IV. L'ITALIE

L'histoire du paysage médiatique italien est marquée par les liens étroits entre le pouvoir politique et les médias et le rôle prédominant de la télévision, en termes d'audience et de recettes. La Cour constitutionnelle italienne, à travers sa jurisprudence 66 ( * ) , a joué un rôle déterminant dans la fin du monopole public du groupe Radiotelevisione italiana (Rai) 67 ( * ) en 1976, dans l'ouverture des médias à la concurrence dans les années 1980 68 ( * ) et, dans les années 1990, dans la définition de règles antitrust en matière d'attribution des fréquences et des recettes publicitaires 69 ( * ) .

Depuis 1997, l'autorité indépendante italienne de régulation des médias ( Autorità per le Garanzie nelle Comunicazioni - AGCOM) joue un rôle central dans la protection du pluralisme et de la concurrence dans le secteur des médias. Elle est notamment en charge d'évaluer les effets du dépassement de certains seuils de détention des médias sur le pluralisme, réformés en 2021 à la suite d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

A. ÉTAT DES LIEUX DE LA CONCENTRATION DES MÉDIAS EN ITALIE

En Italie, le niveau de concentration dans le secteur des médias est élevé, en particulier dans le secteur de la télévision en clair, qui reste dominé par le duopole public privé formé par la Rai et le groupe Fininvest/Mediaset.

Dans son rapport annuel pour 2021, l'AGCOM observe une assez grande stabilité du niveau de concentration et des parts de marché des principaux opérateurs durant ces dernières années. Le degré de concentration demeure le plus élevé dans le secteur télévisuel (l'indice de concentration CR4 70 ( * ) est passé de 89 % en 2015 à 88 % en 2020 pour la télévision en clair et de de 98 % à 95 % pour la télévision payante) 71 ( * ) . La plus forte concentration observée dans les secteurs de la radio et de la presse quotidienne (l'indice de concentration a augmenté de 45 % à 57 % dans la radio entre 2015 et 2020 et de 55 % à 62 % dans la presse quotidienne) reflète quant à elle les opérations menées ces dernières années pour faire face à la moindre rentabilité de ces médias et à des « situations de crise structurelle » 72 ( * ) .

Le marché de la télévision est dominé par l'opérateur public historique, la Rai, ainsi que par deux groupes privés : Comcast/Sky Italia et Fininvest/Mediaset. Fin 2020, Comcast/Sky Italia, fondé par Rupert Murdoch, représentait 34 % des recettes du secteur télévisuel dans son ensemble, principalement grâce à son offre de chaînes payantes. La Rai demeurait le premier opérateur en termes d'audience dans la télévision en clair (35 %) et le deuxième en termes de recettes (29 %) et Fininvest/Mediaset était à la troisième place en termes de recettes totales dans le secteur télévisé (19 %) et conservait la deuxième place en matière d'audience dans la télévision en clair (32 % avec notamment les chaînes Italia 1, Canale 5 et Rete 4) 73 ( * ) . Les plateformes de contenus en ligne totalisaient 7 % des recettes du secteur et les opérateurs locaux environ 6 %.

Le secteur de la radio a connu une vague de concentrations en 2018 et compte désormais quatre acteurs principaux : la Rai (25 % de part de marché), Fininvest/Mediaset (14 % de part de marché avec notamment Radio101, Radio105 et Virgin Radio), GEDI (9 % de part de marché principalement grâce à Radio Deejay) et RTL-Hit radio (9 % de part de marché) 74 ( * ) .

La presse écrite, quotidienne et hebdomadaire, enregistre un lent déclin depuis plusieurs décennies (le nombre de quotidiens papiers vendus est passé de 2,1 millions en 1999 à 584 000 en 2020). Le secteur compte deux acteurs principaux : d'une part, le groupe GEDI 75 ( * ) (25 % des parts de marché de la presse quotidienne 76 ( * ) ) qui détient notamment les quotidiens La Republicca et La Stampa, l'hebdomadaire L'Espresso et dix quotidiens régionaux ou locaux et, d'autre part, la société Cairo/RCS (21 % des parts de marché de la presse quotidienne) qui contrôle notamment Il Corriere della Sera, premier quotidien du pays, et la Gazetta dello Sport (ainsi que la quatrième plus importante chaîne de télévision, La7 TV).

Dans le rapport-pays consacré à l'Italie, publié en 2021, le Centre pour le pluralisme des médias et la liberté des médias 77 ( * ) estimait que le risque en matière de pluralisme des médias en Italie était élevé (83 % contre 80 % en moyenne dans l'Union européenne). Il conclut que « le degré élevé de concentration de la détention des médias doit être apprécié comme la conséquence d'une tendance historique et, dans la période récente, comme une stratégie défensive face à la détérioration des conditions économiques ». Il souligne également trois caractéristiques structurelles du paysage médiatique italien : « i) la forte concentration du marché est étroitement liée au risque d'influence politique car les deux importants acteurs du marché, la RAI 78 ( * ) dans le secteur public, et Fininvest/Mediaset (détenue par un acteur politique de premier plan, Silvio Berlusconi) ne sont pas complètement indépendants du pouvoir politique ; ii) les propriétaires de médias ont très souvent des intérêts industriels et financiers dans d'autres secteurs et iii) certaines entreprises ont des parts de marché significatives dans différents secteurs médiatiques » ainsi que dans la publicité et les communications électroniques.

B. LES RÈGLES EN MATIÈRE DE DÉTENTION DES MÉDIAS

L'article 21 de la Constitution italienne garantit le droit à l'information qui, selon la jurisprudence constitutionnelle, implique le pluralisme des sources et impose au législateur d'empêcher la formation de positions dominantes et de favoriser l'accès au système audiovisuel à un maximum de voix diverses possible 79 ( * ) . Afin de concrétiser ce principe constitutionnel, le législateur italien a mis en place à partir de 1997, par la loi dite « Maccanico » 80 ( * ) , un régime d'interdiction de position dominante et de limites spécifiques aux opérateurs du secteur des communications, constituant ainsi une « tutelle renforcée » par rapport au droit classique de la concurrence. Ce système fut complété en 2004, par la très controversée loi dite « Gasparri » 81 ( * ) , définissant une nouvelle base de calcul au système intégré des communications (SIC).

Considéré comme peu effectif et jugé pour partie contraire au droit de l'Union européenne dans un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 3 septembre 2020, ce régime de protection du pluralisme des médias reposant sur des limites rigides, appliquées de façon automatique, a été entièrement refondu par le décret législatif n° 208 du 8 novembre 2021 (DL n°208/2021) et remplacé par un système d'évaluation au cas par cas des atteintes potentielles au pluralisme des médias, dans lequel les seuils définis ont une valeur indicative.

1. Les limites anti-concentration dans le secteur de la presse

L'article 3 de la loi sur l'édition du 25 février 1987 82 ( * ) fixe trois limites anti-concentrations dans le secteur de la presse quotidienne. Est considérée comme dominante sur le marché, la société qui parvient à éditer ou contrôler :

- plus de 20 % du tirage total des journaux en Italie au cours de l'année précédente ;

- plus de 50 % du nombre de journaux quotidiens vendus au sein d'un espace interrégional (c'est-à-dire regroupant plusieurs régions proches).

Ce même article interdit aussi à une société de prendre des participations dans une maison d'édition de quotidiens dont le tirage dépassait 30 % de l'ensemble des tirages au niveau national au cours de l'année précédente.

Ces limites n'ont pas été modifiées dans le cadre de la refonte du régime de détention des médias audiovisuels.

2. Les limites anti-concentration en vigueur dans le secteur audiovisuel jusqu'en 2021

Abrogé le 25 décembre 2021, le décret législatif n° 177, du 31 juillet 2005 portant texte consolidé pour les services de médias audiovisuels ( Testo unico dei servizi di media audiovisivi - TUSMAR, DL n° 177/2005) 83 ( * ) fixait jusqu'alors le cadre normatif relatif aux règles de détention des médias en Italie. Son article 43 définissait trois types de limites visant à prévenir la concentration dans le secteur des médias, dont le respect était contrôlé par l'AGCOM, l'autorité de régulation des médias en Italie.

a) La limite technique

Un premier type de limite, dénommé « limite technique », s'appliquait à chaque secteur médiatique individuellement (à l'exclusion de la presse quotidienne, régie par d'autres textes). Ainsi, « après la mise en oeuvre complète du plan national d'attribution des fréquences radio et de télévision numériques, le même fournisseur de contenu, y compris via des sociétés qualifiées de filiales ou d'associées (...) ne peut être titulaire d'autorisations permettant de diffuser plus de 20 % du total des programmes télévisés ou plus de 20 % de stations radio au niveau national » (article 43, paragraphe 7, DL n° 177/2005). Cette limite technique visait à éviter toute position dominante sur un marché individuel.

Il revenait à l'AGCOM de contrôler le respect de la limite technique chaque fois qu'elle était informée d'une concentration dans les secteurs concernés. Entre 2005 et 2021, aucune infraction à la limite technique n'a été constatée mais cette règle n'a été mise en oeuvre que dans le secteur radiophonique 84 ( * ) .

La limite technique n'a jamais été appliquée au secteur télévisuel, faute de définition du marché pertinent. La définition du marché pertinent a été repoussée à plusieurs reprises, dans l'attente de la réallocation de la bande de fréquences de 700 Mhz, puis à la suite de la décision de la CJUE du 3 septembre 2020, dans l'affaire opposant Vivendi et Mediaset (voir infra ).

b) Les limites économiques

Les limites dites « économiques » s'appliquaient à l'échelle du système intégré de communication (SIC). Selon la définition du décret législatif de 2005, le SIC incluait « la presse quotidienne et périodique, l'édition papier et électronique y compris via Internet, les services de radio et de médias audiovisuels, le cinéma, la publicité en extérieur et en ligne, les opérations de communication pour des produits et services et le sponsoring » (article 2, paragraphe 1, s) n° DL 177/2005). En application de la limite économique principale, aucun opérateur ne pouvait, ni directement, ni par l'intermédiaire d'entités contrôlées ou liées, réaliser des recettes 85 ( * ) supérieures à 20 % des recettes totales du SIC (article 43, paragraphe 9, DL n° 177/2005).

Ce plafond de 20 % était abaissé à 10 % pour les sociétés dont les recettes dans le secteur des communications électroniques représentent plus de 40 % des recettes totales de ce secteur (article 43, paragraphe 11, DL n° 177/2005).

L'AGCOM procédait chaque année à l'estimation de la valeur globale du SIC (18,1 milliards d'euros en 2019, soit 1,01 % du PIB italien, en baisse de 1,4 % par rapport à 2018 86 ( * ) ) et devait veiller au respect des limites économiques. En 2020, l'AGCOM avait ainsi observé un nombre important d'acquisitions et de demandes d'autorisations par certains fournisseurs de médias audiovisuels nationaux, les conduisant à se rapprocher des limites économiques, sans toutefois relever d'infraction 87 ( * ) .

En 2017, à la suite d'une plainte déposée par Mediaset 88 ( * ) , l'AGCOM a constaté que Vivendi, en acquérant 28 % du capital de Mediaset, avait dépassé la limite économique prévue à l'article 43, paragraphe 11, fixée à 40 % des revenus du secteur des communications électroniques et plus de 10 % des recettes du SIC 89 ( * ) . Elle avait alors donné douze mois à Vivendi pour remédier à sa situation de position dominante. Vivendi a néanmoins fait appel de cette décision et la CJUE a conclu que la limite économique prévue à l'article 43, paragraphe 11, était contraire au droit de l'Union européenne.

L'arrêt de la CJUE du 3 septembre 2020, Vivendi SA v. AGCOM
(affaire C-719/18)

À la suite de la demande d'annulation de la décision de l'AGCOM par Vivendi, « le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio demande à la Cour de justice, en substance, si la liberté d'établissement consacrée à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) s'oppose à la réglementation d'un État membre ayant pour effet d'empêcher une société d'un autre État membre, dont les recettes réalisées dans le secteur des communications électroniques au niveau national, y compris par l'intermédiaire de sociétés contrôlées ou liées, sont supérieures à 40 % des recettes globales réalisées dans ce secteur, de percevoir dans le SIC des recettes supérieures à 10 % de celles réalisées dans ce système. Par son arrêt de ce jour, la Cour répond par l'affirmative à cette question.

« La Cour rappelle, tout d'abord, que l'article 49 TFUE s'oppose à toute mesure nationale susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le TFUE. Tel est le cas de la réglementation italienne interdisant à Vivendi de conserver les participations qu'elle avait acquises dans Mediaset ou détenait dans Telecom Italia et l'obligeant ainsi à mettre fin à ces participations dans l'une ou l'autre de ces entreprises dans la mesure où elles excédaient les seuils prévus.

« La Cour observe, ensuite, que, même si une restriction à la liberté d'établissement peut, en principe, être justifiée par un objectif d'intérêt général, tel que la protection du pluralisme de l'information et des médias, ce n'est pas le cas de la disposition en cause, celle-ci n'étant pas de nature à atteindre cet objectif.

« La Cour rappelle, à ce propos, que le droit de l'Union, en ce qui concerne les services de communications électroniques, établit une distinction claire entre la production de contenus et leur acheminement ou leur transmission. Ainsi, les entreprises actives dans le secteur des communications électroniques, exerçant un contrôle sur l'acheminement et la transmission des contenus, n'exercent pas nécessairement un contrôle sur la production de ces contenus. Or, la disposition en cause ne fait pas référence aux liens entre la production et l'acheminement des contenus et n'est pas non plus libellée de manière à s'appliquer spécifiquement en relation avec ces liens.

« La Cour relève, par ailleurs, que la disposition en cause définit de manière trop restrictive le périmètre du secteur des communications électroniques, en excluant notamment des marchés revêtant une importance croissante pour la transmission d'informations, comme les services de détail de téléphonie mobile ou d'autres services de communication électronique liés à l'internet et les services de radiodiffusion par satellite. Or, ceux-ci étant devenus la principale voie d'accès aux médias, il n'est pas justifié de les exclure de cette définition.

« La Cour constate, en outre, qu'assimiler la situation d'une «société contrôlée» à celle d'une «société liée», dans le cadre du calcul des recettes réalisées par une entreprise dans le secteur des communications électroniques ou dans le SIC, n'apparaît pas conciliable avec l'objectif poursuivi par la disposition en cause.

« La Cour conclut que la disposition italienne fixe des seuils qui sont sans relation avec le risque existant pour le pluralisme des médias , ces seuils ne permettant pas de déterminer si et dans quelle mesure une entreprise peut effectivement influencer le contenu des médias. »

Source : CJUE, Communiqué de presse n° 99/20 du 3 septembre 2020 90 ( * )

Au-delà des questions soulevées par l'affaire précitée, certains auteurs spécialistes du droit des médias italien ont souligné l'inefficacité de ces limites économiques pour prévenir les situations de concentration dans les médias, en raison de la très large définition retenue pour le SIC, du niveau élevé des limites et de l'absence de pondération entre secteurs au sein du SIC 91 ( * ) .

c) La limite diagonale (propriété croisée)

En complément des autres limites, le droit des médias italien prévoyait une limite dite « diagonale » afin de prévenir la détention croisée de médias audiovisuels et de presse écrite quotidienne. Selon l'article 43, paragraphe 12, du décret législatif de 2005, les sociétés exerçant une activité dans le secteur télévisuel au niveau national réalisant plus de 8 % des recettes du SIC et les sociétés du secteur des communications électroniques réalisant plus de 40 % des recettes de ce secteur (visées au paragraphe 11) ne pouvaient prendre des participations dans des journaux quotidiens ou constituer de nouvelles sociétés d'édition de quotidiens (à l'exception des quotidiens diffusés uniquement par voie électronique). Cette interdiction de détention croisée s'appliquait également aux sociétés mères ou liées.

Enfin, dans ce régime, toute opération de concentration, transfert de propriété ou accord, dans le secteur des médias devait être notifiée parallèlement à l'AGCOM et à l'autorité de la concurrence italienne ( Autorità garante della concorrenza e del mercato - AGCM ). Ceci a pu conduire, par le passé, à des décisions contradictoires, comme par exemple dans l'affaire SEAT/Cecchi Gori en 2001 où l'AGCOM s'était opposée à la concentration, tandis que l'AGCM l'avait autorisée, sous réserve de certains engagements 92 ( * ) .

3. Le nouveau régime anti-concentration entré en vigueur fin décembre 2021

Le décret législatif n° 208/2021 93 ( * ) , entré en vigueur le 25 décembre 2021 après un avis favorable du Parlement italien, abroge intégralement le « texte unique » de 2005 sur les médias audiovisuels. Il vise principalement à transposer la directive 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 sur les services de médias audiovisuels. Son titre VI, intitulé « normes de protection du pluralisme », a également vocation à tirer les conséquences de l'arrêt du 3 septembre 2020 de la CJUE et à mettre en conformité la réglementation italienne avec le droit de l'UE.

L'article 51 du décret législatif n° 208/2021 (qui se substitue à l'article 43 du DL n° 177/2005) réitère l'interdiction d'établir « des positions de pouvoir de marché significatif, préjudiciables au pluralisme », dans le système intégré des communications (SIC) et dans les marchés qui le composent. La définition et le périmètre du SIC demeurent identiques (article 3, z) DL n° 208/2021), tandis que l'AGCOM demeure tenue d'évaluer chaque année la valeur économique du SIC et des marchés qui le composent.

a) Le maintien de la référence à des seuils en tant qu'indices de position dominante préjudiciable au pluralisme

L'article 51, paragraphe 3, du décret n° 208/2021 maintient la référence à des seuils déclaratifs de nature économique, technique ou diagonale, dont le contenu est très proche des limites préexistantes, pour apprécier une atteinte potentielle au pluralisme des médias ainsi que la compétence de l'AGCOM en la matière. La principale nouveauté est que ces limites ne sont plus appliquées de façon automatique et rigide mais sont considérées comme des « indices symptomatiques d'une position de pouvoir de marché important potentiellement préjudiciable au pluralisme ».

Ainsi, en vertu de ce nouveau régime, les opérateurs du SIC ayant un chiffre d'affaires supérieur aux valeurs visées à l'article 16 de la loi n° 287, du 10 octobre 1990 (soit un chiffre d'affaires total des entreprises concernées supérieur à 492 millions d'euros) doivent notifier à l'AGCOM les accords et opérations de fusion. Les opérateurs doivent également notifier formellement l'AGCOM si, même par l'intermédiaire de filiales ou de sociétés contrôlées ou liées, ils se trouvent ou pourraient se trouver à la suite d'une opération de concentration, dans l'une des quatre situations suivantes :

- leurs recettes sont supérieures à 20 % des recettes globales du SIC ou dépassent 50 % des recettes globales dans un ou plusieurs marchés composant le SIC ;

- leurs recettes sont supérieures à 20 % des recettes totales sur les marchés de fourniture au détail de services de communication électronique et, dans le même temps, représentent plus de 10 % des recettes globales du SIC et plus de 25 % des recettes dans un ou plusieurs des marchés qui le composent ;

- leurs recettes sont supérieures à 8 % des recettes globales du SIC et les opérateurs détiennent ou souhaitent acquérir des participations dans des sociétés d'édition de quotidiens, à l'exception des quotidiens distribués exclusivement en ligne (seuil identique à l'ancienne limite diagonale) ;

- les opérateurs sont titulaires d'autorisations leur permettant de diffuser plus de 20 % du nombre total de programmes télévisés ou plus de 20 % des programmes radio diffusés sur les fréquences terrestres au niveau national (seuil identique à l'ancienne limite technique).

b) La prise en compte d'autres facteurs pour juger de l'atteinte au pluralisme

Afin de déterminer si une entreprise ou un groupe d'entreprises détient un pouvoir de marché significatif préjudiciable au pluralisme, l'AGCOM doit tenir compte, en plus du niveau de recettes, des éléments suivants : « le niveau de concurrence statique et dynamique au sein du système, les barrières à l'entrée dans celui-ci, la convergence entre secteurs et marchés, les synergies dérivant des activités exercées sur des marchés différents mais contigus, l'intégration verticale et conglomérale des entreprises, la disponibilité et le contrôle des données, le contrôle direct ou indirect des ressources nécessaires rares, telles que les fréquences de transmission, l'efficacité économique de l'entreprise, également en termes d'économies d'échelle, de portée et de réseau, ainsi que les indices quantitatifs de diffusion de programmes de radio et de télévision, y compris en référence aux programmes d'information, aux oeuvres cinématographiques, aux produits et services éditoriaux et en ligne » (article 51, paragraphe 5, DL n° 208/2021).

Le décret législatif prévoit l'adoption par l'AGCOM de lignes directrices précisant la méthodologie utilisée pour évaluer l'existence d'un pouvoir de marché portant atteinte au pluralisme 94 ( * ) .

c) Les pouvoirs de l'AGCOM

Afin d'inciter les entreprises à respecter les obligations de communication préalable prévues à l'article 51, paragraphe 3 lorsqu'elles seraient amenées à dépasser certains seuils, le nouveau décret législatif autorise l'AGCOM à prononcer des sanctions administratives pécuniaires pouvant représenter jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires de l'année précédente à l'encontre des entreprises n'ayant pas respecté ces obligations.

L'AGCOM vérifie le respect de l'interdiction de pouvoir de marché important portant atteinte au pluralisme des médias sur la base des notifications transmises par les entreprises, des éventuelles plaintes reçues ou sur auto-saisine (article 51, paragraphe 5, DL n° 208/2021). Lors de ses enquêtes, l'AGCOM doit respecter le principe du contradictoire et la confidentialité des données des personnes et des entreprises (article 51, paragraphe 7, DL n° 208/2021).

Si, à la suite d'une enquête, l'AGCOM confirme l'existence d'une position de pouvoir de marché significatif, préjudiciable au pluralisme, elle intervient pour que celle-ci soit rapidement supprimée. Si elle constate que certaines opérations futures sont susceptibles d'aboutir à une situation interdite, elle en empêche la poursuite. Si elle le juge nécessaire, l'AGCOM peut décider de prendre des mesures affectant la structure de l'entreprise, imposant la cession d'entreprises ou de branches, dans un délai approprié ne pouvant excéder douze mois. Les opérateurs soumis à une enquête de l'AGCOM peuvent présenter à l'AGCOM des engagements qui, s'ils sont jugés suffisants par l'Autorité, sont rendus contraignants par celle-ci (article 51, paragraphe 6, DL n° 208/2021).

Dans le cadre de la procédure d'examen du projet de décret législatif par le Parlement, l'Autorité de la concurrence avait rendu un avis dans lequel elle proposait d'introduire une procédure d'avis, obligatoire ou facultatif, de l'Autorité de la concurrence dans les enquêtes menées par l'AGCOM. Cette proposition, à laquelle l'AGCOM était opposée, n'a pas été retenue dans le texte final 95 ( * ) .

C. LA PROTECTION DE L'INDÉPENDANCE DES JOURNALISTES ET DES RÉDACTIONS

Les recherches conduites n'ont pas permis de mettre en évidence l'existence de dispositions législatives spécifiques visant à protéger l'indépendance éditoriale des journalistes ou des rédactions face aux propriétaires des médias dans lesquels ils travaillent.

Dans l'ensemble, la situation économique et l'indépendance des journalistes en Italie apparaît dégradée. Selon le rapport annuel 2021 de la plateforme du Conseil de l'Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, l'Italie est, après la Russie, le pays où le plus grand nombre d'atteintes à l'intégrité physique des journalistes a été signalé 96 ( * ) .

La deuxième édition de l'observatoire sur le journalisme, publiée par l'AGCOM en 2017, soulignait quant à elle le faible niveau de protection juridique des journalistes face aux plaintes de tiers, ce qui conduirait à une forme d'autocensure (« chilling-effect » ) de certains journalistes, nuisible au pluralisme 97 ( * ) . Ce phénomène serait d'autant plus prononcé en Italie en raison des facteurs suivants :

- la fréquence des « liti temerarie » (littéralement contentieux imprudents), qui désignent en droit italien des actions en justice menées avec mauvaise foi, négligence grave ou absence de prudence, c'est-à-dire avec la conscience d'engager une procédure généralement infondée en fait ou en droit. Ces procédures sont souvent menées à des fins dilatoires ou d'obstruction à l'exercice du droit de reportage des journalistes et assorties de demandes d'indemnisations pour préjudice moral disproportionnées 98 ( * ) ;

- le degré élevé de précarité d'une grande partie des journalistes, qui ne leur permet pas de supporter les frais de procédure liées aux formes d'intimidation par voie d'action en justice. L'AGCOM relève aussi qu'il y a « souvent, un manque de soutien de la direction éditoriale, en particulier dans les petits médias locaux, qui ont l'obligation comptable d'inscrire à leur bilan le passif lié aux frais de justice » 99 ( * ) ;

- la longue durée des procès en Italie et la crainte du journaliste accusé de se voir infliger une peine de prison. En effet, ces actions en justice ont un caractère d'autant plus intimidant que l'article 13 de la loi n° 47 de 1948 sur la presse 100 ( * ) prévoit obligatoirement une peine d'emprisonnement d'un à six ans assortie du paiement d'une amende en cas de condamnation pour diffamation par voie de presse. En juin 2021, la Cour constitutionnelle a déclaré cet article inconstitutionnel et précisé que l'article 595, troisième alinéa, du Code pénal, prévoyant un emprisonnement de six mois à trois ans ou, à défaut, le paiement d'une amende était compatible avec la Constitution mais que seuls « les cas d'une gravité exceptionnelle » devaient être sanctionnés par une peine d'emprisonnement 101 ( * ) . La Cour constitutionnelle a également appelé le législateur à intervenir afin d' « assurer un équilibre plus adéquat entre la liberté d'expression et la protection de la réputation individuelle ».


* 66 https://www.cortecostituzionale.it/documenti/relazioni_internazionali/RI_20130606_CHELI.pdf

* 67 Corte costituzionale, sentenze 224/1976 e 225/1976.

* 68 Corte costituzionale, sentenze 202/1976, 148/1981 e 826/1988.

* 69 Corte costituzionale, sentenze 420/1994 e 466/2002.

* 70 L'indice de concentration CR4, calculé par l'AGCOM, correspond au poids des quatre principales entreprises d'un secteur par rapport aux résultats de l'ensemble de ce même secteur. Il tient compte à la fois des parts de marché détenues et des parts d'audience.

* 71 AGCOM, Rapport annuel 2021 , pp. 82-85.

* 72 Ibid.

* 73 AGCOM, Rapport annuel 2021 , Annexe statistique.

* 74 Ibid.

* 75 GEDI est contrôlé par Exor, la société de la famille Agnelli, qui possède un nombre important de participations dans les secteurs automobile, de l'industrie mécanique, assurantiel et immobilier.

* 76 AGCOM, Rapport annuel 2021 , Annexe statistique.

* 77 Ce centre de recherche sur les médias, hébergé par l'Institut universitaire européen de Florence, est cofinancé par l'Union européenne.

* 78 Malgré la réforme de la Rai adoptée en 2015, l'indépendance du groupe en termes de gouvernance et de financement demeure très critiquée. Par exemple, bien que la loi l'exige, aucun appel ouvert à candidature n'a été publié en 2018 lors du renouvellement du conseil d'administration et les critères de sélection n'ont pas été publiés.

* 79 Corte costituzionale, sentenza n. 420/1994 .

* 80 Loi n° 249, du 31 juillet 1997, article 2, paragraphe 7.

* 81 La loi du 3 mai 2004, n° 112, fut adoptée à la suite de la décision n° 466/2002 de la Cour constitutionnelle qui considérait que les trois chaînes nationales détenues par Mediaset constituaient une position dominante.

* 82 Legge 25 febbraio 1987 , n. 67 , Rinnovo della legge 5 agosto 1981, n. 416, recante disciplina delle imprese editrici e provvidenze per l'editoria

* 83 Decreto legislativo, 31 luglio 2005, n. 177, (Testo unico dei servizi di media audiovisivi e radiofonici)

* 84 En septembre 2019, l'AGCOM a constaté « l'inexistence de positions dominantes ou de situations préjudiciables au pluralisme sur les marchés pertinents dans le secteur radiophonique ». AGCOM, Delibera N.389/19/CONS

* 85 Les recettes (ricavi) considérées sont définies à l'article 43, paragraphe 10, DL 177/2005.

* 86 AGCOM, Delibera N. 13/21/CONS

* 87 AGCOM, Rapport annuel 2021

* 88 Société italienne du même secteur contrôlée par le groupe Fininvest dont l'actionnaire majoritaire est M. Silvio Berlusconi.

* 89 AGCOM, Delibera N. 178/17/CONS

* 90 https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2020-09/cp200099fr.pdf

* 91 Voir Zaccaria et al., Diritto dell'informazione e della comunicazione, CEDAM, Wolters Kluwer, 2021.

* 92 Observatoire européen de l'audiovisuel, rapport IRIS spécial, Pluralisme des médias et enjeux de la concurrence, 2020, p. 102.

* 93 Decreto legislativo, 8 novembre 2021, n. 208

Attuazione della direttiva (UE) 2018/1808 del Parlamento europeo e del Consiglio, del 14 novembre 2018, recante modifica della direttiva 2010/13/UE, relativa al coordinamento di determinate disposizioni legislative, regolamentari e amministrative degli Stati membri, concernente il testo unico per la fornitura di servizi di media audiovisivi in considerazione dell'evoluzione delle realta' del mercato

* 94 Ces lignes directrices n'avaient pas été publiées à la date de la rédaction de la présente étude.

* 95 Voir : http://documenti.camera.it/apps/nuovosito/attigoverno/Schedalavori/getTesto.ashx?file=0288_F002.pdf&leg=XVIII#pagemode=none

* 96 https://rm.coe.int/rapport-annuel-fra-liberte-des-medias-en-europe-web/1680a2489f

* 97 AGCOM, Osservatorio sul giornalismo II edizione,

https://www.agcom.it/documents/10179/7278186/Documento+generico+29-03-2017/3c3b73a7-64ce-47e9-acf1-e0ae62fad01f?version=1.0

* 98 Op. cit., p. 69 et suivantes.

* 99 AGCOM, Osservatorio sul giornalismo II edizione, p. 70.

* 100 Legge 8 febbraio 1948, n. 47, Disposizioni sulla stampa

* 101 Corte costituzionale, sentenza n° 150/2021,

https://www.cortecostituzionale.it/documenti/comunicatistampa/CC_CS_20210622191846.pdf

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