III. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

Le rôle de l'activité journalistique vis-à-vis de la société et des pouvoirs organisés en son sein est la cible d'innombrables études et analyses mondiales. Aucun travail ne nie l'importance du journalisme en tant qu'exécutant d'un rôle social. La nature de ce rôle, cependant, fait l'objet de perceptions différentes tant dans le milieu académique que chez les professionnels. Les variations de conceptions scientifiques selon chaque courant ou école, ainsi que selon le milieu journalistique, peuvent être influencées par des facteurs historiques, économiques et culturels. Chez les journalistes, outre des nuances variables d'un peuple à l'autre, d'une culture à l'autre, on observe aussi des alternances de représentations en fonction des influences du média où l'activité est exercée 1190 ( * ) .

Le présent chapitre a pour but d'étudier le regard du professionnel de ce nouveau segment médiatique. L'objectif est de déterminer non seulement les représentations théoriques présentes chez les journalistes des MSSF, mais aussi de les évaluer en prenant comme base la réalité pratique du travail quotidien. Nous chercherons à identifier comment ces journalistes analysent leur propre activité et l'information qu'ils diffusent, et de quelle manière ils se positionnent par rapport au journalisme. Les pages suivantes chercheront donc à traduire ce regard sur l'exercice de l'activité journalistique face au pouvoir, d'une manière générique, mais également à l'intérieur des médias étudiés.

La notion de la fonction de l'information diffusée par les MSSF, la représentation de la fonction assurée par ces médias, est une autre cible de cette étape de la recherche. Quelle importance et quel rôle ont ces derniers pour les deux groupes de professionnels interrogés ? Qui informe le mieux la société sur les faits du Senado Federal ? La société, en tant que destinataire final de cette information, est-elle correctement informée ?

Telles sont quelques-unes des questions qui seront traitées dans les paragraphes suivants. Les positions présentées ici sont les fruits de la recherche déjà présentée, appliquée aux journalistes qui interviennent pour les MSSF (groupe test) et aux professionnels de la presse traditionnelle accrédités pour la couverture quotidienne du Parlement, nommés setoristas (groupe contrôle).

A. LA REPRÉSENTATION DE LA FONCTION DU JOURNALISME DANS ET HORS DES MSSF

Définir ce qu'est le journalisme est une tâche difficile, voire impossible. Une des raisons de cette difficulté est l'impossibilité de le concevoir en tant qu'activité homogène, stable et immuable. Les multiples définitions et conceptions théoriques de ce qui constitue le journalisme sont fondées sur des référentiels distincts qui changent en fonction de l'époque et du modèle culturel dans lesquels elles s'insèrent. Le journalisme échappe à une conceptualisation concrète et hermétique. Comme le souligne NEVEU, ce qu'il est possible de faire est d'utiliser des référentiels déterminés - tels que l'existence de critères d'accès à la profession, de référentiels éthiques communs, de valeurs et de paradigmes - pour délimiter ce champ professionnel 1191 ( * ) .

Néanmoins, il est important de garder à l'esprit que le journalisme, indépendamment d'où et quand il est exercé, en même temps qu'il se présente comme un point de convergence, un espace de médiation des tensions sociales, constitue autant une activité économique que culturelle ; il se présente aussi bien en tant qu'institution politique, qu'en tant qu'activité professionnelle 1192 ( * ) .

Il apparaît à la sphère publique comme une activité conductrice, médiatrice et clarificatrice, centrée sur la mission de placer les faits en corrélation et en perspective 1193 ( * ) . Cependant, cette structuration de la réalité peut s'avérer tendancieuse. Le journalisme, selon le point de vue de MARCONDES FILHO 1194 ( * ) , est la voix des conglomérats économiques ou des groupes politiques qui veulent donner à leurs opinions subjectives et particulières l'apparence de l'objectivité. Dans le quotidien de l'activité journalistique, les concepts de vérité, de réalité, de savoir et d'information sont quotidiennement relativisés par la presse. La nouvelle, conçue en tant que type d'information fondée sur des faits objectifs et non sur des opinions 1195 ( * ) , cesse d'avoir cette `pureté' pour occuper un territoire où la hiérarchie du contenu est déterminée par le marché 1196 ( * ) , par les forces politiques, par les contraintes et les interférences internes et externes à sa production, et son discours se révèle `contaminé' par d'autres valeurs. Les discours de la publicité et de l'esthétique, et avec eux celui du sensationnalisme, de la spectacularisation, de la carnavalisation, de la plus-value, des faits divers, inoculent - pour MARSHALL - l'ethos du journalisme 1197 ( * ) .

Chez les journalistes, l'action de noticiar - l'action de produire et de diffuser l'information journalistique - entraîne différentes perceptions que nous pourrions appeler représentations sociales des fonctions du journalisme. Ces représentations ont déjà été mises en évidence à différents moments et dans divers pays, mais jamais de façon à déterminer comment les journalistes de source perçoivent leur activité. Il s'avère ainsi important de connaître le regard que les professionnels portent sur l'activité qu'ils exercent dans un support où les influences du marché sont moindres, mais où les interférences politiques et les intérêts des sources peuvent être plus présents et plus sensibles, et où les critères de notiziabilità diffèrent de ceux appliqués par les médias traditionnels.

À ce stade, nous nous proposons d'identifier quelles sont les représentations qui prévalent dans l'imaginaire des professionnels étudiés, tant en ce qui concerne la fonction du journalisme, en tant qu'activité générique, qu'en ce qui concerne l'activité informative diffusée par les médias de source pour lesquels ils travaillent.

Dans un premier temps, nous nous sommes concentrés sur la fonction primordiale du journalisme, en termes généraux. Neuf fonctions, sélectionnées à partir de l'enquête réalisée par Weaver et Wilhoit et réappliquées par Negreiros et HERSCOVITZ, ont été proposées aux professionnels étudiés. Ces derniers pouvaient choisir jusqu'à deux fonctions qu'ils considéraient, d'une manière générale, comme iconographiques du journalisme. Dans un deuxième temps, ils ont été invités à entamer une nouvelle réflexion, cette fois en rapport avec le `journalisme' pratiqué dans les médias du Sénat.

1. Représentation de la fonction du journalisme.

Le journalisme n'est pas un élément monolithique. Le terme se réfère à une grande variété de thématiques, de styles, de points de vue, de supports, d'objectifs, de routines et de normes fonctionnelles, de styles discursifs. Pour SOUSA, les concepts de journalisme possèdent une nature sociale, idéologique et culturelle. Pour cette raison, dit-il, au lieu de parler de journalisme, il serait plus correct de parler de journalismes 1198 ( * ) . Pour expliciter leurs représentations sur le journalisme, en termes théoriques, les personnes interrogées ont en majorité concentré leurs réponses sur quatre des neuf options proposées. Pour le groupe test, le journalisme consiste essentiellement en la prestation d'un service public de dissémination d'information. Ils rejettent néanmoins l'idée d'un simple compilateur, un instrument de pur résumé des événements, puisqu'ils insistent sur la fonction d'investigation et d'interprétation des faits. L'idée de service public renforce le concept de dignification de la fonction d'informer 1199 ( * ) , en cherchant à montrer un éloignement d'autres valeurs qui imprègnent l'activité médiatique, en particulier le marketing et l'adoption de critères éditoriaux mercantiles.

Les journalistes des MSSF accordent la priorité, dans leurs représentations du journalisme, à des fonctions différentes de celles choisies par leurs collègues de la presse traditionnelle. Alors que ces derniers mettent en avant, comme mission principale de la presse, sa fonction de contrôleur de l'État, du Pouvoir (watchdog role/chien de garde), - bien que ceux-ci voient également dans le journalisme une prestation d'un service public -, les premiers voient le journalisme comme un canal d'expression de toute la société, sans nécessairement se présenter comme un porte-parole des exclus (voir tableau 3.12).

Selon leur conception, le journalisme contribue à la transformation de la société, mais n'en vient pas à être un conseiller de l'opinion publique et son pouvoir d'influence politique sur les processus de prise de décision est limité. Cette façon de concevoir l'activité informative se joint à une vision occidentale du journalisme, pour laquelle il existe pour informer, expliquer, contextualiser, éduquer et former 1200 ( * ) . Il faut cependant souligner qu'ils ne perçoivent pas l'activité comme un sauveteur de la démocratie - une représentation mise en avant par leurs collègues du groupe contrôle - ni comme un instrument de promotion de l'image des sources et des autres acteurs sociaux.

TABLEAU 3.12

LES REPRÉSENTATIONS DE LA FONCTION PRIMORDIALE DU JOURNALISME

Fonctions journalistiques

Journalistes du Sénat

Correspondants parlementaires

Prestation d'un service public de dissémination de l'information

68,63 % (1°)

48,0 % (1°)

Être un canal de voix pour toutes les composantes de la société

35,29 % (2°)

12,0 % (4°)

Être un investigateur et interprète des faits

23,53 % (3°)

24,0 % (2°)

Être un instrument de transformation la société

15,68 % (4°)

10,0 %

Développer l'intérêt culturel et intellectuel du public

7,84 %

4,0 %

Sauvegarder la démocratie

5,88 %

24,0 % (2°)

Être un contrôleur de l'État et du Pouvoir (watchdog role/chien de garde)

5,88 %

16,0 % (3°)

Influencer politiquement les prises de décision publiques

1,96 %

6,0 %

Être un éducateur et fournisseur d'infodivertissement

1,96 %

6,0 %

Être un porte-parole des exclus

0,0 %

2,0 %

Aider et conseiller l'opinion publique

0,0 %

2,0 %

Être un instrument de promotion de l'image des sources et des autres acteurs sociaux

0,0 %

0,0 %

Être un simple compilateur, un instrument de résumer des événements

0,0 %

0,0 %

Obs. : Les personnes interrogées pouvaient indiquer jusqu'à deux valeurs.

Source : Élaboration personnelle à partir des données collectées lors de la recherche sur le terrain - Brésil 2005

* 1190 Les travaux de McMANE, HERSCOVITZ et Negreiros, déjà cités dans ce travail, explicitent les différences de conceptions des professionnels présents dans des pays européens, au Brésil et aux États-Unis d'Amérique.

* 1191 NEVEU, Érik, 2004, p. 18.

* 1192 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean, 2004, p. 87.

* 1193 MATHIEN, Michel, op.cit. p. 313.

* 1194 MARCONDES FILHO, Ciro, 1989, p. 11.

* 1195 TRAQUINA, Nelson, 2002, p.20.

* 1196 DEMERS, François, 1995, p. 19.

* 1197 MARSHALL, Leandro, 2003, p. 17.

* 1198 SOUSA, op. cit., p. 31.

* 1199 NEGREIROS, op. cit. p. 75.

* 1200 SOUSA, op. cit. p. 62.

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