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N° 337

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 2008

PROPOSITION DE LOI

tendant à la reconnaissance du génocide tzigane pendant la Seconde guerre mondiale ,

PRÉSENTÉE

Par M. Robert BRET, Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Jean-Claude DANGLOT, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE, MM. Bernard VERA, Jean-François VOGUET, François AUTAIN et Pierre BIARNÈS,

Sénateurs

(Renvoyée à la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le terme Tzigane (ou Tsigane) est le nom utilisé aujourd'hui pour désigner de manière générique les groupes des Roms, des Manus (ou Sinti) et les Kalé (ou Gitans), populations nomades parties de l'Inde du nord-ouest aux environs de l'an mil et arrivées en Europe à la fin du Moyen Âge. Ces populations ont en commun une origine indienne, ainsi qu'une langue, le romani.

À partir du XVI ème siècle, ces populations subirent des années de persécutions. Interdites d'entrée dans les villes, expulsées ou bannies, elles n'ont jamais été les bienvenues.

En France, les Tziganes ont toujours été stigmatisés. Dès 1895, l'État français décida d'établir un état nominatif des nomades. En 1912, une loi créa le carnet anthropométrique pour les nomades, sur lequel figuraient photos d'identité et empreintes digitales afin de soumettre cette population à un contrôle policier strict. Les « gens du voyage » devaient tous tenir ce titre de circulation à jour - y compris les enfants - et le présenter dans chaque commune, laquelle pouvait leur refuser le stationnement.

La dégradation des valeurs républicaines au cours des années trente consolida la xénophobie ambiante. Le gouvernement de Vichy s'inscrivit dans ce mouvement.

Ainsi, durant la Seconde guerre mondiale, les Tziganes furent persécutés pour des raisons raciales par le régime nazi. Ils subirent l'internement, le travail forcé et beaucoup furent assassinés. Les Einsatzgruppen (unités mobiles d'extermination) assassinèrent des dizaines de milliers de Tziganes dans les territoires de l'est occupés par les Allemands. En outre, des milliers d'entre eux furent tués dans les camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, de Chelmno, de Belzec, de Sobibor et de Treblinka. Les nazis incarcérèrent aussi des milliers de Tziganes dans les camps de concentration de Bergen-Belsen, de Sachsenhausen, de Buchenwald, de Dachau, de Mauthausen et de Ravensbrück.

Des dates dramatiques jalonnent le parcours de cette communauté d'un million sept cent mille âmes en Europe :

- le 6 avril 1940 , un décret interdit la circulation des nomades sur l'ensemble du territoire : les nomades doivent se déclarer à la gendarmerie ou au commissariat et sont astreints à résidence dans les communes du département choisis par le préfet ;

- le 4 octobre 1940 , le régime de Vichy autorise l'internement des « étrangers de race juive » et accède à la demande des autorités allemandes d'interner les Tziganes ;

- en mars 1941 , des expériences de méthodes de stérilisation de masse sont lancées sur « des femmes tziganes indignes de reproduire » dans les camps de Ravensbrück et d'Auschwitz ;

- le 22 juin 1941 , des Tziganes sont exécutés dans des camions à gaz à Kulmof ;

- le 16 décembre 1942 , un décret signé Himmler ordonne la déportation des Tziganes vers le camp d'Auschwitz ;

- en mars 1943 , mille sept cents Tziganes déportés de Bialystok sont gazés à leur arrivée et le 25 mai mille Tziganes tchèques subiront le même funeste sort ;

- en 1944 , l'Allemagne nazie réalise des expériences d'inoculation de la tuberculose à Neuengamme, principalement sur des Tziganes ;

- dans la nuit du 31 juillet au 1 er août 1944 , « la nuit des Gitans », quatre mille Tziganes sont gazés et brûlés dans le camp d'Auschwitz.

Au total, entre cinq cent mille et sept cent cinquante mille Tziganes sont morts, assassinés, le plus souvent gazés, par l'Allemagne hitlérienne.

En France, trente mille Tziganes ont été internés dans des camps.

Pourtant, les Tziganes furent parmi les « oubliés » du procès de  Nuremberg. De son ouverture, jusqu'à son verdict, le 1er octobre 1946, aucun Tzigane ne sera appelé à témoigner. Les victimes tziganes du régime hitlérien ne seront pas une seule fois mentionnées durant le procès de Nuremberg et plusieurs pays européens continueront de garder ces populations dans les camps d'internement pendant plusieurs mois.

Aujourd'hui, soixante-huit ans après les premières exactions nazies, il serait grand temps que la représentation nationale française reconnaisse le génocide des Tziganes (« Samudaripen ») ; ces Gitans, ces Manouches et ces Roms assassinés pour leur singularité : être des « gens du voyage ». C'est le sens de l'article premier de la présente proposition de loi.

La France ne peut se soustraire indéfiniment à ses responsabilités. Elle doit, au titre de son propre devoir de mémoire, commémorer cette triste page de l'histoire en hommage aux victimes tziganes des abominations nazies. C'est l'objet de l'article 2 de la présente proposition de loi.

Nous rappelons qu'aujourd'hui encore les Tziganes continuent d'être marginalisés, victimes d'exclusion sociale, et font toujours l'objet de discriminations et de racisme dans de nombreux États européens.

Et en France, le carnet anthropométrique, devenu carnet de circulation avec la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 est toujours en vigueur. Il impose que toute personne de plus de 16 ans n'ayant pas de résidence fixe soit en possession d'un carnet de circulation si elle n'a pas de ressources régulières ou d'un livret de circulation si elle exerce une activité professionnelle. Le premier doit être visé tous les trois mois par un commandant de police, de gendarmerie ou une autorité administrative ; le second tous les ans. Or, l'obligation de détenir un tel document ainsi que celle de le faire viser régulièrement constitue une discrimination administrative flagrante.

Aussi, les auteurs de la proposition de loi pensent-ils que la reconnaissance du génocide tzigane ainsi que la commémoration des victimes de ce génocide contribueraient à faire reculer les discriminations persistantes et favoriseraient l'intégration économique, sociale et politique des Tziganes.

D'autres pays l'ont compris et ont pris des mesures allant dans ce sens. L'Allemagne a, le 5 avril 1995, élevé une stèle à la mémoire de ces populations victimes de la barbarie hitlérienne. La Hongrie, pour sa part, commémore chaque année, depuis 2001, le souvenir des Tziganes victimes de l'holocauste auxquels elle consacre un cours d'histoire dispensé à tous les adolescents.

Par conséquent, nous considérons avec solennité que la France, placée au coeur de ce drame de l'histoire mondiale, doit rompre un silence qui n'a que trop duré et oeuvrer en conséquence.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

La France reconnaît publiquement le génocide tzigane perpétré par l'Allemagne nazie pendant la Seconde guerre mondiale.

La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.

Article 2

La France commémore chaque année, le 5 avril, la mémoire des victimes du génocide tzigane de la Seconde guerre mondiale.

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