportages qui apportent des nouvelles exclusives, ce qu'on appelle le scoop journalistique, sont récompensés par l'insertion du nom de leur auteur. Dans la plupart des journaux et des magazines, les textes sur les faits ordinaires de connaissance de la presse ne méritent pas, en général, l'insertion d'une signature. Ainsi, signer un texte est une récompense et les professionnels recherchent cette reconnaissance publique pour s'affirmer sur le marché.

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