Colloque SÉNAT-CFCE sur le Caucase (14 décembre 1999)



Débat

Je souhaiterais revenir sur les propos de Monsieur Wittebrood concernant l'oléoduc. Ce projet est très sérieux et la question de la faisabilité économique est importante. Mais d'autres questions sont importantes : la sécurité, le passage sur les territoires de la région... Tous ces facteurs sont à prendre en compte pour faire le choix du tracé de ce pipeline. Le gouvernement américain a tenté d'imposer sa solution, a-t-on dit, mais personne ne peut nous imposer sa volonté !

En ma qualité d'ambassadeur de l'Azerbaïdjan à Londres, j'ai entendu Monsieur Wittebrood dire que la coopération permettrait d'assurer la paix et la stabilité. Mais l'Azerbaïdjan ne pourra entretenir des relations avec l'Arménie tant que 20 % de son territoire sont occupés, alors que l'on assiste à une brutale militarisation de l'Arménie... L'Azerbaïdjan est favorable à la coopération régionale et internationale, mais, dans l'immédiat, une coopération avec l'Arménie n'est pas possible. On a l'impression que l'Azerbaïdjan devient un État cobaye : on avait même parlé d'un État commun avec le Haut-Karabakh ! Aujourd'hui, on nous propose une coopération qui assurerait la paix. Mais je rappelle que la construction de la paix précède la coopération dans l'histoire européenne.

Il nous est demandé, en fait, de mettre sur le même plan deux pays différents : l'un dont le territoire est occupé et un autre qui ne respecte pas les résolutions du Conseil de sécurité. Ceux qui ne respectent pas le droit international doivent en payer le prix.

Le cessez-le-feu existe en effet, mais il n'y a pas de trêve stable. La situation est en définitive polarisée. La Géorgie et l'Azerbaïdjan s'opposent à la Russie et à un autre pays qui renforce son potentiel militaire et s'allier à la Russie... Je remercie les organisateurs de ce séminaire qui montre que nous nous rapprochons de l'Europe. Mais il ne faut pas oublier que nous faisons en sorte que l'Europe, elle aussi, se rapproche du Caucase.

Jean BOYER

Je vous remercie. Nous comprenons ces propos, très réalistes. Je répèterai au président Poncelet ces réflexions qui sont essentielles pour l'avenir.

Traceca, la route de la soie du XXIème siècle

Marc GRAILLE,
Coordonnateur Caucase, Traceca

Je vais être plus pragmatique et revenir à l'analyse du projet Traceca, voire du concept de la route de la soie du XXI e siècle. Cette roue de la soie présente certes un bel imaginaire et tout le monde a le souvenir de livres, d'écrits, d'images...

Je voudrais tout de suite insister sur une réalité qui fonctionne, à savoir un corridor de transport soutenu par l'Union Européenne depuis 1993. Traceca signifie Corridor Asie Europe Caucase en anglais. Le programme est financé par l'UE, dans le cadre de l'assistance technique (programme Tacis inter state). En 1993, lors d'une conférence à Bruxelles, tenue en présence de 8 pays d'Asie centrale et du Caucase, l'Union a pris l'initiative de soutenir ces pays dans la mise en place d'un corridor alternatif afin de bénéficier d'une nouvelle route de transport en Transcaucasie, jusqu'à la Mer Noire. Cette nouvelle route est alternative et complémentaire. Il ne s'agit donc pas d'être en compétition avec les routes sud ou nord mais de donner aux Etats indépendants depuis peu une solution alternative.

I. Traceca et l'Union

Le projet s'inscrivait dans la stratégie globale de l'Union dans la région pour soutenir l'indépendance politique et économique de pays, pour encourager la coopération régionale, pour mener des assistances techniques, pour favoriser les investissements des institutions financières internationales, voire des entités privés, et pour lier de Traceca avec les Ten's (corridors européens).

A ce jour, les leaders des pays concernés insistent tous sur l'importance de Traceca, facteur clef de croissance pour les Etats. Monsieur Chevardnadze vient de faire paraître un petit ouvrage sur ce programme. Traceca repose notamment sur :

- l'organisation régulière de groupes de travail, à Bruxelles, Alma Ati, Venise, Vienne, ou Tbilissi... ;

- la prise de décision adaptée car toutes les propositions de projet sont issues des bénéficiaires. - depuis 1993, tous nos projets ont été unanimement acceptés par les pays bénéficiaires.

Par ailleurs, les dirigeants joignent leurs efforts pour harmoniser leurs systèmes de transport, afin de s'intégrer dans le monde des transports. Dans cette volonté commune, il faut signaler l'initiative commune de l'Azerbaïdjan et de la Géorgie pour organiser en 1998 une conférence sur la reconstruction de la roue de la soie. Il y avait 32 délégations lors de cette rencontre, dont une délégation arménienne menée par le Premier Ministre.A l'issue de ces travaux, 12 pays ont signé un accord multilatéral de transport ; c'est un accord cadre qui doit être mis en place dans les années futurs, pour permettre notamment l'harmonisation des politiques de transport. Une première réunion de coordination aura lieu en 2000 (commission intergouvernementale).

II. Description

Traceca représente 32 projets d'assistance technique, pour 42 millions d'euros, et 11 projets d'investissements directs. Les institutions internationales sont en outre présentes : BERD, Banque Mondiale, Banque Asiatique de Développement, Banque Islamique de développement, Koweït Fund... L'investissement de ces institutions est proche de 400 millions de dollars selon nos estimations.

Parallèlement, nous travaillons sur les réformes institutionnelles car si une volonté politique existe pour installer ce corridor, si le trafic augmente de 20 à 25 % par an, toute une société et toute une institution ont du mal à passer d'un système intégré et donc soviétique à un système adapté au cadre mondial des transports.

Pour les projets d'investissements directs, il faut signaler que les premiers investissements furent des investissements d'urgence (reconstruction de 27 km de chemin de fer en Géorgie, réhabilitation de terminaux, travaux sur des ponts en Azerbaïdjan... ) mais, progressivement, des investissements ont porté sur des équipements neufs comme les terminaux de containeurs. En mai, le terminal ferry rail du port de Poti a bénéficié de nos aides. Ce terminal a transporté 450 000 tonnes depuis 5 mois, essentiellement pour des produits pétroliers. Le Président Kouchma, après sa réélection, a remercié l'Union et les deux Etats voisins, d'autant que ce terminal a permis de sauver la moisson de l'Ukraine.

Outre la commission intergouvernementale de Tbilissi, je voudrais vous dire un mot du projet de câble optique qui sera installé dans la région. Une partie importante se jouera avec ce réseau. La technologie est de pointe, les chemins de fer pourront disposer d'un outil moderne, des réseaux de télécommunications régionaux et nationaux, voire internationaux, les pays pourront en outre bénéficier de ces infrastructures de télécommunications.

Pour l'avenir, la réhabilitation du port ferry d'Akta, qui lie Traceca au Kazakstan, est prévue. Celle du terminal pétrolier de Dubendi est également prévue. En outre, la mise en concession des quais du port de Poti va donner lieu à un prochain appel d'offres.

Plus globalement le futur dépendra de la nouvelle stratégie de l'Union européenne pour l'Asie Centrale et le Caucase. La Turquie jouera aussi un rôle et nul doute que le programme Traceca disposera bientôt d'une nouvelle stratégie.

Enfin, sur le plan de l'échange des cultures, la Commission va financier la réalisation d'un film Traceca, avec deux compagnies anglaises, en l'an 2000. Le réalisateur de ce film sera un Géorgien. Je tenais à le signaler. Traceca est un projet de l'Union, financé par la Commission mais c'est avant tout le projet des bénéficiaires. Le futur de Traceca sera celui que les pays concernés voudront faire.

Monsieur BOYER

Merci pour ces informations enrichissantes. Nos partenaires peuvent maintenant mesurer l'effort conduit par l'Union européenne. Je ne doute pas que nous y revenions demain. En tout état de cause, comme je le disais, à l'issue de ces deux journées, nous devrons avoir changé de vitesse !