GRANDE-BRETAGNE



Il n'existe pas de constitution écrite et donc aucune garantie formelle, ni du droit au respect de la vie privée, ni de la liberté de la presse.

Le Bill of Rights de 1689, établi davantage pour transférer les pouvoirs du monarque au Parlement que pour sauvegarder les libertés fondamentales du citoyen, ne comporte aucune mention relative à la vie privée.

La convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, bien que ratifiée en 1951, n'a pas été intégrée dans le droit national . En effet, pour qu'un traité ou une convention produise des effets en droit interne, une loi doit être votée par le Parlement. Les tentatives faites pour introduire la convention dans le droit interne ont échoué jusqu'à maintenant. Cependant, le 24 octobre 1997, le gouvernement a déposé un projet de loi ( Human Rights Bill ) tendant à intégrer la convention en droit interne. Ce projet de loi est actuellement examiné par la Chambre des Lords.

Le débat sur la nécessité d'avoir une loi sur la protection de la vie privée dure depuis une centaine d'années. Au cours des trente dernières années, six propositions de loi sur la protection de la vie privée ont été déposées, mais aucune n'a abouti. Plusieurs rapports officiels ont, depuis le début des années 70, été consacrés à ce sujet sans que le gouvernement ne décide de préparer un projet de loi. Toutes les tentatives de réforme ont achoppé sur les définitions respectives du droit à protéger et de l'intérêt général qui, lui, justifie l'information du public et donc la non-protection de la vie privée.

En l'absence d'une reconnaissance générale du droit à la vie privée, les tribunaux sanctionnent certaines intrusions des médias, en utilisant des règles créées dans un autre but . Ainsi, ils accordent aux victimes des dommages-intérêts dans les cas où l'intrusion engage la responsabilité civile de son auteur c'est-à-dire essentiellement dans les cas de diffamation, violation de domicile et divulgation de secrets .

Par ailleurs, la presse écrite et l'audiovisuel s'autocontrôlent par le biais de codes de bonne conduite qui proscrivent certaines atteintes à la vie privée.

I. LA RESPONSABILITE CIVILE DES AUTEURS DE CERTAINES ATTEINTES A LA VIE PRIVEE

Un journal ne peut pas avoir sa responsabilité civile engagée seulement pour avoir porté atteinte à la vie privée d'autrui. Plusieurs des propositions de réforme avaient suggéré la création législative d'un nouveau tort (4( * )) : la violation de la vie privée.

Si le droit n'empêche donc pas les médias de diffuser les détails relatifs à la vie privée d'une personne, en revanche certains actes comme la violation de domicile ou la diffamation, entraînent la responsabilité civile de leur auteurs. Si donc la victime d'une intrusion dans sa vie privée parvient à établir l'existence d'une telle responsabilité, elle peut obtenir des dommages-intérêts. Les jurys accordent en général des sommes importantes aux victimes.

Les principaux cas d'ouverture de la responsabilité civile utilisés pour se défendre des intrusions des médias dans la vie privée sont les suivants :

- violation de domicile ;

- diffamation ;

- divulgation de secrets ;

- mensonge avec intention de nuire ;

- harcèlement.

1) L'action en violation de domicile

Si un journaliste entre chez quelqu'un sans autorisation et sollicite une interview, il commet une violation de domicile ( trespass ) pour laquelle réparation peut être demandée si la victime parvient à prouver l'existence d'un dommage.

Cette action est ouverte aux seules personnes qui " possèdent légalement " leur habitation, ce qui inclut celles qui louent leur logement, mais exclut celles qui se trouvent dans un hôtel, dans un hôpital ou dans la maison d'autrui. De plus, cette action suppose que l'intrusion revête un caractère matériel. Elle n'est donc pas ouverte à la victime d'une atteinte exercée de l'extérieur au moyen de jumelles ou d'une caméra.

Ainsi, en 1977, le président d'une chaîne de télévision n'a pas réussi à établir qu'il y avait violation de domicile alors que des photographes avaient pris des vues de sa propriété depuis un avion.

Les dommages-intérêts accordés dans ce cas sont généralement faibles car c'est le dommage à la propriété qui est évalué, et non le préjudice à l'intimité.

2) L'action en diffamation

L'action en diffamation est ouverte à la victime d'une publication diffamatoire.

La diffamation se subdivise en droit anglais en deux notions : le slander et le libel .

Le premier couvre toute diffamation faite oralement ou par gestes. De plus, sauf dans quelques cas énumérés par la loi, l'action en slander n'est pas possible si le demandeur n'a pas subi un dommage évaluable en argent.

En revanche, l'action en libel est ouverte à toute personne victime d'une diffamation écrite ou qui revêt une autre forme permanente, sans que le demandeur doive apporter la preuve d'une perte financière.

L'action a été étendue pour couvrir les diffamations faites par le biais de l' audiovisuel .

Face à une intrusion des médias dans la vie privée, il est donc possible d'introduire une action en libel , à condition d'établir le caractère diffamatoire de l'information.

La loi ne comporte aucun critère permettant d'apprécier le caractère diffamatoire d'un propos. C'est donc le juge qui apprécie si le propos est susceptible de rabaisser le demandeur dans l'esprit de " membres bien-pensants de la société ", ou s'il est de nature à porter atteinte à sa réputation. Le jury établit ensuite l'existence ou non de la diffamation et fixe le montant des dommages-intérêts.

Les jurys ont tendance à allouer aux victimes des sommes très importantes. Toutefois, il est souvent fait appel de ces décisions, ce qui rallonge et renchérit la procédure, surtout si l'on tient compte du fait qu'il est impossible d'obtenir une aide juridique dans ce domaine.

3) L'action en divulgation de secrets

Cette action constitue une garantie de la protection de la vie privée dans la mesure où elle permet une réparation de la divulgation, ou de l'utilisation non autorisée, d'une information qui n'a pas encore été rendue publique et qui a été confiée à autrui dans des circonstances imposant une obligation de discrétion.

D'origine doctrinale, cette action s'est développée pour protéger les secrets du monde des affaires, puis la jurisprudence l'a étendue aux informations personnelles.

Le champ d'application de l'action en violation de confidentialité est plus étendu que celui de l'action en diffamation, car elle permet de prévenir la divulgation de faits véridiques sans tenir compte de l'existence d'un préjudice causé à la réputation.

La portée de cette action est cependant limitée par le fait qu'une relation de confiance est nécessaire, même s'il ne s'agit pas d'une relation formelle et préexistante.

Quand, en novembre 1993, des photographies montrant la Princesse de Galles en tenue de sport ont été prises en cachette par le propriétaire du club de gymnastique, puis vendues au groupe de presse du Mirror et largement diffusées, l'action en divulgation de secrets a pu être utilisée grâce au contrat entre le club et la Princesse de Galles, d'autant plus que le contrat spécifiait que l'adhésion au club de cette dernière devait être traitée avec " la plus extrême confidentialité " par le gérant et l'ensemble du personnel. C'est donc sur la base de l'action en divulgation de secrets que la cour a interdit aux journaux de continuer à diffuser les clichés.

La jurisprudence admet l'action en divulgation de secrets même en l'absence d'une relation de confiance établie formellement. Ainsi, en 1988, une personne avait confié à une amie les détails de sa relation homosexuelle avec une tierce personne et avait retrouvé cette information dans le Mail on Sunday . La demanderesse a soutenu que son amie et le journal avaient agi en rupture de relation de confiance, ce que la cour accepta.

Pour que l'action en divulgation de secrets soit possible, il faut, mis à part l'existence d'une relation privilégiée imposant la discrétion, que l'information ait un caractère suffisamment intime ou secret.

4) Le mensonge avec intention de nuire

Lorsque la publication est erronée mais n'est pas diffamatoire, la victime d'une atteinte à la vie privée peut intenter une action fondée sur " le mensonge avec intention de nuire " ( malicious falsehood ), dans la mesure où l'information diffusée est susceptible de lui causer un préjudice.

Ainsi, en 1990, alors que l'auteur de télévision Gorden Kaye était hospitalisé, un journaliste et un photographe s'introduisirent à l'hôpital et prirent des clichés du malade qui furent, ainsi qu'une fausse interview, publiés dans le Sunday Sport .

Le tribunal condamna la publication des photographies et de l'interview parce qu'il n'avait pas été indiqué au lecteur que Kaye n'avait pas donné son consentement. Il y avait donc " mensonge avec intention de nuire ", le préjudice étant constitué par le fait que la publication par le Sunday Sport risquait d'empêcher Kaye de vendre l'histoire de son accident à d'autres journaux.

A contrario, la publication des mêmes documents, accompagnée de la mention du non-consentement de l'intéressé aurait été autorisée.

Les actions fondées sur la violation de domicile, la diffamation et la divulgation de secrets ne permettant pas à Kaye d'obtenir réparation, seule l'action fondée sur le mensonge avec intention de nuire pouvait en la circonstance offrir à l'intéressé un minimum de protection.

5) Le harcèlement

La loi de mars 1997 sur la protection contre le harcèlement , entrée en vigueur le 16 juin 1997, interdit à toute personne d'adopter à l'égard d'une autre une conduite qui équivaut à du harcèlement, ou dont elle sait qu'elle équivaut à du harcèlement.

La loi précise par ailleurs que harceler signifie " effrayer " ou " causer de la douleur ", et qu'une telle conduite doit s'être produite au moins deux fois.

La victime de harcèlement peut obtenir des dommages-intérêts. Cette disposition a été utilisée une fois par la Princesse de Galles dans une affaire l'opposant à des paparazzi .

* *

*

On s'attend à ce que l'adoption du projet de loi tendant à intégrer la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans l'ordre juridique interne se traduise par la création jurisprudentielle d'un droit à la vie privée . En effet, l'adoption de ce texte permettra aux citoyens britanniques de faire valoir leurs droits directement devant les tribunaux nationaux sans avoir à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme. Or les tribunaux, comme n'importe quel organisme officiel, auront l'obligation de ne pas contrevenir à la convention, c'est-à-dire notamment de garantir la protection de la vie privée.

C'est pour cette raison que le projet a été qualifié de " scélérat " par certains représentants de la presse.

II. LES INFRACTIONS PENALES CONTRE LA VIE PRIVEE

Il n'existe actuellement aucune infraction pénale générale contre la vie privée . Plusieurs des rapports relatifs à l'introduction d'une législation tendant à la protection de la vie privée ont proposé la création de telles infractions. En particulier, le deuxième rapport Calcutt de 1993 suggérait la création de trois infractions pénales :

- l'entrée dans une propriété privée ;

- la mise en place d'un dispositif de surveillance ;

- la prise de clichés ou l'enregistrement de la voix d'une personne chez elle ;

dans la mesure où ces actes n'auraient pas été expressément autorisés et auraient été accomplis pour obtenir des informations personnelles, destinées à être publiées ensuite.

Ces informations auraient été sanctionnées par des amendes pouvant atteindre 5.000 livres.

A l'heure actuelle, la diffamation constitue une infraction pénale lorsqu'elle est susceptible de porter une très grave atteinte à la réputation de la personne concernée.

Par ailleurs, la loi sur la protection contre le harcèlement a créé une nouvelle infraction pénale qu'elle sanctionne d'une amende ou d'une peine de prison pouvant aller jusque six mois.

III. LES MECANISMES D'AUTOREGULATION DE L'AUDIOVISUEL ET DE LA PRESSE ECRITE

1) L'audiovisuel

La Broadcasting Standards Commission (BSC) traite notamment les atteintes " injustifiées " à la vie privée, réalisées par une chaîne de radiodiffusion ou de télévision, quelle qu'elle soit. La création de la BSC a été prévue par la loi sur l'audiovisuel ( 5( * ) ) . Tous les membres de la BSC sont nommés par le ministre compétent pour l'audiovisuel.

La loi a chargé la BSC d'élaborer un code de bonne conduite . Publié il y a plusieurs mois, il est applicable depuis le 1 er janvier 1998.

Dans ce document, il est indiqué qu'une atteinte à la vie privée doit être justifié par un " intérêt public primant toute autre considération " et que " les moyens utilisés pour obtenir l'information doivent être proportionnés au fait étudié ". La BSC n'exclut donc pas l'utilisation de caméras et de micros cachés quand " la crédibilité et l'authenticité de l'information " l'exigent et que " les mots ou les images enregistrés servent un intérêt public qui l'emporte sur tout autre ". Elle insiste sur le fait que la notion de vie privée est relative, certaines personnes étant particulièrement exposées au regard du public, soit à cause de leur position, soit à cause de la publicité dont elles s'entourent.

La BSC fait paraître ses décisions dans un bulletin mensuel. Elle peut également obliger les chaînes à les publier, sous la forme qu'elle désire, dans un court communiqué diffusé après les informations du soir par exemple.

Les plaintes ne sont pas recevables si le plaignant dispose d'une voie de recours devant les tribunaux. Elles doivent être déposées dans un délai de trois mois ou de six semaines selon qu'elles concernent une émission de télévision ou de radiodiffusion.

La commission fait publier ses décisions au cours des émissions, sous la forme qu'elle souhaite et à l'heure qu'elle désire. Cette publication prend souvent la forme d'une déclaration de 200 mots, diffusée après les informations du soir.

Tous les membres de la commission sont nommés par le ministre compétent pour l'audiovisuel.

2) La presse écrite

a) L'institution de la Commission des plaintes en matière de presse

A la suite des travaux menés après la deuxième guerre mondiale par la Commission royale sur la presse, le Conseil de la presse ( Press Council ), chargé d'élaborer un code de bonne conduite et de censurer les conduites journalistiques indésirables, fut créé.

Sa composition très partisane et l'absence de tout pouvoir de sanction l'empêchèrent d'agir efficacement.

C'est pourquoi le gouvernement chargea en 1989 la commission Calcutt de proposer de nouvelles solutions. Dans son rapport rendu en 1990, la commission suggérait le remplacement du Press Council par une institution plus crédible, la Commission des plaintes en matière de presse ( Press Complaints Commission : PCC ). Celle-ci fut mise en place au début de l'année 1991.

La PCC a établi un code de bonne conduite . Toute plainte pour infraction à ce code peut, dans le délai d'un mois suivant la publication incriminée, lui être soumise.

En matière de vie privée, le code de la PCC condamne l'utilisation du téléobjectif et des écoutes téléphoniques seulement lorsque les informations obtenues ne servent pas l'intérêt général. De plus, la condamnation des photographies prises au téléobjectif sans autorisation ne s'applique qu'aux clichés pris dans des propriétés privées, dans des chambres d'hôtel ou dans les parties des hôpitaux où les malades sont soignés ou logés. Le code ne s'oppose donc pas à la réalisation de clichés de l'extérieur d'une propriété privée, du hall d'un hôtel ou de la salle d'attente d'un hôpital par exemple.

D'après le code, sert l'intérêt général toute information permettant de :

- " détecter ou mettre en évidence un crime ou une infraction sérieuse ;

- " protéger la santé et la sécurité du public ;


- " empêcher le public d'être abusé par les propos ou les actes d'un particulier ou d'une organisation ".

Cette définition, très extensive, permet à la presse d'affirmer que l'information selon laquelle les enfants du Premier ministre fréquentent une école donnée sert l'intérêt général car les électeurs doivent savoir si le Premier ministre accorde ses actes à ses paroles.

b) Les critiques apportées au fonctionnement de la Commission

La PCC est très critiquée, notamment parce qu'elle ne dispose d'aucun réel pouvoir de sanction : elle ne peut pas infliger d'amendes, et les éditeurs ne peuvent pas être contraints de se soumettre à ses recommandations. En général, c'est-à-dire dans environ 85 % des cas, le journal publie une excuse ou un rectificatif à la suite d'une plainte considérée comme justifiée. Si le différend n'est pas réglé de cette façon, la commission rend une décision officielle que l'éditeur a l'obligation de publier intégralement.

Ainsi, en septembre 1995, Buckingham Palace se plaignit d'un article paru dans la revue Business Age dans lequel la fortune de la Reine était citée comme la première du pays, estimant qu'il y avait confusion entre la fortune personnelle de la Reine et celle de l'institution royale. La PCC confirma la plainte de la Reine et indiqua que la revue aurait dû expliquer le mode de calcul de la fortune royale et vérifier ses informations auprès de Buckingham.

En 1992, Sir David Calcutt, qui avait présidé la commission dont les travaux ont été à l'origine de la création de la PCC, fut chargé de rendre un rapport sur le fonctionnement effectif de la PCC. Au début de l'année 1993, il s'exprimait ainsi : " La PCC n'est pas un régulateur efficace de la presse (...). La PCC telle que constituée est, par essence, un organe créé par l'industrie (la presse), dominé par l'industrie, mettant en oeuvre un code de conduite élaboré par l'industrie, et qui s'avère particulièrement favorable à l'industrie ".

Il se montrait partisan de la mise en place d'un tribunal chargé de réprimer les manquements à la déontologie professionnelle. D'autres ont proposé de donner à un médiateur ou à une autre commission de la presse le pouvoir d'imposer des amendes ou d'exiger des compensations financières au profit des plaignants.

Après le décès de la Princesse de Galles, le président de la PCC a annoncé la publication d'un nouveau code, plus sévère. Celle-ci est annoncée pour le début de l'année 1998. Le nouveau code devrait notamment étendre la notion de " propriété privée " pour y inclure des lieux comme les églises ou les restaurants et limiter l'utilisation du téléobjectif.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page