EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Toutes les réformes sociétales menées par le législateur depuis un demi-siècle sont allées dans le sens d'une plus grande égalité entre la femme et l'homme .

En droit de la famille, cette évolution opportune a été traduite, dans la loi du 4 juin 1970, par le remplacement de la puissance paternelle par l'autorité parentale , définie comme l'ensemble des droits et devoirs des parents destinés à assurer la protection de leur enfant. L'égalité entre les parents séparés , qu'ils soient ou non mariés, a ensuite été affirmée par les lois du 22 juillet 1987 et du 8 janvier 1993, qui ont séparé la résidence de l'enfant de l'exercice de l'autorité parentale et généralisé l'exercice en commun de cette autorité .

Dans l'intervalle, cette évolution a été confortée par la Convention internationale des droits de l'enfant , signée le 20 novembre 1989 et ratifiée par la France le 7 août 1990, dont les articles 5, 9 et 18 reconnaissent le droit des enfants à être élevés par leurs deux parents de manière à favoriser leur développement. Son article 9-3 prévoit ainsi « le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

Cette disposition a été reprise, quasiment à l'identique, dans la loi du 4 mars 2002 et figure désormais à l'article 373-2, alinéa 2, du code civil. Cette même loi a, d'une part, consacré le principe de coparentalité , selon lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents , d'autre part, posé le choix, en cas de séparation des parents, entre la résidence alternée et la résidence au domicile de l'un des parents.

Dans les années 2010, de nombreux débats parlementaires ont eu lieu pour développer la résidence alternée en cas de séparation.

Ainsi, notre assemblée a adopté le 16 septembre 2013, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 1 ( * ) , un amendement du groupe RDSE visant notamment à privilégier la résidence alternée égalitaire , selon un dispositif inspiré du droit belge. La commission des lois de l'Assemblée nationale a ensuite décidé de supprimer ce dispositif au motif qu'il « soulevait d'importantes difficultés juridiques et ne relevait pas du présent texte » 2 ( * ) . Au plan juridique, la commission a notamment souligné que cet encadrement de la marge d'appréciation du juge entrait en contradiction avec la logique actuelle du code civil qui pose des grands principes que le juge doit respecter dans son appréciation in concreto . En outre, les députés ont jugé « dangereuse » la notion, introduite par le Sénat, d'« intérêt des parents ». L'Assemblée nationale a confirmé ces réserves et le dispositif a ainsi disparu du texte définitivement adopté.

Le débat sur la résidence alternée a refait surface après l'élection à la Présidence de la République de M. Emmanuel Macron. Lors de la campagne électorale, ce dernier avait ainsi estimé que « la résidence alternée comme première option proposée aux couples qui divorcent semble une proposition de bon sens étant donné les conséquences positives pour l'enfant d'une garde alternée sur un mode égalitaire » . Afin de traduire cet engagement présidentiel, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi le 23 novembre 2017 pour fixer le principe de la double domiciliation des enfants de parents séparés 3 ( * ) . Ce texte n'a toutefois jamais fait l'objet d'un débat en séance plénière.

C'est dans ce contexte qu'intervient la présente proposition de loi dont l'objet est triple :

1°) Rendre obligatoire, partout en France, l'entretien d'information préalable sur la médiation familiale avant toute saisine du juge aux affaires familiales. La loi de modernisation de la justice du XXI e siècle du 18 novembre 2016 a instauré, à titre expérimental, une tentative de médiation familiale obligatoire avant la saisine du juge. 11 ressorts ont été choisis pour cette expérimentation. La proposition de loi généralise cette dernière mais le caractère obligatoire se limiterait à l'entretien d'information préalable et exclurait les situations de violence parentale et conjugale . Cet entretien permet aux parents de comprendre la finalité, le cadre et les enjeux de la médiation familiale sans entrer dans l'objet du différend . Il paraît inopportun, voire contre-productif, de contraindre les parents à engager le processus de médiation s'ils ne parviennent pas à un accord sur le principe même de cette démarche (I) ;

2°) Favoriser la résidence alternée égalitaire . Mise en place en 2002 par le législateur, la résidence alternée est de plus en plus reconnue par les juges comme bénéfiques aux enfants en cas de séparation. Si un large consensus politique s'est fait jour depuis le début des années 2010 pour consacrer cette jurisprudence et encourager ainsi la résidence alternée, aucun texte n'a pu être adopté par le Parlement. Le présent texte tente de répondre aux préoccupations légitimes exprimées lors des débats parlementaires de 2013 et 2017. Il propose une solution législative équilibrée et apaisée . En effet, d'une part, il exclut expressément les cas de violence parentale et conjugale , d'autre part, il prévoit que si le juge décide d'exclure la résidence en alternance, il devra spécialement motiver sa décision en se fondant sur le seul intérêt de l'enfant , sans prendre en compte l'intérêt des parents. Enfin, le texte fixe certains critères objectifs que les juges devront prendre en compte pour exclure la résidence alternée. Sont notamment cités l'âge de l'enfant ainsi que la distance entre les résidences parentales afin de consacrer dans la loi la jurisprudence et de prendre en compte certaines inquiétudes exprimées lors des précédentes discussions parlementaires (II) ;

3°) Favoriser, en cas de déplacement durable de l'un des parents, le maintien des repères de l'enfant (III).

Enfin l'auteur de la proposition de loi s'en remet à la sagesse parlementaire pour examiner l'opportunité de traiter certains sujets essentiels en lien avec le texte (IV).

I. Le premier objet de la proposition de loi : favoriser la médiation familiale

L'article 7 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a instauré, à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2019, une tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) avant la saisine du juge aux affaires familiales. Seule la première rencontre de médiation est obligatoire ; à l'issue, les parties décident de poursuivre ou non la médiation. La loi prévoit ainsi qu'à peine d'irrecevabilité que le juge peut soulever d'office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d'une tentative de médiation familiale, sauf dans trois hypothèses :

1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l'homologation d'une convention selon les modalités fixées à l'article 373-2-7 du code civil ;

2° Si l'absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;

3° Si des violences ont été commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant.

L'expérimentation a été mise en place au sein de 11 juridictions françaises à partir de 2018. Elle a été étendue, par voie d'amendement au PLF 2020, jusqu'au 31 décembre 2020 4 ( * ) « afin de pouvoir disposer du recul nécessaire pour pouvoir tirer les conclusions sur une éventuelle généralisation à toutes les juridictions, avec comme objectifs de favoriser la diffusion de la médiation familiale et de diminuer le nombre de saisines contentieuses » .

La proposition de loi, en son article premier, généralise cette expérimentation dans l'ensemble des juridictions françaises mais cette extension ne porterait que sur l'entretien d'information préalable . Cet entretien permet aux parents de comprendre les grands enjeux de la médiation familiale sans aborder les questions précises qui opposent les parents. Si, à l'issue de cet entretien, ils décident de ne pas engager de médiation, il paraît, à l'expérience, contre-productif de les y forcer.

Naturellement, le texte proposé exclut la médiation en cas de violences commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant. En effet, le recours à la médiation ne constitue pas une procédure adaptée quand des violences sont alléguées par un époux sur l'autre époux, ou sur un enfant. La médiation ne peut en effet aboutir à un résultat satisfaisant que si les deux parties se trouvent sur un pied d'égalité . C'est d'ailleurs le sens des dispositions adoptées dans le cadre de la proposition de loi n° 2478 (quinzième législature) visant à protéger les victimes de violences conjugales (article 4). La présente proposition de loi reprend la rédaction retenue par ce texte et intègre ainsi la notion d'emprise.

Enfin, l'auteur de la proposition de loi insiste sur le fait que le dispositif proposé aurait pour mérite de favoriser la « culture de la médiation ». Elle souligne en particulier l'importance de la médiation lorsqu'un enfant a été déplacé dans un autre pays et qu'un parent n'arrive pas à obtenir soit son retour, soit même des contacts réguliers avec lui. Elle rappelle que le bureau du droit de l'Union, du droit international privé et de l'entraide civile, placé au sein du ministère de la justice, offre une aide précieuse à la médiation par le biais de la cellule de médiation familiale internationale (CMFI).

II. Le second objet de la proposition de loi : favoriser la résidence alternée égalitaire

a. Une solution équilibrée, apaisée et consensuelle

L'auteur de la présente proposition de loi est convaincu qu'il est possible de trouver une solution législative apaisée et consensuelle , s'inspirant des travaux antérieurs du Parlement français. Cette solution repose sur le triptyque suivant :

• la résidence alternée doit être examinée prioritairement par le juge ;

• le juge peut naturellement décider de s'écarter de ce mode de résidence, conformément au principe d'appréciation in concreto de chaque situation ;

• s'il le fait, il doit expliquer les raisons pour lesquelles il estime que la résidence alternée est contraire à l'intérêt de l'enfant . Sur ce point, la proposition de loi innove en ce qu'elle propose de consacrer et d'unifier les principaux critères jurisprudentiels à l'aune desquels les juges aux affaires familiales apprécient le bien-fondé de la résidence alternée. Le texte proposé prévoit ainsi que si le juge décide d'exclure la résidence en alternance, il doit spécialement motiver sa décision en considération des exigences de l'intérêt de l'enfant. Ce dernier est apprécié en tenant compte, notamment, de l'âge de l'enfant, de la distance entre les résidences parentales, de la disponibilité des parents ainsi que de leur capacité d'accueil et d'organisation.

b. Une rédaction qui consacre les évolutions jurisprudentielles

En favorisant le recours à la résidence alternée, le texte consacre les évolutions jurisprudentielles depuis 2002. En effet, ce mode de résidence ainsi que la double domiciliation qu'il implique sont de plus en plus privilégiés par les juges et reconnus par ces derniers comme bénéfiques aux enfants . Quelques arrêts emblématiques peuvent être cités.

Ainsi, la Cour d'appel d'Amiens a indiqué « qu'il est constant que pour un enfant l'égale présence de chacun de ses parents ne peut qu'avoir une influence bénéfique sur son évolution?; que du fait de la séparation des parents une telle situation ne peut se réaliser que par l'intermédiaire d'une résidence alternée » (CA Amiens, 26 juin 2002, n° 01/02113).

La Cour d'appel de Paris rappelle, quant à elle, « qu'aux termes de l'article 373-2 2 e alinéa, chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent?; que l'instauration d'une résidence en alternance donne le cadre le meilleur à la mise en oeuvre de cette disposition » (CA Paris, 11 juill. 2008, n° 07/15819).

De manière très similaire, la Cour d'appel de Montpellier , dans un arrêt du 25 janvier 2011 (RG n o 09/08703), affirme que l'instauration d'une résidence en alternance « donne le cadre le meilleur à la mise en oeuvre de l'article 373-2, alinéa 2, du Code civil , selon lequel chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent ».

Citons également l'arrêt de la Cour d'appel de Bourges , en date du 28 février 2013 (arrêt n° 12/00899) : « Partant du principe que chaque enfant a droit à un accès le plus fréquent possible avec ses deux parents (...), la Cour reviendra à la situation initialement décidée à savoir une résidence alternée » .

Enfin la Cour de Cassation a souligné que la résidence alternée « présente l'avantage de favoriser le maintien et le développement de relations harmonieuses des mineurs avec chacun de ses deux parents » (Cour de cassation - Première chambre civile - 12 juin 2014/n° 13-15.411).

c. Une rédaction qui s'inspire des législations applicables dans d'autres pays

La rédaction proposée par la proposition de loi s'inspire du cadre juridique en vigueur dans d'autres pays.

Ainsi, le législateur belge a prévu en 2006 un dispositif qui donne toute satisfaction. Le code civil belge prévoit ainsi, depuis cette date, qu'à défaut d'accord entre les parents, le tribunal examine prioritairement la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents. Le même code précise que si le juge choisit de s'écarter de cette modalité de résidence de l'enfant, il doit spécialement motiver sa décision , en tenant compte des circonstances concrètes de la cause, de l'intérêt des enfants et de celui des parents. Ces dispositions équilibrées cherchent à favoriser -sans jamais imposer- la résidence alternée égalitaire.

Les Pays-Bas et l'Italie ont adopté un cadre juridique similaire.

d. Un dispositif qui vise à répondre aux préoccupations légitimes exprimées lors des débats parlementaires de 2013 et 2017

Si un large consensus politique s'est fait jour depuis le début des années 2010 pour encourager le principe de la résidence alternée 5 ( * ) , aucun texte n'a pu être adopté par le Parlement.

Le présent texte entend ainsi répondre aux préoccupations légitimes exprimées lors des débats parlementaires de 2013 et 2017.

1°) En premier lieu, le texte proposé écarte expressément les cas de violence parentale et conjugale . Naturellement, la résidence alternée ne devra être privilégiée qu'en l'absence de violences par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant. Ce sujet a fait l'objet de nombreuses discussions lors des précédents débats parlementaires. Ainsi, notre collègue Annick BILLON, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, avait appelé, en novembre 2017, à rejeter la proposition de loi en discussion à l'Assemblée nationale, au motif que ce texte « ne présentait aucune garantie pour protéger les enfants, dans les cas où la résidence alternée ne ferait que les exposer aux dangers d'un environnement violent. » Cette préoccupation légitime est prise en compte par le présent texte ;

2°) En deuxième lieu, le texte prévoit que si le juge décide de s'écarter de la résidence en alternance, il devra spécialement motiver sa décision en se fondant sur le seul intérêt de l'enfant , sans prendre en compte l'intérêt des parents . Comme indiqué plus haut, notre assemblée avait adopté, en 2013, un amendement visant notamment à privilégier la résidence alternée égalitaire, selon un dispositif inspiré du droit belge : « Le tribunal statue, en tout état de cause, par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des enfants et des parents. » Les députés ont ensuite jugé « dangereuse » la notion d'« intérêt des parents » et l'ont supprimée du texte ;

3°) En troisième lieu, le texte proposé fixe certains critères objectifs que les juges devront prendre en compte pour écarter la résidence alternée. Il précise ainsi que « si le juge décide de s'écarter de la résidence en alternance mentionnée à l'alinéa précédent, il doit spécialement motiver sa décision en considération des exigences de l'intérêt de l'enfant. Ce dernier est apprécié en tenant compte, notamment, de l'âge de l'enfant, de la distance entre les résidences parentales, de la disponibilité des parents ainsi que de leur capacité d'accueil et d'organisation. »

L'auteur de la proposition de loi estime en particulier nécessaire d'inscrire dans la loi les critères de l'âge de l'enfant ainsi que la distance entre les résidences parentales afin de répondre, là encore, aux inquiétudes exprimées lors des précédents débats parlementaires.

4°) Enfin, l'auteur de la proposition de loi souhaite répondre aux arguments développés par la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2013. Cette dernière avait ainsi souligné que l'encadrement de la marge d'appréciation du juge « entrait en contradiction avec la logique actuelle du code civil qui pose des grands principes que le juge doit respecter dans son appréciation in concreto de chaque cas d'espèce » (p. 301 du rapport).

La rédaction proposée n'empêche nullement l'appréciation in concreto de chaque situation. D'une part, la liste des critères fournis n'est pas limitative, d'autre part, les exemples de « grille d'analyse » guidant le juge sont fréquents dans le code civil. À titre d'exemple, l'article 373-2-11 prévoit également certains critères que le juge doit prendre en considération lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale : la pratique que les parents avaient précédemment suivie, les sentiments exprimés par l'enfant, l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs, les violences exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre...

III. La question essentielle du déplacement durable d'un parent

Le texte adopté par le Sénat en septembre 2013 prévoyait certaines dispositions pour favoriser, en cas de déplacement durable de l'un des parents, le maintien des repères de l'enfant . Cette position a d'ailleurs été affirmée par la Cour de cassation deux mois plus tard : « la mutation professionnelle supprime l'alternance de la résidence de l'enfant dès lors qu'elle n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant » (1 re civ., 20 nov. 2013, n° 12-26.725).

La présente proposition de loi reprend à l'identique le dispositif adopté. Il est important en effet de garantir la stabilité de l'enfant , surtout lorsqu'il apparaît que le souhait de déplacement durable d'un des deux parents n'a d'autre but que d' éloigner l'enfant de l'autre parent , soit au moment de la séparation, soit plusieurs années après.

Cette situation est d'autant plus préjudiciable à l'enfant lorsqu'il est déplacé dans un autre pays , dans le cas, par exemple, où l'un des deux parents souhaite, après la séparation, revenir dans son pays d'origine. La rupture de communication entre les parents est alors amplifiée par la distance géographique et la différence des cultures ; l'enfant, victime du conflit des adultes, se trouve, quant à lui, coupé du parent avec lequel il ne vit pas.

IV. Des questions en suspens qui devront être examinées lors du débat parlementaire

L'auteur de la proposition de loi est conscient que le texte laisse certains points en suspens qui devront faire l'objet de discussions parlementaires approfondies aux regards des enjeux qu'ils soulèvent.

a) En premier lieu, il conviendra de réfléchir à la liste des critères permettant au juge de s'écarter de la résidence alternée. Ainsi, faut-il faire figurer dans la loi le critère de l'état de santé de l'enfant ? En outre, le critère de la distance entre les parents doit-il être précisé ou complété ? En effet, dans le rapport du groupe de travail sur la coparentalité, en date de janvier 2014 6 ( * ) , les associations de pères ont soutenu que le critère de l'éloignement géographique des parents ne devrait pas être pris en compte lorsqu'il n'y avait pas de changement d'école, soulignant que la question primordiale était la distance entre chaque domicile des parents et l'école et non pas la distance entre les deux domiciles des parents. Force est de reconnaître que la distance géographique dépend du lieu de « passation » de l'enfant. Si elle a lieu à l'école, le juge devra examiner le critère de la proximité avec l'école. Si elle a lieu au domicile des parents, c'est la distance entre les parents qui devra être prise en compte. L'auteur de la proposition s'en remet à la discussion parlementaire sur ce point ;

b) En deuxième lieu, le texte a écarté le critère de « capacité de communication entre les parents » parfois pris en compte par les juges pour écarter la résidence alternée. En effet, il apparaît que, dans certains cas, les difficultés de communication sont imputables à l'un des deux parents dans le but, précisément, de faire échec à la résidence en alternance ;

c) Par ailleurs, il pourrait être intéressant de réfléchir, lors des débats parlementaires, à l'inscription d'une « gradation » dans l'examen du juge. À défaut d'accorder la résidence alternée égalitaire, le juge pourrait examiner un droit de visite ou d'hébergement élargi . Ce droit peut en effet apparaître comme une solution provisoire , notamment pour les enfants en bas âge, permettant à terme la mise en place d'une résidence alternée égalitaire ;

d) Il conviendra en outre d'encourager, par voie d'amendements, le recours à la « double domiciliation », notion qui, à tort, est souvent confondue avec celle de la résidence alternée égalitaire. Si cette dernière implique la double domiciliation, le juge peut fixer la résidence de l'enfant au domicile de chacun des parents même dans le cadre d'un partage du temps inégalitaire entre les deux parents. À cet égard, l'auteur de la proposition de loi regrette la confusion qui a entouré les débats à l'Assemblée nationale en 2017 et approuve le principe selon lequel la résidence de l'enfant doit être fixée au domicile de chacun des parents. Ça n'est qu'à titre exceptionnel que le juge devrait fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents et statuer alors sur le « droit de visite et d'hébergement ». Cette notion doit demeurer exceptionnelle car sur les plans psychologique et symbolique, il est important que l'enfant se sente chez lui autant chez son père que chez sa mère, même s'il passe moins de temps chez l'un que chez l'autre. Ce point a été souligné auprès de l'auteur de la proposition de loi par plusieurs médiatrices familiales ;

e) Enfin, les débats parlementaires devront se pencher sur la question essentielle des inégalités de salaires et d'allocations familiales entre les parents séparés.

Ainsi, notre collègue Annick BILLON, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, avait opportunément souligné, en novembre 2017, que « les inégalités persistantes de salaires et de retraites entre les femmes et les hommes soulignent clairement les limites d'un texte qui, sous prétexte d'égalité entre les parents, contribuerait à aggraver la situation financière des femmes séparées de leur conjoint » .

La résidence alternée implique, en principe, une prise en charge matérielle partagée de l'enfant par ses deux parents. Toutefois, s'il existe une disparité de revenus entre les deux parents , une pension alimentaire doit être versée par l'un ou l'autre des parents (CA Fort-de-France, ch. civ., 31 janv. 2014, n°12/00631) . Ce principe pourrait être inscrit dans la loi.

En outre, notre collègue Joël LABBÉ avait justement attiré l'attention, en 2017, de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur les modalités de la garde alternée qui ne sont pas équitables sur deux aspects : le partage des prestations familiales n'est pas appliqué par les caisses d'allocations familiales et le partage du supplément familial de traitement dans la fonction publique ne s'applique pas en cas de garde alternée 7 ( * ) .

En réponse, le ministère des solidarités et de la santé a indiqué, le 30 mai 2019, que les modalités de ce partage « mériteraient une expertise approfondie afin de dégager une solution équitable entre toutes les familles quelle que soit leur situation matrimoniale (familles monoparentales, familles séparées recomposées, familles vivant en couple...) ou le mode de résidence choisi pour l'enfant après la séparation » .

Le présent texte offre précisément l'opportunité de mener cette expertise.

En conséquence, la présente proposition de loi constitue le point de départ d'un débat nécessaire pour notre pays. Gageons que la discussion parlementaire saura offrir un cadre de discussion serein et dépassionné permettant d'aborder l'ensemble de ces sujets dans un esprit d'apaisement et de responsabilité.

ANNEXE

Article 373-2-9 du code civil - tableau comparatif

Rédaction en vigueur

Rédaction adoptée par le Sénat le 18 novembre 2013

Rédaction adoptée par la commission des lois de l'Assemblée nationale
le 23 novembre 2017

Rédaction en vigueur en Belgique

En application des deux articles précédents, la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.

À la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.

Lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent. Ce droit de visite, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, peut, par décision spécialement motivée, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.

En application des deux articles précédents, la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.



À défaut d'accord, en cas d'autorité parentale conjointe, le juge examine prioritairement , à la demande d'un des parents au moins, la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents.

En cas de désaccord entre les parents, le juge entend le parent qui n'est pas favorable au mode de résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun de ses parents, exposant les motifs de son désaccord au regard de l'intérêt de l'enfant. La préférence est donnée à la résidence en alternance paritaire. La décision de rejet de ce mode de résidence doit être dûment exposée et motivée.

Le non-respect par le conjoint de son obligation parentale d'entretien définie à l'article 371-2, d'obligation alimentaire définie aux articles 205 à 211 et de la pension alimentaire remet en cause la décision de résidence en alternance.

Le tribunal statue, en tout état de cause, par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l'intérêt des enfants et des parents.

En application des articles 373-2-7 et 373-2-8, la résidence de l'enfant est fixée au domicile de chacun des parents selon les modalités de fréquence et de durée déterminées par accord entre les parents ou par le juge.

À titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l'enfant au domicile de l'un des parents. Dans ce cas, il statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent. Ce droit de visite, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, peut, par décision spécialement motivée, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.

Le droit belge fait, depuis 2006, de la résidence alternée une modalité de résidence privilégiée de l'enfant . L'article 374, §2, alinéa 2, du code civil belge prévoit ainsi qu' « à défaut d'accord, en cas d'autorité parentale conjointe, le tribunal examine prioritairement , à la demande d'un des parents au moins, la possibilité de fixer l'hébergement de l'enfant de manière égalitaire entre ses parents ». L'article 374, §2, alinéa 4, du même code précise que « si le juge choisit de s'écarter du modèle législatif, il doit spécialement motiver sa décision , en tenant compte des circonstances concrètes de la cause, de l'intérêt des enfants et de celui des parents ».


* 1 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-717.html - amendement adopté le 16 septembre 2013 : http://www.senat.fr/amendements/2012-2013/808/Amdt_108.html

* 2 Voir le rapport de l'Assemblée nationale (pages 300-301) : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1663.asp

* 3 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/garde_alternee_enfants

* 4 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2272C/CION_FIN/CF908

* 5 Le dispositif adopté par le Sénat en 2013 est d'initiative du groupe RDSE ; la proposition de loi adoptée par la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2017 a été signée par un député appartenant au Groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. En outre, des propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale par des députés UMP ( 2011 et 2012 ) et socialistes ( 2013 ).

* 6 http://www.justice.gouv.fr/publication/rap-coparentalite-20140701.pdf

* 7 https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171001766.html

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