ÉTUDE D'IMPACT
PROJET DE LOI
relatif à la restitution de biens culturels provenant d'États qui, du fait d'une appropriation illicite, en ont été privés
NOR : MICB2517755L/Bleue-1
29 juillet 2025
TABLEAU SYNOPTIQUE DES CONSULTATIONS 7
TABLEAU SYNOPTIQUE DES MESURES D'APPLICATION 8
1.1.3. Cadre juridique interne 19
1.4. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ 30
2. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRÉR ET OBJECTIFS POURSUIVIS 38
2.1. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER 38
3. OPTIONS ENVISAGÉES ET DISPOSITIF RETENU 41
3.1.1. Option écartée : le renouvellement de lois d'espèce 41
3.1.2. Option écartée : une procédure judiciaire d'annulation de l'entrée du bien dans les collections publiques pour toutes les situations de demandes de restitution 42
3.2. DISPOSITIF RETENU : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF DÉROGATOIRE AU PRINCIPE D'INALIÉNABILITÉ ENCADRE LA SORTIE DU DOMAINE PUBLIC 42
3.2.1. Principes du processus de sortie du domaine public 42
3.2.2. Présentation des articles du projet de loi 45
3.2.3. L'application du projet de loi aux biens culturels entrés dans les collections publiques par les dons et legs 48
3.2.4. Les exclusions de certaines catégories de biens culturels du champ d'application du projet de loi 51
4. ANALYSE DES IMPACTS DES DISPOSITIONS ENVISAGÉES 55
4.1.1. Impacts sur l'ordre juridique interne 55
4.1.2. Articulation avec le droit international et le droit de l'Union européenne 56
4.2. IMPACTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS 56
4.2.1. Impacts macroéconomiques 56
4.2.2. Impacts sur les entreprises 56
4.3. IMPACTS SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 56
4.4. IMPACTS SUR LES SERVICES ADMINISTRATIFS 57
4.5. IMPACTS SUR LE CONSEIL D'ETAT 57
4.6.1. Impacts sur les personnes en situation de handicap 59
4.6.2. Impacts sur l'égalité entre les femmes et les hommes 60
4.6.3. Impacts sur la jeunesse 60
4.6.4. Impacts sur les professions réglementées 60
4.7. IMPACTS SUR LES PARTICULIERS 60
4.8. IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX 61
5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D'APPLICATION 61
5.2. MODALITÉS D'APPLICATION 61
5.2.1. Application dans le temps 61
5.2.2. Application dans l'espace 61
5.2.3. Textes d'application 64
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Le présent projet de loi vise à permettre la restitution de biens culturels appartenant au domaine public ayant fait l'objet, avant leur entrée dans les collections publiques, d'une appropriation illicite, que ce soit anciennement alors qu'aucune disposition ne contraignait la France à répondre à de telles demandes de restitution, ou plus récemment, relevant alors de l'engagement international pris en ratifiant la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), adoptée à Paris le 14 novembre 19701(*). Cette restitution vise à la réappropriation par des peuples étrangers des éléments fondamentaux de leur patrimoine et de leur mémoire.
Dans un contexte récent d'augmentation ces dernières décennies des revendications formulées par des États étrangers2(*) et portant sur des biens culturels intégrés aux collections publiques françaises, il apparaît désormais souhaitable de trouver les voies et moyens de pouvoir y répondre, lorsque ces demandes s'avèrent légitimes, sans remettre en question la vocation universaliste des musées publics, ni le principe d'inaliénabilité qui protège leurs collections.
Dans son discours prononcé à l'Université de Ouagadougou au Burkina Faso le 28 novembre 20173(*), le Président de la République a fait de la culture l'un des trois enjeux présidant à la construction d'une nouvelle relation d'amitié entre la France et l'Afrique, et a donné l'impulsion d'un mouvement de restitution, à l'égard prioritairement de l'Afrique, en indiquant :
« Le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou. Ce sera une de mes priorités, je veux que d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. Cela supposera aussi un grand travail et un partenariat scientifique, muséographique. »
La singularité de la situation de l'Afrique subsaharienne qui se trouve privée, sans doute comme aucune région du monde, d'une part importante de son patrimoine historique, motivait cette orientation, tout comme le souhait que « la jeunesse africaine ait accès en Afrique et non plus seulement en Europe à son propre patrimoine et au patrimoine commun de l'humanité ».
Pour contribuer à cette réflexion, le Président de la République a confié en mars 2018 une mission à deux universitaires, M. Felwine Sarr, professeur à l'Université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal) et Mme Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universität de Berlin (Allemagne) et titulaire d'une chaire internationale au Collège de France. Ils ont remis au Président de la République le 23 novembre 2018 leur rapport intitulé « Restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle. »
Le Gouvernement a ensuite élaboré un projet de loi pour pouvoir faire sortir des collections publiques 26 biens du Trésor dit de Béhanzin et une épée attribuée à El Hadj Omar Tall pour répondre aux demandes respectives du Bénin et du Sénégal. Il a abouti à la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, qui donnait un délai d'un an après la promulgation du texte pour procéder à la remise matérielle des biens dont le Parlement avait autorisé la restitution. Cette loi a été conçue et adoptée en parallèle au renforcement du partenariat culturel avec les deux États concernés, reposant notamment sur l'accompagnement en matière d'expertise patrimoniale4(*), qui est un volet d'action primordial en accompagnement des restitutions.
Lors de la cérémonie organisée le 27 octobre 2021 au musée du quai Branly-Jacques Chirac, avant le retour des vingt-six oeuvres des trésors royaux d'Abomey au Bénin, le Président de la République a donné un nouveau cap en affirmant que « ce qu'il nous faut faire aujourd'hui, c'est définir une loi, en quelque sorte, qui permettra de cadrer dans la durée les choses, [...] pour établir véritablement une doctrine et des règles précises de restituabilité ». A cet effet, l'ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine était chargé de conduire de nouveaux travaux de réflexion.
En parallèle, au cours des débats parlementaires sur une nouvelle loi d'espèce, qui ont abouti à la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, il est apparu que ces lois pouvaient être les premières d'une longue série de lois d'espèce pour les restitutions à venir. Un consensus s'est dégagé, dans les deux assemblées et sur l'ensemble des rangs, pour souligner l'intérêt de lois-cadres, de lois générales créant des dispositifs de restitution d'oeuvres présentes dans le domaine public, sans avoir à passer, au cas par cas, devant le Parlement.
A partir de ce constat et du rapport de l'ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine intitulé « Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des oeuvres d'art », remis en avril 2023, le Gouvernement a décidé de s'orienter vers des lois-cadres pour déroger de manière circonscrite à l'inaliénabilité et autoriser des sorties de biens culturels du domaine public, dans trois domaines :
- les biens spoliés, qui ont fait l'objet de la loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 ;
- les restes humains « patrimonialisés », qui ont fait l'objet de la loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques ;
- et enfin les biens culturels, dont des peuples étrangers ont été privés illicitement, non seulement dans des contextes coloniaux mais aussi dans d'autres situations ayant occasionné des dépossessions non consenties d'oeuvres, lesquelles sont au coeur de ce troisième texte.
Tel est donc l'objet du présent projet de loi : faciliter le processus de restitution des oeuvres appartenant au domaine public, de l'État et des collectivités territoriales, par la création dans le code du patrimoine d'une dérogation ciblée au principe d'inaliénabilité sur ces situations en distinguant deux périodes, la première entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972, la seconde à partir du 24 avril 1972 qui correspond à l'entrée en vigueur au plan mondial de la Convention de l'UNESCO de 1970 précitée. Pour les faits intervenus jusqu'au 23 avril 1972, le projet de loi prévoit ainsi que la personne publique propriétaire prononce la sortie du domaine public de tout bien culturel après une procédure prévue par le texte : possibilité de constituer un comité scientifique conjoint, information du Parlement, examen rigoureux par le Conseil d'État du respect des critères et conditions prévus par la loi pour autoriser la sortie du domaine public au moyen d'un décret pris sur rapport du ministre chargé de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre dont relèvent les collections concernées. A partir du 24 avril 1972, les demandes de restitution, relevant du cadre international de lutte contre le trafic récent de biens culturels, seront soumises au juge judiciaire, qui pourra être saisi par une personne publique propriétaire d'un bien culturel, pour ordonner le cas échéant la restitution des biens en cause à leur État d'origine.
TABLEAU SYNOPTIQUE DES CONSULTATIONS
Article |
Objet de l'article |
Consultations obligatoires |
Consultations facultatives |
1er |
Sortie du domaine public d'un bien faisant partie des collections publiques d'une personne publique Disposition transversale sur les dons et legs |
Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) |
Sans objet. |
2 |
Modification du périmètre temporel de la procédure d'annulation de l'acquisition d'un bien faisant partie des collections publiques |
Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) |
Sans objet. |
3 |
Application de la loi aux demandes de restitution en cours d'examen à la date de sa publication |
Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) |
Sans objet. |
TABLEAU SYNOPTIQUE DES MESURES D'APPLICATION
Article |
Objet de l'article |
Textes d'application |
Administration compétente |
1er |
Sortie du domaine public d'un bien faisant partie des collections publiques d'une personne publique Disposition transversale sur les dons et legs |
Décret en Conseil d'État |
Premier ministre Ministère de la culture (service des musées de France et service des affaires juridiques et internationales) |
2 |
Modification du périmètre temporel de la procédure d'annulation de l'acquisition d'un bien faisant partie des collections publiques |
Décret en Conseil d'État |
Premier ministre Ministère de la culture (service des musées de France et service des affaires juridiques et internationales) |
3 |
Application de la loi aux demandes de restitution en cours d'examen à la date de sa publication |
Sans objet. |
Ministère de la culture (service des musées de France et service des affaires juridiques et internationales) |
TABLEAU D'INDICATEURS
Indicateur |
Objectif et modalités de l'indicateur |
Objectif visé (en valeur et/ou en tendance) |
Horizon temporel de l'évaluation (période ou année) |
Identification et objectif des dispositions concernées |
Constitution de comités scientifiques conjoints avec les États demandeurs |
Le projet de loi prévoit que les demandes adressées à la France en vue d'obtenir une restitution de biens culturels appartenant aux collections publiques peuvent être étudiées, si la documentation sur l'origine, les circonstances et les conditions d'appropriation du bien culturel faisant l'objet de la demande de restitution est insuffisante, par des comités scientifiques conjoints. L'indicateur proposé vise à mesurer l'évolution du recours à ces comités et le nombre de nouveaux dossiers de demandes de restitution de biens des collections publiques examinés par ce moyen. Le service des musées de France (sous-direction des collections) sera chargé de centraliser les données. |
Comités conjoints à former en fonction des demandes de restitution le nécessitant du fait des conditions incertaines d'appropriation des biens concernés. |
Fin 2026 puis une fois par an |
Article 1er du projet de loi (futur article L. 115-13 du code du patrimoine) |
Nombre de biens culturels restitués |
Le projet de loi a pour objectif de faciliter les restitutions de biens culturels appartenant actuellement aux collections publiques françaises. L'indicateur proposé vise à connaître le nombre de biens culturels restitués dans les conditions ouvertes par le projet de loi et, ainsi, à évaluer les conditions de restitutions de biens culturels par les personnes publiques aux États demandeurs. Le service des musées de France (sous-direction des collections) sera chargé de centraliser les données. |
Les demandes actuellement reçues, étant pour majorité en cours d'analyse et pour certaines d'entre elles en attente de la formation d'un comité conjoint, il est encore difficile d'avancer un chiffrage du nombre de biens culturels potentiellement restituables. Seule la restitution d'un bien à la Côte d'Ivoire est actuellement actée. |
Fin 2026 puis une fois par an |
Articles 1 et 2 du projet de loi (futurs articles L. 115-10 à L. 115-15 et article L. 124-1 modifié) |
Nouveaux programmes de recherche de provenance dans les collections publiques |
Le projet de loi peut avoir pour effet d'encourager les propriétaires publics à entreprendre de nouvelles recherches sur la provenance des biens de leurs collections. Plus largement, le projet de loi permet la diffusion de l'intérêt pour la connaissance du parcours des biens avant leur entrée dans les collections publiques. L'indicateur proposé vise à mesurer la prise en compte par les propriétaires publics de la question de l'origine et de la provenance de leurs collections et le développement des recherches entreprises par les propriétaires publics. Le service des musées de France sera chargé de centraliser les données. |
Les travaux de recherche de provenance dans les collections publiques, particulièrement dans les musées de France sont encouragés par le ministère de la culture, sous diverses formes : incitations du service des musées de France à les intégrer au travail habituel des conservations sur les collections, création d'un fonds de soutien franco-allemand dédié programme dédié d'accueil Parcours de collections, etc. Une comptabilité précise reste encore difficile à établir à ce stade. |
Fin 2026 puis une fois par an |
Le projet de loi ne contient pas de disposition à ce sujet mais le travail en recherche de provenance est le corollaire du traitement des demandes de restitution. |
ARTICLES 1, 2 ET 3
1. ETAT DES LIEUX
1.1. CADRE GÉNÉRAL
1.1.1. Historique
Dans un contexte de montée en puissance des demandes internationales de restitutions de biens culturels5(*), portant principalement sur les biens conservés dans les collections muséales publiques, et de volonté de réappropriation par certains peuples d'un patrimoine qui a pu leur être confisqué, notamment dans un contexte colonial, la France, consciente des enjeux mémoriels et symboliques de ces questions, a choisi de se positionner dans ce débat en souhaitant rendre possible, sans remettre en cause la vocation universaliste des musées français, des restitutions d'oeuvres provenant d'États étrangers.
Le modèle français de l'institution muséale, dont les valeurs fondatrices sont issues des idéaux révolutionnaires, privilégie un lieu inscrit dans la durée de constitution et de conservation des collections appartenant à la Nation, protégées par le principe d'inaliénabilité, destinées à la présentation au public et mises à disposition des chercheurs et des artistes. Cette ambition encyclopédiste et universelle du musée, que porte la France et qu'elle a contribué à forger, sous-tend l'instauration du Museum central des arts de la République, ouvert le 10 août 1793, devenu le musée du Louvre, jusqu'à la création, dans le cadre d'un accord intergouvernemental inédit avec les Émirats arabes unis, du musée du Louvre Abou Dhabi6(*), qui démontre la prégnance du modèle du musée universel, même s'il peut être questionné, ainsi que la reconnaissance de l'expertise muséale française.
Les débats historiques et scientifiques autour de l'origine des biens conservés depuis longtemps par les musées ne doivent pas conduire à jeter un soupçon général sur la constitution de leurs collections. En revanche, ces débats appellent à davantage se soucier des conditions ayant présidé à l'entrée en collection de ces objets et par conséquent à approfondir les recherches de provenances. Ces analyses doivent prendre en compte les légitimités de propriété s'étant établies successivement dans le temps et envisager de nouvelles formes de partage du patrimoine.
La constitution des collections publiques françaises s'est opérée de multiples manières, par des voies tout à fait régulières mais aussi, selon les vicissitudes de l'histoire, par des confiscations révolutionnaires ou à la suite de conquêtes coloniales de la France. L'Europe a connu une importante vague d'appropriations patrimoniales accompagnant les conquêtes napoléoniennes, suivie de son reflux, qui s'est concrétisée par les restitutions imposées du fait de la chute de l'Empire en 1815. On peut citer aussi à cet égard les nombreuses guerres qui ont jalonné les deux derniers siècles, notamment les deux conflits mondiaux du XXe siècle, qui ont conduit à des pertes patrimoniales pour les pays concernés, d'autant que, durant le XIXe siècle, il n'existait pas de règles internationales s'opposant à la prise de biens appartenant aux ennemis. De tout temps, la guerre a conduit au pillage, l'instabilité politique et les conflits au développement du trafic portant notamment sur les biens culturels.
L'accès à l'indépendance des anciennes colonies européennes au cours du troisième quart du XXe siècle a conduit ces pays à formuler de premières demandes de retour des objets de leur patrimoine qui leur avaient été soustraits. Cependant, ces demandes ont longtemps eu peu d'écho, même si elles ont pu être évoquées à partir des années 1970 jusqu'à l'Assemblée générale des Nations Unies7(*). C'est dans ce contexte qu'Amadou-Mahtar M'Bow, alors directeur général de l'UNESCO, a lancé à Paris le 7 juin 1978 son appel solennel Pour le retour, à ceux qui l'ont créé, d'un patrimoine culturel irremplaçable, qui cherchait à susciter un mouvement de restitution des biens culturels :
« Le génie d'un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine culturel que constitue, au fil des siècles, l'oeuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de ses peintres, graveurs ou orfèvres de tous les créateurs de formes qui ont su lui donner une expression tangible dans sa beauté multiple et son unicité. Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n'ont pas seulement été dépouillés de chefs-d'oeuvre irremplaçables ; ils ont été dépossédés d'une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. (...) Aussi bien ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d'art les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d'importance, ceux dont l'absence leur est psychologiquement le plus intolérable. Cette revendication est légitime. Ils savent, certes, que la destination de l'art est universelle ; ils sont conscients que cet art qui dit leur histoire, leur vérité, ne la dit pas qu'à eux, ni pour eux seulement. Ils se réjouissent que d'autres hommes et d'autres femmes, ailleurs, puissent étudier et admirer le travail de leurs ancêtres. »
L'impulsion pour une nouvelle appréhension de la question des restitutions a été donnée par le Président de la République dans son discours prononcé le 28 novembre 2017 à l'université de Ouagadougou sur une nouvelle relation d'amitié entre la France et l'Afrique. Avec ce discours fondateur, le Président de la République a insisté sur la singularité de la situation des États d'Afrique, dont la jeunesse n'a pas accès sur son continent à son propre patrimoine et qui justifie ainsi un rééquilibrage de la propriété du patrimoine.
Dans le prolongement de ce discours, a été adoptée la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Cette loi a été conçue et adoptée en parallèle au renforcement d'un cadre partenarial avec les deux États concernés, reposant notamment sur l'accompagnement en matière d'expertise patrimoniale, dans le but de concilier la réappropriation de leur patrimoine avec la vocation universaliste du musée français.
Au-delà de la colonisation, beaucoup d'autres situations historiques, telles que principalement les deux conflits mondiaux du XXème siècle, mais aussi différentes guerres qui ont émaillé les deux derniers siècles (comme celle de Crimée de 1850 à 1857) ou civiles (par exemple, celle d'Espagne de 1936 à 1939), ayant occasionné des déplacements ou des appropriations non consentis de biens culturels, dont certains ont été ensuite intégrés aux collections publiques françaises, peuvent aussi faire aujourd'hui l'objet de demandes légitimes d'États étrangers, auxquelles le Gouvernement souhaite pouvoir répondre.
1.1.2. Contexte
La sensibilité croissante sur les questions de légitimité de la propriété du patrimoine au plan international justifie une prise en compte renouvelée de ces problématiques qui passe par différentes actions.
Recherche de provenances : un axe de travail en développement, corollaire des restitutions
En France, la recherche de provenance concernant les biens ayant potentiellement une origine de propriété incertaine, voire problématique, s'est développée, pour répondre non seulement à d'éventuelles demandes de restitution mais aussi à des attentes sociétales nouvelles de la part des publics des établissements culturels publics, qui sont sans doute davantage soucieux qu'auparavant de la provenance des collections qui leur sont données à voir et en demande d'une contextualisation et d'informations claires à ce sujet.
L'évolution immédiate la plus importante tient au renforcement des recherches, devenues davantage systématiques, sur la provenance des oeuvres des collections nationales et plus largement publiques. Le parcours des oeuvres entrées dans les collections publiques doit ainsi être étudié, comme d'ailleurs y invitaient déjà les consignes données depuis 2016 par le service des musées de France dans le cadre des opérations de post-récolement décennal8(*).
Pour faire face à ces besoins de recherche, des emplois ont été ouverts dans certains musées de France sur les questions de provenance. Ainsi trois personnes se consacrent exclusivement à ces sujets au Louvre, une chercheuse a été recrutée au Musée d'Orsay, principalement pour les biens spoliés, et un poste existe désormais au musée de la musique. Le musée du quai Branly-Jacques Chirac a créé et pourvu depuis 2021 un poste consacré à l'histoire des collections. Les musées de France territoriaux se sont aussi mobilisés : Paris Musées a créé un poste de chargé de recherches de provenances et de suivi du post-récolement, destiné à coordonner sur ces sujets les 14 musées de la ville de Paris. Cette dynamique de création de postes spécialisés est appelée à s'élargir au moyen de redéploiements internes aux établissements si besoin.
Plus généralement, les enjeux liés à la provenance des collections se diffusent progressivement, comme l'illustrent les questions que posent de plus en plus les musées au moment de l'acquisition de nouvelles oeuvres. Outre l'origine des oeuvres entrées dans les collections, c'est en effet la provenance des oeuvres dont l'intégration aux collections publiques est envisagée aujourd'hui qu'il faut contrôler, au moment de leur acquisition. La vérification de la provenance, si elle reste à améliorer, est une étape indispensable du processus d'acquisition, qu'il s'agisse d'un achat ou d'une libéralité, qui est de mieux en mieux suivie par les institutions publiques.
Pour renforcer les contrôles et rendre possible la recherche de provenance, de nouvelles formations se mettent en place afin de toucher les différents professionnels du monde de l'art, de son marché, des musées et des bibliothèques. Ainsi, l'Institut national du patrimoine (INP) a inséré dans le parcours de formation des élèves conservateurs du patrimoine une formation obligatoire de deux à trois jours sur la question des spoliations de la période nazie et sur les recherches de provenance, coordonnée par le ministère de la culture. L'INP a également organisé aussi des sessions de formation continue en 2021 intitulée « Objets africains : méthodes et ressources pour la connaissance et la présentation des collections » et en 2022 « Marché de l'art et circulation des biens culturels », qui insistait sur les diligences à accomplir en matière de provenances des biens culturels. D'autres formations continues dédiées à ces problématiques et ouvertes largement aux professionnels du patrimoines, sont désormais régulièrement programmées par l'INP, notamment avec des stages comme « Lutte contre le vol et le trafic illicite de biens culturels » en septembre 2023 ou « Biographie des biens culturels, recherche de provenance » en septembre 2025.
Dans ce domaine, des formations diplômantes, destinées à répondre à des besoins de spécialisation, ont récemment vu le jour. En 2022, l'université de Nanterre a créé un diplôme universitaire (DU) de recherche de provenances des oeuvres d'art (circulations, spoliations, trafic illicite et restitutions), qui traite, entre autres, des recherches sur les oeuvres spoliées pendant la période nazie ou issues d'un contexte colonial, et qui s'adresse à la fois aux étudiants et aux professionnels du monde de l'art. Enfin, l'École du Louvre, qui sensibilisait depuis plusieurs années ses étudiants aux enjeux liés aux spoliations, aux restitutions et aux recherches de provenance, notamment au travers de séminaires dédiés au niveau du master, a mis en place à la rentrée 2023 un nouveau parcours de master 2 « Collections sensibles, recherches de provenance et enjeux internationaux » et a renforcé la prise en compte de ces problématiques tout au long de la scolarité, avec notamment une série de trois cours d'initiation dès la troisième année de 1er cycle.
Un renforcement de l'attention portée au patrimoine africain
A la suite de l'impulsion donnée par le discours du Président de la République à Ouagadougou, un focus particulier concernant la nécessité de développer la connaissance des oeuvres des collections publiques a été mis sur le patrimoine originaire d'Afrique et, en corollaire, le renforcement des actions partenariales avec le monde professionnel africain.
S'agissant des collections déjà
conservées, il a été décidé de
créer un Fonds franco-allemand de
recherches sur les biens culturels africains dans les collections des deux pays
9(*) et mutualiser ainsi
des compétences et ressources. Annoncé au conseil des ministres
franco-allemand du 22 janvier 2023, sur une intention conjointe de la ministre
de la culture et de la déléguée fédérale
allemande à la culture, ce fonds de recherche de provenance des objets
d'Afrique subsaharienne conservés dans les institutions culturelles
allemandes et françaises a été lancé en janvier
2024. Piloté par une institution franco-allemande basée à
Berlin, le Centre Marc Bloch, et prévu pour une période
expérimentale de trois ans, il est doté par le ministère
français de la culture, pour son fonctionnement et le soutien, de 300
000€ annuels et d'un poste d'expert technique international mis à
disposition par le ministère de l'Europe et des Affaires
Étrangères, et de
350 000€ côté allemand.
Trois premiers projets ont été sélectionnés
à l'issue du processus de sélection par le conseil scientifique
et un deuxième appel à projets s'est terminé le 15 avril
2025. Par ailleurs, en 2025, en parallèle, a été
créé un nouvel appel à projets autour de la mise en
réseau et de partenariats, spécifiquement conçu pour
favoriser l'émergence d'équipes de recherche internationales et
pour renforcer les collaborations déjà existantes sur la
recherche de provenance entre la France, l'Allemagne et l'Afrique
subsaharienne.
Les différents programmes d'accueil de professionnels et de bourses du ministère (Courants du monde) ont été identifiés comme pouvant contribuer à répondre à des besoins de séjours de spécialistes du patrimoine, notamment africains, pour permettre en France des travaux conjoints de documentation des oeuvres originaires de pays étrangers. A cet effet, le ministère a mis en place, en 2022, un nouveau programme intitulé Parcours de collections. Ce programme est conçu pour développer l'expertise de haut niveau et d'échange de savoirs et connaissances entre professionnels français et étrangers sur la provenance et le parcours des objets conservés en France, notamment entrés dans les collections nationales durant les périodes coloniales. Ainsi, en 2022 et pour une durée de deux mois, le musée du quai Branly-Jacques Chirac a accueilli Daouda Keita, directeur du musée national du Mali, en résidence de recherche de provenance sur les oeuvres dont la restitution a été demandée, dans le cadre de ce programme.
De plus, en matière de formation, un Itinéraire Culture spécifique ayant pour objet l'organisation d'expositions temporaires et la circulation des biens culturels au sein des musées africains a été organisé pendant deux semaines en 2022, 2023 et 2024 à Paris et en régions. Il s'adresse à des professionnels, francophones la première année et anglophones la deuxième, en alternance, travaillant dans des institutions muséales africaines. Ce séminaire a vocation à renforcer les capacités des participants afin qu'ils disposent de meilleures connaissances et compétences leur permettant d'organiser puis d'accueillir des expositions temporaires au sein de leur propre établissement en Afrique.
Ces orientations nouvelles de ces programmes du ministère de la Culture permettent d'accompagner de manière constructive et partenariale les questions de restitution.
En complémentarité, la visibilité en France des collections extra-occidentales, en particulier africaines, et leur étude sont aussi encouragées. C'est ainsi que l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) a développé des programmes de recherche pour prendre en compte cet enjeu, comme avec celui intitulé Vestiges, indices, paradigmes : lieux et temps des objets d'Afrique (XIVe - XIXe siècle)10(*) ou encore avec le projet Le monde en musée. Cartographie des collections d'objets d'Afrique et d'Océanie en France11(*).
Par ailleurs, le ministère de la culture attache une grande importance à ce que les restitutions ne constituent qu'un aspect de la rénovation des relations avec l'Afrique et souhaite poursuivre une politique ambitieuse de développement des coopérations culturelles et de la circulation des oeuvres des collections publiques françaises en Afrique : le projet emblématique en la matière a été celui de l'exposition Picasso à Dakar, 1972-2022, élaborée avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac et le musée national Picasso-Paris, qui s'est tenue du 1er avril au 30 juin 2022 au musée des civilisations noires de Dakar. Pour contribuer à d'autres initiatives similaires, le ministère de la culture a créé un Fonds de soutien pour la circulation des expositions en Afrique. La dotation de 100 000€ prévue en 2023 est venue soutenir quatre projets : une exposition au Sénégal sur le pays Bassari, organisée par le musée dauphinois, le musée des civilisations noires de Dakar, le musée Théodore-Monod de l'IFAN et le musée du quai Branly-Jacques Chirac, ainsi que l'association des minorités ethniques qui représente les populations les plus concernées ; l'exposition Salammbô, organisée par le musée des Beaux-Arts à Rouen avec le musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem), présentée à Rouen puis Marseille entre 2021 et 2022, pour permettre son itinérance au Musée du Bardo à Tunis ; l'exposition en 2024 au Sénégal Habiter ce monde. Prix pour la photographie, organisée avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac, et l'exposition préparée par le musée de la musique de la Philharmonie de Paris, Fela Anikulapo Kuti, Rébellion afrobeat au Nigéria pour l'adaptation de la scénographie. La création de ce fonds de soutien correspond à la proposition n° 10 du rapport d'information des sénateurs Max Brisson et Pierre Ouzoulias (décembre 2020)12(*) : « Favoriser la circulation des collections publiques, y compris des oeuvres d'art françaises, et réfléchir aux modalités pour en réduire les obstacles financiers. ».
A titre d'illustration, la restitution de vingt-six biens culturels au Bénin en 2021 a permis de dynamiser significativement la coopération muséale et patrimoniale franco-béninoise, et de positionner la France comme partenaire de premier ordre pour accompagner la forte ambition du Bénin en matière de développement culturel et touristique. Au-delà des liens durables tissés entre institutions et professionnels, français et béninois, impliqués dans le processus de restitution des 26 oeuvres, la France et le Bénin se sont engagés dans plusieurs projets d'envergure. Parmi eux figure notamment le projet de valorisation des palais du site d'Abomey et de création du Musée des rois et amazones du Danxomè (MuRAD), qui doit accueillir les 26 oeuvres restituées. Le projet, qui bénéficie d'un financement de l'Agence française de développement (AFD) de 35 millions d'euros (25 millions sous forme de prêt, 10 millions en don)13(*), et dont la mise en oeuvre est coordonnée au sein du ministère de la culture par la mission d'expertise culturelle internationale (MECI), mobilise de multiples experts et institutions côté français, et nourrit un dialogue et des échanges au long cours entre professionnels du patrimoine et des musées des deux pays.
Autre projet emblématique, la présentation du volet art contemporain de l'exposition « Art du Bénin d'hier et d'aujourd'hui : de la restitution à la révélation », à la Conciergerie à Paris, placée sous le haut patronage du Président de la République et organisée du 4 octobre 2024 au 5 janvier 2025, grâce notamment au soutien du ministère de la culture. L'exposition intitulée « Révélation ! Art contemporain du Bénin »14(*), qui a présenté une quarantaine d'artistes contemporains béninois et une centaine d'oeuvres, a fait naturellement l'objet d'un co-commissariat franco-béninois et a permis de valoriser le dynamisme de la création contemporaine béninoise auprès du public français.
Des restitutions de biens des collections françaises déjà réalisées
Enfin, il convient de rappeler que la France a déjà fait droit ponctuellement à des demandes de restitution de biens culturels sous des formes variées, ce qui a fait apparaître souhaitable au fil du temps, de dégager une ligne cohérente d'approche et de traitement selon les typologies de cas. On peut citer l'accord intergouvernemental en date du 7 février 201115(*) organisant le prêt renouvelable de manuscrits coréens conservés à la Bibliothèque nationale de France, « opération qui revêt un caractère unique, non susceptible d'être reproduite en une quelconque autre circonstance et ne crée en rien un précédent »16(*), ou la résolution du don consenti au musée Guimet de plaques en or Qin pour restitution à la Chine en 2015 après la révélation qu'elles étaient issues de fouilles illégales récentes, relevant de l'application de la Convention de l'UNESCO de 197017(*). Toujours dans ce cadre, cinq fragments de fresques provenant de la tombe de Tétiky, un dignitaire de la XVIIIe dynastie égyptienne, illégalement importées d'Égypte, sans doute peu de temps avant qu'elles soient acquises de bonne foi au début des années 2000, ont été remises à leur pays d'origine en 2009.
D'autres types de situations ont conduit la France à conclure des accords intergouvernementaux spécifiques proposant des solutions concertées de restitution, comme celui avec l'Algérie en 1968, pour permettre d'organiser un échange de biens culturels et le retour de plus de 300 oeuvres sur le territoire algérien, ou l'accord avec le Nigéria de 2002, destiné à régler le sort de trois oeuvres Nok et Sokoto, exportées illégalement et acquises en 1999 pour le futur musée du Quai Branly, en reconnaissant la propriété du Nigéria et en prévoyant leur dépôt pour 25 ans dans ce musée national.
Après deux lois d'initiative sénatoriale autorisant ponctuellement la sortie des collections publiques de restes humains (Saartjie Baartman en 200218(*), têtes maories en 201019(*)), le discours de Ouagadougou a donné une nouvelle impulsion, principalement sur le volet du patrimoine africain issu d'un contexte colonial. Le Gouvernement s'est emparé ensuite de cette problématique par deux récentes lois d'espèce successives portées par le ministère de la Culture : la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, et la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.
1.1.3. Cadre juridique interne
Jusqu'en 2023, année d'adoption de deux lois cadres de restitution, le cadre juridique national ne comportait pas de dispositions inscrites dans le droit patrimonial permettant d'effectuer des sorties d'oeuvres des collections publiques dans un objectif de restitution, à part dans des situations limitées prévues en fonction de l'application de la Convention de l'UNESCO de 1970. La décision du Gouvernement de préparer des lois-cadres pour créer des dispositifs juridiques pérennes vise à remédier à cette absence de possibilité offerte par notre droit.
Statut des biens culturels appartenant aux collections publiques
Les biens culturels dont l'origine de propriété ou les conditions d'appropriation sont incertaines ou problématiques, s'ils ont été intégrés aux collections publiques, ce qui peut s'être produit en ignorant leur parcours préalable, sont soumis au régime de la domanialité publique et donc à l'inaliénabilité, qui en est une de ses caractéristiques.
Les biens du domaine public mobilier sont définis à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui dispose notamment que : « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique, notamment : (...) 8° Les collections des musées ; (...) 10° Les collections de documents anciens, rares ou précieux des bibliothèques ; (...) ».
Cette appartenance des biens culturels au domaine public mobilier implique une protection particulière, qui comprend l'inaliénabilité20(*), l'imprescriptibilité21(*) et l'insaisissabilité. L'inaliénabilité et l'imprescriptibilité découlent de la règle générale fixée pour les biens du domaine public à l'article L. 3111-122(*) du code général de la propriété des personnes publiques, qui est reprise dans le code du patrimoine pour les biens des collections des musées de France. Quant à l'insaisissabilité, elle est prévue à l'article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques 23(*).
La sortie du domaine public est prévue au titre IV : Sortie des biens du domaine public, du code général de la propriété des personnes publiques, dont le chapitre 1er édicte les règles générales en la matière, en particulier à l'article L. 2141-1 qui prévoit qu'« un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ».
Jusqu'en décembre 2020, le déclassement des biens des collections des musées de France entrait dans le cadre de la procédure qui était prévue aux articles L. 115-1 à L. 115-2 et R. 115-1 à R. 115-4 du code du patrimoine et relevait de la Commission scientifique nationale des collections, appelée dans ce cas à rendre un avis conforme. Créée par l'article 4 de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections et prévue aux articles L. 115-1 et L. 115-2 du code du patrimoine, la Commission scientifique nationale des collections avait pour objet de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain dans l'exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections, à l'exception des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.
Dans le cadre du rôle d'élaboration de recommandations que lui avait confié le législateur, elle a produit un rapport remis au Parlement en 2015 24(*), en réaffirmant que le déclassement supposait au préalable la perte d'intérêt public, qu'elle était chargée de constater au cas par cas pour les biens culturels entrant dans son champ de compétences.
A cet égard, il convient de préciser que le champ de compétence de cette instance était limité depuis l'origine, à l'examen des propositions de déclassement, formulées par des propriétaires publics pour des biens dont ils considèrent qu'ils ont perdu leur intérêt public culturel25(*). Elle n'était donc pas habilitée à statuer sur des biens n'ayant pas perdu leur intérêt pour les collections publiques françaises, comme c'est le cas le plus général des biens aujourd'hui restituables aux ayants droit de propriétaires spoliés ou à des États étrangers. En outre, elle n'avait pas été dotée par le législateur de la possibilité de faire sauter le verrou juridique des dons et legs consentis aux musées de France. En effet, pour protéger les libéralités consenties au bénéfice des collections publiques et ne pas décourager de futurs donateurs, les biens acquis par donation entre vifs ou par legs ne peuvent être déclassés26(*).
La Commission scientifique nationale des collections a été supprimée par l'article 13 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (dite ASAP) et, à cette occasion, le législateur a souhaité la remplacer par un nouvel article L. 115-1 qui prévoit une accroche législative dans un chapitre V, ré-intitulé « déclassement », dans le titre Ier du livre Ier du code du patrimoine. Le décret d'application prévoyant de nouvelles modalités de procédure en date du 23 juillet 2021 rappelle opportunément, à l'article R. 115-1 qu'il introduit dans le code du patrimoine, qu'« un bien culturel appartenant au domaine public en application de l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne peut être déclassé du domaine public que lorsqu'il a perdu son intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique27(*) ».
Par ailleurs, l'expérience de la restitution en 2015 de plaques chinoises conservées par le musée Guimet a conduit le ministère de la Culture à introduire une mesure à l'article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, qui crée une possibilité pour le propriétaire public de demander au juge judiciaire, juge de la propriété, l'annulation d'une acquisition dont il apparaîtrait a posteriori qu'elle portait sur des biens volés ou sortis illégalement de leur pays d'origine, s'inscrivant ainsi en contradiction avec la Convention de l'UNESCO de 1970. Cette disposition législative, insérée à l'article L. 124-1 du code du patrimoine, ne s'applique cependant qu'aux cas où le fait générateur est intervenu après l'entrée en vigueur de la Convention de l'UNESCO de 1970 pour l'État partie concerné et la France, et s'avère donc inopérante sur des appropriations antérieures au 7 avril 199728(*). Depuis son adoption, elle n'a pas encore trouvé à s'appliquer, notamment en raison de son périmètre temporel restreint.
En outre, le Conseil d'État a déjà affirmé, à l'occasion d'une affaire concernant des biens spoliés, que l'intervention du législateur pouvait permettre de contourner le caractère inaliénable de certaines oeuvres29(*).
Compte tenu du cadre de la domanialité publique, la restitution des biens culturels intégrés aux collections publiques, en dehors des biens spoliés pendant la seconde Guerre mondiale et des restes humains, qui bénéficient depuis 2023 de dispositifs cadres dédiés, dans les cas où il serait fondé de l'effectuer, n'est aujourd'hui possible que par deux voies principales : soit à la suite d'une procédure judiciaire, sur le fondement de l'article L. 124-1 du code du patrimoine précité et en cas d'issue favorable, le juge ordonnant la restitution, ou d'un jugement en ce sens venant clore un contentieux introduit par les ayants droit d'un propriétaire spolié par exemple30(*) ; soit par une mesure de rang législatif autorisant la sortie du domaine public en dérogeant à l'inaliénabilité.
Du choix des lois d'espèce à l'orientation vers des lois-cadres
Pour pouvoir restituer des oeuvres des collections nationales au Bénin et au Sénégal, le Gouvernement a déposé en 2020 un projet de loi autorisant de manière ciblée la sortie du domaine public de vingt-sept oeuvres.
Conformément au droit en vigueur, compte tenu du principe d'inaliénabilité, seule une loi spécifique de restitution pouvait permettre au Gouvernement de faire sortir les oeuvres du domaine public.
Dans son avis rendu, le Conseil d'État « observe que le texte soumis à son examen intervient pour mettre en oeuvre des engagements pris par la France dans le cadre de la politique de coopération culturelle qu'elle conduit avec les Etats africains. Il relève que les biens culturels faisant l'objet du déclassement en vue de leur restitution sont précisément identifiés et forment un ensemble circonscrit au sein d'une collection. L'objectif poursuivi et l'origine historique des biens justifient un transfert à titre gratuit. Le projet n'appelle par suite aucune objection d'ordre constitutionnel. ».
Par ailleurs, un autre projet de loi d'espèce, concernant cette fois des biens spoliés, a été préparé puis adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2022 et par le Sénat le 15 février 2022. La loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites est ainsi la première loi de restitution d'oeuvres appartenant aux collections publiques françaises en raison de leur spoliation, en France ou dans d'autres pays, dans le contexte des persécutions antisémites pendant la période nazie. La restitution et la remise effective des oeuvres a eu lieu rapidement après le vote de la loi, entre mars et juin 2022.
La préparation de ces lois et la discussion parlementaire ont été l'occasion d'évoquer une future « loi-cadre », destinée à faciliter les restitutions d'oeuvres du domaine public, en évitant de nouvelles lois spécifiques ou de circonstance.
En effet, à l'occasion de l'élaboration de la loi du 21 février 2022, le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, avait en effet considéré qu'une « loi de principe organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations » était nécessaire et avait recommandé « que l'élaboration d'une telle loi soit étudiée afin d'éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d'accélérer les restitutions »31(*).
Lors du débat parlementaire, la plupart des députés et des sénateurs qui se sont exprimés ont appelé de leur voeu une loi-cadre pour faciliter les restitutions. De même, la ministre de la Culture s'est dite, lors de la séance à l'Assemblée nationale le 25 janvier 2022, « favorable (...) à l'adoption d'une loi-cadre permettant la création d'un dispositif de restitution des oeuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites pendant cette période. Nous y viendrons, cette étape s'imposera. »
C'est, dans ce contexte, que la ministre de la Culture a décidé de s'engager dans un chantier législatif ambitieux de trois lois cadres afin de répondre aux cas différents identifiés de demandes de restitution :
- Pour les biens spoliés, ce qui a abouti à la loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. Sa première application, concernant un livre spolié par les nazis à August Liebmann Mayer, a permis sa restitution au représentant de sa fille le 13 juin 2025 à la Bibliothèque nationale de France32(*) ;
- Pour les restes humains « patrimonialisés » : en lien étroit avec la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, cela a pris la forme d'une proposition de loi, déposée le 26 avril 2023 par les sénateurs Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, qui a abouti à la loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 précitée. Celle-ci vient de faire également l'objet d'une première application, marquant ainsi l'opérationnalité du dispositif retenu, portant sur trois crânes sakalava conservés au Museum national d'histoire naturelle, dont la restitution était sollicitée par la République de Madagascar. Après la constitution d'un comité scientifique conjoint, le Conseil d'État a validé le principe de la restitution de ces crânes, qui a pris la forme d'un décret du 2 avril 202533(*) et sera actée par une remise matérielle de ces restes humains dans les prochains mois,
- et concernant les biens culturels provenant d'États qui, du fait d'une appropriation illicite, en ont été privés, objets du présent projet de loi.
1.2. CADRE CONSTITUTIONNEL
En principe, les biens incorporés dans le domaine public, quelles que soient les modalités de cette entrée, sont inaliénables et imprescriptibles, ce qui interdit au propriétaire d'y renoncer34(*). Toutefois, il est loisible au législateur de déroger par une disposition ponctuelle ou générale au principe d'inaliénabilité des biens du domaine public.
Qu'il soit général pour le domaine public ou appliqué à des collections des musées de France, tel qu'inscrit à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, il n'a pas de valeur constitutionnelle35(*). A l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité36(*), le Conseil constitutionnel a conclu à la conformité à la Constitution de dispositions législatives ne prévoyant aucune exception aux principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, mais sans pour autant reconnaître à ces principes une valeur constitutionnelle.
La restitution à un État étranger, qui souhaite se réapproprier des oeuvres de son patrimoine entrées dans les collections nationales françaises dans des conditions illicites et formule une demande en ce sens à la France, constitue un motif d'intérêt général, poursuivi par le Gouvernement, qui permet d'inscrire dans la loi une dérogation circonscrite au principe d'inaliénabilité à des fins de restitution.
Dans son avis n° 399752 du 3 mars 2020 sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, le Conseil d'État a en effet estimé qu'« 6. Une loi prononçant le déclassement de biens du domaine public mobilier doit être examinée au regard de plusieurs exigences constitutionnelles attachées à la protection de la propriété publique : ne pas porter une atteinte disproportionnée à celle-ci37(*), ne pas mettre en cause la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté38(*), être justifiée par un motif d'intérêt général39(*). En règle générale, la sortie du domaine public ne peut se faire à titre gratuit ou à vil prix40(*). »
Dans ce même avis, le Conseil d'État a ensuite observé que « le texte soumis à son examen intervient pour mettre en oeuvre des engagements pris par la France dans le cadre de la politique de coopération culturelle qu'elle conduit avec les Etats africains. Il relève que les biens culturels faisant l'objet du déclassement en vue de leur restitution sont précisément identifiés et forment un ensemble circonscrit au sein d'une collection. L'objectif poursuivi et l'origine historique des biens justifient un transfert à titre gratuit. Le projet n'appelle par suite aucune objection d'ordre constitutionnel. »
1.3. CADRE CONVENTIONNEL
1.3.1. Cadre international
Comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis n° 399752 du 3 mars 2020 sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal :
« 4. Aucune norme de droit international s'imposant en droit interne n'est par ailleurs applicable au projet de restitution des biens considérés. La Convention UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels conclue le 14 novembre 1970, ratifiée par la France en 1997, pour la mise en oeuvre de laquelle l'article L. 124-1 du code du patrimoine ajouté par l'article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 organise une procédure spécifique, est applicable sans effet rétroactif entre les Etats l'ayant ratifiée. Elle ne peut s'appliquer aux biens en cause.
5. Par suite, soit qu'elle autorise en application de l'article 53 de la Constitution la ratification d'un accord international prévoyant un transfert de propriété de la France à un autre Etat, soit qu'elle déroge par elle-même au principe d'inaliénabilité, qui n'a pas valeur constitutionnelle, la loi est nécessaire pour mettre en oeuvre les restitutions annoncées par le Président de la République. (...) ».
La question des biens culturels enlevés à l'occasion d'opérations militaires et de guerres n'a commencé à être réellement prise en compte sur le plan juridique qu'à partir des Conférences internationales de La Haye en 1899 et en 1907 qui ont notamment abouti aux premières règles internationales portant sur l'interdiction de destruction, de saisie ou de pillage de biens. Les instruments issus de ces conférences, comme la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, que la France signa immédiatement en 1899 et ratifia en 1900, forment les bases du droit moderne de la guerre. Cependant, les dépossessions anciennes, à part si elles ont fait l'objet d'accords particuliers, n'ont pas abouti à l'instauration d'un encadrement juridique spécifique et contraignant pour les États pour permettre leur prise en compte et n'ont pas donné lieu à une convention internationale dédiée.
Les textes internationaux généraux concernant la restitution de biens culturels
A la suite des initiatives de La Haye à la charnière des XIXe et XXe siècles, a été signé le premier traité international, préparé aux lendemains de la Seconde guerre mondiale, qui porte exclusivement sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Ce traité, appelé la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de La Haye de 195441(*), a été ratifié par la France en 1957. Tout en ayant été influencé par l'ampleur des pillages perpétrés dans les pays occupés par les nazis, il ne traite pas pour autant de la situation particulière des faits de spoliations intervenus pendant le conflit mondial, notamment en n'ayant pas d'application rétroactive.
Par ailleurs, en 1997, la France a ratifié le premier instrument poursuivant le but de lutter contre le trafic illicite de biens culturels, hors situations de guerre, adopté le 14 novembre 1970 à l'UNESCO à Paris, sous le nom de Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels42(*). Il s'agit d'un accord multilatéral, entré en vigueur en 1972, d'application indirecte et non-rétroactive, qui invite les États parties à faciliter la récupération de ces biens culturels par la voie diplomatique et à empêcher leur mouvement illicite. Si certains pays ou commentateurs en pointent désormais les limites, voire en réclament une évolution, ce texte conventionnel marque symboliquement le début d'une nouvelle époque dans la prise en compte internationale de la lutte contre le trafic illicite de biens culturels.
Conscient de la nécessité de compléter le dispositif de 1970, l'UNESCO a demandé à l'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT) de réfléchir aux règles complémentaires applicables à la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, notamment en droit privé. Ce processus a abouti à une nouvelle convention, la Convention d'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 juin 199543(*). Bien qu'ayant signé ce texte à Rome, la France n'a finalement pas mené jusqu'à son terme le processus de ratification, mais a depuis intégré, notamment par l'intermédiaire du droit européen, des mesures qui s'inspirent de cette convention44(*). C'est ainsi principalement le cas de l'obligation de diligence qui doit avoir été satisfaite lorsqu'un possesseur de bonne foi souhaite percevoir une indemnité en cas de restitution d'un bien d'origine illicite dont il était détenteur. Prévu à l'article 4 de la Convention, cet exercice d'une « diligence requise » dont le possesseur doit pouvoir se prévaloir, dérogation au droit national dans lequel la bonne foi est présumée, a été introduit à l'article 10 de la directive européenne de restitution lors de sa refonte en 201445(*) et transposé en l'état en 2015 à l'article L. 112-8 du code du patrimoine46(*).
Cependant, ces instruments qui visent à créer un cadre international de lutte contre le trafic de biens culturels peuvent seulement être invoqués pour des litiges concernant des biens culturels dont les faits générateurs ne sont survenus qu'après leur entrée en vigueur dans chaque État partie concerné. Dénués d'effets rétroactifs, ils ne sont donc pas applicables à des situations antérieures, telles que celles visées par l'article 1er du projet de loi.
Même si l'UNESCO a mis en place depuis 1978 un Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale47(*), pour traiter les cas hors champ d'application des conventions internationales existantes, cette instance est chargée de favoriser la résolution de différends portant sur la propriété d'objets culturels importants entre deux États membres, sur saisine de l'État requérant à la suite de l'échec constaté de négociations bilatérales. Quand une solution consensuelle se dégage dans cette enceinte autour d'une affaire précise, elle n'emporte cependant pas d'effet sur le droit interne de l'État qui consent à une restitution et à qui il incombe d'identifier le moyen juridique de parvenir à une telle réalisation. Ce Comité a pu avoir à traiter des dossiers de biens déplacés du fait de la colonisation ou de la période de suprématie européenne qui sont susceptibles de relever de son champ d'intervention, notamment parce que son mandat vise à trouver des conciliations entre États. Ainsi, le Comité a mis à l'ordre du jour de ses sessions le dossier d'une sculpture de Sphinx « Boðazköy », trouvée lors de fouilles réalisées au début du XXème siècle sur le site hittite d'Hattusha par une équipe archéologique allemande, envoyée provisoirement avec d'autres découvertes à Berlin et non retournée à son pays d'origine malgré des demandes turques répétées. Par l'intermédiation du Comité, le sphinx a finalement été restitué par l'Allemagne à la Turquie en 201148(*).
En revanche, l'UNESCO s'est penchée à partir de 2005 sur la question des objets culturels déplacés en relation avec la Seconde Guerre mondiale49(*) en adoptant une déclaration dégageant onze principes à ce sujet en mars 200750(*). Cette déclaration avait pour objectif principal de donner des orientations dans la perspective de négociations entre États afin de faciliter la conclusion d'accords de récupération de biens ayant été soustraits lors de ce conflit mondial, et n'a finalement pas abouti à une recommandation. Pour les biens culturels issus d'un contexte colonial, lors de sa 22e session en septembre 2021, le Comité intergouvernemental précité a décidé de charger un groupe d'experts de l'élaboration de recommandations au sujet du retour et de la restitution du patrimoine culturel perdu à la suite d'une occupation coloniale ou étrangère51(*). De premières propositions ont été formulées par le groupe d'experts qui, à l'issue d'une seconde réunion de consultation, devrait finaliser ses recommandations, pour un examen envisagé à la vingt-cinquième session du Comité intergouvernemental en 2026.
De plus, on peut relever, toujours en matière de dispositions non contraignantes, que la déclaration finale de la conférence Mondiacult 2022, organisée par l'UNESCO à Mexico, invite les 150 États qui l'ont adoptée et au-delà, à un dialogue « pour le retour et la restitution de biens culturels aux pays d'origine, y compris les biens illégalement exportés, sous l'égide de l'UNESCO, ainsi que ceux qui ne relèvent pas du champ d'application de la Convention de 1970 de l'UNESCO, en tant qu'impératif éthique pour favoriser le droit des peuples et des communautés à jouir de leur patrimoine culturel, et à la lumière des revendications croissantes des pays concernés, en vue de renforcer la cohésion sociale et la transmission intergénérationnelle du patrimoine culturel »52(*).
Enfin, en 2016, le Conseil de l'Europe a souhaité lancer une révision de la Convention européenne sur les infractions visant des biens culturels, dite Convention de Delphes, du 23 juin 198553(*), qui n'était jamais entrée en vigueur, faute d'un nombre de ratifications suffisant. Cette initiative a abouti sur une nouvelle convention, dite Convention de Nicosie, du 19 mai 201754(*). Seul traité international portant spécifiquement sur l'incrimination du trafic illicite de biens culturels, elle définit plusieurs infractions pénales, notamment le vol, les fouilles illégales, l'importation et l'exportation illégales, sans avoir de portée rétroactive. Elle est entrée en vigueur le 1er avril 2022 après avoir atteint le nombre de ratifications nécessaires.
En parallèle, en se situant davantage sur un plan déontologique que normatif, diverses organisations professionnelles, notamment concernant les musées, ont produit des recommandations sur le sujet. Ainsi, le code de déontologie du Conseil international des musées (ICOM)55(*) prône dans sa partie consacrée à l'origine des collections un principe de coopération et une démarche d'attention aux revendications formulées par des populations d'origine des objets qu'ils conservent. Concernant la conduite professionnelle attendue de la communauté muséale, le code préconise de s'abstenir de contribuer, directement ou indirectement, au trafic ou au commerce illicite de biens naturels ou culturels et de présenter des pièces de provenance inconnue afin d'éviter tout encouragement au trafic.
1.3.2. Cadre européen
L'Union européenne n'a pas mis en place jusqu'à présent d'instruments spécifiques concernant les questions de restitutions d'oeuvres d'art relatives aux dépossessions anciennes, liées notamment à des faits de guerre ou de colonialisme, qui est une compétence relevant des États membres56(*). Elle a, en revanche, instauré un cadre visant la surveillance des mouvements d'oeuvres et contribuant ainsi à la lutte contre le trafic de biens culturels depuis l'ouverture du marché unique au 1er janvier 1993.
Ainsi, le règlement du Conseil (CE) no 116/2009 concernant l'exportation des biens culturels, qui codifie une version initiale de 199257(*), prévoit les règles applicables en la matière et garantit un contrôle uniforme de ces exportations en dehors du territoire douanier de l'Union européenne. En complémentarité, une directive instituant un mécanisme de restitution entre États membres pour les biens culturels illicitement sortis de leur territoire après le 1er janvier 1993 et retrouvés sur le territoire d'un autre État membre a été adoptée en mars 199358(*). Ce texte a fait l'objet d'une refonte qui a conduit à l'adoption d'une nouvelle directive 2014/60/UE59(*), dont certains aspects ont été repris de la Convention UNIDROIT de 1995. Tel est le cas de son article 10 qui introduit un renversement de la charge de la preuve, la diligence requise lors de l'acquisition du bien culturel incombant au possesseur en cas de demande d'indemnisation, ainsi que des critères communs pour interpréter la notion de diligence et qui a été transposé à l'article L. 112-8 du code du patrimoine.
L'Union européenne s'est aussi récemment dotée d'un règlement visant à contrôler les importations à risques de biens culturels sur son territoire, qui entrera progressivement en vigueur au plus tard en 202560(*).
L'ensemble de ce cadre juridique européen, qui s'étoffe progressivement, vise donc à combattre le développement du trafic contemporain de biens culturels, considéré ces dernières années comme susceptible de contribuer au financement du terrorisme61(*), et n'offre pas d'accroche pour le traitement des restitutions anciennes de biens qui n'entrent pas dans ce champ d'application.
En revanche, il convient de relever que plusieurs résolutions concernant plus ou moins directement cette problématique ont été adoptées par le Parlement européen.
Dans cette catégorie, on peut citer la Résolution sur un cadre juridique pour la libre circulation dans le marché intérieur des biens dont la propriété est susceptible d'être contestée du 17 décembre 200362(*), qui traite de la question des biens culturels pillés, notamment en temps de guerre, sans se référer à un contexte précis d'origine de ces exactions.
Enfin, malgré son mélange de situations bien différentes, n'obéissant ni aux mêmes ressorts, ni au même cadre juridique, qui nuit à leur lisibilité spécifique, le Parlement européen a adopté en 2019 une Résolution sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre63(*) et a invité la Commission européenne à s'en préoccuper. Dans cette résolution, le Parlement européen fait le constat « qu'au niveau de l'Union, la problématique de la restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages, dérobés ou obtenus illégalement, entre autres en période de conflit armé, n'a pas fait l'objet d'une attention suffisante », « demande à la Commission de protéger, soutenir et encourager les demandes transfrontalières de restitution de biens culturels déplacés et détournés dans le cadre d'actes de pillage officiellement sanctionnés ou volés au cours de conflits armés». Il « se félicite que certains États membres aient reconnu la nécessité de traiter les problématiques spécifiques liées aux demandes de restitution d'oeuvres d'art et de biens culturels volés ou obtenus illégalement au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre, de manière à parvenir à des solutions juridiques qui rétablissent les droits de propriété des particuliers, des administrations publiques locales ou nationales et des organisations religieuses indûment dépossédés de leurs oeuvres d'art durant un conflit armé ou une guerre» et aient mis en place des dispositifs favorisant l'identification de ces oeuvres et leur restitution.
1.4. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
La question des restitutions de biens culturels est une préoccupation importante, devenue même prégnante pour beaucoup d'États, dont l'approche et les systèmes juridiques ne sont cependant pas uniformes.
En 2008, une étude de droit comparé du Sénat sur l'aliénabilité des collections64(*) relevait ainsi qu'en dehors de la France, les législations sont restrictives à l'égard de cessions en Italie et en Espagne, et qu'en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas ou pour la plupart des musées publics anglais, ces derniers ne sont pas astreints au respect de l'inaliénabilité, qui n'est pas prévue par les textes, mais que les possibilités réelles d'aliénation sont limitées par la prise en considération de diverses directives et règles, notamment d'ordre éthique.
Le discours d'Ouagadougou de 2017 et le rapport Savoy-Sarr remis au Président de la République en novembre 2018 ont eu un retentissement important dans la plupart des autres pays européens, qu'ils aient un passé de colonisateur (Belgique, Allemagne, Pays-Bas principalement) ou pas, comme la Suisse, et ont joué un rôle d'accélérateur de la prise de conscience sur la question des prises coloniales et des restitutions à envisager à présent. En conséquence, si ces pays ont complété leur cadre juridique, ils l'ont fait principalement en se focalisant sur les oeuvres issues d'un contexte colonial, même si les approches et méthodes diffèrent.
La Belgique, qui a un droit patrimonial assez proche de celui de la France, a choisi également de traiter le sujet par la voie législative. Le Gouvernement belge a présenté début juillet 2021 une feuille de route concernant des restitutions à son ancienne colonie, la République démocratique du Congo (RDC), de nombreux biens culturels illégitimement acquis, particulièrement lors des violences commises sous le règne de Léopold II entre 1885 et 1908. Pour amorcer cette démarche, en marge du sommet UE-UA en février 2022, le Premier ministre belge a remis, dans le lieu symbolique que représente le Musée de l'Afrique à Tervuren, à son homologue congolais l'inventaire des 84 000 objets provenant de la RDC et arrivés en Belgique jusqu'en 1960.
Sous l'impulsion du secrétaire d'État chargé de la politique scientifique, un projet de loi "reconnaissant le caractère aliénable des biens liés au passé colonial de l'État belge et déterminant un cadre juridique pour leur restitution et leur retour" a ensuite été préparé et déposé à la Chambre des Représentants de Belgique le 25 avril 202265(*). Cette dernière a adopté cette loi le 30 juin 2022, promulguée le 3 juillet 202266(*). La Belgique est ainsi devenue le premier pays européen à s'être doté d'une loi spécifique traitant de la restitution du patrimonial issu d'un contexte colonial.
Le champ d'application géographique a été élargi au-delà de la République démocratique du Congo (RDC), aux autres colonies belges, à savoir le Burundi et le Rwanda. Les demandes de restitution formulées par ces États doivent être adressées à l'État belge. Pour être restituables, les biens culturels, les restes humains et les archives étant expressément exclus du périmètre de la loi, devront, en principe, avoir été acquis par l'État belge ou un établissement scientifique fédéral, durant la période coloniale, entre la signature de l'Acte de la Conférence de Berlin (26 février 1885) et la date de l'indépendance du Congo (30 juin 1960), du Rwanda ou du Burundi (1er juillet 1962). L'examen de la restitution se fera sur demande expresse de l'État d'origine, qui sera associé aux travaux. La loi prévoit, pour en compléter son application, la possibilité d'accords bilatéraux de coopération scientifique et culturelle avec les États d'origine, sous la forme d'un traité, intégrant les modalités d'examen scientifique et de retour des biens. Depuis l'adoption de la loi, la Belgique a ainsi communiqué un projet de traité bilatéral à la RDC dans lequel est proposée la mise en place d'une commission mixte paritaire pour procéder à l'examen scientifique des biens culturels potentiellement restituables. Il n'est pas prévu que cette commission d'experts dispose d'un pouvoir décisionnaire. Par ailleurs, ce texte législatif s'accompagne d'une volonté de renforcement des capacités d'études de provenance pour établir de manière scientifique et partagée les conditions dans lesquelles les objets ont été acquis.
A l'exception principale du périmètre étroitement lié à la colonisation et ne portant que sur les collections fédérales, le dispositif fédéral belge mis en place présente donc plusieurs similitudes avec le présent projet de loi. Si des programmes de collaboration et d'échanges culturels sont développés entre la RDC et la Belgique, notamment par le Musée de l'Afrique de Tervuren et qu'un futur accord bilatéral entre les deux pays se prépare, le processus de restitution n'a pas encore été mené à son terme.
En Allemagne, le cadre juridique national ne contient pas de dispositions empêchant des sorties des collections, comparable à l'inaliénabilité française. Le débat concernant les provenances et de potentielles restitutions avait déjà commencé autour du projet du Humbolt Forum, musée, dont la construction a été lancée en 2008 et qui a ouvert ses portes en 2021, pour abriter les collections de la Stiftung Preußischer Kulturbesitz (SPK), dont une grande partie est issue des conquêtes coloniales prussiennes.
Le contrat de coalition politique entre les partis de gouvernement de 2018 mentionnait pour la première fois pour un gouvernement allemand la préoccupation de l'étude du colonialisme en matière de patrimoine culturel 67(*).
Les missions du Deutsches Zentrum Kulturgutverluste (DZK), fondation créée en 2015, pilotée et financée par le gouvernement allemand, spécialisée dans les recherches de provenance, initialement consacrées aux biens spoliés, ont été élargies aussi au patrimoine issu d'un contexte colonial et ses moyens d'action renforcés. En parallèle de la publication de plusieurs guides par l'association des musées allemands (Deutscher Museums Bund-DMB)68(*), les ministres fédéraux chargés de la culture et de la politique culturelle internationale, les ministres de la culture des Länder et les associations communales ont adopté le 13 mars 2019 les « Premiers grands axes relatifs au traitement des biens de collections issus de contextes coloniaux »69(*), traçant une stratégie déclinée ensuite autour de trois mots d'ordre (accès, transparence et coopération) et s'engageant à favoriser les restitutions de restes humains et d'oeuvres d'art datant de l'époque coloniale. Les auteurs entendaient « créer les conditions permettant la restitution de restes humains et de biens culturels issus de contextes coloniaux, dont l'acquisition s'est faite d'une manière qui n'est aujourd'hui plus défendable d'un point de vue légal et/ou éthique ».
A la suite des principes-cadres de mars 2019, un point de contact pour les collections issues de contextes coloniaux en Allemagne, financé conjointement par le gouvernement fédéral allemand et les États fédéraux (Länder), a été créé le 16 octobre 201970(*) et a commencé son travail à Berlin en août 2020. Sa mission est de fournir des renseignements et des conseils, principalement aux personnes et aux institutions des États et des sociétés d'origine, mais aussi à celles allemandes. En outre, il s'attache à l'établissement de réseaux ainsi qu'au recueil d'informations et à la valorisation sur les collections issues de contextes coloniaux dans les institutions allemandes.
L'Allemagne a annoncé en 2019 son accord pour la restitution à la Namibie, qui en réclamait le retour depuis 2017, de la croix en pierre de Cape Cross, un monument de plus de 3 mètres et de plus d'une tonne, érigé au XVe siècle pour guider les navigateurs portugais et envoyé dans les années 1890 à Berlin, pendant la colonisation allemande, et exposé au Deutsches Historisches Museum.
Le Nigéria a conclu le 1er juillet 202271(*) un accord avec l'Allemagne qui prévoyait la restitution à partir de l'été 2022 de bronzes du Bénin. Outre-Rhin, environ mille cent pièces ont été identifiées dans les collections de vingt musées allemands, mais le nombre final d'oeuvres restituées dépendait aussi de leur état. En décembre 2022, en application de cet accord, 22 bronzes étaient restitués dans la perspective d'être exposés au Musée d'Edo pour les arts d'Afrique de l'Ouest (EMOWAA), en construction à Benin City, et alors que l'Allemagne finance la construction d'un pavillon d'art en son sein. Le décret pris le 28 mars 2023 par le président nigérian, qui a conféré la propriété des oeuvres à l'Oba du Bénin, chef traditionnel héritier du souverain ayant régné lorsque les bronzes avaient été soustraits par les Britanniques en 1897, a suscité des interrogations sur le bien-fondé de procéder à des restitutions dans ce contexte72(*).
L'accord de coalition politique de mai 2025 prévoit la poursuite du travail de mémoire sur le colonialisme, notamment en matière de recherche transnationale et de restitution de biens culturels et de restes humains en dialogue avec les pays d'origine73(*).
Les Pays-Bas se préoccupent également depuis quelques années de l'origine de leurs collections provenant de leurs anciennes colonies et des restitutions qui en sont le corollaire. Les collections publiques néerlandaises ne sont pas protégées par un principe d'inaliénabilité aussi strict qu'en France : la loi sur le patrimoine de 201674(*), qui a réuni des dispositions antérieures éparses, prévoit des modalités souples de sortie des collections publiques nécessitant une approbation du ministère de la culture.
En 2020, un rapport a été établi par le Comité consultatif sur la politique nationale concernant les collections coloniales, créé par le ministre de la culture néerlandais et présidé par Lilian Gonçalves-Ho Kang You, avocate spécialiste des droits de l'homme née au Suriname. Parmi les douze recommandations du rapport du Comité75(*), les Pays-Bas sont invités à reconnaître les injustices historiques commises envers leurs anciennes colonies (principalement l'Indonésie, le Suriname et les îles des Caraïbes) et à leur restituer sans condition les oeuvres d'art et autres objets provenant de celles-ci, et ce à la demande des pays d'où ils ont été emportés. Outre la création d'un centre d'expertise sur la provenance des objets coloniaux pour mener des recherches supplémentaires dans ce domaine et créer une base de données accessible au public sur les collections coloniales des musées néerlandais, le comité a recommandé également la formation d'une commission indépendante des collections coloniales pour conseiller le secrétaire d'État à la culture et aux médias sur les demandes de restitution de biens culturels confisqués dans un contexte colonial. Par sa réponse politique à l'avis du comité de janvier 202176(*), le ministère de la culture néerlandais a notamment entériné que, si de tels biens culturels doivent être restitués sans condition et sans frais en cas de demande du pays d'origine, les demandes de restitution de biens culturels qui n'ont pas été pillés ou qui proviennent de pays qui n'étaient pas des colonies néerlandaises (comme le Sri Lanka, le Nigéria ou la RDC) peuvent également être examinées par exception si elles présentent un intérêt culturel, historique ou religieux particulier pour le pays d'origine mais ne donnent alors pas lieu à des restitutions inconditionnelles. Quelle que soit la situation, la décision de restituer est prise par le secrétaire d'État sur la base du rapport rendu public de la Commission des collections coloniales (Commissie Koloniale Collecties), préconisée en 2020 et instaurée en 202277(*), dont la présidence a été confiée à Lilian Gonçalves-Ho Kang You78(*).
Après une restitution en mars 2020 à l'Indonésie d'une dague javanaise (keris), ayant appartenu à un chef indépendantiste, le Prince Diponegoro, c'est selon ce processus faisant intervenir pour la première fois la nouvelle commission qu'ont été restitués, le 10 juillet 2023, 478 objets au Sri Lanka (6 objets dont le Canon de Kandy, pillé par les troupes de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales lors du siège de Kandy en 1765 et ensuite offert à Guillaume V, prince d'Orange) et à l'Indonésie (472 pièces comprenant notamment le trésor de Lombok composé de 355 objets). Ces restitutions s'accompagnent d'une coopération muséale plus étroite des Pays-Bas avec ces deux pays79(*). Mi-décembre 2024, 828 objets avaient été rendus par les Pays-Bas à l'Indonésie, selon l'Agence indonésienne du patrimoine et, lors d'une cérémonie au Musée national de Lagos, qui s'est tenue le 21 juin 2025 et a permis la présentation de quatre pièces, la restitution de 119 objets, dont des bronzes du Bénin, au Nigéria a été officialisée.
Le Royaume-Uni n'a pas à ce stade élaboré un cadre juridique spécifique concernant la restitution de biens culturels, en dehors des biens spoliés (Holocaust (Return of Cultural Objects) Act de 2009) et des restes humains (Human Tissue Act de 2004). Ainsi, le British Museum Act de 196380(*), tout comme le National Heritage Act de 198381(*) et le Museum and Galleries Act de 199282(*), limitent les possibilités de sorties d'objets des collections et ne prévoient pas de dispositions spécifiques concernant les restitutions, en particulier pour les objets issus d'un contexte colonial. Le gouvernement travailliste élu en 2024, dont la secrétaire d'État à la culture est sollicitée pour revoir la législation actuelle en la matière, pourrait être enclin à faire des avancées dans le dossier des restitutions, notamment par rapport à l'épineuse demande grecque.
Sous le feu des polémiques depuis plus de quatre décennies autour des marbres du Parthénon conservés au British Museum et réclamés par la Grèce, les autorités britanniques sont restées jusqu'à présent opposées à approuver un tel retour à Athènes, qui donnerait un signal symbolique fort dans un dossier particulièrement emblématique des enjeux en matière de restitution. Cependant, à l'occasion d'une visite du Premier ministre grec au Royaume-Uni en décembre 2024, le British Museum de Londres s'est déclaré ouvert à un «partenariat sur le long terme» avec Athènes au sujet de ces frises, qui laisse peut-être entrevoir la possibilité d'une solution négociée, a priori sous la forme d'un prêt de longue durée, le gouvernement britannique ne semblant pas avoir d'intention à ce stade de modifier le cadre légal pour permettre un retour assorti d'un transfert de propriété des frises à Athènes.
Dans un contexte où les institutions sont relativement indépendantes du pouvoir et dont leur board of trustees peuvent dans une certaine mesure agir de leur propre chef, il n'y a pas actuellement de restitution ou de politique en la matière d'initiative gouvernementale malgré la conservation de nombreuses oeuvres acquises à l'époque de l'empire colonial britannique et bien qu'un débat médiatique soit apparu autour des bronzes de l'ancien Bénin : alors que ces artefacts ont été pillés par les troupes britanniques en février 1897, que le British Museum détient la plus grande collection au monde avec plus de 900 pièces et que certains pays, comme l'Allemagne et tout récemment les Pays-Bas, ont déjà procédé à des restitutions au Nigéria, rien de tel n'est envisagé outre-Manche pour le moment.
Les restitutions ont été jusqu'à présent davantage le fait d'acteurs non étatiques : c'est l'université de Cambridge, qui s'est chargée de remettre, le 27 octobre 2021, au Nigéria, une sculpture de coq en bronze provenant du pillage de 1897 à Benin City. Elle apparaît comme la première institution britannique à avoir rendu une oeuvre pillée durant la colonisation et fait suite à un engagement des étudiants à l'égard de cette partie du passé colonial. En mars 2021, l'université d'Aberdeen en Écosse a indiqué son intention de restituer au Nigéria un bronze représentant un oba (roi) du Bénin, qu'elle avait acquise aux enchères en 1957. La ville de Glasgow a annoncé au début de l'été 2022 la restitution d'objets d'art pillés en Inde pendant la période coloniale et le Musée Horniman de Londres en août 2022 la restitution au Nigeria de 72 artefacts. En janvier 2024, un accord a été conclu par le British Museum et le Victoria and Albert Museum avec le Ghana au sujet de 32 objets en or et en argent de la cour royale ashanti dérobés après la troisième guerre anglo-ashanti en 1874. Si cette opération est présentée comme une restitution, il s'agit en réalité d'un prêt à long terme accordé par les deux musées, qui intervient après un demi-siècle de discussions entre le Palais Manhyia, à Kumasi, siège du royaume ashanti, et le British Museum. En juin 2024, l'université de Cambridge a retourné 39 objets à l'Ouganda, notamment des insignes tribaux et des morceaux de poterie, à ce stade sous la forme d'un prêt au Musée de l'Ouganda à Kampala pour une période initiale de trois ans.
En réponse à la préoccupation croissante sur le sujet du colonialisme, l'Association des musées britannique (Museums Association) a publié le 8 novembre 2021 un guide Supporting Decolonisation in Museums,83(*), élaboré avec un groupe de travail dédié et l'appui de son comité éthique, tandis que l'Arts Council England (ACE) a diffusé en septembre 2023 de nouvelles lignes directrices sur la restitution à l'intention des musées d'Angleterre établies avec l'Institute of Art and Law 84(*).
La Suisse, qui présente la particularité de ne pas avoir été une puissance coloniale, a néanmoins constitué une terre d'élection pour des biens issus d'un contexte colonial par l'intermédiaire des très nombreux apports venant de ses ressortissants et des collectionneurs et musées qu'elle abrite sur son sol, ce qui l'a menée à se joindre aussi aux réflexions en cours sur ce type de collections.
Ainsi, le 26 février 2020, le Conseil fédéral a adopté le Message concernant l'encouragement de la culture pour la période 2021 à 202485(*) qui prévoit que « La gestion responsable du patrimoine culturel, juridiquement et éthiquement parlant, est un défi d'une forte pertinence, en particulier dans le domaine de l'art spolié à l'époque du national-socialisme, des biens culturels provenant de fouilles archéologiques clandestines et des biens culturels issus du contexte colonial » et en juin 2020, un parlementaire de l'Assemblée fédérale a proposé une motion en faveur de l'« Adoption d'une procédure fédérale pour que les musées de Suisse participent à la restitution des biens culturels enlevés à l'époque coloniale »86(*).
Par ailleurs, l'Office fédéral de la culture (OFC) soutient chaque année des projets de recherche de provenance de musées dans ce domaine et notamment l'« Initiative Bénin Suisse », réunissant huit musées suisses sous la direction du Musée Rietberg et destinée à examiner collectivement la provenance de leurs collections d'objets originaires de l'ancien royaume du Bénin, tandis qu'ICOM Suisse et l'Association des musées suisses (AMS) ont retenu l'approche de l'héritage culturel postcolonial comme un des thèmes stratégiques pour les années 2021/2022.
Les autorités helvétiques ont annoncé en novembre 2023 l'instauration d'une Commission indépendante pour le patrimoine culturel au passé problématique87(*), instance indépendante et permanente, composée de neuf à douze membres. Elle est chargée de conseiller le Conseil fédéral et l'administration fédérale sur ces questions et sur la manière de traiter des biens culturels au passé problématique qui appartiennent à la Confédération et, sur demande de l'OFC, de formuler des recommandations non contraignantes sur des cas particuliers, avec la possibilité de « recommander la restitution de biens culturels et émettre également des recommandations de caractère général » (article 2c de l'OCPCP). Si la création de cette commission est surtout suscitée par l'identification de besoins accrus en matière d'expertise interdisciplinaire et de réponse à des dossiers de spoliations nazies, il est prévu qu'elle s'intéresse aussi au traitement des biens culturels issus d'un contexte colonial, sujet considéré par la Suisse comme un champ d'étude émergent nécessitant une prise en compte plus importante88(*). En mars 2025, mettant ainsi fin à un long désaccord entre les deux chambres sur le choix d'une saisine unilatérale ou bilatérale de la commission, le Parlement suisse a trouvé un compromis sur des modalités différenciées de saisine : pour les biens culturels liés à l'époque du national-socialisme, conservés dans des musées ou des collections financés par des fonds publics, la commission peut être saisie par une seule partie, le cas échéant directement par les héritiers, tandis que, pour les biens culturels issus de contextes coloniaux et les biens liés à l'époque du national-socialisme qui sont dans des collections et des musées privés, l'accord de toutes les parties est nécessaire pour saisir la commission. Après le règlement de cet aspect controversé et la validation par le Parlement du message culture 2025-202889(*), qui prévoit de donner une base légale à la commission en l'ancrant dans la loi du 20 juin 2003 sur le transfert des biens culturels (LTBC), le Conseil fédéral devrait mettre en place cette nouvelle instance au cours du second semestre 2025.
On peut noter que le Portugal semble ne pas suivre le mouvement qui se généralise pourtant au sein de l'Europe. En 2020, une députée du parti Livre (Libre en portugais), Joacine Katar Moreira, avait déposé un texte législatif mais, malgré l'appui d'autres partis politiques, cette loi n'a pas été adoptée, du fait notamment de l'opposition de l'extrême-droite, entrée pour la première fois à l'Assemblée nationale. En l'absence actuelle de demande officielle formulée par les anciens pays colonisés par le Portugal, comme l'Angola, qui a tout de même manifesté son intérêt pour en discuter en bilatéral, la question des restitutions ne paraît pas faire l'objet pour le moment d'une volonté politique prioritaire dans ce pays, même si le ministère de la culture portugais a lancé un travail d'inventaire des biens culturels des anciennes colonies africaines et a mis en place une commission composée d'universitaires portugais et de directeurs de musées à cet effet.
Concernant la lutte contre le trafic contemporain de biens culturels, les pays précités ont tous ratifié la Convention de l'UNESCO de 1970, dans l'ordre chronologique : le Portugal en 1985, le Royaume-Uni en 2002, la Suisse en 2003, l'Allemagne en 2007 et la Belgique ainsi que les Pays-Bas en 200990(*).
Certains d'entre eux ont mis en oeuvre dans leur ordre juridique interne la convention par une loi spécifique. C'est ainsi le cas de la Suisse avec la Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels (LTBC, RS 444.1)91(*), adoptée le 20 juin 2003 et complétée le 13 avril 2005 par son ordonnance d'application (ordonnance sur le transfert international des biens culturels ; OTBC, RS 444.1192(*)). Ces textes sont en vigueur depuis le 1er juin 2005. L'Allemagne a également pris un texte d'application avec un acte du 18 mai 200793(*), ensuite remplacé par une Loi de protection des biens culturels du 31 juillet 2016, entrée en vigueur le 6 août 201694(*).
2. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRÉR ET OBJECTIFS POURSUIVIS
2.1. NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER
Le principe de l'inaliénabilité des collections publiques et en particulier celle des musées de France, qui est fondamental pour assurer leur intégrité, n'a pas valeur constitutionnelle et peut donc faire l'objet de dérogations établies par la loi.
Ainsi, un projet de loi est nécessaire afin de restituer des oeuvres dont l'appropriation initiale serait illicite avant d'entrer dans le domaine public, selon le processus suivi pour la restitution de vingt-sept oeuvres des collections nationales, ayant abouti à la loi n° 2020-673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal ou plus récemment pour le tambour Djidji Ayokwè à la Côte d'Ivoire.
Il est ainsi déjà possible de restituer un bien des collections publiques par l'adoption d'une loi d'espèce visant spécifiquement un ou des biens culturels. Cependant, un tel mécanisme n'est pas adapté aux évolutions récentes : la préoccupation croissante pour la question de l'origine des collections et les recherches nécessaires entreprises ces dernières années sur la provenance des oeuvres des collections nationales ou territoriales vont nécessairement entraîner de nouvelles restitutions d'oeuvres appartenant au domaine public. Sans pouvoir estimer avec précision à ce stade le nombre de restitutions à venir puisque les oeuvres susceptibles d'être éligibles n'ont pas encore été toutes identifiées dans les collections publiques et qu'il est difficile de présager combien d'États sont susceptibles de présenter des demandes de restitution, à part celles déjà formulées95(*), il est certain que de nouveaux cas vont apparaître rapidement dans les prochaines années. Dans ce contexte, il semble répétitif et pesant en termes de charge administrative pour toutes les parties prenantes de proposer de nouveaux projets de loi ad hoc, à intervalle régulier et de façon rapprochée, pour restituer au cas par cas des oeuvres des collections publiques et ce, davantage qu'en recourant à des décrets en Conseil d'État. En outre, le Parlement peut aussi être difficilement sollicité de façon répétée pour des lois d'espèce visant des oeuvres spécifiques. Il est également à noter que les lois d'espèces supposent une liste arrêtée de biens réclamés. Or ce processus étant continu, seul le recours à des commissions bilatérales et à des décrets en Conseil d'État successifs pourront assurer le suivi minutieux de ces demandes.
Enfin, la facilitation de la restitution des oeuvres du domaine public répond à un besoin exprimé par les parlementaires lors de l'examen du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, en janvier et février 202296(*).
Lors du débat parlementaire, la plupart des députés et des sénateurs qui se sont exprimés ont appelé de leur voeu une loi-cadre pour faciliter les restitutions. Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi relatif aux biens culturels spoliés, avait lui-même considéré qu'une « loi de principe organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations » était nécessaire et avait recommandé « que l'élaboration d'une telle loi soit étudiée afin d'éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d'accélérer les restitutions »97(*).
2.2. OBJECTIFS POURSUIVIS
Si la loi de circonstance a pu apparaître initialement comme une solution adaptée pour répondre rapidement à des demandes légitimes de restitution, la multiplication prévisible de dossiers similaires a conduit le Gouvernement à approfondir sa réflexion pour privilégier l'idée d'une loi générale, offrant suffisamment de garanties pour continuer à ménager une dérogation à l'inaliénabilité des collections publiques qui soit circonscrite, proportionnée à l'objectif poursuivi de pouvoir donner une réponse favorable à la restitution de biens culturels dont les conditions d'appropriation seraient illicites, et éviter une incompétence négative du législateur.
Pour faciliter ces restitutions à venir, il est donc nécessaire qu'un dispositif administratif soit mis en place, avec l'encadrement et les garanties indispensables, pour que les oeuvres puissent sortir du domaine public, sans avoir à passer, pour chaque restitution, par le Parlement. Les restitutions seront ainsi facilitées et devraient pouvoir être réalisées dans des délais plus rapides. Il s'agit pour le Gouvernement, tout en considérant que les restitutions ne sont pas une fin en tant que telle, de concourir par ce moyen à une politique d'apaisement des mémoires dans certains cas, et plus généralement, à une réappropriation d'éléments fondamentaux de leur patrimoine par leur pays d'origine et leur population. Il s'agit également de rendre à ces mêmes peuples un rôle central dans le discours autour de leur identité culturelle et de leur mémoire, ainsi que dans la conservation de leur patrimoine culturel et dans la valorisation de ces biens.
Le dispositif envisagé vise principalement les biens culturels demandés par un État dont ils proviennent à l'origine, qui ont fait l'objet d'une appropriation illicite dans les conditions prévues par la loi, entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972 ; un complément est apporté à une disposition législative du code du patrimoine98(*) pour les cas survenus à partir du 24 avril 1972.
En effet, le projet de loi prévoit d'organiser deux régimes juridiques successifs dans le temps pour permettre des restitutions de biens culturels des collections publiques :
- le premier relève de l'initiative du Gouvernement, reposant donc sur un fondement volontaire, de donner une suite favorable à une demande restitution formulée par un État étranger quand l'appropriation du bien réclamé est intervenue entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972 et si les conditions prévues dans le texte sont remplies. La décision de sortie des collections publiques prendra la forme d'un décret en Conseil d'État ;
- le second constitue une mesure d'application d'un engagement conventionnel international de la France déjà existante dont il est proposé d'élargir le périmètre temporel, en droit interne, à partir du 24 avril 1972 compte tenu de l'importance qu'il revêt actuellement en matière de lutte contre le trafic de biens culturels. Cette évolution permettra ainsi de traiter les demandes relevant du cadre de la Convention de l'UNESCO de 1970, qui oblige la France à y répondre à partir du 7 avril 1997, date de son entrée en vigueur en France, si les preuves d'une origine illicite sont produites par un État partie à la Convention requérant tout en choisissant d'appliquer ce même régime dès 1972 pour organiser une succession des dispositifs dans le temps articulée autour d'une date symbolique sur le plan international.
Enfin, le dispositif doit viser les oeuvres d'art conservées par les musées publics, mais également les livres conservés par les bibliothèques publiques, et plus largement tout bien culturel ayant intégré le domaine public au sens du code général de la propriété des personnes publiques et du code du patrimoine. Sont compris dans le champ d'application envisagé l'ensemble des biens culturels mobiliers, mentionnés à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui peuvent être conservés par exemple dans les musées de l'État ou des collectivités territoriales bénéficiant de l'appellation « musée de France » (au nombre global d'environ 1220), autant qu'au Centre des monuments nationaux (CMN), au Centre national des arts plastiques (CNAP), dans les bibliothèques municipales99(*) ou les bibliothèques universitaires, dénommées services communs de la documentation dans le code de l'éducation100(*). Tous ces biens appartenant à des personnes publiques et intégrés à leur domaine public sont protégés par les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité, consacrés par l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
3. OPTIONS ENVISAGÉES ET DISPOSITIF RETENU
3.1. OPTIONS ENVISAGÉES
Ainsi qu'il a été précisé supra, le statut des biens susceptibles d'être restitués ne permet pas d'appliquer une procédure de déclassement administratif classique relevant de l'article L. 115-1 du code du patrimoine, puisque ces oeuvres n'ont pas perdu leur intérêt public.
Lorsque l'acquisition a été réalisée de manière parfaitement régulière et qu'une appropriation initiale se révèle ultérieurement comme étant illicite, une sortie du domaine public par voie législative ou une annulation de l'entrée dans le domaine public sont nécessaires, à moins que la restitution soit ordonnée par un juge.
3.1.1. Option écartée : le renouvellement de lois d'espèce
Comme évoqué supra, ce choix juridique a été le premier retenu pour pouvoir procéder à des sorties des collections publiques fondées et ciblées et il a déjà été utilisé depuis le début du XXIème siècle à quatre reprises : deux sur initiative parlementaire et deux d'initiative gouvernementale depuis 2020.
Cependant, avec l'augmentation prévisible des demandes de restitution d'États étrangers, à la fois compte tenu du contexte international de prégnance accrue à propos des revendications sur la propriété des biens culturels de la part d'États d'origine qui en ont été dépossédés mais aussi des positions gouvernementales désormais plus favorables aux demandes de restitution, se profile la perspective du besoin de multiplier des vecteurs législatifs ad hoc successifs, créant une charge administrative importante pour tous les intervenants dans le processus.
Ce constat a d'ailleurs abouti à ce que le Conseil d'État tout comme certains parlementaires avancent l'idée qu'un texte de portée générale devrait être envisagé par le Gouvernement pour éviter un accroissement du nombre de textes qui continueraient à leur être soumis au cas par cas.
Dans l'attente d'un tel nouveau texte cadre, concernant les biens culturels ayant fait l'objet d'une appropriation illicite, et en lien avec le ministère de la culture, le président de la Commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, avec plusieurs autres sénateurs, a souhaité faire avancer la possibilité de restitution du tambour parleur Djidji ayokwé du peuple Atchan (Ebrié), dont le retour est demandé par la Côte d'Ivoire et acté sur le principe depuis octobre 2021 : la commission a mobilisé pour ce faire une nouvelle loi d'espèce101(*), qui a été adoptée par cette assemblée le 28 avril 2025, tout en réitérant lors du débat sénatorial son souhait de se voir présenter rapidement une loi-cadre et de ne plus avoir à recourir à ce moyen juridique à l'avenir. Après un vote unanime et conforme de l'Assemblée nationale le 7 juillet 2025, la loi n°2025-644 du 16 juillet 2025 relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire a été promulguée et accorde un délai d'un an pour procéder à la remise matérielle du tambour à la Côte d'Ivoire.
3.1.2. Option écartée : une procédure judiciaire d'annulation de l'entrée du bien dans les collections publiques pour toutes les situations de demandes de restitution
L'annulation de l'entrée dans le domaine public, qui constitue une mesure rétroactive, ne peut être laissée au pouvoir réglementaire. Seul le juge judiciaire, saisi par le propriétaire public, pourrait décider, en raison d'un fait générateur préalable répréhensible, l'annulation de l'entrée de l'oeuvre, pourtant régulière, dans les collections.
Le mécanisme de l'article L. 124-1 du code du patrimoine, introduit par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, aurait pu être envisagé, consistant à ce que le propriétaire public du bien saisisse le juge judiciaire pour faire annuler l'entrée, parfois très ancienne, dans les collections publiques. Cependant, comme il sera difficile dans certains cas de constater une illégalité constituée et par ailleurs sur des fondements juridiques qui ne seront pas évidents à identifier, cette voie ne semble pas adaptée pour traiter les situations antérieures à l'existence d'un cadre conventionnel international. En conséquence, il est plutôt envisagé de réserver ce dispositif aux seuls cas de restitution qui seraient liés au trafic contemporain de biens culturels relevant de l'application de la Convention de l'UNESCO tout en élargissant le périmètre temporel d'application prévu initialement.
Plutôt que d'annuler l'entrée dans le domaine public, en ce qui concerne les situations plus anciennes, pour lesquelles il n'existe pas de cadre juridique contraignant, international ou national, il convient donc plus simplement d'autoriser un propriétaire public - État ou collectivité territoriale - à sortir un bien de son domaine public, par un dispositif dérogatoire à l'inaliénabilité, circonscrit, proportionné et assorti d'un certain nombre de conditions.
3.2. DISPOSITIF RETENU : UN DISPOSITIF LÉGISLATIF DÉROGATOIRE AU PRINCIPE D'INALIÉNABILITÉ ENCADRE LA SORTIE DU DOMAINE PUBLIC
Pour les raisons précitées, le dispositif retenu consiste en un projet de loi cadre permettant de répondre à la plus grande majorité des demandes de restitution susceptibles de se présenter concernant des biens intégrés aux collections publiques, avec une origine illicite survenue antérieurement.
3.2.1. Principes du processus de sortie du domaine public
Le dispositif retenu a pour but de permettre au propriétaire public - État ou collectivité territoriale - de donner une suite favorable à des demandes de restitution en confiant la responsabilité au Gouvernement, par décret en Conseil d'État, de prononcer la sortie de biens culturels du domaine public, le cas échéant, après avis d'un comité conjoint chargé d'apprécier et de documenter les circonstances de la dépossession. Sur saisine du Gouvernement, s'il a acquis préalablement une conviction sur les demandes de restitution, notamment en s'appuyant soit sur des avis scientifiques, soit, quand ils seront formés, sur le rapport des comités scientifiques conjoints, le Conseil d'État vérifiera d'une manière indépendante et rigoureuse que les critères de la loi sont bien remplis. Il s'agit d'une exception encadrée au principe d'inaliénabilité des collections publiques dans le seul objectif de pouvoir effectuer la restitution du bien.
La sortie des collections en vue d'une restitution doit être possible pour tout bien culturel qui a été intégré au domaine public, sous réserve de remplir les conditions prévues par la loi.
A la différence de la loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 susmentionnée, il n'a pas été prévu dans ce projet de loi de disposition spécifique concernant la restitution de biens faisant partie des collections d'un musée de France appartenant à une personne morale de droit privé à but non lucratif. Le choix a en effet été fait de centrer le dispositif sur les biens culturels appartenant au domaine public mobilier d'une personne publique.
Il convient de rappeler que l'ensemble des biens du domaine public sont concernés : les musées, majoritairement dotés de l'appellation « musée de France », mais aussi, notamment, les bibliothèques, dont les collections patrimoniales peuvent également abriter des livres ou d'autres documents entrant dans le champ d'application du projet de loi.
Les biens dont l'appropriation litigieuse est intervenue entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972
La sortie du domaine public d'un bien culturel pourra être prononcée si le bien culturel qui est demandé a fait l'objet d'une acquisition considérée comme illicite au regard des conditions prévues par la loi, entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972. Le point de départ du dispositif a été fixé au lendemain de la date de signature de l'acte final du congrès de Vienne, correspondant au règlement des conquêtes napoléoniennes. Son terme correspond à la veille de la date d'entrée en vigueur au plan mondial de la Convention de l'UNESCO de 1970 en application de son article 21102(*).
Le projet de loi prévoit des conditions de recevabilité de la demande présentée par un État étranger et ensuite de restituabilité103(*). L'instruction des demandes passe, en cas de besoin d'approfondir les modalités d'appropriation, par la formation de comités scientifiques conjoints, composés de manière paritaire avec des membres désignés par l'État demandeur. Le propriétaire public n'est toutefois pas lié par leur avis.
L'appréciation que les différentes dispositions prévues par le projet de loi sont bien respectées bénéficiera de l'avis du Conseil d'État, formulé en toute indépendance, afin d'offrir une garantie procédurale d'impartialité et d'expertise sur la conformité légale du projet de restitution. La sortie du domaine public en vue d'une restitution ne peut être prononcée, s'il a été considéré nécessaire de le former, qu'après remise du rapport du comité conjoint, qui apprécie notamment si les faits relevés constituaient une appropriation illicite, ou du rapport de spécialistes, si la provenance de l'oeuvre réclamée est suffisamment documentée pour permettre à l'État demandeur d'arrêter une position sans recours à un comité.
Les biens issus d'un trafic illicite dont le fait générateur s'est produit à partir du 24 avril 1972
A la suite du processus de décolonisation, notamment donnant lieu aux indépendances africaines, une perception nouvelle des enjeux accrus liés aux méfaits du trafic illicite de biens culturels a fait émerger à l'UNESCO dans les années 1960 une réflexion en vue de l'élaboration d'une nouvelle convention dédiée à ce phénomène en développement. Elle a abouti à la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, adoptée à Paris le 14 novembre 1970. Cette Convention constitue le premier cadre juridique international concernant spécifiquement la lutte contre le trafic de biens culturels, qui engage les États l'ayant ratifié, actuellement au nombre de 148, y compris la France, à empêcher le trafic et à organiser la restitution des objets soustraits illicitement à leur pays d'origine.
Lors de la ratification de la Convention de l'UNESCO en 1997, le droit français est apparu largement conforme, de sorte qu'aucune loi d'application n'a été considérée comme nécessaire à l'époque. Cependant, les juges français ont eu l'occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur l'applicabilité de cette Convention dans l'ordre juridique interne, à la suite de demandes de restitution des biens culturels détenues en mains privées, formulées par des États étrangers. En 2004, la cour d'appel de Paris a souligné que « Les dispositions de cette Convention ne sont pas directement applicables dans l'ordre juridique interne des États parties de sorte (...) qu'elle ne stipule des obligations qu'à la charge de ces derniers et qu'elle ne crée aucune obligation directe dans le chef de leurs ressortissants »104(*). Cette solution a été reprise par le tribunal de grande instance de Paris ; le juge précisait la Convention ayant été ratifiée par la France que le 7 avril 1997, elle ne devrait pouvoir s'appliquer en tout état de cause qu'à des biens qui auraient été exportés illicitement après 1997105(*).
Ainsi, afin de rendre applicable la possibilité de restitution prévue par la Convention, tout au moins pour les biens des collections publiques, le ministère de la culture a introduit en 2016, à l'article L. 124-1 du code du patrimoine106(*), un dispositif permettant à un propriétaire public français, le cas échéant de sa propre initiative sans avoir à attendre une demande, de saisir un juge dans l'objectif qu'il ordonne la restitution au propriétaire légitime de biens acquis de bonne foi, mais dont il s'avérerait qu'en réalité ils ont été volés ou ont fait l'objet d'une exportation illicite avant leur entrée dans les collections publiques. Le périmètre d'application vise les États parties à la Convention de l'UNESCO de 1970 et les biens culturels dont le vol ou l'exportation illicite de leur État d'origine s'est produit après la date de ratification de la Convention par chacun des deux États concernés (France : à partir du 7 avril 1997 ; État d'origine : en fonction de sa propre date de ratification), conformément à l'article 7 de la Convention. A ce jour, la procédure prévue à cet article n'a pas été mise en oeuvre depuis qu'elle a été introduite dans le code du patrimoine, notamment en raison de la mention des dates de ratification des deux États concernés, qui en réduisent le champ d'application.
Le présent projet de loi prévoit de faire de la date du 24 avril 1972 la date pivot de césure entre les deux régimes, celui volontaire et administratif de restitution jusqu'en 1972 et celui juridictionnel, visant principalement à lutter contre le trafic de biens culturels et relevant de l'application de la Convention de l'UNESCO de 1970 à partir de 1972.
3.2.2. Présentation des articles du projet de loi
Le projet de loi modifie le code du patrimoine, en y ajoutant huit articles.
L'article 1er du projet de loi crée un dispositif spécifique dans le code du patrimoine, dans le livre Ier « Dispositions communes à l'ensemble du patrimoine culturel », afin de permettre la restitution de tout bien culturel, quel que soit l'institution qui le conserve (musées publics et bibliothèques publiques en particulier). Au sein du livre Ier, le dispositif est inséré dans le titre Ier consacré à la « Protection des biens culturels ».
Le nouveau dispositif prend la suite, au sein du chapitre 5 relatif à la « Sortie des collections publiques d'un bien culturel », des nouvelles sections consacrées aux biens spoliés et aux restes humains et s'insère en tant que nouvelle section 4.
La proximité du nouveau dispositif de restitution et du processus de déclassement administratif a justifié de les insérer dans un même chapitre, puisqu'il s'agit de deux procédures de sortie du domaine public. Elles sont cependant différentes et la procédure de restitution ne constitue pas un déclassement au sens de l'article L. 115-1, qui n'est possible que dans le cas où le bien a perdu « son intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique ». Il a donc été choisi de les distinguer dans le chapitre 5, renommé « Sortie des collections publiques d'un bien culturel », avec une nouvelle section 1 intitulée « Déclassement » et constituée d'un seul article, l'actuel L. 115-1, et, après une nouvelle section 2, intitulée « Biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 » et une nouvelle section 3 consacrée aux restes humains, d'introduire une section 4 intitulée « Biens culturels provenant d'États qui, du fait d'une appropriation illicite, en ont été privés ».
La nouvelle section 4 du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine prévue comporte huit articles (articles L. 115-10 à L. 115-17).
L'article L. 115-10 pose le principe selon lequel, par dérogation au principe d'inaliénabilité des biens des personnes publiques relevant du domaine public inscrit à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il peut être décidé la sortie du domaine public d'un bien culturel. Sont ainsi couverts par le projet de loi les biens culturels relevant du domaine public mobilier défini à l'article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui recouvre tous les biens « présentant un intérêt du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique ». Sont exclus en revanche du présent projet de loi les exemplaires reçus au titre du dépôt légal par les institutions dépositaires en application de l'article L. 131-2 du code du patrimoine et les archives publiques au sens de l'article L. 211-4 du code du patrimoine. Enfin, l'article précise que la sortie du domaine public est réalisée pour permettre sa restitution à un État notamment dans un objectif de permettre la réappropriation par son peuple de biens constituant des éléments fondamentaux de son patrimoine.
L'article L. 115-11 du code du patrimoine fixe trois critères de recevabilité d'une demande de restitution d'un bien culturel émanant d'un État, qui seront appréciés par le ministère de la culture, principalement par le service des musées de France qui sera le plus concerné :
1° La demande porte sur un bien culturel provenant du territoire actuel de l'État qui en fait la demande ;
2° Il est établi ou des indices sérieux, précis et concordants font présumer que ce bien a fait l'objet entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972 d'une appropriation alors illicite, par vol, pillage, cession ou libéralité obtenues par contrainte ou violence ou d'une personne qui ne pouvait en disposer ;
3° Ledit bien n'a pas fait l'objet d'un accord international conclu par la France antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi.
L'article L. 115-12 du code du patrimoine prévoit que si le bien culturel, objet de la demande de restitution, est revendiqué par un autre Etat, à la date de cette demande, un règlement diplomatique entre les Etats concernés déterminera celle des demandes qui sera examinée.
L'article L. 115-13 du code du patrimoine permet la constitution d'un comité scientifique, en concertation avec l'État demandeur, qui sera consulté pour avis lorsque les besoins de l'examen de la demande de restitution le commandent.
L'article L. 115-14 du code du patrimoine dispose que la sortie du domaine public est prononcée par décret en Conseil d'État, pris sur le rapport du ministre chargé de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre de tutelle de l'établissement public national auquel le bien culturel est affecté. Dans le cas où le propriétaire est une collectivité territoriale, la sortie du domaine public ne peut être prononcée que sous réserve de l'approbation préalable de la restitution par son organe délibérant.
L'article L. 115-15 du code du patrimoine précise le champ d'application. En premier lieu, il rend applicable cette nouvelle section 4 aux restes humains transformés ou aux biens culturels contenant des éléments du corps humain, à l'exception de ceux qui relèvent de la section 3 du même chapitre du code du patrimoine, qui correspond au dispositif de restitution portant sur les restes humains appartenant aux collections publiques.
En second lieu, il prévoit que ne relèvent pas de la présente section deux catégories de biens. D'une part, les biens archéologiques ayant fait l'objet d'un accord de partage de fouilles ou d'un échange de leurs produits à des fins d'étude scientifique. D'autre part, les biens saisis par les forces armées qui, par leur nature, leur destination ou leur utilisation, ont contribué aux activités militaires et doivent dès lors être regardés comme des biens militaires.
L'article L. 115-16 du code du patrimoine renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités d'application du nouveau dispositif, notamment les règles relatives à la demande formulée par l'État étranger et au comité scientifique conjoint ainsi que les modalités et délais de restitution des biens culturels à l'État demandeur à la suite de leur sortie du domaine public.
L'article L. 115-17 du code du patrimoine dispose, en premier lieu, que par dérogation à l'article L. 451-7, les articles L. 115-10 à L. 115-16 sont applicables aux biens culturels incorporés aux collections publiques par dons et legs consentis avant ou après la date d'entrée en vigueur de la loi, sauf clause contraire stipulée dans la libéralité concernée.
En second lieu, il prévoit qu'en présence d'une clause contraire, les articles L. 115-10 à L. 115-16 ne recevront application que si les ayants droit ont consenti à ce que le bien quitte la collection publique. Dans ce cas, l'intention de restitution sera notifiée par acte extrajudiciaire à l'auteur de la libéralité et aux ayants droit dont l'existence ne peut légitimement être ignorée ou qui peuvent être identifiés sans diligences manifestement disproportionnées. Il sera également procédé à la publication de l'intention de restitution dans un journal d'annonces légales au lieu de conservation du bien ainsi que par voie d'affichage et sur le site internet du ministère chargé de la culture. Enfin, en l'absence de réponse à l'issue d'un délai de six mois suivant la dernière formalité de publicité ou la dernière notification accomplie, il pourra être procédé à la restitution.
L'article 2 du projet de loi modifie l'article L. 124-1 du code du patrimoine, introduit par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, afin d'étendre son périmètre temporel d'application. A ce jour, l'article L. 124-1 permet à une personne publique propriétaire d'un bien culturel appartenant au domaine public mobilier d'agir en nullité de la vente, de la donation entre vifs ou du legs de ce bien lorsqu'il lui est apporté la preuve qu'il a été volé ou illicitement exporté après l'entrée en vigueur, à l'égard de l'État d'origine et de la France, de la Convention de l'UNESCO précitée. L'article 2 modifie cet élément déclencheur, en substituant aux dates d'entrée en vigueur de la Convention de l'UNESCO pour les deux États concernés une borne temporelle unique, celle du 24 avril 1972, date de son entrée en vigueur au plan international en application de son article 21.
L'article 3 du projet de loi prévoit l'application immédiate de la loi aux demandes de restitutions en cours d'examen.
3.2.3. L'application du projet de loi aux biens culturels entrés dans les collections publiques par les dons et legs
Certains biens restituables dans les conditions prévues par le projet de loi sont entrés dans les collections publiques par l'intermédiaire d'une libéralité107(*), à savoir un don du vivant de l'auteur ou un legs prévu par un testament. Or, certaines clauses prévues par des dons et legs sont susceptibles en l'état de faire obstacle à la restitution à un État étranger. Dans certains cas, une clause d'indivisibilité d'un ensemble de différents objets peut être prévue, ce qui implique que la sortie d'un objet est de nature à remettre en cause la totalité du don ou legs. Ensuite, certains dons ou legs de particuliers peuvent contenir des clauses spécifiques faisant obstacle à une restitution.
Afin de donner toute sa portée utile au nouveau dispositif, il est proposé d'introduire dans le code du patrimoine une dérogation à l'article L. 451-7 du code du patrimoine, qui prévoit que « Les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'État, ceux qui ont été acquis avec l'aide de l'État ne peuvent être déclassés. ». Ainsi, au nom de l'intérêt général qui est poursuivi, par dérogation aux règles du droit commun posées par le code civil, cette dérogation sera applicable, comme dans les deux lois cadres de 2023, aux biens culturels incorporés aux collections publiques par dons et legs consentis avant ou après la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sauf clause contraire stipulée dans la libéralité concernée. Par ailleurs, en présence d'une telle clause contraire, les ayants droits pourront consentir à ce que ledit bien quitte la collection publique, sans que cette restitution ne puisse entraîner la révocation de la libéralité dont le bien concerné est issu. En l'absence d'une réponse dans un délai de six mois, il pourra être procédé à la restitution.
L'application du projet de loi aux biens culturels entrés dans les collections publiques par des libéralités
En l'occurrence, la restitution d'un bien qui a fait l'objet d'une appropriation initiale illicite, à un État étranger qui en fait la demande, dans le cadre d'un dispositif limité dans le temps, constitue un motif d'intérêt général, de sorte que cette disposition est conforme à la Constitution. En raison de cet intérêt général, il est loisible au législateur de déroger au droit commun des libéralités applicables aux legs et donations108(*), afin de permettre l'accès des populations à ce patrimoine, tant sur le plan constitutionnel que conventionnel.
En effet, les libéralités avec conditions et charges relèvent de la liberté de disposer de ses biens, et donc du droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Les atteintes qui sont portées à ce droit doivent, pour être conformes à la Constitution, être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi109(*). La Cour européenne des droits de l'Homme admet quant à elle les atteintes au droit de propriété dès lors que cette atteinte est justifiée par un motif d'intérêt général et qu'elle ménage un juste équilibre entre cet intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus110(*).
En matière de restitution de biens culturels, le Conseil d'État a affirmé, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945111(*), que lorsque des biens ont fait l'objet de spoliations dans le cadre des persécutions antisémites, « la restitution s'impose au nom d'un intérêt général supérieur. Ce motif impérieux rend inopérantes les autres exigences constitutionnelles au regard desquelles une loi prononçant le déclassement de biens du domaine public mobilier doit, en règle générale, être examinée. »
Si la restitution d'oeuvres du patrimoine d'autres États ne peut être assimilée à la restitution de biens qui ont fait l'objet de spoliations dans le cadre des persécutions antisémites, il apparaît néanmoins que cette restitution répond, elle aussi, à un motif d'intérêt général suffisant lié à la réappropriation par certains peuples d'un patrimoine qui a pu leur être confisqué, notamment dans un contexte colonial, avec de forts enjeux mémoriels et symboliques112(*). Il s'agit également de rendre à ces mêmes peuples un rôle central dans le discours autour de leur identité culturelle et de leur mémoire, ainsi que dans la conservation de leur patrimoine culturel et dans la valorisation de ces biens.
L'application du projet de loi aux libéralités consenties antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi
Le projet de loi prévoit, avec le nouvel article L. 115-17 du code du patrimoine de rendre applicable le dispositif de restitution aux biens culturels incorporés aux collections des musées de France par dons et legs, sauf clause contraire stipulée dans la libéralité concernée. Cette disposition s'applique notamment aux dons et legs consentis avant la date d'entrée en vigueur de la loi et aux successions ouvertes et non liquidées à cette date. Il convient donc d'analyser la constitutionnalité d'une telle disposition spécifique d'application dans le temps, dans la mesure où elle viendrait priver d'efficacité la charge pesant sur les dons et legs et porterait donc atteinte aux prévisions de son auteur.
Aux termes de l' article 2 du code civil, « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». Il en résulte que la loi nouvelle n'a pas d'emprise sur les effets passés d'une situation juridique réalisée (principe de non-rétroactivité). En revanche, elle s'applique aux effets à venir d'une situation juridique en cours, ou créée postérieurement à son entrée en vigueur (principe de l'application immédiate). Le principe de non-rétroactivité de la loi peut d'ailleurs être écarté par la loi, ainsi que le rappelle l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration.
Les dons et legs, qui sont des actes juridiques, et plus précisément des contrats unilatéraux, sont en principe également régis par la loi en vigueur au moment où ils ont été signés. En effet, la Cour de cassation écarte de manière constante l'application immédiate de la loi nouvelle aux situations contractuelles en cours, qui restent soumis à la loi en vigueur au moment de leur conclusion113(*). Cette exception prétorienne a notamment été dégagée à propos d'un legs : « qu'en l'absence de dispositions particulières, les actes juridiques sont régis par la loi en vigueur au jour où ils ont été conclus »114(*).
La survie de la loi ancienne se justifie dans un contrat par la nécessité de ne pas déjouer les prévisions légitimes des parties, lesquelles ont consenti à contracter au regard de la loi en vigueur au moment où leurs volontés se sont exprimées et rencontrées. S'agissant des actes unilatéraux comme les legs, cette solution trouve la même justification de ne pas déjouer la volonté du disposant, qui a librement testé conformément à la loi en vigueur au moment de la rédaction de l'acte.
Si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions rétroactives ou affectant les situations contractuelles en cours, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles115(*) ou de ne pas porter atteinte aux « situations légalement acquises »116(*). Le Conseil constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence dans le sens d'une protection accrue de la sécurité juridique, en jugeant désormais que le législateur « ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations »117(*).
Le Conseil d'État juge en outre, au regard des stipulations de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que l'intervention rétroactive du législateur au profit de l'État doit reposer sur d'importants motifs d'intérêt général et, au regard des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, qu'un juste équilibre doit être ménagé entre l'atteinte aux droits découlant de lois en vigueur et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier118(*).
En l'espèce, l'article L. 115-17 du code du patrimoine envisagé par le projet de loi n'a pas pour effet de régulariser a posteriori des restitutions réalisées en violation d'une condition d'inaliénabilité avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Il ne s'analyse donc pas comme une loi rétroactive. En revanche, il a pour effet de neutraliser les effets futurs de conditions d'inaliénabilité prévues dans les actes juridiques adoptés avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle par le consentement express des ayants droits ou par l'absence de réponse à l'issue d'un délai de six mois suivant soit la formalité de publicité de l'intention de restitution, soit la notification à l'auteur de la libéralité et à ses ayants droit. Enfin, il n'a pas un objet général susceptible de porter indifféremment atteinte à toutes les charges grevant les libéralités, puisque son périmètre est circonscrit à la seule restitution des biens culturels dans les conditions qui seront prévues par le code du patrimoine.
Le projet de loi a pour objectif de permettre la réappropriation, par certains peuples, des biens constitutifs de leur patrimoine commun et de leur mémoire collective. Ces enjeux répondent à un objectif supérieur d'intérêt général pouvant surpasser les volontés des auteurs des dons et legs. Dans ces conditions, l'application immédiate de la loi autorisant la restitution des dons et legs en dépit des charges grevant ces libéralités, même lorsqu'elles sont toujours en cours d'exécution au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne méconnait pas le cadre constitutionnel et conventionnel applicable.
3.2.4. Les exclusions de certaines catégories de biens culturels du champ d'application du projet de loi
Les documents collectés dans le cadre du dépôt légal
Il convient d'exclure les documents entrés dans les collections de la Bibliothèque nationale de France (BnF) dans le cadre du dépôt légal, dont les modalités sont prévues aux articles L. 131-1 à L. 133-1 du code du patrimoine, pour les raisons suivantes :
- Le dépôt légal a constitué, au sein des anciennes possessions coloniales françaises, une obligation juridique ordinaire, même si son effectivité a été variable selon les pays et les époques. Il s'agit donc d'une situation radicalement différente du cas d'une acquisition faite dans des conditions illicites ;
- Il portait sur des documents édités en nombre, autrement dit des exemplaires d'une même oeuvre ce qui est une problématique autre que celle d'oeuvres uniques demandées par un autre État ;
- Ces fonds, qui sont consultés par les chercheurs, ne font l'objet d'aucune demande de restitution par les Etats concernés avec lesquels la BnF travaille régulièrement dans le cadre du réseau francophone numérique119(*).
Les archives publiques
Le projet de loi exclut de son champ d'application les archives publiques au sens de l'article L. 211-4 du code du patrimoine, c'est-à-dire l'ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, qui procèdent de l'activité de l'État, des Assemblées, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public, de la gestion d'un service public ou de l'exercice d'une mission de service public par des personnes de droit privé, ainsi que les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels.
Le dispositif envisagé est en effet inapplicable par nature aux archives publiques dans la mesure où, par définition, elles procèdent de l'activité d'institutions publiques ou chargées de mission de service public françaises. Ces institutions peuvent naturellement avoir exercé leurs missions dans un contexte colonial. Pour autant, les documents qui en procèdent ne peuvent pas être le fruit d'un vol ou d'un pillage ou d'une autre cause illicite d'appropriation, puisqu'ils ont nécessairement été produits ou reçus au titre de l'exercice de missions réglementairement exercées par ces institutions, autrement dit dans un cadre par essence légal.
A l'inverse, il peut en aller différemment des archives issues de fonds privés entrées dans les collections publiques par acquisition à titre onéreux, don, dation ou legs, raison pour laquelle elles entrent pleinement dans le périmètre du projet de loi.
Les biens archéologiques ayant fait l'objet d'un accord de partage de fouilles ou d'un échange de leurs produits à des fins d'étude scientifique
Le projet de loi s'applique aux biens culturels acquis dans des conditions illicites, notamment lorsqu'ils sont issus de fouilles clandestines120(*).
La détermination des conditions exactes d'acquisition des biens archéologiques entrés dans les collections publiques avant 1941 s'avère particulièrement complexe, dans la mesure où la législation moderne en matière d'archéologie est née en France avec la loi n° 41-4011 du 27 septembre 1941 relative à la réglementation des fouilles archéologiques. Parallèlement, la question reste posée d'identifier, en fonction des différents pays concernés, quand sont entrées en vigueur leurs propres législations nationales sur l'archéologie.
Au XIXe siècle, les fouilles à l'étranger ont été conduites de diverses manières. Des missions françaises officielles à l'étranger ont été initiées sous l'égide du ministère des affaires étrangères ou du ministère de l'instruction publique. Des accords ont pu être conclus par la France avec des États étrangers, qui sont variables selon les États et les missions. A cet égard, on peut citer l'exemple emblématique de l`accord de coopération archéologique signé entre Paris et Kaboul le 9 septembre 1922, sous le règne d'Amânullâh Khân (1919-1929), qui souhaitait moderniser l'Afghanistan et faire appel à la France pour la mise en valeur des richesses archéologiques de son pays, en s'inspirant des conventions signées entre la France et la Perse. Pour mener à bien cette mission scientifique, la France crée la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA), qui, malgré les soubresauts de l'histoire, existe toujours. L'accord de 1922 prévoit que le gouvernement afghan concède pendant trente ans à la France le droit exclusif de prospecter et de fouiller sur l'ensemble du territoire afghan, renouvelable par commun accord, et que le produit des fouilles soit divisé par moitié entre l'État afghan et la DAFA, sauf pour les pièces dites « uniques » ou en or qui sont réservées au musée de Kaboul et restent donc propriété du gouvernement afghan.
Le monopole français des fouilles en Afghanistan, avec la clause sur le partage des trouvailles, bénéficie, dès les premières années de la DAFA, au musée Guimet, alors seule institution nationale consacrée à l'Asie. Le premier partage des objets entre la France et l'Afghanistan a lieu lors de la fouille de Païtava en 1924 durant la première mission de l'archéologue Joseph Hackin, au cours de laquelle est notamment découvert le Bouddha au grand miracle121(*). En 1936, la fouille de Begram révèle un exceptionnel trésor tout à la fois hellénistique, indien, chinois et de l'Orient romain, dont une partie revient à la France. La pratique du partage est progressivement abandonnée à partir des années 1950, bien qu'elle soit alors encore permise dans la renégociation de l'accord en 1952, avant de cesser définitivement en 1982.
Dans des situations similaires, des partages ont pu aussi intervenir entre les archéologues européens et les pays qui laissaient fouiller leurs sites sans que les règles en soient autant formalisées qu'entre la France et l'Afghanistan. Quelle que soit l'appréciation que l'on peut porter aujourd'hui sur ce type d'arrangement, à caractère officiel ou dans une moindre mesure, il n'en reste pas moins que l'appropriation par ces modalités qui a abouti à l'entrée d'objets dans les collections publiques ne revêt pas de caractère illicite et n'a donc pas à être remise en cause.
Par ailleurs, au XIXème siècle et dans la première moitié du XXème siècle encore, de nombreuses fouilles ont été menées par des entreprises privées, en dehors d'accords entre États. Il était alors fréquent que les scientifiques conduisant ces fouilles conservent une partie des objets retrouvés à l'issue des fouilles en tant que financeurs. Des accords privés de partage des fouilles pouvaient là encore être conclus entre personnes privées pour se répartir les objets, notamment à des fins d'étude scientifique, qui peuvent, par la suite, enrichir des collections publiques, sans qu'il soit vraiment possible aujourd'hui de clarifier les conditions de partage antérieurs.
Pour des motifs de sécurité juridique, le projet de loi écarte donc de son champ d'application les biens archéologiques ayant fait l'objet d'un accord de partage de fouilles ou d'un échange de leurs produits à des fins d'étude scientifique.
Les biens devant être regardés comme des biens militaires
La question s'est posée de savoir quel sort réserver au cas particulier de certains biens conservés dans les collections publiques, qui sont des « biens militaires », ayant pu faire l'objet d'une saisie autorisée en temps de conflit armé par le droit international.
Les biens pouvant être saisis sont énumérés à l' article 53 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la convention de La Haye du 18 octobre 1907. Par ailleurs, depuis le 7 juin 1957, date de son entrée en vigueur pour la France, s'appliquent également les dispositions de la Convention de la Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et de ses Protocoles, qui interdisent notamment les réquisitions de biens culturels meubles situés sur le territoire d'un autre État Partie à la Convention.
Les biens militaires saisis en application de l'article 53 du règlement de La Haye et ne répondant pas à la définition de biens culturels de la Convention de 1954, pour les biens saisis après le 7 juin 1957 dans le cadre d'un conflit armé entre la France et un autre Etat partie à la Convention, sont des biens qui ont été saisis légalement, sous réserve d'une analyse, au cas par cas, de l'applicabilité d'autres corpus juridiques.
Toutefois, la référence dans le projet de loi aux règles fixées par l'article 53 du règlement précité de La Haye, auquel renvoie l'article R. 5141-1 du code de la défense, ne serait pas satisfaisante, dès lors que les conventions de La Haye sur les lois et coutumes de la guerre codifient la coutume internationale antérieure, qui a progressivement restreint le droit des belligérants de saisir des biens à titre de « butin » ou de « réparation de guerre ».
En effet, d'une part, les instruments internationaux du droit de la guerre ne s'appliquent pas de manière rétroactive aux conflits antérieurs, notamment coloniaux. Ainsi, les dispositions de la Convention de La Haye ne s'appliquent qu'à des biens culturels qui répondaient à cette définition au moment de la saisine, si celle-ci est intervenue depuis le 7 juin 1957.
D'autre part, l'identification précise du droit en vigueur avant l'adoption de la Convention de La Haye sur les lois et coutumes de la guerre s'avère malaisée, ce d'autant plus que les règles du droit international ne s'appliquaient pas à la colonisation par la France de territoires africains. A l'époque des conquêtes coloniales, le droit international tant coutumier que conventionnel ne concernait en effet que les guerres entre États souverains, qualification qui n'était reconnue qu'aux nations organisées selon le modèle des États européens. Les autres territoires étaient alors fréquemment considérés comme « sans maître » (terra nullius), pouvant dès lors faire l'objet d'une acquisition ou d'une gestion (protectorat) licite122(*). Les conflits coloniaux (conquête puis libération) n'ont ainsi été soumis qu'au droit embryonnaire des conflits armés non internationaux, avec l'apparition de règles coutumières minimales (humanité, interdiction du pillage) puis l'article 3 des conventions de Genève de 1949123(*). Ces « guerres de libérations nationales » n'ont été qualifiées de conflits armés internationaux qu'avec l'article 1 § 4 du Protocole additionnel I aux conventions de Genève, protocole adopté en 1977 et entré en vigueur en France en 2001.
Partant, le droit applicable à la date de saisie des biens militaires concernés par le projet de loi est le droit interne, en l'occurrence le droit français, à l'exception de l'interdiction coutumière du pillage, affirmée dans tous les contextes de conflits armés. Dès lors, pour des biens conservés dans les collections publiques, se pose la difficulté juridique d'identifier au cas par cas la règle de droit français applicable au moment de la saisie.
Les modalités de saisie de biens dans le contexte des conflits coloniaux sont rarement documentées avec précision. Or, ces modalités déterminent leur licéité ou illicéité en fonction de la nature ou de la fonction militaire du bien, de la personne à qui le bien a été saisi (personne publique ou privée) et du contexte précis de la saisie124(*). Dans ce contexte, la preuve de la licéité au cas par cas de l'acquisition peut être fort complexe, d'autant plus compte tenu de la difficulté à identifier le droit coutumier applicable.
Pour ces différentes raisons, il est proposé d'exclure du champ d'application de la loi, à l'article L. 115-15 du code du patrimoine, « les biens saisis par les forces armées qui, par leur nature, leur destination ou leur utilisation, ont contribué aux activités militaires et doivent dès lors être regardés comme des biens militaires ».
Cette définition s'inspire du 2. de l'article 52 « protection générale des biens de caractère civil » du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), du 8 juin 1977: « 2. Les attaques doivent être strictement limitées aux objectifs militaires. En ce qui concerne les biens, les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l'action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l'occurrence un avantage militaire précis. ».
4. ANALYSE DES IMPACTS DES DISPOSITIONS ENVISAGÉES
4.1. IMPACTS JURIDIQUES
4.1.1. Impacts sur l'ordre juridique interne
L'exception au principe d'inaliénabilité créée par le texte reste limitée aux biens visés, à savoir les biens culturels relevant du domaine public mobilier d'une personne publique à l'exception de plusieurs catégories de biens, qui en sont exclus en raison de leur nature particulière125(*). Elle n'emporte donc qu'un impact limité et proportionné à l'objectif poursuivi sur le droit patrimonial interne.
Le projet de loi modifie le code du patrimoine en y ajoutant, par l'article 1er du projet de loi, une section 4 au chapitre 5 du titre 1er du Livre Ier, avec les nouveaux articles L. 115-10 à L. 115-17, en modifiant, par l'article 2 du projet de loi, l'article L. 124-1 du chapitre 4 du titre II du Livre Ier.
4.1.2. Articulation avec le droit international et le droit de l'Union européenne
Il n'apparaît pas qu'une telle décision de sortie du domaine public patrimonial français présente de contradiction avec le cadre juridique international, notamment les engagements internationaux souscrits par la France, ni avec le droit européen.
4.2. IMPACTS ÉCONOMIQUES ET FINANCIERS
4.2.1. Impacts macroéconomiques
Sans objet.
4.2.2. Impacts sur les entreprises
Les acteurs du marché de l'art - marchands, galeries, maisons de vente - sont de plus en plus attentifs aux questions de provenance des biens qu'ils mettent en vente.
Le texte proposé permet de souligner la nécessité de procéder à des recherches de provenance avant toute vente et toute acquisition, pour éviter de prolonger la circulation de biens à l'origine litigieuse. Le projet de loi peut contribuer à améliorer les pratiques des acteurs du marché de l'art et à sensibiliser en particulier les marchands, les maisons de vente et les experts à la nécessité de procéder à des recherches de provenance approfondies.
4.2.3. Impacts budgétaires
Les futures décisions de restitution rendues possibles par le projet de loi n'emportent pas d'impact budgétaire.
4.3. IMPACTS SUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Le texte proposé ouvre la faculté de restitution s'agissant de biens culturels appartenant aux collections de collectivités territoriales. La collectivité territoriale propriétaire pourra voir certains de ses biens figurer dans ceux considérés comme restituables par le comité conjoint dans les cas où il sera constitué. La procédure de sortie du domaine public insérée dans le code du patrimoine permettra ainsi à l'organe délibérant de la collectivité territoriale de donner son approbation, sans y être contraint, préalable à la sortie du bien de son domaine public.
La collectivité territoriale qui souhaite restituer un bien culturel de son domaine public ne sera ainsi plus obligée d'attendre le dépôt et le vote d'un projet de loi de restitution spécifique visant ce bien culturel en particulier.
Il n'est pas possible d'estimer le nombre de biens culturels qui pourraient être concernés. Comme pour les biens culturels des collections nationales, les biens culturels des collections publiques territoriales qui pourraient entrer dans le champ d'application ne sont pas encore tous identifiés. Seules les avancées des travaux de recherches sur l'histoire des collections, qui se développent aujourd'hui, sans être encore systématiques, permettront peu à peu d'identifier des oeuvres à la provenance incertaine, voire clairement correspondant aux situations visées par la loi.
Le texte proposé pourrait précisément avoir pour effet positif de susciter des recherches de provenance sur les collections de musées relevant de collectivités territoriales, afin de clarifier l'historique des oeuvres.
4.4. IMPACTS SUR LES SERVICES ADMINISTRATIFS
Les impacts sur les services administratifs seront limités. Le ministère de la Culture assurera le suivi des dossiers de sortie du domaine public de l'État en vue d'une restitution. Le nombre de cas ne peut être évalué à l'avance puisque seule la combinaison des demandes de restitution d'États étrangers adressées à la France et des recherches de provenance au fur et à mesure de leur avancée à venir permettra de connaître les oeuvres potentiellement restituables concernées, qui ne sont pas encore toutes identifiées.
Cependant, parmi les charges nouvelles incombant au ministère de la Culture, plus particulièrement au service des musées de France (et à sa sous-direction des collections), figurera la coordination du processus mis en place par le projet de loi, qui comprend notamment les propositions de composition des comités scientifiques conjoints, la participation éventuelle à ceux-ci et le suivi de leurs activités ainsi que la préparation des dossiers et décrets en Conseil d'État afférents en cas d'appréciation favorable des demandes de restitution.
Le texte proposé contribue par ailleurs à sensibiliser encore davantage les propriétaires publics, et notamment les musées nationaux et bibliothèques publiques relevant de l'État, ainsi que les musées de France appartenant à des collectivités territoriales ou à des personnes morales de droit privé à but non lucratif, à la question de l'origine de leurs collections, et à encourager de nouvelles recherches de provenance, afin de clarifier le parcours des oeuvres et d'identifier, le cas échéant, des biens ayant fait l'objet de spoliations.
4.5. IMPACTS SUR LE CONSEIL D'ETAT
La sortie des collections d'un bien culturel restitué à un État étranger sera prononcée par décret individuel, pris en Conseil d'État, à l'image de la procédure déjà mise en place à l'article L. 115-8 du code du patrimoine pour la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques126(*). Leur nombre restera toutefois limité, dans la mesure où ils pourront porter sur des ensembles de biens, ce qui permettra de traiter plusieurs demandes au sein d'un même texte.
Actuellement, la France a été saisie des demandes de restitution, qui se trouvent à des stades différents d'instruction et ont été formulées par les pays suivants (par ordre alphabétique) :
Demandes de restitutions reçues par la
France
(dont certaines pourraient être réglées par la
loi sous réserve de l'adéquation avec ses dispositions et des
résultats de l'instruction des dossiers)
Appropriations intervenues entre le 10 juin 1815 et le 23 avril 1972 relevant du dispositif de l'article 1er |
Situations d'origine illicite (vol, pillage, exportation illicite) depuis le 24 avril 1972 relevant du dispositif de l'article 2 |
Algérie - Objet et effets personnels de l'Émir Abd El Kader, dont un de ses burnous (Musée de l'Armée), demande de 2021, et du canon La consulaire/ Baba Merzoug, érigé en colonne commémorative à Brest, demande de 2022 ; Bénin - Suite des demandes initiales concernant d'autres objets, comme le calendrier du Fa, la statue du dieu Gou et deux objets ayant appartenu aux Amazones (MQB-JC) ; Côte d'Ivoire - Tambour parleur Djidji Ayokwe des Ebriés, confisqué en 1916 (MQB-JC) (demande de 2019, restitution actée, déjà annoncée par le Président de la République - documentation réunie, pas de nécessité de former un comité conjoint/ loi adoptée et promulguée le 16 juillet 2025, remise matérielle à organiser dans un délai d'un an) et 25 autres objets conservés au MQB-JC figurant sur une liste de 148 items demandés, non communiquée officiellement à la France ; Éthiopie - Demande de 2019, généraliste nécessitant d'être précisée ; Kazakhstan - Élément de chandelier fabriqué au XIVème siècle sur commande de l'empereur Tamerlan (Louvre), demande de 2020 ; Madagascar - Élément décoratif en forme de couronne du dais de la reine Ranavalona III (musée de l'Armée) (+ autres biens malgaches) ; pour la « couronne », dépôt en attente de la restitution depuis 2020, réunion prochaine du comité conjoint ; Mali/ Sénégal - Objets issus du Trésor dit de Ségou, prise de 1890 (MQB-JC, musée de l'Armée, muséum du Havre, BnF), figurant dans la demande du Sénégal de 2019 et du Mali de 2022 ; Mali - Objets issus de la mission ethnographique Dakar-Djibouti de 1931 (MQB-JC, autres musées ?), demande de 2022 ; Pologne - Tableau hollandais de Van Goyen disparu du musée de Wroclaw pendant la Seconde guerre mondiale, acquis par legs en 1997 (Louvre), demande de 2021, documentée ; Tchad - Demande de 2019, généraliste nécessitant d'être précisée. |
Italie - 7 objets archéologiques, probablement pillés et ce au début des années 1980, acquis entre 1982 et 1998 (Louvre), demande adressée au niveau du musée en 2018 puis 2022, restitution envisageable si les preuves sont réunies de l'origine de pillage ; Népal - 2 sculptures népalaises, acquises en 1985 et 1986 (Guimet), demande adressée au niveau du musée depuis plusieurs années. |
Après une instruction selon les modalités prévues par le projet de loi, ces demandes donneront lieu, complètement ou partiellement, notamment pour celles très généralistes qui demandent à être précisées et davantage ciblées avant d'être étudiées au fond, à une réponse de l'État. Compte tenu de ce temps de travail de recherche et de concertation préalables après réception des demandes, les saisines du Conseil d'État, pour vérifier la conformité du dossier avec les prescriptions de la loi, regrouperont dans la mesure du possible les objets appelés à être restitués pays par pays et devraient donc être en nombre limité chaque année.
4.6. IMPACTS SOCIAUX
4.6.1. Impacts sur les personnes en situation de handicap
Sans objet.
4.6.2. Impacts sur l'égalité entre les femmes et les hommes
Sans objet.
4.6.3. Impacts sur la jeunesse
Sans objet.
4.6.4. Impacts sur les professions réglementées
Sans objet.
4.7. IMPACTS SUR LES PARTICULIERS
Comme pour les entreprises, le texte proposé peut contribuer à sensibiliser les particuliers acheteurs de biens culturels à la question de la provenance des oeuvres d'art. Le projet de loi peut encourager les acheteurs et détenteurs de biens culturels à mieux connaître le parcours des oeuvres pour éviter l'acquisition ou la mise en vente d'une oeuvre à l'origine illicite.
La question des restitutions de biens culturels suscite l'intérêt continu de l'opinion publique en France et dans le monde. Les recherches et les restitutions font l'objet de nombreuses publications, films documentaires, reportages, et d'un suivi attentif de la presse.
L'opinion publique semble plutôt favorable aux politiques et décisions de restitution de biens présents dans les musées publics. Les différentes lois de ces dernières années (loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal ; loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites ainsi que les deux premières lois cadres adoptées en 2023) ont été plutôt bien accueillies.
Plusieurs sondages récents au Royaume-Uni ont indiqué qu'une majorité de Britanniques sont aujourd'hui favorables à certaines restitutions. Une telle enquête d'opinion réalisée en 2023 par l'institut Yougov et commandée par le Parthenon Project, association qui milite pour un retour de l'intégralité des marbres conservés au British Museum en Grèce, a fait ainsi apparaître que « 49 % des Britanniques sont d'accord avec une restitution contre 15 % qui s'y opposent, un quart de la population n'ayant pas d'opinion sur le sujet »127(*).
En France, certaines voix, plus minoritaires, peuvent cependant avoir une approche peu favorable par rapport au fait d'élargir les possibilités de déroger à l'inaliénabilité d'une manière générale, et par voie de conséquence, que des oeuvres d'art du patrimoine public ainsi restituées quittent les musées français pour rejoindre une collection étrangère. Le dispositif envisagé dans le projet de loi permettant des sorties des collections publiques encadrées et ciblées devrait contribuer à apaiser ces craintes.
4.8. IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX
Sans objet.
5. CONSULTATIONS ET MODALITÉS D'APPLICATION
5.1. CONSULTATIONS MENÉES
En application de l'article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le présent projet de loi a été soumis à l'examen du Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN) qui a émis un avis favorable à l'unanimité des membres présents le 3 juillet 2025.
5.2. MODALITÉS D'APPLICATION
5.2.1. Application dans le temps
Ces dispositions entreront en vigueur au lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française. La mise en oeuvre de ce nouveau dispositif, dont les modalités d'application seront précisées dans un décret en Conseil d'Etat (voir infra 5.2.3), n'est pas encadrée par un délai spécifique.
Par ailleurs, l'article 3 prévoit que la loi s'appliquera aux demandes de restitutions en cours d'examen à la date de sa publication.
5.2.2. Application dans l'espace
Le projet de loi ne comporte aucune disposition particulière relative à son application dans les collectivités d'outre-mer. Le dispositif-cadre qu'il introduit dans le code du patrimoine n'a pas d'impact propre à ces collectivités dès lors qu'il ne prévoit aucune extension et respecte la répartition des compétences entre l'État et les collectivités prévue par la loi.
Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte)
Les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte) sont régies par le principe de l'identité législative et se voient donc appliquer le droit commun, sous réserve de dispositions spécifiques d'adaptation « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Le présent projet de loi y est donc applicable.
Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française) et le titre XIII (Nouvelle-Calédonie) de la Constitution
a. Saint-Barthélemy, Saint Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon :
? Saint-Barthélemy : en vertu de l' article L.O. 6213-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou de celles intervenant dans les matières de la compétence de la collectivité en application de l' article L.O. 6214-3 du même code. Le droit domanial local et des biens de la collectivité faisant partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Saint-Martin : en vertu de l' article L.O. 6313-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou de celles intervenant dans les matières de la compétence de la collectivité en application de l' article L.O. 6314-3 du même code. Le droit domanial local et des biens de la collectivité faisant partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Saint-Pierre-et-Miquelon : en vertu de l' article L.O. 6413-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires lui sont applicables de plein droit, à l'exception de celles qui interviennent dans les matières relevant de la loi organique en application de l'article 74 de la Constitution ou dans l'une des matières relevant de la compétence de la collectivité en application du II de l' article L.O. 6414-1. Le droit domanial et des biens de la collectivité ne faisant pas partie des compétences de la collectivité, le présent projet de loi y est donc applicable.
b. Wallis-et-Futuna, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie :
? Wallis-et-Futuna : En vertu de l' article 4 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer, la collectivité est notamment régie par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d'outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna. La définition des règles applicables au domaine public de l'Etat appartient à ce dernier en vertu de la compétence de droit commun que lui confère le statut de 1961. Par ailleurs, en vertu du 6° de l'article 40 du décret n° 57-811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l'assemblée territoriale, du conseil territorial et de l'administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna, il appartient à l'assemblée territoriale d'édicter les règles applicables au domaine du territoire, y compris les terres vacantes et sans maître, lesquelles font partie du domaine privé du territoire, et en matière de cadastre. En vertu du 30° de l'article 40 du même décret, l'assemblée territoriale est compétente en matière de bibliothèques publiques. Enfin, le livre IV du code du patrimoine, relatif aux musées, n'a pas été étendu et n'est donc pas applicable à la collectivité. Pour ces différentes raisons, le projet de loi ne prévoit aucune mention expresse d'applicabilité au territoire des îles Wallis-et-Futuna ;
? Polynésie française : En vertu de l' article 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie français, dans les matières relevant de la compétence de l'Etat, sont applicables les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin à l'exception des dispositions relatives à des domaines limitativement énumérés, applicables de plein droit, au nombre desquels figure le domaine public de l'Etat (3°). Par ailleurs, il résulte de la combinaison des articles 13 et 14 de la même loi que la culture et la domanialité locale n'entrent pas dans les domaines de compétence dévolus à l'Etat mais qu'elles relèvent de la collectivité. L' article 43 de la loi organique confie une compétence en matière de culture et de patrimoine local aux communes de la Polynésie française. En conclusion, le projet de loi s'applique de plein de droit au domaine public de l'Etat en Polynésie française, mais à défaut de compétence, le présent projet de loi n'est pas applicable au domaine public des communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics ;
? Nouvelle-Calédonie : Aux termes de l'article 43 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l'Etat, la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes exercent, chacun en ce qui le concerne, leur droit de propriété sur leur domaine public et leur domaine privé. Par ailleurs, l' article 6-2 de la loi organique prévoit que dans les matières relevant de la compétence de l'Etat, sont applicables les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin, à l'exception des dispositions relatives à des domaines limitativement énumérés, applicables de plein droit, au nombre desquels figurent le domaine public de l'État (3°). Enfin, en vertu du 31° de l' article 22 de la loi du 19 mars 1999 susmentionnée, la Nouvelle-Calédonie reste compétente en matière de « droit domanial de la Nouvelle-Calédonie et des provinces ». En conclusion, le projet de loi s'applique de plein de droit au domaine public de l'Etat en Nouvelle-Calédonie, mais à défaut de compétence, le présent projet de loi n'est pas applicable au domaine public de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics.
Les collectivités d'outre-mer régies par l'article 72-3 de la Constitution (Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et l'île de Clipperton)
? Terres australes et antarctiques françaises : En vertu de l' article 1-1 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton, dans les matières relevant de la compétence de l'Etat, sont applicables les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin, à l'exception des dispositions relatives à des domaines limitativement énumérés, applicables de plein droit, au nombre desquels ne figurent ni la culture, ni la domanialité. A défaut de mention expresse et de compétence, le présent projet de loi n'y est donc pas applicable ;
? Île de Clipperton : En vertu des articles 9 à 16 de cette même loi du 6 août 1955, l'île est soumise au principe d'identité législative. Les lois et règlements y sont applicables de plein droit. Le présent projet de loi y est donc applicable.
5.2.3. Textes d'application
Ainsi que le prévoit le nouvel article L. 115-16 du code du patrimoine, créé par l'article 1er du projet de loi, un décret en Conseil d'État sera pris pour fixer les modalités d'application de la nouvelle section 4 du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine (« Restitution de biens culturels provenant d'États qui en font la demande »), y compris les règles relatives à la demande formulée par l'État étranger et au comité scientifique conjoint ainsi que les modalités et délais de restitution des biens culturels à l'État demandeur à la suite de leur sortie du domaine public. Ce décret en Conseil d'État permettra également de fixer les conditions d'application de l'article L. 124-1 du code du patrimoine, tel que modifié par l'article 2 du projet de loi.
Par ailleurs, le nouvel article L. 115-14 du code du patrimoine prévoit que la sortie du domaine public est prononcée par décret en Conseil d'État, pris sur le rapport du ministre chargé de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre dont relèvent les collections concernées. Ce rapport est établi sur la base du rapport du comité conjoint et paritaire mentionné à l'article L. 115-13, lorsqu'un tel comité est mis en place.
* 1 https://www.unesco.org/fr/legal-affairs/convention-means-prohibiting-and-preventing-illicit-import-export-and-transfer-ownership-cultural.
* 2 Cf. infra § 1.1.1.
* 3 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou.
* 4 Cf. infra § 1.1.2.
* 5 Entre le lendemain des indépendances des pays colonisés par des puissances européennes, qui a occasionné de premières revendications de retour des biens culturels qui en étaient issus, et le début du XXIème siècle, le sujet des restitutions, sans avoir complètement disparu, a fait l'objet d'un certain silence sur la scène internationale. Ainsi, sous l'impulsion principalement de l'Égypte, deux conférences internationales, organisées au Caire en 2010 et à Lima en 2011 et destinées à établir une liste de biens revendiqués, dans laquelle figurait par exemple le Buste de Néfertiti, conservé à Berlin, ont contribué à marquer la remise en lumière de cette problématique, notamment sur le plan médiatique, et ont participé à une reprise du questionnement par les pays du Sud global autour de la légitimité de la propriété des biens culturels par les grands musées occidentaux, questionnement très présent également dans toutes les enceintes multilatérales susceptibles de traiter de tels dossiers (UNESCO, ONUDC. ....).
* 6 Décret n°2008-879 du 1er septembre 2008 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif au musée universel d'Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007.
* 7 Voir par exemple, les résolutions A/RES/3187(XXVIII) du 18 décembre 1973 : Restitution des oeuvres d'art aux pays victimes d'expropriation et 31/40 du 30 novembre 1976 : Protection et restitution des oeuvres d'art dans le cadre de la préservation et de l'épanouissement des valeurs culturelles.
* 8 Note-circulaire du 4 mai 2016 relative à la méthodologie du récolement des ensembles dits indénombrables et aux opérations de post-récolement des collections des musées de France.
* 9 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Europe-et-international/Actualites/Un-fonds-franco-allemand-va-retracer-la-provenance-des-aeuvres-originaires-d-Afrique-subsaharienne /
Page dédiée sur le site du Centre Marc Bloch.
* 10 https://www.inha.fr/fr/recherche/le-departement-des-etudes-et-de-la-recherche/domaines-de-recherche/histoire-de-l-art-du-xive-au-xixe-siecle/vestiges-indices-paradigmes-lieux-et-temps-des-objets-d-afrique-xive-xixe-s.html
* 11 https://monde-en-musee.inha.fr/
* 12 Sénat, Rapport d'information n° 239 (2020-2021), déposé le 16 décembre 2020, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication par la mission d'information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, par Max Brisson et Pierre Ouzoulias, p. 26.
* 13 https://www.afd.fr/fr/actualites/communique-de-presse/benin-france-partenaires-musee-epopee-amazones-rois-danhome-et-valorisation-site-palatial-abomey
* 14 https://www.paris-conciergerie.fr/agenda/revelation-!-art-contemporain-du-benin
* 15 Décret n° 2011-527 du 16 mai 2011 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée relatif aux manuscrits royaux de la Dynastie Joseon (ensemble une annexe), signé à Paris le 7 février 2011.
* 16 Article 4 de l'accord précité.
* 17 Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert e propriété illicites des biens culturels.
* 18 Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud.
* 19 Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
* 20 En ce qui concerne les musées de France à l'article L. 451-5 du code du patrimoine.
* 21 En ce qui concerne les musées de France à l'article L. 451-3 du code du patrimoine.
* 22 « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles », sachant que l'article L. 1 du même code est ainsi libellé : « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics ».
* 23 « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 sont insaisissables. »
* 24 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-au-Parlement-de-la-Commission-scientifique-nationale-des-collections-CSNC.
* 25 Dans le cadre de sa mission, elle a émis huit avis favorables au déclassement du domaine public.
* 26 Article L. 451-7 du code du patrimoine, qui s'applique aussi, pour les collections ne relevant pas de l'État, aux biens acquis avec l'aide de l'État.
* 27 Décret n° 2021-979 du 23 juillet 2021 relatif à la procédure de déclassement de biens mobiliers culturels et à la déconcentration de décisions administratives individuelles dans le domaine de la culture.
* 28 La Convention de l'UNESCO est entrée en vigueur, pour la France, le 7 avril 1997, comme le rappelle l'article 1er du décret n° 97-435 du 25 avril 1997 portant publication de la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, faite à Paris le 14 novembre 1970.
* 29 Conseil d'Etat, 30 juillet 2014, Mmes D... et B..., n°349789 : « à moins que le législateur n'en dispose autrement, les oeuvres détenues par une personne morale de droit public, y compris lorsqu'elle les a acquises dans le cadre ou à l'issue d'opérations de guerre ou dans des circonstances relevant de l'exercice de la souveraineté nationale à l'occasion desquelles elle se les est appropriées, appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ».
* 30 Cas illustré par le dossier qui a conduit à la restitution de trois toiles de Derain aux ayants droit du marchand d'art René Gimpel : Cour d'appel de Paris, n° RG 19/18087, 30 septembre 2020, ayants droit Gimpel.
* 31 Avis du Conseil d'État du 7 octobre 2021 sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, point 11, page 5.
* 32 Décret n° 2025-472 du 27 mai 2025 portant restitution d'un bien culturel ayant fait l'objet d'une spoliation dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 ; Dossier de presse de la restitution.
* 33 Décret n° 2025-309 du 2 avril 2025 portant restitution de restes humains à la République de Madagascar
* 34 CC, décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.
* 35 Conseil d'Etat (CE), section de l'intérieur, avis n° 403728 du 7 octobre 2021 susmentionné.
* 36 CC, décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018 Société Brimo de Laroussilhe.
* 37 CC, décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, cons. 58.
* 38 CC, décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, cons. 2.
* 39 CC, décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, cons. 18.
* 40 CC, décision n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009, cons. 15.
* 41 Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, avec règlement d'exécution,14 mai 1954, La Haye.
* 42 Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert e propriété illicites des biens culturels, 14 novembre 1970, Paris.
* 43 Convention d'UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, 24 juin 1995, Rome.
* 44 Transposition de la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 (refonte), cf. code du patrimoine, livre Ier, chapitre II, art. L. 112-1 à L. 112-21.
* 45 Directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 (refonte).
* 46 Article L. 112-8 du code du patrimoine.
* 47 https://fr.unesco.org/fighttrafficking/icprcp.
* 48 Revue du patrimoine mondial, 87, 2018, p. 38-43.
* 49 Décision 171 EX/17 (annexe II) et recommandation no 4 (annexe I) adoptée à sa 13e session par le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale (Paris, 7-10 février 2005) ; Projet de Déclaration de principes concernant les objets culturels déplacés en relation avec la Seconde guerre mondiale, 35e conférence générale, 2009.
* 50 Principe I : champ d'application ; Principe II : signification de dépossession ou déplacement ; Principe III : mesures qui devraient être prises par l'État responsable ; Principe IV : États responsables multiples ; Principe V : mesures qui devraient être prises par l'État sur le territoire duquel sont situés les objets culturels ou par l'État dépositaire ; Principe VI : mesures qui devraient être prises par l'État destinataire ; Principe VII : déplacements successifs ; Principe VIII : documentation ; Principe IX : exclusion au titre de dommages de guerre ; Principe X : prescription et Principe XI : relation avec le droit international.
* 51 ICPRCP/21/22.COM/Decisions, Décision 22.COM 15.
* 52 §17 de la déclaration finale de Mondiacult 2022.
* 53 Convention européenne sur les infractions visant des biens culturels (STCE n° 119).
* 54 Convention du Conseil de l'Europe sur les infractions visant des biens culturels (STCE n° 221).
* 55 https://icom.museum/wp-content/uploads/2018/07/ICOM-code-Fr-web-1.pdf.
* 56 Dans la Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2019 sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre, qui comprend les biens spoliés (cf. infra), le Parlement européen « estime que l'article 81, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pourrait servir de base juridique pour conférer des compétences à l'Union dans ce domaine ». Cet article du TFUE vise la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière.
* 57 Règlement (CEE) n° 3911/92 du Conseil, du 9 décembre 1992, concernant l'exportation de biens culturels ; Règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels (version codifiée).
* 58 Directive 93/7/CEE du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.
* 59 Directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre et modifiant le règlement (UE) n ° 1024/2012 (refonte).
* 60 Règlement (UE) n°2019/880 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 concernant l'introduction et l'importation de biens culturels.
* 61 Ce lien entre trafic de biens culturels et financement du terrorisme a été établi à l'occasion de la situation au Moyen-Orient dans les territoires, riches de milliers de sites archéologiques, contrôlés par Daesh, qui en tiraient des sources de revenus.
Cf. Financial Action Task Force (FATF), Financing of the Terrorist Organisation Islamic State in Iraq and the Levant (ISIL), FATF Report, février 2015, p. 16-17 ; Centre d'analyse du terrorisme (CAT), Le financement de l'État islamique en 2015, mai 2016, p. 19-20 ; Conclusions du Conseil sur l'action extérieure de l'UE concernant la prévention du terrorisme et de l'extrémisme violent de juin 2020.
* 62 2002/2114(INI).
* 63 Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2019 sur les demandes transfrontalières de restitution des oeuvres d'art et des biens culturels volés au cours de pillages perpétrés en période de conflit armé et de guerre, (2017/2023(INI) TA(2019)0037.
* 64 L'Aliénation des collections publiques, Les documents de travail du Sénat, Série Législation comparée, n° LC 191, Décembre 2008, 37 p.
* 65 https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/2646/55K2646001.pdf
* 66 3 JUILLET 2022. - Loi reconnaissant le caractère aliénable des biens liés au passé colonial de l'Etat belge et déterminant un cadre juridique pour leur restitution et leur retour (1)
* 67 Contrat de coalition entre la CDU, la CSU et le SPD, p. 169.
* 68 Guide à l'usage des musées allemands-Le traitement des biens de collections issus de contextes coloniaux, 3ème édition, 2021 (après 1ère édition, 2018 et 2ème édition, 2019) ; Le traitement des restes humains dans les musées et les collections, 2021.
* 69 https://www.auswaertiges-amt.de/blob/2210154/d35dc2ecea3a4b3aced163b1a8ea2d93/190412-stm-m-sammlungsgut-kolonial-kontext-fr-data.pdf.
* 70 Concept on the establishment and organisation of a German Contact Point for Collections from Colonial Contexts.
* 71 https://www.unesco.org/fr/articles/lunesco-salue-la-signature-dun-accord-historique-entre-lallemagne-et-le-nigeria-pour-le-retour-de.
* 72 Voir les articles du média allemand Deutsche Welle (DW), Les bronzes de Benin City donnés à une famille royale, 09/05/2023, du site belge de la RTBF, Polémique en Allemagne : fallait-il rendre au Nigeria ces bronzes anciens ?, 16/06/2023, et de la presse française, Le Figaro avec l'AFP, Bronzes restitués au Nigeria: l'Allemagne divisée après le transfert de 22 objets à un chef traditionnel, 10/06/2023.
* 73 https://www.koalitionsvertrag2025.de/sites/www.koalitionsvertrag2025.de/files/koav_2025.pdf (p. 121)
* 74 https://english.cultureelerfgoed.nl/publications/publications/2016/01/01/heritage-act-2016, chapitre 4.
* 75 https://www.raadvoorcultuur.nl/documenten/adviezen/2020/10/07/summary-of-report-advisory-committee-on-the-national-policy-framework-for-colonial-collections.
* 76 Beleidsvisie collecties uit een koloniale context.
* 77 Décret du Secrétaire d'État à l'éducation, à la culture et aux sciences du 6 septembre 2022, n° 33115912, portant création d'un comité consultatif sur les demandes de retour de biens culturels issus de contextes coloniaux.
* 78 Commissie Koloniale Collecties.
* 79 https://www.government.nl/latest/news/2023/07/06/colonial-collections-to-be-returned-to-indonesia-and-sri-lanka.
* 80 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/1963/24/section/3.
* 81 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/1983/47/contents.
* 82 https://www.legislation.gov.uk/ukpga/1992/44.
* 83 https://media.museumsassociation.org/app/uploads/2021/11/02155426/Supporting-decolonisation-in-museums.pdf.
* 84 Restitution and Repatriation : A Practical Guide.
* 85 FF 2020 3037.
* 86 Motion de Carlo Sommaruga, 20.3754, qui prévoit notamment que « Le Conseil fédéral est chargé de mettre en place des procédures permettant aux musées suisses de participer activement au mouvement de retour et de restitution des biens culturels enlevés à leurs États d'origine à l'époque coloniale. »
* 87 Ordonnance sur la Commission indépendante pour le patrimoine culturel au passé problématique (OCPCP) du 22 novembre 2023, 444.21, entrée en vigueur au 1er janvier 2024.
* 88 Rapport explicatif OCPCP.
* 89 Le message culture définit l'orientation stratégique de la politique culturelle de la Confédération pour la période 2025 à 2028.
* 91 https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2005/317/fr.
* 92 https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2005/318/fr.
* 93 Act implementing the UNESCO Convention of 14 November 1970 on the means of prohibiting and preventing the illicit import, export and transfer of ownership of cultural property and implementing Council Directive 93/7/EEC of 15 March 1993 on the return of cultural objects unlawfully removed from the territory of a Member State (Act on the Return of Cultural Property; Kulturgüterrückgabegesetz -KultGüRückG) of 18 May 2007 (Federal Law Gazette, Part I, p. 757).
* 94 Kulturgutschutzgesetz (KGSG.)
* 95 Cf. infra § 4.5.
* 96 Le rapport de Mme Fabienne Colboc, fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 18 janvier 2022, s'interrogeait en ces termes au sujet de l'opportunité d'une loi-cadre « S'il faut souligner que ces réflexions [concernant la restitution de certains biens culturels à leur Etat d'origine] concernent des situations très différentes de celles visées par le projet de loi, et ne visent, en particulier, que des restitutions d'État à État, il n'en demeure pas moins qu'une telle réflexion pourrait apporter des éléments utiles pour ce qui concerne les biens ayant fait l'objet de spoliations à caractère antisémite. / Aussi, si la rapporteure estime que la réflexion n'est pas encore suffisamment mûre - notamment s'agissant de la définition des critères - pour faire l'objet d'amendements au présent projet de loi, elle n'en appelle pas moins à approfondir cette étude dans les mois à venir, le cas échéant par le biais d'une mission d'information. ».
* 97 Avis du Conseil d'État du 7 octobre 2021 sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, point 11, page 5.
* 98 Article L. 124-1 du code du patrimoine.
* 99 En application de l'article L. 320-1 du code du patrimoine, qui dispose que « Les bibliothèques municipales et intercommunales classées, dont la liste est fixée par décret après consultation des communes ou des groupements de communes intéressés, peuvent bénéficier de la mise à disposition de conservateurs généraux et de conservateurs des bibliothèques qui ont la qualité de fonctionnaires de l'Etat. », les bibliothèques municipales et intercommunales classées sont énumérées à l'article D. 320-1 du code du patrimoine.
* 100 Article L. 714-1 du code de l'éducation.
* 101 Proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire
* 102 L'article 21 prévoit que « La présente Convention entrera en vigueur trois mois après la date de dépôt du troisième instrument de ratification, d'acceptation ou d'adhésion, mais uniquement à l'égard des Etats qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d'acceptation ou d'adhésion à cette date ou antérieurement. Elle entrera en vigueur pour chaque autre Etat trois mois après le dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation ou d'adhésion. ». La Convention est ainsi entrée en vigueur au plan mondial le 24 avril 1972 après sa ratification par trois États (Bulgarie, Équateur, Nigéria).
* 103 Cf. infra § 3.2.2.
* 104 CA Paris, 1ère ch sect A, 5 av. 2004, n° 2002/09897, République fédérale du Nigéria c/ Alain de Montbrison, JurisData n° 2004-238340.
* 105 TGI Paris, 1ère ch 1ère sect, 24 jan. 2007, RG 04-04828.
* 106 Par l' article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
* 107 L'article 893 du code civil dispose que « La libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne. / Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament. »
* 108 Par exemple une clause comme une clause d'inaliénabilité, ou bien une clause prévoyant que l'ensemble des biens données ou légués forment un tout et interdisant de séparer l'un d'entre eux des autres biens composant la libéralité.
* 109 Notamment en ce sens : CC, 13 janvier 2012, n° 2011-208 QPC.
* 110 Notamment en ce sens : CEDH, Beyeler c. Italie, arrêt du 5 janvier 2000, requête n° 33202/96.
* 111 Avis du 20 avril 2023 rendu sur le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
* 112 Voir en ce sens l'exposé des motifs du projet de loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
* 113 Civ. 3ème, 3 juillet 1979, pourvoi n° 77-15.552.
* 114 Civ. 1ère, 23 mars 2022, pourvoi n° 20-17.663.
* 115 CC, n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, cons. 5 ; CC, n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, cons. 21.
* 116 CC, n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, cons. 45 ; CC, n° 2007-550 DC du 27 février 2007, cons. 4.
* 117 CC, n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, cons. 14.
* 118 CE, Ass., 27 mai 2005, Provin, n° 277975 ; CE, Sect., 8 avril 2009, Association Alcaly et autres, n° 290604 ; CE, Plén., 9 mai 2012, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/société EPI, n° 308996.
* 119 https://www.bnf.fr/fr/le-reseau-francophone-numerique-et-sa-bibliotheque.
* 120 Cette notion est utilisée dans les instruments internationaux, notamment la Convention de l'UNESCO de Paris du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, dont l'article 1er inclut notamment parmi les biens culturels protégés « le produit des fouilles archéologiques (régulières et clandestines) et des découvertes archéologiques ».
* 121 Importante sculpture, toujours conservée et exposée au Musée Guimet (n° d'inventaire : MG 17478).
* 122 A titre d'illustration, les Actes de la Conférence de Berlin de 1885 qui encadrent juridiquement de nombreuses questions ayant trait à la gouvernance du continent africain et aux relations des puissances européennes sur ce territoire (commerce, navigation, neutralité, procédure d'acquisition ou protectorat des possessions territoriales...), sans jamais envisager la présence d'entité souveraine locales constituant des États ou des sujets de droit international.
* 123 Lequel ne régit pas le droit de saisir des biens (voir article 3 commun et l'interdiction coutumière du pillage). Les biens culturels, par exception, sont protégés par la convention de La Haye de 1954 et son protocole I, entrés en vigueur en 1957 pour la France.
* 124 L'article 53 du règlement annexé à la convention (IV) de La Haye de 1907 permet la saisie et l'appropriation des biens mobiliers de l'État de nature à servir aux opérations de la guerre, et permet la saisie de tels biens appartenant à des personnes privées sous réserve de restitution ou d'indemnisation à l'issue du conflit.
* 125 Sont ainsi exclus du champ d'application du projet de loi, pour différentes raisons exposées au point 1.8.4 : les documents collectés dans le cadre du dépôt légal ; les archives publiques ; les biens archéologiques ayant fait l'objet d'un partage de fouilles ou d'un échange de leurs produits à des fins d'étude scientifique ; les biens saisis par les forces armées qui, par leur nature, leur destination ou leur utilisation, ont contribué aux activités militaires et doivent dès lors être regardés comme des biens militaires.
* 126 D'autres procédures relevant du code du patrimoine font également intervenir, à titre de garantie, le recours à un décret en Conseil d'Etat (classements d'office de monument historique, par exemple).
* 127 Résultats cités par le Journal des Arts, « L'opinion britannique en faveur d'un retour des marbres du Parthénon », 19 décembre 2023.