ESPAGNE

Le régime applicable à la couverture des risques agricoles en Espagne résulte de la loi n° 87 du 28 décembre 1978 modifiée sur les assurances agricoles combinées.

Comme l'observe l'OCDE dans une étude publiée en 2008, « [...] la loi et son système d'assurance sont assimilés au consensus national qui a présidé à la transition démocratique du pays, ils ont été défendus par tous les gouvernements et partis politiques espagnols. Ils ont également survécu à l'intégration à l'Union européenne ainsi qu'à la mise en oeuvre par l'Espagne de la politique agricole commune et à ses réformes successives » 7 ( * ) .

On examinera successivement le système d'assurance qui couvre l'essentiel des risques puis le dispositif spécifique applicable au risque catastrophique.

1. Le système d'assurance

Après avoir évoqué le contenu des dispositions de la loi, on verra les résultats qu'elle a permis d'obtenir en termes de couverture pour des assurances et de coût pour la collectivité.

a) Les dispositions de la loi n° 87 du 28 décembre 1978

La loi n° 87 du 28 décembre 1978 se compose de six titres qui concernent respectivement :

- les principes généraux qui la sous-tendent ;

- les risques, les zones et les productions assurables ;

- les caractéristiques de l'assurance ;

- les polices d'assurances ;

- l'indemnisation des sinistres ;

- les crédits et aides liées aux assurances

- et enfin le régime applicable aux organismes chargés de la gestion de cette politique.

On examinera successivement dans les développements infra chacun de ces points, traités consécutivement par la loi précitée.

• Principes généraux

Aux termes de l'article premier de la loi n° 87 du 28 décembre 1978 précitée, la politique d'assurance agricole espagnole :

- s'applique à l'ensemble du territoire ;

- passe par la souscription volontaire de contrats d'assurance, sauf lorsque la loi rend celle-ci obligatoire ;

- permet la signature de contrats d'assurance individuels ou collectifs ;

- repose sur un contrôle de l'État concernant l'étendue et l'utilisation des assurances ;

- implique la plus grande participation possible des agriculteurs par l'intermédiaire des associations professionnelles qui les représentent ;

- nécessite que l'État favorise la constitution d' « entités mutuelles » (Entidades Mutuales) composées d'agriculteurs ;

- est favorisée par le soutien de l'État à la recherche statistique et actuarielle ;

- suppose enfin que l'État oriente l'application des plans d'assurance agricole en tant qu'instrument de la politique d'aménagement agricole.

Estimant que le dispositif ainsi défini constitue un « partenariat public-privé », l'OCDE note que « le système se caractérise par un équilibre délicat entre divers arrangements et organismes. Les organisations d'agriculteurs participent à [sa] gestion, les sociétés d'assurance proposent les polices, l'État et les régions apportent un soutien budgétaire, et tous les acteurs sont censés veiller à la solidité actuarielle de l'ensemble. Il s'agit d'un arrangement hybride : les risques sont transférés aux sociétés privées d'assurance, les agriculteurs paient une partie de primes et l'État assume le reste des coûts. Il a été conçu pour `couvrir les conséquences des catastrophes' et se substituer à l'aide ad hoc que l'État n'avait plus les moyens d'assurer [...] » 8 ( * ) .

• Risques, zones et productions assurables

Les risques couverts par les assurances sont ceux résultant des dommages occasionnés aux productions agricoles, forestières, aquicoles et aux élevages du fait de variations anormales d'agents naturels lorsque les moyens techniques normaux de lutte préventive n'ont pu être utilisés pour des causes qui ne sont pas imputables aux assurés ou ont été inefficaces à savoir : la grêle, l'incendie, la sécheresse, les gelées, les inondations, l'ouragan, le vent chaud (vento cálido) , la neige, la gelée blanche, l'excès d'humidité, les épidémies (plagas) ainsi que les autres maladies et les autres aléas (adversidades) climatiques.

Ils prennent aussi en compte l'effet de ces phénomènes sur les installations et éléments productifs situés sur les parcelles concernées lorsqu'ils sont nécessaires à la production.

Le Gouvernement établit chaque année un plan des assurances combinées (plan de seguros combinados) qui détermine, outre les catégories de risque, les zones de production, les branches d'assurance, le montant des crédits de l'État et complète, le cas échéant, la liste des risques couverts. Les homologues des chambres d'agriculture et les organisations et associations professionnelles et syndicales agricoles sont associées à son élaboration.

Le ministre de l'agriculture détermine les dates de souscription des assurances pour les diverses productions et les conditions techniques minimales tenant à la culture et à l'exploitation dans chaque commune pour la souscription d'une assurance.

Aux termes de l'article 4 de la loi « L'assurance combinée des risques [...] sera mise en oeuvre de façon progressive en fonction des productions, des zones de risque jusqu'à sa totale extension (implantación) ». A ce sujet, l'OCDE observe que tous les gouvernements espagnols ayant poursuivi cet objectif d'extension, « cette volonté a eu d'importantes implications pour les délimitations entre les différents niveaux de risque. Ainsi, le niveau dit `de marché' correspond en fait à un partenariat public-privé hybride, dans le cadre duquel l'assurance privée est fortement réglementée et soutenue par l'Etat, et sa couverture s'étend progressivement. Les risques couverts par ce type d'assurance englobent notamment des aléas qui, dans d'autres contextes institutionnels, ne seraient pas considérés comme assurables en raison de leur caractère `catastrophique', de l'existence de déficits d'information ou de leur forte probabilité d'occurrence (risque normal). Dans ce cadre hybride, en perpétuelle évolution, les frontières entre les différents niveaux de risque ne sont ni clairement définies, ni immuables. » 9 ( * )

• Caractéristiques de l'assurance

Les contrats d'assurance peuvent être individuels ou collectifs.

Le Gouvernement peut rendre l'assurance obligatoire lorsque, pour une zone ou une production, plus de cinquante pour cent des personnes qui dirigent une exploitation font savoir, par l'intermédiaire des organisations qui les représentent, qu'elles sont disposées à la souscrire. Le plan relatif aux assurances précise :

- la surface minimale qui doit être prise en compte à cet effet ;

- les branches et les risques minimaux pour la souscription obligatoire.

• Polices d'assurance

La police d'assurance précise la récolte attendue estimée par chaque agriculteur pour chacune des exploitations qu'il dirige. Lorsqu'existent des campagnes de régulation, le prix retenu est celui qu'elles prévoient.

La prime d'assurance et les autres conditions résultant de la police ne sont pas déterminées par l'assureur mais par le groupe de coassurance de sorte que la concurrence entre les compagnies ne joue que sur leurs services de commercialisation. Du reste, les modèles de police, les bases techniques et le tarifs des primes figurant dans les plans annuels d'assurance agricole sont approuvés par le Gouvernement.

Les subventions de l'État pour la souscription d'assurances sont déterminées compte tenu des circonstances existant dans chaque zone de culture en protégeant, précise l'article 11 de la loi précitée, « les agriculteurs les plus modestes » et en favorisant les polices collectives, le montant de cette subvention étant fixé compte tenu de la valeur de la production, à l'exclusion des productions qui n'en ont pas besoin. Le montant de la subvention se situe entre vingt et cinquante pour cent du total annuel des primes.

Selon l'étude de l'OCDE consacrée à l'Espagne en 2011, les types d'assurance consistaient, pour la production végétale en :

- des assurances dommages multirisques pour les productions végétales, qui constituent la police plus courante ;

- et des assurances rendement, fondées sur des critères géographiques garantissant un rendement moyen.

Pour la production animale on relevait des assurances :

- relatives aux élevages, couvrant les dommages subis par les animaux ;

- concernant l'enlèvement des animaux morts dans l'exploitation ;

- « indicielles », couvrant le risque sécheresse dans l'apiculture et l'élevage bovin 10 ( * ) .

Enfin des assurances multirisques couvraient la production aquacole comme la production forestière.

• Indemnisation des sinistres

Le régime applicable à l'expertise des dommages, déterminé par le Gouvernement, prévoit la participation (participación) des organisations et associations d'agriculteurs et des assureurs.

Fixée sur la base d'un pourcentage de la récolte, l'indemnisation est versée à la fin de la récolte tandis que l'indemnisation intervient dans les trois mois pour les dommages survenus sur un élevage et dans les six mois de la survenue du dommage pour les forêts.

• Crédits et aides liées aux assurances

En cas de versement d'aides par l'État, le montant de l'assurance sert prioritairement à leur remboursement.

La souscription d'une assurance est préalable à l'obtention d'aides exceptionnelles à la production, en outre, les exploitants qui renouvellent leurs contrats d'assurance bénéficient de rabais sur les polices et de subvention à l'assurance plus élevées 11 ( * ) .

• Les organismes contribuant à la mise en oeuvre de cette politique.

Conformément à loi précitée qui prévoit la création par l'État d'un organisme public, placé sous la tutelle du ministère de l'Agriculture, chargé de la coordination des activités administratives liées aux assurances et aux risques, l' Entitad estatal de seguros agrarios (ENESA) est le principal opérateur public du secteur puisqu'il est chargé de 12 ( * ) :

- l'élaboration du plan annuel des assurances agricoles ;

- du versement des subventions aux agriculteurs afin de prendre en charge une partie du coût de l'assurance, en lien avec les communautés autonomes ;

- des études sur la viabilité des systèmes d'assurance, outre la communication relative au dispositif espagnol d'assurance agricole.

Chargée du contrôle des conditions spéciales, des tarifs et de leur application par les assureurs, la direction générale des assurances et des fonds de pension du ministère de l'Économie, vérifie aussi la répartition de la coassurance entre les entités appartenant à AGROSEGURO, la société détenue par les assureurs qui gère les assurances : contrôle des déclarations, émission des attestations aux assurés, réception des déclarations de sinistre, gestion des expertises et évaluation des remboursements.

Les vingt-deux compagnies concernées collaborent avec le consortium de compensation des assurances, une entité publique dépendant du ministère de l'Économie qui joue le rôle de réassureur obligatoire.

Outre les dix-sept communautés autonomes, les organisations professionnelles agricoles et coopératives agroalimentaires participent au dispositif, d'une part en étant représentées dans les instances dirigeantes d'ENESA, et d'autre part en permettant aux agriculteurs de souscrire, par leur intermédiaire, des polices d'assurance collectives.

Ce dispositif nécessite la coopération de ces différentes entités puisque, comme le relève l'OCDE : « L'agriculteur paie à AGROSEGURO la prime déduction faite de la subvention. L'ENESA et les communautés autonomes, pour leur part, versent à AGROSEGURO une compensation correspondant au montant des subventions déduites des primes », de sorte que « Les agriculteurs transfèrent leurs risques aux compagnies d'assurance qui participent au système. Les sociétés d'assurance, à leur tour, mutualisent leurs risques par le biais d'AGROSEGURO, lequel regroupe l'ensemble des polices (création d'un `pool' unique). Les polices sont regroupées en trois catégories : A (`expérimentales'), B. (`viables') et C (coût de la destruction des cadavres d'animaux). La participation de chaque compagnie à chaque catégorie est ajustée chaque année en fonction de sa part dans la vente des produits d'assurance correspondant. [...] » 13 ( * )

b) Les résultats obtenus

On évoquera ici le taux d'assurance puis l'évolution des subventions et du capital assuré.

• Évolution du taux d'assurance

Comme le montre le tableau suivant, le taux d'assurance varie, selon les secteurs de moins de 3 % pour le fourrage) à près de 90 % pour les fruits.

TAUX D'ASSURANCE EN FONCTION DES PRODUCTIONS, 2014

Produits agroénergétiques et fourrages

2,68 %

Fruits secs

9,13 %

Oliviers

10,28 %

Productions tropicales et subtropicales

11,51 %

Productions industrielles

17,51 %

Productions horticoles couvertes

21,07 %

Productions horticoles découvertes

29,15 %

Cerise

33,06 %

Agrumes

41,30 %

Herbacées extensives

66,43 %

Raisins de table

67,81 %

Kakis et autres fruits

81,15 %

Fruits

89,51 %

Bananier

100 %

Source : ENESA, Asegura tu futuro 2016 , p. 30.

• Évolution des subventions et du capital assuré

Comme le montre le tableau infra, le montant de la subvention totale accordée au titre de la souscription de contrats d'assurance agricole a crû de 137 millions à 437 millions d'euros entre 1997 et 2008, avant de diminuer régulièrement depuis cette date, pour atteindre 213,5 millions d'euros en 2014.

ÉVOLUTION DES SUBVENTIONS ET DU CAPITAL ASSURÉ, 1997-2014

en millions d'euros

Exercice

Subventions

Capital assuré

1997

137,80

3 897

1998

161,2

5 034

1997

147,24

5 079

2000

178,16

5 783

2001

187,36

6 204

2002

270,99

8 046

2003

289,56

8 400

2004

292,83

8 972

2005

389,45

9 670

2006

403,38

9 276

2007

430,96

10 346

2008

437,10

11 154

2009

406,95

10 788

2010

406,48

11 084

2011

400,68

11 512

2012

387,54

11 234

2013

252,25

11 523

2014

213,50

11 061

Source : ENESA, Asegura tu futuro 2016 , p. 36.

2. Le dispositif spécifique applicable au risque catastrophique

Selon l'OCDE, l'Espagne a recours, en cas de catastrophes, à diverses mesures, à savoir :

- des « paiements compensatoires ad hoc » directement versés par l'État et gérés par l'ENESA ;

- des bonifications d'intérêts, des garanties sur prêts et des mesures fiscales extraordinaires, coordonnées par les services du ministère de l'Environnement ;

- et des aides versées par les communautés autonomes (paiements compensatoire directs, et bonifications d'intérêts, qu'ils complètent ou non les mesures analogues prises par l'État.

Ces aides consécutives à des catastrophes ne sont versées qu'aux agriculteurs qui ont souscrit des polices d'assurance et dont les pertes dépassent 30 % de la production moyenne 14 ( * ) .


* 7 Antón, J. et S. Kimura (2011), « La gestion des risques agricoles en Espagne », Éditions OCDE, p. 22, http://dx.doi.org/10.178/5kggh4stgtxv-fr.

* 8 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 21.

* 9 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 37-38.

* 10 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 29.

* 11 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 47.

* 12 Les informations qui figurent dans les développements suivants sont tirés de ENESA, Asegura tu futuro 2016 , p. 7-8.

* 13 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 27-28.

* 14 Antón , J. et S. Kimura (2011), op . cit ., p. 33-34.

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