ANGLETERRE ET PAYS DE GALLES



L'euthanasie active ne fait pas l'objet d'une incrimination particulière, mais la jurisprudence l'assimile à l'homicide volontaire. Les pouvoirs publics ainsi que l'Association médicale britannique restent opposés à sa légalisation.

De plus, si le suicide et la tentative de suicide ont été décriminalisés en 1961 par le Suicide Act , il n'en est pas de même de l'aide au suicide, qui est toujours qualifiée d'homicide involontaire. L'opposition au suicide médicalement assisté est également unanime.

S'agissant de l'euthanasie indirecte , la jurisprudence a développé la théorie du " double effet " , qui autorise un médecin à administrer légalement à un malade en phase terminale des antalgiques qui ont pour effet secondaire (double effet) prévisible, mais non recherché, de hâter le décès.

Quant à l'euthanasie passive , elle est admise par la jurisprudence , non seulement lorsque le malade est capable d'exprimer son refus, mais aussi lorsqu'il l'a exprimé de façon anticipée dans un testament de vie. La valeur juridique de ces documents fait actuellement l'objet d'un débat, puisque le gouvernement de Tony Blair en décembre 1997, puis l'Association médicale britannique en 1998 ont lancé des consultations à ce sujet.

I. LE CADRE JURIDIQUE

1) Les lois pénales

a) L'Homicide Act de 1957

L'euthanasie ne fait pas l'objet d'une incrimination particulière. Elle est poursuivie sur le fondement de meurtre, d'homicide volontaire ou de coups et blessures.

L'article 4 de l' Homicide Act de 1957 s'intitule " Des pactes de suicide " et permet la qualification d'homicide involontaire, assortie donc d'une peine plus douce, lorsqu'une personne en tue une autre conformément à un pacte de suicide conclu entre elles.

b) Le Suicide Act de 1961

Ce texte a permis la décriminalisation du suicide et de sa tentative. En revanche, l'assistance au suicide constitue toujours une infraction .

En effet la loi pose, à l'article 2, une responsabilité criminelle pour complicité dans le suicide d'un tiers :

" Toute personne qui aide, encourage, recommande ou permet le suicide d'un tiers est passible d'une peine d'emprisonnement au plus égale à quatorze ans.

" Si au cours du procès d'accusation pour homicide, volontaire ou involontaire, il est prouvé que l'accusé a aidé, encouragé, conseillé ou permis le suicide de la personne en question, il peut être déclaré coupable de l'une ou l'autre de ces infractions
".

2) L'arrêt Airedale NHS Trust v. Bland

Dans cet arrêt, rendu le 9 février 1993, la Chambre des Lords s'est prononcée sur l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation artificielles d'un patient qui était dans un état végétatif persistant depuis 1989, à la suite d'un accident survenu dans un stade de football.

A cette occasion, elle a rappelé les grands principes qui s'imposent à tous ceux qui sont confrontés au problème de l'euthanasie :

- l'administration d'une substance mortelle est interdite ;

- le droit pour les malades de refuser un traitement constitue une liberté fondamentale ;

- ce droit de refuser un traitement s'applique, y compris dans les situations où le refus peut provoquer le décès du patient.

II. LA PRATIQUE ET LE DEBAT

1) L'euthanasie active

Elle est condamnée par le code pénal et unanimement réprouvée par les pouvoirs publics, les médecins et les juristes.

La jurisprudence qualifie d'homicide volontaire le fait de tuer volontairement un patient en lui administrant une substance létale. Elle s'en tient aux deux éléments qui constituent l'infraction : le fait de donner la mort et l'intention de la donner. La souffrance du patient, sa demande répétée que soit mis fin à ses jours et la compassion du médecin ne sont pas pris en considération.

Cette jurisprudence, qui a pu parfois apparaître sévère aux yeux de l'opinion publique, a donné lieu à de nombreux débats et controverses. Ceci a conduit la Chambre des Lords à se saisir du sujet en désignant une commission d'enquête sur l'éthique médicale , qui a rendu ses conclusions dans son rapport publié le 31 janvier 1994 . D'après ces conclusions :

- il n'y a pas lieu de changer la loi pour autoriser l'euthanasie ;

- il n'est pas souhaitable de créer une infraction de meurtre par compassion.

Le gouvernement précédent avait publié en mai 1994 une réponse au rapport de la commission d'enquête, dans laquelle il s'affirmait en accord avec les conclusions de la commission, notamment sur l'inopportunité de modifier la loi pour autoriser l'euthanasie.

En octobre 1998, le gouvernement de Tony Blair a réuni un jury de treize personnes représentant un échantillon socio-économique de la population qui devait répondre, après avoir entendu différents témoignages, aux questions suivantes :

- doit-on pouvoir choisir quand et comment mourir ?

- en quelle(s) occasion(s) doit-on aider une personne à mourir ?

Les voix se sont partagées (sept pour et six contre) sur la question de savoir si les médecins devaient avoir la possibilité de proposer une dose létale à un malade en fin de vie qui le lui demande.

2) L'aide au suicide

Elle tombe sous le coup de l'article 2 du Suicide Act , et l'opposition au suicide médicalement assistée reste unanime.

La commission d'enquête de la Chambre des Lords sur l'éthique médicale avait fait savoir qu'il n'y avait pas lieu de changer la loi sur l'aide au suicide, et le gouvernement de l'époque en était tombé d'accord.

Le 10 décembre 1997, la proposition de loi du parlementaire Joe Ashton sur la mort médicalement assistée, dont l'objet était de permettre le suicide médicalement assisté des malades incurables, a été rejetée par 234 voix contre 89.

3) L'euthanasie indirecte

La jurisprudence permet depuis longtemps aux médecins d'administrer des médicaments antalgiques, alors même que cela a pour effet secondaire (ou double effet) prévisible, mais non voulu, de hâter la mort.

En 1957, dans l'affaire du Docteur John Bodkin Adams, l'une des premières que les tribunaux aient eu à connaître, le juge déclara qu'" un médecin est habilité à faire tout ce qui est nécessaire pour soulager les souffrances du patient, même si les mesures prises peuvent accessoirement abréger la vie ".

Dans un contexte de maladie en phase terminale, la thérapie laisse donc la place aux soins palliatifs et à l'accompagnement de la mort.

Dans son rapport de 1994, la commission d'enquête sur l'éthique médicale de la Chambre des Lords avait d'ailleurs souligné que " le double effet " ne constituait pas une raison de refuser au malade un traitement qui pourrait le soulager, dès lors que le médecin agissait en conformité avec la pratique médicale en vigueur, en ayant la volonté de soulager la douleur ou la souffrance et sans intention de tuer.

Ceci correspond à la position qu'a toujours tenue l'Association médicale britannique.

4) L'euthanasie passive

a) Les malades capables d'exprimer un consentement juridique valable

La jurisprudence reconnaît depuis fort longtemps le droit pour un malade capable de refuser un traitement pour un " motif rationnel, ou irrationnel, voire sans raison ". Il s'agit là d'une liberté fondamentale liée à la libre disposition qu'a tout être humain de son corps.

Ainsi, dans l'arrêt Airedale NHS Trust v. Bland, Lord Mustill rappelle que " le choix du patient d'arrêter un traitement doit être respecté, même si c'est objectivement contraire à son intérêt . Un médecin n'a pas le droit de passer outre, même s'il apparaît évident pour tous, y compris pour le malade, que des conséquences néfastes, et même la mort, pourront s'ensuivre ou s'ensuivront. ".

Le médecin ne peut faire l'objet d'aucune poursuite, tant au civil qu'au pénal, dès lors qu'il a clairement informé le patient sur la totalité du traitement, y compris sur ses effets secondaires, qu'il a loyalement répondu à toutes ses questions et qu'il s'est assuré de la réalité de son intention de mourir.

La commission d'enquête de la Chambre des Lords avait précisé qu'elle soutenait " vigoureusement le droit du patient capable (juridiquement) de refuser de se soumettre à un quelconque traitement médical ". Elle avait indiqué par ailleurs que " si un tribunal devait annuler une telle décision, cette annulation devrait être fortement motivée ".

b) Les malades incapables de donner leur consentement, mais qui ont rédigé un testament de vie

Dans l'arrêt Airedale NHS Trust v. Bland, Lord Keith of Kinkel décrit le droit d'une personne de refuser de suivre un traitement, même si son refus provoque sa mort, et ajoute que " cela s'étend à la personne qui prévoit qu'elle pourrait être plongée dans un état végétatif persistant ou un état proche de celui-ci et qui donne des instructions claires pour qu'il ne lui soit administré aucun traitement médical, ni même de nutrition artificielle ".

En l'absence de loi, la valeur juridique d'un refus anticipé d'un traitement reste incertaine. Il semble cependant que la jurisprudence lui reconnaisse une telle valeur. Ainsi, la Cour d'Appel (Chambre civile), dans sa décision Re.T. ( Adult refusal of medical treatment ), rendue en 1992, indique que, si un patient a fait un choix anticipé clairement établi et applicable compte tenu des circonstances dans lesquelles il se trouve, ce choix lie juridiquement le médecin dès lors que les quatre conditions suivantes sont remplies :

- le patient avait la capacité mentale nécessaire au moment où il a exprimé ce refus anticipé ;

- le patient avait pris en considération l'exacte situation dans laquelle il se trouverait au moment où il perdrait sa capacité juridique ;

- le patient avait pleinement apprécié les conséquences de son refus de traitement ;

- le patient n'avait pas été moralement influencé par une autre personne au moment où il a pris sa décision.

La commission d'enquête de la Chambre des Lords avait approuvé, en 1994, le développement des testaments de vie, mais avait jugé inutile de légiférer en la matière. Elle avait cependant enjoint aux professions médicales de préparer un code déontologique. En avril 1995, l'Association médicale britannique a publié un code qui donne des conseils sur cette question aux membres des différentes professions de santé et qui souligne la valeur contraignante des testaments de vie.

c) Les malades incapables de donner leur consentement et qui n'ont pas rédigé de testament de vie

Lorsque le patient est dans un état végétatif persistant, l'arrêt des médicaments, et notamment des antibiotiques, est légal. Dans l'arrêt Airedale NHS Trust v. Bland, les juges considèrent " qu'il aurait été approprié, tant sur le plan éthique que pratique, d'interrompre le traitement antibiotique dès lors qu'il y aurait eu un accord en ce sens entre l'équipe médicale et la famille ".

En l'espèce, la Cour a également autorisé l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles. Cependant, la légalité de l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles n'est pas clairement établie et l'Association médicale britannique conseille aux médecins d'obtenir au préalable une décision de justice. En effet, pour certains, l'alimentation et l'hydratation constituent un traitement au même titre que la ventilation artificielle, dont l'arrêt est juridiquement autorisé par la jurisprudence. En revanche, pour d'autres, il s'agit de soins fondamentaux qui revêtent une dimension symbolique et non médicale.

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Depuis quelques mois, le débat porte principalement sur la valeur juridique des testaments de vie.

La Law Commission , dans son rapport sur l'incapacité mentale publié en mars 1995, préconisait leur reconnaissance juridique. Elle proposait notamment la création d'une " autorité générale agissant raisonnablement " qui veillerait à la prise en compte par le corps médical des volontés exprimées dans les testaments de vie, dans l'intérêt bien compris du malade. Cette autorité pourrait notamment permettre au médecin d'utiliser un nouveau traitement non spécifié à l'avance par le patient, mais qui ne contredirait pas ses instructions.

Le 10 décembre 1997, le ministre de la Justice du gouvernement de Tony Blair a publié un document de consultation sur l'incapacité mentale, intitulé " Qui décide ? ". Il a pris soin de rappeler l'illégalité de l'euthanasie et d'indiquer que le gouvernement n'avait pas encore décidé s'il légiférerait dans ce domaine. Il a précisé qu'il s'agissait de recueillir des points de vue sur un certain nombre de recommandations de la Law Commission , en particulier sur celles relatives aux testaments de vie et à la possibilité pour une personne capable de donner procuration à une autre afin que cette dernière prenne toute décision à sa place, y compris dans le domaine médical, si elle devenait incapable.

L'Association médicale britannique a également lancé une consultation auprès des professionnels de la santé, des malades et de leurs associations sur " l'arrêt ou la non-mise en oeuvre d'un traitement ". Les réponses étaient attendues pour la mi-octobre 1998. En préambule au questionnaire, elle a indiqué qu'elle n'établissait pas de distinction entre la décision d'arrêter un traitement et celle de ne pas le mettre en oeuvre, et a rappelé qu'un médecin pouvait prendre une telle décision dès lors qu'il était hautement probable que le traitement n'apporterait aucun bénéfice médical au patient, ou que celui-ci ne lui donnerait pas " une qualité de vie acceptable ".

Ainsi, le discours médical évolue vers l'inutilité de prolonger la vie à tout prix et l'arrêt des gestes médicaux disproportionnés avec la situation du patient. Un article du Lancet du 23 mars 1996 a même proposé de soumettre au Parlement britannique un projet de loi sur " l'inutilité médicale ".

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