La situation politique et électorale en Belgique : complexités et incertitudes

Monsieur Francis DELPÉRÉE , Sénateur de Belgique, Professeur émérite à l'Université de Louvain


Depuis neuf mois, la Belgique vit une crise politique. La démission du gouvernement le 26 avril 2010 a été suivie d'élections le 13 juin. Depuis lors, le gouvernement expédie les affaires courantes, tandis que des négociations s'esquissent pour tenter de composer un gouvernement de plein exercice. Elles sont loin d'aboutir. En cas d'échec, la menace de nouvelles élections législatives ne pourrait être écartée.

Née en 1830, la Belgique a pratiqué un scrutin majoritaire pendant soixante ans. A la fin du 19 ème siècle elle passe à la représentation proportionnelle au scrutin de liste. En 1912, Joseph Barthélémy écrit un ouvrage enthousiaste sur l'organisation du suffrage et l'expérience belge, montrant que la constitution belge s'efforce d'assurer l'adéquation entre le nombre d'électeurs et d'élus. Ce système s'étant complexifié, le scrutin majoritaire revient actuellement dans les débats. La mise en oeuvre de la représentation proportionnelle suscite en effet plus de difficultés que l'énoncé de ses principes pourrait le laisser penser, et qui peuvent prendre plusieurs formes. Des aménagements y ont donc été introduits progressivement.

En amont, est instaurée une règle de parité selon un principe de représentation globale de l'ensemble de la liste (autant de femmes que d'hommes) en sachant que les deux premières places doivent être attribuées à des candidats de sexe différents. Le système de suppléance est également aménagé de la manière suivante : le suppléant doit être élu sur la liste des suppléants. Ce système confère aux partis politiques un poids considérable.

En aval, deux règles ont aménagé la représentation proportionnelle. Il existe actuellement douze formations politiques à la Chambre des représentants. En fonction des résultats, quatre à sept partis négocient la formation d'un gouvernement, ce qui ne sert pas le principe d'efficacité. Pour combattre la multiplication des partis politiques et la fragmentation de l'institution représentative, le législateur a instauré la règle du seuil : la formation politique qui n'obtient pas 5 % des voix ne participe pas à la répartition des sièges. Les listes partageant un même projet politique doivent représenter 5 % des voix dans un arrondissement pour pouvoir s'allier avec celles d'un autre arrondissement.

Au-delà de ces complexités, ce système peut laisser perplexe. Les développements de la crise politique de 2010 et 2011 l'illustrent. C'est moins une crise de gouvernement qu'une crise de l'Etat remettant en cause les principes mêmes de son organisation, y compris le processus électoral. Un changement de structure ou de méthode pourrait-il apporter un début de solution ou éviter d'autres crises de même ampleur ?

La remise en cause des institutions pose la question du bicamérisme, pratiqué depuis toujours par la Belgique, et pourrait avoir des conséquences importantes. La réforme du Sénat à l'étude envisage différentes solutions. L'une est un Sénat fédéral, communautaire et régional, qui ne serait pas représentatif des individus mais des composantes de l'Etat. Ce serait de la représentation proportionnelle indirecte. La solution d'une chambre de dialogue entre l'Etat fédéral et les collectivités fédérées est également envisagée. Dans cette optique, le Sénat devrait être paritaire, avec deux communautés représentées à égalité. Dans ce cas, la règle de la représentation proportionnelle ne s'appliquerait plus.

La remise en cause des méthodes induit la question du maintien de la représentation proportionnelle. A ce sujet, deux réflexions sont en cours. La première préconise un scrutin d'arrondissement et la seconde, un scrutin national. Il faut savoir qu'un scrutin majoritaire à deux tours n'est pas envisageable au niveau fédéral, la constitution belge n'étant pas révisable sur ce point pour l'instant. L'idée d'un scrutin national circule davantage. Dans un Etat qui doute de son existence, les modalités d'organisation des élections ont un effet désastreux puisqu'il n'y a plus une, mais deux sociétés politiques qui choisissent leurs propres élus, l'une flamande, l'autre francophone. Dans ce contexte, l'adoption d'un scrutin national permettrait d'élire un nombre déterminé de députés et de sénateurs pour inciter les candidats de chaque communauté à s'intéresser à l'autre société. Chaque citoyen disposerait de deux bulletins de vote, le premier pour élire un représentant d'un collège particulier, le second pour élire un représentant de la nation. Afin de respecter les équilibres belges, le nombre de parlementaires fédéraux et nationaux devrait être équilibré entre francophones et flamands, ce qui constitue une nouvelle entorse au système de représentation proportionnelle.

En conclusion, il ne suffira pas de changer les modalités du scrutin pour assurer à la Belgique et aux citoyens belges davantage de sérénité et de stabilité.