C. L'ART AU SERVICE DE LA RÉSISTANCE PUIS D'UN PROJET DE SOCIÉTÉ : ARS AEVI ET L'ASSOCIATION DADADA

Le projet Ars Aevi (Art de l'époque en latin) est né de l'imagination d'Enver Hadziomerspahic, ancien directeur des Jeux olympiques d'hiver de Sarajevo en 1984 et des biennales d'art contemporain organisées dans la même ville en 1987 et 1989. Le projet est conçu comme une réponse à la destruction du musée olympique de Sarajevo en avril 1992. La création d'une centre mondial d'art contemporain doit répondre à la tradition cosmopolite de la capitale bosnienne, mise à mal par la guerre civile. Ce musée doit être l'expression d'une volonté collective internationale et s'avère dans un premier temps un lieu sans murs.

Enver Hadziomerspahic noue, dans ce contexte, des contacts avec des directeurs européens de centres d'art contemporain. Chacun doit sélectionner dix artistes qui produiront une oeuvre destinée au musée. Christian Boltanski, Sophie Calle, Joseph Beuys ou Mimmo Paladino ont ainsi été choisis. Bénéficiant du soutien de l'Union européenne, des ministères français de la culture et des affaires étrangères et de l'État italien, la collection croît d'année en année pour atteindre 161 oeuvres en 2009, dont une vingtaine d'artistes bosniens. Celles-ci sont exposées à de fréquentes reprises à Sarajevo à depuis 1999 sur le site de l'ancien musée olympique, mais également à Milan, Prato, Venise, Ljubljana, Bologne, Vienne ou Istanbul. Au-delà de la démarche artistique, il convient de retenir la volonté des promoteurs du projet Ars Aevi d'inscrire cette entreprise dans un contexte régional, Zagreb (Croatie), Cetinje (Monténégro) ou Belgrade (Serbie) devant bientôt accueillir des centres partenaires du projet. L'ambition est claire : modifier la perception de la ville de Sarajevo et de la région, les détacher des souvenirs de guerre et les faire définitivement rentrer dans le nouveau millénaire.

Les locaux de Sarajevo sont encore aujourd'hui provisoires. La construction d'un nouveau musée lancée en 1999 sous l'impulsion de Renzo Piano devrait aboutir dans les prochaines années. Comme un symbole, le premier élément d'ores et déjà construit de ce musée est un pont qui permet de relier le musée au centre-ville.

Musée Ars aevi

Une initiative franco-bosnienne a également retenu l'attention du groupe interparlementaire tant elle permet à la Bosnie-Herzégovine de s'affranchir de l'image d'un pays en guerre perpétuelle. L'association Dadada a ainsi ouvert deux galeries d'art contemporain au coeur du centre-ville de Sarajevo : la Galerija 10m2 en 2004 et le Duplex en 2008, sous l'impulsion des français Pierre Courtin et Jean-François Daoulas.

Selon ses promoteurs, Dadada a vocation à créer une plateforme de production, de présentation et de diffusion d'oeuvres modernes d'artistes locaux, utilisant tous les supports : sculpture, peinture, vidéo, dessin, etc. Dadada entend nouer des partenariats en vue de faciliter l'exposition de ces oeuvres à l'étranger. La Galerija 10m2 dispose déjà d'antennes à Zagreb et Belgrade, le symbole n'étant pas dédaignable. Le Centre d'Art Oui à Grenoble, la Générale en Manufacture à Sèvres, la KUK Galerie de Cologne (Allemagne) ou la Halo Galeria d'Olstzyn (Pologne) ont déjà noué une collaboration avec Dadada.

Le Duplex présente ainsi deux fois par an la première exposition personnelle d'un jeune artiste bosnien. Au delà de la présentation des oeuvres, la galerie souhaite accompagner ces jeunes artistes dans leurs démarches professionnelles, les mettre en relation avec les acteurs du monde de l'art contemporain. Conçue également comme un centre de documentation, la galerie entend également conduire une politique d'édition, d'accueil des publics (sensibilisation et pédagogie). L'animation sociale et culturelle fait également partie de ses missions.

L'exposition actuellement en cours au Duplex est assez révélatrice. La galerie expose en effet les résultats d'un concours d'affiches sur Sarajevo. Véritable travail d'expiation pour certaines, en grande majorité teintées d'ironie, elles témoignent tout à la fois d'une certaine nostalgie à l'égard de la Sarajevo d'avant-guerre, encore auréolée de l'éclat des Jeux olympiques, d'un dégoût face à la barbarie dont la ville a été le cadre puis un symbole. Elles matérialisent aussi d'un espoir en un avenir forcément européen, dont les bases seraient celles de la réconciliation entre les communautés.

La délégation au Duplex en compagnie de MM. Jean-François Daoulas, Lazare Paupert (conseiller culturel auprès de l'Ambassade de France) et Pierre Courtin
(de gauche à droite)

Le choix de l'art contemporain est assez symbolique. Ancrer le pays dans une modernité artistique apparaît comme une évidence en vue de lui faire tourner la page des horreurs passées. Favoriser la création locale ou accueillir les artistes du monde entier au sein d'une enceinte innovante sont apparus aux membres de la délégation comme des formidables signes d'espoir et une véritable réponse à la paralysie politique qu'elle a pu malheureusement observer lors de ses entretiens. Au travers d'un tel mouvement, Sarajevo peut redevenir cette ville ouverte sur le monde, éprise de culture, qu'elle était avant-guerre.

Un soutien manifeste de la Réunion des musées nationaux ou des musées régionaux à l'égard de ces deux entreprises apparaît comme prioritaire en vue de démontrer l'attachement de notre pays à l'égard de ce type d'initiative. Exposer les oeuvres de jeunes artistes bosniens ou la collection Ars Aevi n'est pas un acte anodin. Il a valeur d'appui à ceux qui entendent ancrer la Bosnie-Herzégovine dans la modernité et légitime un peu plus leurs ambitions.

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