EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Chacun voit bien que nous vivons une période de « fatigue démocratique ».

Pierre Rosanvallon, historien et sociologue français, titulaire de la chaire d'Histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France de 2001 à 2018, dénonçait déjà dans « La contre démocratie » une « érosion générale de la confiance ». Celle-ci n'a cessé de se dégrader depuis, illustrée par la progression de l'abstention depuis les années 1970, quel que soit le scrutin. L'abstention est un réel danger pour la démocratie.

Il faut donner la parole au peuple et que celui-ci la saisisse. C'est un risque bien-sûr, mais c'est aussi le rendez-vous que nous fixe l'histoire, en faisant des choix clairs. Notre dette, nos niveaux de déficits et de prélèvements l'exigent. La modification de notre rapport au travail et les évolutions sociétales l'imposent.

A ce titre, pour permettre de redonner la parole de manière constructive et à partir du local, deux questions majeures doivent être traitées. Celle de donner enfin du pouvoir aux territoires par une décentralisation politique aboutie doit bien sûr enfin être traitée.

L'autre question majeure, qui fait l'objet de la présente initiative, consiste à amorcer une nouvelle étape de respiration démocratique par l'instauration du vote obligatoire et la reconnaissance du vote blanc, qui permettrait de réinvestir chacun dans une posture citoyenne, obligeant les futurs élus à répondre aux transformations systémiques désormais indispensables. Par cette voie il s'agit aussi de lutter contre une sorte de « tyrannie » des minorités qui ne cesse de croître. Il s'agit bien sûr d'une composante d'une réforme institutionnelle plus large qui devra permettre un recours plus conséquent aux votations locales, permettre un meilleur équilibre des pouvoirs (notamment judiciaire) et donner au Parlement les moyens d'agir.

L'initiative parlementaire développée ici à travers trois propositions de loi (ordinaire, organique et constitutionnelle) s'inscrit dans le cadre d'une réforme institutionnelle plus vaste visant à renouer avec la confiance démocratique. Elle vise à :

- Reconnaitre et comptabiliser le vote blanc ;

- Rendre le vote obligatoire ;

- Rendre automatique l'inscription sur les listes électorales ;

- Assouplir les règles relatives à la délivrance des procurations.

I. Reconnaitre et comptabiliser les votes blancs

Le vote blanc consiste à déposer dans l'urne une enveloppe vide ou contenant un bulletin dépourvu de tout nom de candidat. Il se distingue du vote nul et de l'abstention, exprimant la volonté de l'électeur de participer à l'élection, tout en refusant les différents choix proposés.

La LOI n°2014-172 du 21 février 2014 constitue une reconnaissance - symbolique uniquement - du vote blanc. Les bulletins blancs sont mentionnés dans les résultats du scrutin mais ne sont pas pris en compte dans les suffrages exprimés. Dès lors, ils ne sont pas pris en compte dans le résultat de l'élection. Les seuils électoraux pour se maintenir au second tour ou pour atteindre la majorité absolue ne sont pas modifié par le nombre de votes blancs.

Le volume des bulletins blancs est conséquent et a même battu des records en 2017 : 8,5% des votants ont voté blanc lors du second tour des élections présidentielles, soit 3 021 499 citoyens ; 7% des votants au second tour des législatives un mois plus tard, soit 1 409 784 personnes. Leur niveau a légèrement baissé lors des scrutins suivants. Lors du second tour des élections présidentielles de 2022, 6,37% des votants ont voté blanc, soit 2 333 904 personnes. En ce qui concerne les législatives organisées en juin dernier, 5, 52 % des votants ont déposé un bulletin blanc dans l'urne, soit 1 239 928 personnes. Il convient de restituer le vote blanc dans un contexte de montée de l'abstention. Le taux de participation pour le second tour des élections présidentielles de 2022 s'élevait à 47,5 % contre 48,7 % en 2017. S'agissant de l'élection présidentielle de 2022, on observe une hausse de l'abstention au premier tour par rapport à 2017, passant de de 21,3 % à 26,31 %.

La reconnaissance du vote blanc fait l'objet de débats réguliers depuis plusieurs décennies, comme le démontrent les nombreuses propositions de loi déposées sur le sujet depuis 1993. Cette mesure a d'ailleurs été demandée par de nombreux citoyens lors du grand débat organisé en 2019 pour répondre aux aspirations de nos concitoyens en faveur d'un meilleur fonctionnement de notre système représentatif.

La place du vote blanc est déjà bien développée au sein de la communauté internationale. En Suède, le vote blanc est reconnu pour certaines élections et pour les référendums. Les Pays-Bas et l'Espagne comptabilisent le vote blanc dans les suffrages exprimés et il est inclus dans les pourcentages pour définir les seuils électoraux. Cependant, il n'est pas pris en compte lors des élections législatives pour la répartition des sièges au Parlement. En Suisse, les bulletins blancs sont comptabilisés au 1er tour pour atteindre la majorité absolue, mais au second tour, seule une majorité relative suffit. En Mongolie, une loi électorale de 2015 prévoit que si le vote blanc atteint plus de 10%, et qu'aucun des candidats n'obtient une majorité absolue, de nouvelles élections doivent être organisées avec de nouveaux candidats. C'est en Amérique latine que le vote blanc est le plus développé. En Colombie, le vote blanc peut invalider une élection (mais pas la suivante). Au Pérou, le vote blanc peut aussi invalider une élection s'il représente 2/3 des suffrages. Le vote blanc permet à la fois de réduire l'abstention et de prendre en compte les aspirations des électeurs. Ainsi, dans la ville de Bello, un candidat qui se présentait pourtant sans adversaire a été rejeté en 2011 par une majorité de 56,7% de votes blancs et n'a pas pu se représenter.

La présente proposition de loi vise à reconnaitre et comptabiliser le vote blanc au travers de deux types de mesures. Les premières concernent la comptabilisation des votes blancs à proprement parler (A). Les deuxièmes sont relatives à l'impact que pourrait avoir ce décompte sur l'organisation du scrutin (B).

La prise en compte des bulletins blancs dans les résultats des référendums ne semble pas pertinente car elle conduirait à donner exactement la même valeur au vote « non » et au vote « blanc ». En conséquence, il n'est pas proposé de les prendre en compte dans les résultats des référendums.

A. La prise en compte des votes blancs comme scrutins exprimés

Comme le rappelle le récent rapport de notre collègue Henri Cabanel 1 ( * ) , l'assimilation des bulletins blancs aux bulletins nuls lors de la proclamation des résultats a été la règle jusqu'à l'adoption de la loi n° 2014-172 du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections. Depuis lors, l'article L. 65 du code électoral dispose que : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. Ils n'entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc » .

Afin de mieux reconnaître le vote blanc, il est proposé de considérer un tel vote comme un suffrage exprimé, au même titre que ceux exprimés en faveur d'un candidat, d'un binôme ou d'une liste.

Une telle démarche nécessite d'affirmer ce principe à l'article L. 65 du code électoral. Mais elle nécessite également d'adapter les mécanismes électoraux existants.

En premier lieu, il n'y a pas besoin de modifier les dispositions fixant des majorités absolues comme condition d'élection au premier tour puisque ces majorités seront naturellement impactées par la comptabilisation des votes blancs en tant que suffrages exprimés.

En deuxième lieu, il est proposé d'exclure les votes blancs du calcul de la majorité relative nécessaire pour être élu au second tour afin qu'un candidat ou qu'un binôme soit élu quand bien même la majorité relative des scrutins aurait été exprimée sous la forme d'un vote blanc. Ainsi l'expression du vote blanc serait conciliée avec la fonction première de l'élection qui implique qu'un candidat ou qu'un binôme soit élu.

En troisième lieu, dans la même logique, pour les scrutins uninominaux ou de liste utilisant de la proportionnelle, il est proposé de préciser que les sièges sont répartis « à la représentation proportionnelle des suffrages qui ne sont pas exprimés sous la forme d'un vote blanc » afin que l'ensemble des sièges soit pourvu.

C'est ainsi que le tableau de synthèse ci-après précise la portée des modifications envisagées.

Tableau récapitulatif des modifications à apporter au code électoral, par type de scrutin

Élection des :

Articles du code électoral

Impact direct du nouvel article L. 65 sur la majorité absolue

Majorité relative sans prise en compte des votes blancs

Représentation proportionnelle ou prorata sans prise en compte des votes blancs

Députés

L. 126

x

x

Conseillers départementaux

L. 193

x

x

Conseillers de la métropole de Lyon

L. 224-4 et L. 224-5

x

Conseillers municipaux (scrutin majoritaire)

L. 253

x

x

Conseillers municipaux (scrutin de liste)

L. 262

x

Sénateurs (scrutin uninominal)

L. 294

x

x

Sénateur (scrutin de liste)

L. 295

x

Conseillers régionaux

L. 338 et L. 338-1

x

Conseillers de l'Assemblée de Corse

L. 366

x

Ainsi, l'article 1 er de la proposition de loi ordinaire vise à prendre en compte les votes blancs comme des scrutins exprimés, au même titre que ceux exprimés en faveur d'un candidat, d'un binôme ou d'une liste. Il est ainsi procédé aux modifications nécessaires du code électoral.

B. Les mesures d'adaptation rendues nécessaires par la comptabilisation des votes blancs

La prise en compte des bulletins blancs dans le résultat des suffrages induit des mesures d'adaptation dans la conduite des opérations de votes. Il s'agit d'un point moins politique qui pourra être, le cas échéant, complété par la commission des Lois.

Ainsi, l'article 2 porte sur ces mesures d'adaptation.

II. Rendre le vote obligatoire

L'instauration du vote obligatoire est une solution envisageable pour éliminer les effets techniques indésirables de la reconnaissance des bulletins blancs. En effet, on peut espérer que les suffrages exprimés soient mécaniquement plus nombreux. La reconnaissance des bulletins blancs pourrait s'accompagner d'une modification du jour du vote - en semaine au lieu du dimanche - et d'une facilité accentuée par les employeurs de manière obligatoire pour permettre à chacun d'aller voter.

En France, l'obligation de voter s'applique uniquement pour les élections sénatoriales, les grands électeurs qui s'abstiennent sans raison valable étant condamnés au paiement d'une amende de 100 € (art. 318 C. électoral).

En Europe, l'obligation de voter existe en Belgique, à Chypre, au Danemark, en Grèce, au Liechtenstein, au Luxembourg, dans le canton suisse de Schaffhouse et dans le Land autrichien du Vorarlberg. Les Pays-Bas ont supprimé le vote obligatoire en 1970.

Hors des frontières européennes, les principaux pays où l'obligation de voter subsiste sont l'Argentine, l'Australie, la Bolivie, le Brésil, le Costa Rica, l'Égypte, l'Équateur, le Gabon, le Honduras, le Liban, le Mexique, le Pérou, le Paraguay, la Thaïlande et la Turquie.

En Belgique, où le vote est obligatoire depuis 1893, la participation atteint environ 90%. La non-participation à un scrutin sans motif valable est assortie d'une amende allant de 27,5 à 55 € pour la première fois et plafonne à 137,5 € en cas de récidive. Si le citoyen s'abstient quatre fois sur une période de quinze ans, il peut être rayé des listes électorales pour dix ans et, durant cette période, ne pourra recevoir aucune nomination, promotion ou distinction d'une autorité publique. Au Luxembourg, le taux de participation avoisine 92%. Les contraventions en cas d'abstention se situent entre 100 et 250 € pour la première fois et de 500 à 1 000 € en cas de récidive dans une période cinq ans. Au Liechtenstein, la participation moyenne est de 75% avec une pénalité de 13 € en cas de non-participation à un scrutin. Le Brésil affiche un taux de participation moyen de 80%. Si le citoyen s'abstient sans motif valable, il ne peut plus obtenir un passeport ou une carte d'identité, participer à un concours ou à un examen administratif, ou obtenir un prêt financier auprès d'une des banques officielles. En Australie, où la participation moyenne est de 93%, la non-participation à un vote est assortie d'une amende allant jusqu'à 100 dollars.

La Grèce, qui a également rendu le vote obligatoire, ne prévoit pas en revanche de pénalité en cas d'abstention à un scrutin.

Une disposition législative créant l'obligation, pour les électeurs, de voter à tous ou à certains scrutins semble formellement compatible avec l'article 3 de la Constitution dans l'état actuel de sa rédaction.

En ce sens, il est ici proposé un dispositif complétant les dispositions pénales du code électoral applicables aux élections des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires qui sanctionne, d'une part, l'absence ou la mauvaise inscription sur les listes électorales et, d'autre part, le fait de ne pas avoir pris part à ces scrutins.

Ainsi, il est proposé d'apprécier l'absence d'inscription sur les listes électorales de manière annuelle afin d'éviter de créer une infraction continue difficile à sanctionner et que cette méconnaissance soit sanctionnée des amendes prévues pour les contraventions de la troisième classe (450 euros). La mauvaise inscription serait, elle, sanctionnée d'une amende prévue pour les contraventions de deuxième classe. Toutefois, devant le contentieux de masse que risque de produire une telle disposition, le pouvoir réglementaire aura tout intérêt à faire usage de l'article 529 du code de procédure pénale qui dispose que « pour les contraventions dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire » afin d'éviter que les tribunaux de police n'aient à connaître de chaque affaire.

La rédaction proposée ne donne pas au pouvoir réglementaire la faculté de définir les cas d'exemption dans lesquels l'amende n'est pas encourue en cas de non-participation au scrutin mais fait référence aux cas où l'électeur « n'est empêché ni par la loi 2 ( * ) , ni par la force majeure », charge au décret en Conseil d'État auquel renvoie l'article de décliner ces différents cas.

La référence à la force majeure recouvre des critères déjà explicités par la loi et la jurisprudence auxquels le pouvoir réglementaire ou le juge pourront se rattacher.

Comme pour l'absence d'inscription ou la mauvaise inscription sur les listes électorales, il sera souhaitable que le pouvoir réglementaire utilise ses prérogatives pour forfaitiser l'amende afin de faciliter la gestion du contentieux.

Ainsi les articles 3 et 4 de la proposition de loi ordinaire complètent les dispositions pénales du code électoral applicables aux élections des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires en sanctionnant, d'une part, l'absence ou la mauvaise inscription sur les listes électorales et, d'autre part, le fait de ne pas avoir pris part à ces scrutins. L'absence d'inscription sur les listes électorales serait appréciée de manière annuelle.

Ainsi, l'absence d'inscription ou de vote sera sanctionnée par une amende prévue pour les contraventions de la troisième classe, soit 450 euros. La mauvaise inscription quant à elle sera sanctionnée d'une amende prévue pour les contraventions de deuxième classe, soit 150 euros.

III. Inscription automatique sur les listes électorales

Il est proposé de remplacer la mention « d'un organisme public ou du trésor public » par celle d'une administration au sens de l'article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration qui inclut : « les administrations de l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ».

L'article 5 de la PPL ordinaire porte sur l'inscription automatique sur les listes électorales. Il revient à un décret de fixer la liste des administrations concernées et les conditions d'application de cet article.

IV. Assouplissement des règles relatives à la délivrance des procurations

En l'état actuel de la rédaction de l'article L. 73 du code électoral, « chaque mandataire ne peut disposer de plus de deux procurations, dont une seule établie en France ». L 'article 6 de la PPL ordinaire assouplit les règles relatives à la délivrance des procurations en prévoyant la possibilité d'avoir deux procurations et non plus une seule.

Afin de compléter ces dispositions, cette proposition de loi ordinaire est accompagnée d'une proposition de loi constitutionnelle et d'une proposition de loi organique. Ces propositions de lois visent à renforcer la confiance démocratique par la reconnaissance du vote blanc et l'instauration du vote obligatoire.


* 1 Rapport n° 648 (2021-2022).

* 2 Cas d'une peine d'interdiction des droits civiques en application de l'article 131-26 du code pénal.

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